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Mondialisation, économie sociale,
développement local et solidarité internationale.
Préface
La mondialisation a mauvaise presse. Les manifestations à l'occasion de la rencontre de l'OMC à Seattle ou du Sommet des Amériques à Québec ont été largement couvertes par les médias. Les mouvements de résistance à la mondialisation font en sorte que la population s'inquiète d'arrangements qui, concoctés derrière des portes closes, réservent à une minorité d'individus et de pays les bénéfices de l'économie. La résistance est mieux connue que la construction d'alternatives au néolibéralisme dominant.
Il se trouve pourtant à travers le monde nombre d'initiatives économiques à finalité sociale qui participent à la construction d'une nouvelle façon de vivre et de penser l'économie à travers des dizaines de milliers de projets dans les pays du Nord comme du Sud. Ces initiatives locales sont réunies en réseaux qui leur permettent de participer à des dynamiques régionales, nationales et même mondiales. Cet ouvrage tend à démontrer que, tout émergents qu'ils soient, ces réseaux de l'économie sociale et solidaire contribuent à l'avènement d'une société civile mondiale qui promeut une autre mondialisation, celle de la solidarité.
L'économie sociale et solidaire selon la définition retenue lors de la Rencontre internationale de Lima (1997) et reprise par celle de Québec (2001), place la personne humaine au centre du développement économique et social. La solidarité en économie repose sur un projet tout à la fois économique, politique et social, qui entraîne une nouvelle manière de faire de la politique et d'établir les relations humaines sur la base du consensus et de l'agir citoyen (Déclaration de Lima, 1997).
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Une à une ces initiatives sont tellement modestes qu'il semble tout à fait utopique d'y chercher aussi bien une résistance efficace qu'une alternative à la mondialisation néolibérale. Pourtant, du fait qu'elles s'inscrivent dans les rapports sociaux quotidiens de communautés frappées d'exclusion elles construisent une base solide de développement à la fois sur le plan social et sur le plan économique. À cet égard, en tant que stratégie de développement local, l'économie sociale et solidaire fait le pont entre la résistance et la construction.
Sous des noms et avec des concepts souvent différents, les actions qui allient le social et l'économique renouent avec la tradition de résistance et d'innovation des débuts du mouvement ouvrier organisé en syndicats pour défendre les droits des travailleuses et des travailleurs, mais aussi en coopératives pour répondre à leurs besoins aussi bien de consommation que de protection sociale, dans une société où le libéralisme n'était tempéré par aucune politique sociale digne de ce nom. À l'heure de la mondialisation, au moment où le libéralisme est la seule idéologie survivante et les États-Unis, la seule force capable de policer la planète, la remise à l'ordre du jour de l'économie sociale n'est sans doute pas fortuite. Comme le proposent Louis Favreau et Lucie Fréchette, le concept offre une possibilité de fédérer des activités fort diversifiées qui font le pont entre protestation et proposition, résistance et construction d'alternatives.
Les débats de la 2e Rencontre internationale sur la globalisation de la solidarité à Québec à l'automne 2001, ont mis en évidence que ces initiatives diverses ont un point focal commun : le développement solidaire. La volonté que ce développement solidaire respecte la diversité et demeure pluriel a aussi été très claire. Il n'est pas question de créer à l'échelle mondiale une organisation unitaire pour coordonner les actions. La volonté commune est de créer des réseaux qui permettent de passer de l'échelle locale et nationale à l'échelle internationale et mondiale. Les réseaux sont des structures souples de communication dans lesquelles diverses influences peuvent s'exercer sans que l'une ou l'autre ne prenne le contrôle. Ce sont aussi des structures de liaison permettant à des organisations locales de ne pas demeurer enfermées dans le localisme et d'accéder à d'autres échelles d'action en particulier dans le cadre de nouveaux partenariats internationaux.
La perspective qui a animé les rencontres de Lima et Québec, est d'inscrire l'économie sociale et solidaire dans les rapports Nord-Sud et de maintenir un équilibre qui permette aux réseaux du Sud d'occuper [ix] autant de place que ceux du Nord. Si nous disposons déjà de programmes permettant des échanges avec l'Europe, et en particulier avec la France, sur le terrain de l'économie sociale, nous ne sommes pas toujours conscients du potentiel immense de partenariats Nord-Sud que recèlent les activités des organisations québécoises de coopération internationale. Nous savons qu'ils supportent des projets voire des communautés dans le Sud. Nous savons moins cependant, et c'est un des aspects stimulants de cet ouvrage, qu'ils contribuent à une économie de solidarité et sont responsables de véritables partenariats Sud-Nord. Les cuisines collectives en sont certainement un des meilleurs exemples.
Il serait sans doute prétentieux de parler d'un modèle québécois pour désigner cet ensemble de rapports entre économie sociale, développement local et solidarité internationale et plus encore d'y voir une façon d'influer sur les processus de mondialisation. Mais il est certain que le Québec, du fait de son histoire aussi bien que des acquis collectifs des dernières années, est en mesure de contribuer de façon significative à ces dynamiques de globalisation de la solidarité. Louis Favreau et Lucie Fréchette avec leurs collaborateurs précisent des concepts, mais surtout proposent une analyse de la conjoncture internationale actuelle et des exemples concrets démontrant qu'il y a un espace à occuper pour l'économie sociale et solidaire.
René Lachapelle et Gérald Larose
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