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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Guy Lachapelle, “Légitimité et légalité du projet souverainiste.” In ouvrage sous la direction de Michel Sarra-Bournet, assisté de Pierre Gendron, Manifeste des intellectuels pour la souveraineté suivi de Douze essais sur l’avenir du Québec, pp. 213-238. Préface de Guy Rocher. Montréal: Les Éditions Fides, 1995, 286 pp. [M. Sarra-Bournet nous a accordé, le 20 janvier 2016, l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[213]

Manifeste des intellectuels pour la souveraineté
suivi de Douze essais sur l’avenir du Québec.

Deuxième partie :
Douze essais sur l’avenir du Québec

Légitimité et légalité
du projet souverainiste
.”  [1]

Par Guy LACHAPELLE *

Il ne faut pas identifier l'espoir aux prévisions :
il est une orientation du cœur et de l'esprit,
il va au-delà du vécu immédiat
et il s'attache à ce qui le dépasse...

Vaclav Havel, L'Interrogatoire

Notre objectif n'est pas de faire un débat de nature partisane sur les mérites des options souverainiste et fédéraliste ou sur les stratégies élaborées par chaque camp. Nous voulons plutôt proposer une réflexion sur les notions de légitimité et de légalité, concepts qui sont apparus dans le débat actuel sur la souveraineté du Québec dès le lendemain du dépôt de l'avant-projet de loi sur la souveraineté. Depuis les débuts de la Révolution tranquille au Québec, [214] jamais la légitimité de la démarche souverainiste n'avait été contestée. Tous s'accordaient, jusqu'à tout récemment, pour affirmer que, dans la mesure où l'approche péquiste demeurait démocratique, qu'elle soit étapiste ou enclen-chiste, sa légitimité ne pouvait être remis en cause.

L'attachement du fondateur du Parti québécois, René Lévesque, aux valeurs démocratiques n'a jamais fait l'ombre d'un doute l'ancien premier ministre l'un des premiers à dénoncer les méthodes du Front de libération du Québec en 1970 et à condamner l'infâme Loi des mesures de guerre fédérale. C'est la légitimité du pouvoir fédéral qui était alors au ban des accusés, par suite de l'emprisonnement arbitraire de citoyens dont le seul crime était d'être indépendantiste. Il ne faut donc pas s'étonner de retrouver fréquemment dans le discours des ténors souverainistes et des nouveaux partisans de la souveraineté, comme les Bouchard et Dumont, des références aux valeurs démocratiques et à la volonté des Québécois d'adopter une démarche empreinte de pragmatisme et de réalisme [2]. De fait, les Québécois ont toujours été des gens de petits pas mais de pas assurés.

C'est le camp fédéraliste qui a bien sûr soulevé la question de la légitimité de la démarche souverainiste. Cette dénonciation a un objectif stratégique évident : laisser planer le doute sur les véritables intentions des forces souverainistes et du chef du Parti québécois, Jacques Parizeau. Le camp fédéraliste sait fort bien que tous les démocrates québécois sont sensibles à ce genre d'arguments, car ils sont l'essence même du projet souverainiste. La stratégie des [215] forces fédéralistes est devenue encore plus évidente au lendemain du dépôt de l'avant-projet de loi sur la souveraineté, le 6 décembre 1994. Les premiers à monter aux barricades furent, chose étonnante, trois politologues de l'Université Laval, les professeurs Dion, Lemieux et Derriennic, qui attaquèrent de front la démarche proposée par le gouvernement du Québec. Ces attaques furent sans équivoque : l'avant-projet de loi contenait les germes de l'illégitimité, et il fallait également s'interroger sur sa légalité.

Ce débat sur la légitimité et la légalité n'est pas nouveau du point de vue de l'histoire des idées politiques [3]. Il prend toutefois un tout autre sens lorsqu'il s'agit de le transposer dans le contexte de sociétés modernes et démocratiques, comme le Québec, où l'autorité du pouvoir est garantie par des élections libres. Si la légitimité de nos gouvernements est parfois remise en cause par certains groupes de pression, elle ne constitue que rarement un objet de controverse.

Il faut probablement remonter au début des années 1980, au moment où le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau s'apprêtait à rapatrier de manière unilatérale la Constitution canadienne, pour voir pareille levée de boucliers contre une action gouvernementale. Huit provinces avaient alors contesté la légalité de la démarche fédérale devant la cour suprême du Canada. Le gouvernement Trudeau avait d'ailleurs essuyé une rebuffade de taille puisque la cour suprême avait affirmé, dans son jugement du 28 septembre 1981, que le rapatriement unilatéral était sans doute légal, mais inconstitutionnel, pour ne pas dire [216] illégitime. Suivant le verdict de la cour suprême du Canada, le gouvernement fédéral se devait d'obtenir l'assentiment des provinces, puisque la Charte canadienne des droits et libertés proposée limitait certains pouvoirs des provinces. La suite de l'histoire est bien connue, et le Québec n'a toujours pas adhéré au pacte fédératif de 1982. Cette épisode démontre bien l'importance de la légitimité de droit. Quant à la légitimité politique de la Loi constitutionnelle de 1982, elle demeure un objet de débats entre politologues.

Pour mesurer le degré de légitimité ou d'illégitimité de l'action des gouvernements, la science politique a élaboré un certain nombre de critères. L'ensemble de ces critères est à la fois d'ordre légal et moral. Les principaux critères légaux sont : un gouvernement élu démocratiquement, des politiques ou actions gouvernementales conformes aux lois et aux décisions visant le bien commun. Sur le plan moral, on parle essentiellement du respect des droits de la personne, c'est-à-dire de l'élimination de toutes les barrières qui peuvent entraver ou diminuer la liberté des citoyens. Toute action qui limite les droits civiques, par le biais de certaines législations contraignantes ou l'usage de la force, aura pour effet de miner la légitimité des gouvernements. Un autre critère souvent évoqué est celui de la continuité de droit, c'est-à-dire qu'il appartient au gouvernement d'assurer, une fois la souveraineté acquise, une certaine stabilité sociale, économique et politique. À ce chapitre, la reconnaissance internationale constitue un critère indéniable de légitimité. Nous chercherons donc à évaluer la pertinence de ces critères et à les utiliser pour évaluer la légitimité et la légalité de la démarche souverainiste, et ce, à la lumière des gestes posés par le gouvernement du Parti québécois depuis son élection.

[217]

L’élection du Parti québécois

Avant d'évaluer la démarche référendaire du gouvernement du Québec, il faut d'abord reconnaître que ce dernier a été élu démocratiquement le 12 septembre 1994. Les Québécois ont choisi le Parti québécois librement ; ils l'ont fait en toute responsabilité et sachant fort bien que ce parti avait pour objectif de faire la souveraineté du Québec. Le PQ n'a d'ailleurs jamais caché son option. De plus, le Parti libéral du Québec a basé sa campagne publicitaire sur la souveraineté, en cherchant à convaincre l'électorat qu'il s'agissait d'une élection référendaire. Sa publicité, en début et en fin de campagne, voulant démontrer que l'élection du Parti québécois signifiait au bas mot l'indépendance pure et simple, a ainsi été fort efficace, permettant au PLQ de faire le plein de ses votes.

Au moment de la campagne électorale, les Québécois ont d'ailleurs exprimé leur désir de voir autant le Parti québécois que le Parti libéral du Québec de se faire plus revendicateurs sur le plan constitutionnel [4]. Advenant une victoire du Parti québécois, une majorité de citoyens, 56,3% se disaient tout à fait d'accord pour que le nouveau gouvernement du Québec tienne un référendum sur la souveraineté. Cela n'a rien de surprenant puisque le chef du Parti québécois parlait de l'élection comme de la deuxième période et que le référendum serait la dernière étape de la démarche souverainiste. De plus, 49,2% des Québécois étaient d'accord pour que M. Parizeau commence tout de suite des discussions sur le transfert des pouvoirs et le partage de la dette fédérale.

[218]

Tableau 1

Les attentes des Québécois à l'égard
des propositions constitutionnelles du Parti québécois

Question : Advenant une victoire du Parti québécois de M. Parizeau, seriez-vous plutôt d'accord ou plutôt en désaccord que ce nouveau gouvernement...

Plutôt d'accord

Plutôt en désaccord

Ne sait pas/pas de réponse

tienne un référendum sur la souveraineté

56,3

37,7

6,0

fasse adopter par l'Assemblée nationale une résolution sur la volonté du Québec d'accéder à sa pleine souveraineté

47,0

43,6

9,4

commence tout de suite avec Ottawa les discussions sur les transferts de pouvoirs et le partage de la dette

49,2

41,4

9,4

entreprenne la rédaction d'un projet de constitution d'un Québec souverain

46,9

44,3

8,8

Source : SONDAGEM. Sondage mené du 13 au 18 août 1995 auprès de 1020 répondants.

M. Parizeau avait également mentionné durant la campagne électorale qu'il voulait faire adopter par l'Assemblée nationale une résolution indiquant la volonté du Québec d'accéder à sa pleine souveraineté ; 47,0% des Québécois étaient d'accord avec cette idée, 43,6% étaient en désaccord. Après son élection, le gouvernement du Parti québécois [219] a préféré adopter une autre stratégie, en présentant à l'Assemblée nationale un avant-projet de loi qui précisait à l'article 1, que le Québec est un pays souverain. Enfin, 46,9% des Québécois se disaient d'accord avec l'idée d'entreprendre la rédaction d'un projet de constitution pour le Québec. À ce chapitre, il faudra sans doute attendre les résultats du référendum pour qu'une commission constitutionnelle soit mise sur pied, avec mandat de rédiger la Constitution d'un Québec souverain.

Par ailleurs, advenant une victoire libérale, 64,5% des Québécois désiraient une relance des négociations sur la base des revendications traditionnelles du Québec. En fait, l'attitude des Québécois contrastait avec celle de M. Johnson, qui s'est toujours dit en désaccord avec l'idée de mener des discussion constitutionnelles avant 1997 ; ainsi 49,4% des Québécois se disaient en désaccord avec la position libérale. Chose surprenante, 48,1% des Québécois désiraient que le Parti libéral du Québec organise un référendum sur la souveraineté du Québec ; et 46,7% demandaient au chef libéral d'amorcer, s'il était élu, de nouvelles discussions constitutionnelles à partir des cinq conditions du lac Meech [5].

Toutefois, comme le Parti québécois a été élu démocratiquement, il a toute légitimité pour faire adopter les lois qu'il juge nécessaires à l'avancement de la société québécoise. Il peut constituer des commissions d'enquête (santé, éducation, constitution, etc.) afin d'obtenir des avis, des points de vue informés ou pour informer la population. Chercher à faire croire, après la dernière campagne électorale, que les Québécois ont voté uniquement pour un bon [220] gouvernement, ce serait faire preuve de malhonnêteté intellectuelle. Les propositions constitutionnelles des trois partis, dont l'Action démocratique du Québec (ADQ), étaient bien connu et elles avaient suscité débats et discussions. Comme le soulignait Fernand Dumont, une élection constitue un geste majeur, une reconnaissance de l'autorité politique : « Les consultations électorales ne se réduisent pas à des mécanismes ; ils réaffirment le consentement collectif à la légitimité de l'autorité et de la contrainte » [6].

Nous serions les premiers à manifester notre opposition à tout régime qui ne respecte pas les droits démocratiques des citoyens. Il faut dénoncer tout geste illégal qui entache les résultats d'un scrutin et qui mine le libre exercice du droit de vote. On oublie souvent dans nos régimes démocratiques que la confiance des citoyens dans les institutions constitue aussi un élément crucial et que toute attaque visant à discréditer un gouvernement, surtout lorsque l'on parle d'illégitimité et d'illégalité, peut être néfaste pour l'avenir d'une nation. Le sociologue Fernand Dumont s'inquiète lui aussi face à un certain vide qui prévaut au Québec et qui vise à miner la crédibilité des nos institutions politiques, économiques et sociales. D'ailleurs, M. Dumont nous appelait tous à la vigilance :

Tandis que les régimes totalitaires reposent sur la contrainte, les régimes démocratiques se réclament de la légitimité. Celle-ci est garantie par des élections, la responsabilité ministérielle, la constitution et la déclaration des droits. Plus importante encore est la confiance dans les institutions. L'habitude aidant et les apparences sauvegardées, cette confiance s'érode sans qu'on y prenne garde. La vigilance est le prix des libertés publiques [7].

[221]

Au lendemain d'une défaite électorale, on comprend fort bien que certaines personnes se sentent flouées. Une élection c'est aussi une lutte pour le pouvoir politique et l'élection d'un gouvernement souverainiste représente une menace pour certains individus ou groupes qui s'accommodent fort bien de la vision canadienne. Le projet du Parti québécois est aussi menaçant pour certaines élites, demeurées trop complaisantes à l'endroit du pouvoir fédéral, qui sont allergiques au changement et qui préfèrent nettement le statu quo.

Ainsi, plusieurs partisans libéraux, déçus des résultats de l'élection, ont cherché à donner un tout autre sens aux résultats en affirmant que le nouveau gouvernement du Québec n'avait pas le mandat d'enclencher le processus d'accession à la souveraineté. Les forces fédéralistes ont continué de mener leur offensive dès le lendemain de l'élection en cherchant systématiquement à désavouer la démarche démocratique du Parti québécois. Cette attitude nous a semblé et nous semble toujours dangereuse, car elle constitue une menace pour les fondements de notre société, quelle que soit l'option politique des uns et des autres. Il faut nous méfier car derrière ces attaques se cachent peut-être d'autres desseins.

La démarche souverainiste

Au moment du dépôt, à l'Assemblée nationale, de l'avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec, les enjeux de la légitimité et de la légalité de la démarche souverainiste ont rapidement fait les manchettes. Le professeur Léon Dion affirmait à un journaliste du quotidien The Gazette qu'il s'agissait d'un procédé antidémocratique, d'une mascarade, d'une parodie, voire d'un exercice de propagande [8]. Vincent [222] Lemieux. affirmait que la démarche référendaire proposée pourrait manquer de légitimité si les fédéralistes refusaient de s'associer au projet [9]. Comme tous savaient que le Parti libéral du Québec allait refuser de participer aux commissions régionales, la démarche péquiste était condamnée avant d'avoir pris son envol.

L'éditorialiste du journal Le Soleil, J.-Jacques Samson, parlait même d'un exercice qui avait pour objectif d'anesthésier les citoyens et « d'un détournement du rôle de nos institutions parlementaires  [10] », comme si la démarche péquiste différait tellement de celle des partis conservateur et libéral lors de la consultation sur l'Accord de Charlottetown. Un autre politologue, Jean-Pierre Derriennic, publiait, quelques mois plus tard, un pamphlet dans lequel il en remettait, s'interrogeant sur la légitimité du vote référendaire, encourageant même, à mots à peine couverts, les opposants au projet souverainiste à la désobéissance civile [11]. Selon lui, si les Québécois se prononçaient démocratiquement en faveur de la souveraineté du Québec, mécontentement et violence pourraient germer chez les opposants.

Nous avons dénoncé ces propos enflammés [12]  et nous n'avons pas été seul à y voir des gestes inutiles de provocation [13]. [223] Un citoyen de Sainte-Foy nous faisait même parvenir au lendemain de notre réaction face aux propos de MM. Dion et Lemieux le commentaire suivant :

Ce qui me choque dans leur attitude, c'est qu'ils n'aient pas été capables — en tant qu'intellectuels qui ont une crédibilité auprès de la population — de dominer convenablement la part d'émotion que comporte toute option politique. C'est leur droit de défendre le fédéralisme et d'être fédéralistes. Mais ces messieurs qui se pensent et se disent toujours au-dessus des mêlées partisanes, se devraient d'analyser le processus avec plus de nuances et moins de passion (21 décembre 1994).

Daniel Latouche trouvait lui aussi ces propos excessifs : « ... là où je débarque, c'est lorsqu'on se réfère à ce que notre vie politique et notre démocratie contiennent de plus dévastateur, la condamnation pour illégitimité. C'est le genre d'excommunication dont on se remet difficilement et que les sectaires religieux aiment bien employer [14]. »

Lorsque les règles parlementaires sont transgressées par divers abus de pouvoir, tous les citoyens ont le droit de s'inquiéter ; et nous n'avons pas franchi ce pas au Québec, ni en décembre ni aujourd'hui. Le professeur Dion affirmait que la démarche choisie par le gouvernement était antidémocratique parce qu'il ne donnait pas une chance égale aux fédéralistes et aux souverainistes de s'exprimer. De plus, il craignait que l'exercice de la consultation régionale soit noyauté uniquement par des souverainistes, l'option [224] fédéraliste étant marginalisée. Il avait même peur que, lors des audiences régionales, les partisans fédéralistes soient conspués, voire ridiculisés. C'est bien mal connaître les Québécois. C'est surtout porter un diagnostic avant le fait.

Ce genre d'attitude menaçante relève d'un certain paternalisme qui porte atteinte aux fondements de la société québécoise. Quel que soit le résultat du référendum, il y aura des citoyens heureux et des citoyens déçus. Toute opinion ou toute quête de la vérité doit s'accompagner d'une certaine dose de moralité publique. Les intellectuels et les gouvernements doivent respecter certaines règles éthiques et morales. Quand un gouvernement élu démocratiquement propose un changement de statut constitutionnel, une révolution de l'esprit, il est de bon ton de s'interroger sur sa démarche. Mais cela doit se faire, encore une fois, dans le respect des opinions de chacun. Selon Paul Bastid, « un gouvernement ne devrait être réputé illégitime... que dans le cas où il contreviendrait ouvertement à des règles morales incontestées qui sont les bases mêmes de toute civilisation » [15]. Il est difficile de prétendre que c'est le cas de la démarche souverainiste.

Paul B. Singer s'interrogeait, par exemple, sur l'utilisation du pouvoir de l'État administratif afin de contourner certains principes inscrits dans la Loi sur la consultation populaire, tout en reconnaissant la légitimité de la démarche du gouvernement du Parti québécois. Tout gouvernement, y compris le gouvernement fédéral, a bien sûr le pouvoir d'utiliser les membres de la fonction publique pour atteindre ses objectifs politiques. Mais, ici encore, tout est question de degré et de transparence. Le gouvernement du [225] Québec n'a probablement pas de leçons de conduite à recevoir du gouvernement fédéral qui tarde à accoucher d'une loi limitant les contributions et dépenses électorales.

La démarche du PQ de 1994 fait précéder le référendum d'une période de consultation — ou pré-référendum — qui possède tous les risques d'abus que la Loi sur la consultation populaire visait à contrecarrer. L'État peut dépenser comme il veut, utiliser la vaste machine bureaucratique pour parvenir à ses fins, organiser des consultations qui favorisent son option, changer l'enjeu et modifier la date du référendum comme il l'entend. La forme finale du projet, peut-être même la question, sera connue seulement la veille de la période référendaire qui sera la plus courte possible, liste électorale permanente aidant... La démarche n'est pas illégitime pour autant. Mais le sens moral d'une victoire sera diminué [16]...

À ce chapitre, il faut nous rappeler le référendum de 1980 au Québec. L'interprétation du fameux discours de Pierre Elliott Trudeau, à Montréal en mai 1980, continue de hanter notre mémoire collective. Nul doute que M. Trudeau a promis le changement à ce moment là. Sauf que seuls lui et ses comparses savaient quel sens donner au mot changement. De nombreux Québécois l'ont malheureusement cru. Pourtant, dès 1981, alors que le Québec était écarté de l'entente constitutionnelle, la moralité de la démarche fédérale fut nettement entachée. Mais peu de fédéralistes se sont levés pour décrier cette usurpation de pouvoir, qui aura des conséquences politiques indéniables et qui est à l'origine du débat référendaire d'aujourd'hui. Il semble bien qu'au Canada on ait deux poids, deux mesures, quand il s'agit de moralité.

[226]

Les critiques à l'endroit de la démarche souverainiste tombent à plat quand on constate l'intérêt que les citoyens ont accordé aux commissions régionales, à la commission sur les aînés et les jeunes et lors des audiences de la Commission nationale. Comme le soulignait le rapport de la Commission nationale sur l'avenir du Québec, il s'agit de la plus vaste consultation populaire jamais tenue au cours de l'histoire du Québec. Plus de 55 000 Québécois ont participé aux 435 audiences publiques des 18 commissions sur l'avenir du Québec, où furent déposé plus 5 500 mémoires. Avec ses 288 commissaires, majoritairement des non-élus, issus de tous les milieux sociaux, certains étant même membre du Parti libéral du Québec, il est difficile de prétendre qu'il s'agissait d'un exercice non démocratique [17].

En fait, les discussions publiques ont porté bien plus sur le type de société dans laquelle les Québécois aimeraient vivre que sur les seuls enjeux constitutionnels. Il faut aussi reconnaître que le rapport de la Commission a provoqué des discussions vives entre souverainistes, surtout à la suite du « virage » de Lucien Bouchard, le 7 avril 1995. Le rapport a cependant permis la réalisation de l'entente entre le Parti québécois et les partis de l'Action démocratique du Québec et du Bloc québécois. On constate également que les propos et remarques sur le sens moral à donner à la démarche péquiste traduisent bien plus une méfiance partisane à l'endroit du gouvernement ; c'était faire bien peu confiance aux citoyens et au gouvernement du Québec.

Lorsque le Parti libéral du Québec a décidé pour des raisons stratégiques de ne pas participer aux travaux de la [227] Commission nationale sur l'avenir du Québec, il a pris cette décision en toute connaissance de cause estimant que l'action politique hors de la Commission était plus utile pour faire valoir son point de vue. L'éditorialiste J.-Jacques Samson du journal Le Soleil, suggérait d'ailleurs au Parti libéral du Québec, au moment du dépôt de l'avant-projet de loi sur la souveraineté, de lancer immédiatement sa campagne du NON. Mais ce n'est pas parce que le Parti libéral du Québec a refusé de participer aux audiences que le processus est illégitime.

Si le programme électoral du PLQ et le credo des Bélanger-Johnson en faveur du statu quo constituent l'essence même de la démarche fédéraliste, nous ne pouvons que déplorer comme démocrates leur non-participation aux travaux de la Commission nationale. Mais il ne faut pas non plus être surpris puisque les souverainistes n'ont jamais été invités à exprimer leur point de vue lors des audiences du lac Meech et de Charlottetown. Les fédéralistes rejettent même, à l'heure actuelle, des propositions d'accommodement constitutionnel, comme celle proposée par André Burelle [18] un ancien haut-fonctionnaire fédéral, parce qu'elles vont à l'encontre de leur stratégie.

La position actuelle du PLQ contraste d'ailleurs avec toutes les demandes libérales antérieures. Après leur défaite électorale, les instances du Parti libéral ont fait la sourde oreille devant les militants qui souhaitaient que leur parti propose aux Québécois des solutions valables avant le référendum. Plus récemment, le sénateur Jean-Claude Rivest demandait au chef du PLQ d'élaborer une position constitutionnelle pour son parti. La promotion du statu quo  [228] demeure une stratégie dangereuse pour le Parti libéral du Québec car il s'agit de signer un chèque en blanc au gouvernement fédéral.

Il est donc difficile de prétendre que la démarche souverainiste depuis le 6 décembre 1994 ait manqué de transparence. Les résultats de la Commission nationale prouvent encore une fois l'attachement des Québécois à une discussion franche et ouverte. On peut difficilement accuser le gouvernement du Parti québécois d'avoir usurpé le pouvoir pour faire valoir son option ou parler de dogmatisme dans les discussions entourant son projet de société. Des débats internes se poursuivent d'ailleurs à l'intérieur de tous les partis. Il sera difficile d'affirmer, advenant une victoire du OUI au référendum, que la démarche souverainiste pré-référendaire fut entachée d'illégitimité.

La participation des citoyens
à la vie démocratique :
liberté, partenariat et non-violence


La légitimité politique repose sur l'adhésion volontaire des citoyens à la vie sociale et politique de toute société ; les trois principes qui guident la participation des citoyens reposent sur des concepts de liberté, de partenariat et de non-violence. C'est pourquoi tout le débat entourant la majorité nécessaire pour qu'un État accède à la souveraineté nous semble lui aussi porter atteinte aux fondements de la société québécoise. À partir des résultats des sondages commandités à la maison CROP [19], le Conseil du patronat du Québec souligne régulièrement qu'il faudra un vote [229] substantiel, au-delà de 60%, pour que la légitimité du vote soit reconnue.

Si on regarde attentivement les données de ces sondages depuis avril 1991 (voir tableau 1), on constate aisément que l'objectif de ces sondages relève là aussi bien plus de la stratégie politique que du réalisme politique. Ce qui peut être étonnant, c'est la constance des résultats depuis 1991 et le fait que les deux types de majorité qui obtiennent le plus fort pourcentage sont la majorité des deux tiers et la majorité simple. Si on pouvait obtenir les résultats croisés avec les intentions de vote, on se doute que les résultats seraient différents suivant l'appui partisan des répondants. De plus, vu le nombre de catégories, on peut interpréter les résultats de manière très différente : on pourrait par exemple affirmer qu'en février 1995, 55% des Québécois estimaient qu'un vote au référendum entre 50 et 60% est suffisant pour que le gouvernement du Québec puisse enclencher le processus menant à l'indépendance du Québec [20].

Mais l'interprétation la plus courante, proposée par Jean-Pierre Derriennic, est plus simple. Faire l'indépendance, c'est comme dissoudre un club de pêche : il faut au moins les deux tiers des membres votants, article 356 du Code civil ! De plus, selon lui, la règle de la majorité ne s'applique pas si un État ne possède pas l'autorité morale pour faire la souveraineté. Pour obtenir cette base morale, il faut selon Derriennic que le processus d'indépendance se situe dans une continuité historique, comme si la démarche péquiste tombait du ciel et que nous n'y étions pas. Après les échecs constitutionnels de 1982, de Meech et de Charlottetown, que faut-il de plus pour se situer dans cette continuité historique ?

[230]

Les règles de participation des citoyens à la vie démocratique et au processus électoral nous semblent les seules qui devraient prévaloir. Les démocrates québécois ont toujours estimé que ces règles étaient les seules garantes de l'avenir. Malheureusement, nous savons que le gouvernement fédéral et les forces du NON ont transgressé les limites de dépenses permises dans la Loi sur les consultations populaires lors du référendum de 1980 et qu'ils le feront encore lors du prochain référendum.

Dans leur manifeste, les intellectuels pour la souveraineté du Québec (IPSO) proposent d'ailleurs une vision plus large de la légitimité fondée essentiellement sur la participation des citoyens à la résolution des problèmes de la société québécoise [21]. Certaines « raisons communes », pour reprendre l'expression de Fernand Dumont, fondées sur une plus grande solidarité sociale et orienter vers la définition d'un projet de société auquel participeraient tous les citoyens, ont guidé cette démarche. Les quelque 300 personnes qui ont signé le manifeste jusqu'ici ont voulu se démarquer d'un déterminisme de bon aloi et répondre à tous les dénigreurs de la société québécoise. Le Québec est une société démocratique qui a à relever les défis de tous les États modernes. Souhaiter que les citoyens puissent exercer leur choix de manière démocratique, sans contraintes indues, ne relève pas d'une vision tronquée de l'histoire. Les Québécois doivent garder l'œil ouvert, avoir l'esprit clair, pour que l'histoire puisse donner un sens véritable à cette décision collective.

La seconde règle, au regard de la participation des citoyens à la vie démocratique, repose sur l'idée d'un [231] partenariat entre citoyens mais aussi entre l'État et le citoyen, principe qui a d'ailleurs inspiré bien des fédéralistes. À l'encontre de cette idée, Jean-Pierre Derriennic oppose la tyrannie du pouvoir. Selon lui, peu importe le type de gouvernement au pouvoir, qu'il soit monarchiste, tyrannique, etc. ou peu importe comment un parti politique ou certaines élites occupent le pouvoir politique, le plus important, c'est la soumission des citoyens à ce pouvoir. Le projet souverainiste contraste avec cette vision médiévale du pouvoir en proposant une plus grande solidarité entre citoyens et une reconnaissance du principe selon lequel l'État doit non pas s'imposer mais écouter les demandes des divers groupes.

La reconnaissance par les fédéralistes d'un seul État, l'État canadien, provoque chez eux des crises existentielles profondes quand un autre gouvernement s'arroge la prétention de parler au nom de certains citoyens. La logique canadienne a d'ailleurs obligé le Parti libéral du Québec à abdiquer ses responsabilités politiques, à n'être plus qu'une succursale du Parti libéral du Canada. Dans une perspective élitiste de cohabitation entre les élites canadiennes-françaises et canadiennes-anglaises à l'intérieur du cadre fédéral, tout geste de non-soumission est par le fait même considéré comme irrévérencieux, illégitime, d'où la position de Derriennic.

Les Québécois francophones doivent se méfier de ceux qui, sous le couvert de l'illégitimité, veulent leur bien. La soumission au pouvoir politique entraîne un état de dépendance dans lequel certains ont souvent voulu contraindre les citoyens du Québec. En fait, derrière le discours fédéraliste, on sent malheureusement cette ambivalence : comme les Québécois ne veulent pas être des Canadiens comme les autres, leurs gestes sont de facto illégitimes, c'est-à-dire [232] contraires aux intérêts de l'État canadien. On ne veut pas reconnaître la légitimité de l'État québécois dans la mise en œuvre de politiques afférentes à son territoire. L'accusation d'illégitimité est grave. Il s'agit d'une négation à la fois du pacte fédéral de 1867 et de la légitimité d'action de tout gouvernement provincial au Canada. Plus encore, c'est le refus de mettre en œuvre un véritable partenariat tant sur le plan social et économique que sur le plan politique.

Le troisième principe est celui de la non-violence. Nous nous élevons aussi contre ceux qui qualifient la démarche souverainiste d'illégitime pour mieux justifier l'emploi de la violence et de la force. Il faut être vigilants devant ce type de campagnes visant à discréditer nos institutions démocratiques. Au temps de Talleyrand, le droit était le fondement de la légitimité et les monarques l'utilisaient pour se prémunir contre tout emploi de la force [22]. Tel est, à notre sens, le but ultime de ces dénonciations de la part de fédéralistes réputés qui remettent en cause la légalité des actions du gouvernement du Québec. Nous étions inquiets en décembre 1994 devant de tels discours ; nous le serons toujours. Dans une démocratie aussi vivante que la démocratie québécoise, quand certains cherchent systématiquement à discréditer toutes les actions d'un gouvernement élu, en brandissant le flambeau d'une certaine illégitimité, il n'y a qu'un pas à franchir pour que l'appareil d'État utilise l'outil de son dernier retranchement : la force. Il faut nous opposer vivement à tout encouragement à l'usage de la violence. Autant, lors des événements d'Octobre 1970, trop peu de démocrates se sont opposés au recours à la Loi des mesures de guerre par le gouvernement fédéral, autant il nous faut [233] dénoncer, aujourd'hui, tous les efforts de déstabilisation de nos institutions démocratiques.

Le monopole de la violence au Canada appartient à l'État fédéral, puisque ce dernier peut toujours utiliser l'armée, les services secrets et le pouvoir judiciaire pour contester toute décision démocratique. Après que certains furent allés jusqu'à affirmer que le Québec n'avait pas le droit de sécession sans l'accord du Canada anglais, d'autres ne se sont pas gênés pour dire même qu'il fallait faire souffrir les Québécois, leur faire peur, pour que les forces du non l'emportent au référendum. Toute cela relève de l'usage de la force. Comme le soulignait Paul Bastid, « l'illégitimité une fois admise conduit à l'exercice de la résistance par la force, c'est-à-dire à la guerre civile » [23]. C'est cette perception de là situation qui nous amène à nous interroger sur les motifs réels de pareilles dénonciations, surtout de la part de politologues.

Les souverainistes québécois ont fait, par ailleurs, un pari important, soit d'atteindre leur objectif par les voies démocratiques, en prônant ces principes de liberté, de partenariat et de non-violence. Les Québécois ne sont pas dupes et ils ont choisi d'élire des leaders et des partis politiques qui pouvaient le mieux défendre leurs intérêts, tant à Québec qu'à Ottawa. Pour plusieurs fédéralistes, la démarche souverainiste n'est que pure naïveté de la part d'une petite bourgeoisie nationale. Mais les souverainistes n'ont d'autre solution que de s'appuyer sur le peuple pour faire leur « révolution de velours ».

[234]

La reconnaissance internationale

Tous les observateurs demeurent fort conscients qu'une fois la victoire du oui acquise au référendum, l'accession à la souveraineté, aux lendemains des négociations avec le Canada, dépendra de la reconnaissance internationale. Des efforts diplomatiques importants ont été déployés jusqu'à aujourd'hui, et certains projets de loi ont été présentés à cet effet à l'Assemblée nationale.

D'abord, le principe du « transfert de juridiction » demeure la pierre d'assise de cette reconnaissance internationale. Dans la mesure où un État qui désire accéder à la souveraineté établit face die les principes qui le guideront au lendemain de la déclaration d'indépendance, les autres pays devraient normalement reconnaître le nouvel État. Sur le plan diplomatique, le gouvernement fédéral fera tout ce qu'il peut pour retarder cette reconnaissance. Le pacte Chrétien-Chirac, non-intervention française dans le débat référendaire, en échange de l'uranium canadien, démontre bien jusqu'où la diplomatie canadienne est prête à aller. Pour contrer ces campagnes, le gouvernement du Québec a déposé deux projets de loi à l'Assemblée nationale. Le projet de loi 51 sur les accords de commerce international et le projet de loi 98 sur les privilèges et immunités diplomatiques et consulaires.

Lors du dépôt à l'Assemblée nationale du projet de loi 51, en janvier 1995, le vice-premier ministre du Québec et ministre des Affaires internationales, M. Bernard Landry, a insisté pour souligner que ce projet de loi reposait sur les règles du droit constitutionnel canadien, qui font en sorte que les traités internationaux requièrent, pour être applicables en droit interne, une mise en œuvre législative. Partant du principe que plusieurs directives et normes édictées [235] par des organismes internationaux relèvent directement de la compétence et de la juridiction des provinces, le gouvernement du Québec voulait démontrer clairement sa ferme intention de faire valoir son droit interne et de souligner que la légitimité des actions du gouvernement fédéral repose sur une reconnaissance de la compétence et juridiction des provinces dans divers secteurs [24].

Le projet de loi vise à démontrer les limites du pouvoir exécutif fédéral dans les champs de compétence provinciale. Il soulève également la question de la légitimité du lien fédéral, au regard de ses pouvoirs de dépenser et de taxer ainsi que sa compétence exclusive dans certains secteurs. Il démontre que la légitimité peut être sectorielle, dans un État fédéral, selon la compétence de chaque ordre de gouvernement.

Mais la nécessité, pour un État, d'être reconnu internationalement procède des attentes des milieux politiques ou financiers. La transition vers la souveraineté doit se faire autant que possible de manière cordiale, humaine et souple. Des enjeux, comme celui du partage de la dette demeurent au centre des préoccupations. Le fait que le gouvernement du Québec a affirmé qu'il allait respecter ses obligations concernant la dette publique canadienne représente, malgré tout, une offre généreuse et non négligeable. À ce seul chapitre, il serait étonnant de voir le Canada refuser toute négociation ; les investisseurs étrangers qui s'inquiètent de la dette canadienne auront tôt fait de rappeler à Ottawa qu'il y va de leurs intérêts de voir le Canada s'entendre avec le nouvel État.

[236]

Un autre argument souvent évoqué par le premier ministre du Canada, Jean Chrétien, est l'illégalité de la démarche référendaire québécoise puisque rien dans la Constitution canadienne ne prévoit la possibilité pour une province de se séparer de la fédération canadienne. Selon l'opinion récente de six professeurs d'université, dont le constitutionnaliste Jacques-Yvan Morin, aucune constitution fédérale connue, sauf celle de l'ex-URSS ne contient de dispositions au regard de l'accession à l'indépendance d'une de ses parties, régions ou provinces [25]. En fait, le contraire aurait été surprenant. Comment les signataires de la Constitution de 1867 auraient-ils pu inscrire pareille disposition, alors que leur objectif était d'amener d'autres provinces à se joindre ultérieurement au Canada ?

En fait, il semble en ce domaine, que ce soit essentiellement le droit international qui prime. Aussi, l'argument de l'illégalité nous renvoie plutôt à la question si le droit des peuples à décider de leur avenir demeure un élément essentiel du droit international. Le principe du droit à l'autodétermination des peuples ne fait pas l'unanimité entre spécialistes, suivant qu'ils adoptent une approche légaliste ou sociopolitique. Ce genre de débat nous renvoie essentiellement à la volonté de tout nouvel État devenu indépendant de démontrer aux autres États, et en particulier aux membres des Nations Unies, sa capacité à maintenir un État de droit et d'assurer la pérennité des ententes déjà conclues avec d'autres pays. La reconnaissance internationale repose donc sur le principe de l'État successeur et [237] sur l'autorité politique du nouvel État d'assumer ses obligations internationales.

Conclusion

La démarche souverainiste proposée par le gouvernement du Parti québécois nous semble tout à fait légitime et légale et garante du maintien des valeurs démocratiques de la société québécoise. Mais tout ce débat témoigne également de la difficulté qu'ont les philosophes du politique à distinguer la légitimité d'un gouvernement de la légalité de ses gestes. De plus, dans un contexte démocratique et partisan, comme celui qui prévaut actuellement au Québec, ont s'attend généralement à plus de nuances et de retenue, surtout de la part des politologues. S'il faut noter le désarroi de certains collègues et de plusieurs fédéralistes incapables, après les échecs constitutionnels du lac Meech et de Charlottetown, de faire consensus sur des propositions constitutionnelles concrètes, cela ne les justifie nullement de miner la crédibilité de l'État québécois. Moyen détourné pour cacher ses faiblesses, sans doute, mais geste dangereux pour ceux qui rêvent de plus de démocratie.

Sous les dénonciations d'illégitimité et d'illégalité se cache aussi un certain conformisme politique, ou ce que certains appellent de la rectitude politique. Tous ceux qui parlent de liberté de pensée, de sociétés démocratiques ou de marchés plus ouverts semblent être les rebelles de cette fin de siècle. Et pourtant, dans toute démocratie, l'opposition doit pouvoir s'exprimer, et la liberté de parole ainsi que le droit de réplique être reconnus ; on s'attend à ce que ces droits se manifestent dans le respect des opinions de tous et chacun. On peut comprendre que les Dion, Lemieux ou Derriennic ne partagent pas les idées [238] véhiculées par le programme du Parti québécois. Mais de là à attaquer les fondements mêmes d'une société démocratique, leur attitude relève bien plus de la partisannerie que du réalisme politique. Vigilance, avons-nous dit ? Elle sera toujours de mise, même après un oui.



[1] On trouvera une version légèrement plus élaborée de cet essai dans Guy Lachapelle, Pierre P. Tremblay et John G. Trent (dir.), L'impact référendaire, Québec, PUQ, 1995.

* Département de science politique, Université Concordia.

[2] Guy Lachapelle, « The Rise of Quebec Democracy », dans Robert M. Krause et R.H. Wagenberg (dir.), Introductory Readings in Canadian Government & Politics, Copp Clark, 1995, p. 93-115.

[3] Carl Schmitt, Du Politique - « Légalité et légitimité » et autres essais, Paris, Pardès, 1990 ; Paul Bastid, « Légitimité », Encyclopédie Universalisa 1990, p. 578-581 ; Frank Lessay, Souveraineté et légitimité chez Hobbes, Paris, Presses universitaires de France, 1988.

[4] Pierre O'Neill, « Constitution : les Québécois rejettent le moratoire prôné par Johnson », Le Devoir, 22 août 1994, p. A-l et A-8.

[5] SONDAGEM. Sondage mené du 13 au 18 août 1995 auprès de 1020 répondants.

[6] Fernand Dumont, Raisons communes, Montréal, Boréal, 1995, p. 54.

[7] Dumont, op. cit., p. 13.

[8] Rod MacDonnel, « Constitutional expert attacks bill », The Gazette, 7 décembre 1994, p. A-5.

[9] Pierre O'Neill, « L'astuce est un peu grosse - Le politicologue Vincent Lemieux ne cache pas son scepticisme face à la stratégie péquiste en vue du référendum », Le Devoir, 7 décembre 1994, p. A-5.

[10] J.-Jacques Samson, « L'anesthésie d'un peuple », Le Soleil, le 7 décembre 1994, p. A-12.

[11] Jean-Pierre Derriennic, Nationalisme et démocratie, Montréal, Boréal, 1995.

[12] Guy Lachapelle, « Les cordonniers seraient-ils les mieux chaussés ? Discréditer son adversaire politique peut mener à bien des excès, même de la part de politicologues », Le Devoir, 20 décembre 1994, p. A-7.

[13] Bernard Caron, « La souveraineté illégale ? », Le Devoir, 22 février 1995, A-9 ; Daniel Latouche, Plaidoyer pour le Québec, Montréal, Boréal, 1995.

[14] Daniel Latouche, « Quelque chose de brisé au Québec », Le Devoir, 24 et 25 décembre 1994, p. A-6.

[15] Bastid, op. cit., p. 580.

[16] Paul B. Singer, « Avant-projet de loi sur la souveraineté — Légitimité de la démarche référendaire », Le Devoir, 9 janvier 1995, A-7.

[17] Commission nationale sur l'avenir du Québec, Rapport, Conseil exécutif, Secrétariat national des commissions sur l'avenir du Québec, 1995.

[18] André Burelle, Le mal canadien : essai de diagnostic et esquisse d'une thérapie, Montréal, Fides, 1995.

[19] Centre de recherche sur l'opinion publique (CROP), Le climat pré-référendaire au Québec Sondage d'opinion auprès des Québécois, CROP-EXPRESS, février 1995.

[20] Conseil du patronat du Québec et CROP.

[21] « Huit arguments pour la souveraineté » (Manifeste des intellectuels pour la souveraineté — IPSO), La Presse, 8 juillet 1995, p. B-3.

[22] Bastid, op. cit., p. 579.

[23] Bastid, op.cit., p. 580.

[24] Bernard Landry, « Le Québec, un État libre-échangiste », Le Devoir, 31 janvier 1995, p. A-7.

[25] Jean-Maurice Arbour, Andrée Lajoie, Pierre Mackay, Guy Tremblay, Jacques-Yvan Morin, François Crépeau, « Le droit international admet la sécession du Québec », Le Devoir, 18 août 1995, p. A-9.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 16 octobre 2017 14:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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