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LA CRISE
PRÉFACE
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par Roger DANGEVILLE, 1978.
- Négation est définition (p. 9) - Symptômes de la crise (p. 12) - L'explication de la crise chez Marx (p. 14) - La réaction en chaîne dans la crise (p. 17) - Absolues ou relatives ? (p. 24) - Crise agraire et industrielle (p. 30) - Dénégations significatives (p. 36) - Crise cyclique et crise historique (p. 39) - La crise : faillite et succès (p. 41) - La crise au passé (p.42) - La définition sous-vulgaire de la crise (p. 48) - Toujours pire (p. 50) - Crise de surproduction (p. 53) - Métamorphose de la surproduction en pénurie (p. 59) - Contradiction fondamentale entre capital et travail (p. 63) - La crise des pays dépendants (p. 66) - Matières premières et crise (p. 68) - Crise au niveau de la reproduction simple (p. 71) - Crise et limitations du capital (p. 76).
Négation est définition
La crise arrive comme mars en carême - au comble de la prospérité, dont elle est l'exact opposé. Elle met tout sens dessus dessous : les rythmes positifs de croissance de la production évoluent en indices négatifs, les profits se muent en déficits d'entreprise, le pouvoir d’achat - sinon les prix - qui ne cessait de monter durant la prospérité se met à baisser, la pléthore de marchandises engendre sur le marché une pénurie qui se généralise de plus en plus, l'essor frénétique d'usines et d'industries nouvelles débouche sur des faillites accélérées, le manque de main-d’œuvre avec les interminables horaires de travail fait place au travail à temps partiel et au chômage massif, etc.
Ce genre de crise ne peut se développer que sur une base déterminée, le capitalisme fondé sur des antagonismes susceptibles de produire de tels effets, là où la richesse (mieux : l'accumulation de capital, d'argent et de marchandises) repose directement sur la misère (plus précisément : la prolétarisation) et où le but de la société est la production effrénée de plus-value extorquée aux ouvriers salariés. Avant la société bourgeoise, il existait aussi, bien sûr, des antagonismes et des conflits violents ; des révolutions ont éclaté, comme il y a eu accumulation de richesses en face de la [10] misère (donc des pénuries, des disettes), mais il n'y a pas eu de crises, au sens moderne, spécifique du terme [1].
Selon Engels, « la sous-consommation des masses, une consommation réduite au minimum indispensable pour leur permettre de subsister et de se reproduire, n'est hélas pas du tout un phénomène nouveau. Elle existe depuis qu'il y a des classes exploiteuses et exploitées. Même dans des périodes de l'histoire où la condition des masses était particulièrement favorable - par exemple, au xve siècle en Angleterre -, elles souffraient de sous-consommation. Si celle-ci est un phénomène historique qui dure des millénaires l'engorgement général du marché qui éclate en crises par suite de l'excédent de la production, ne se manifeste que depuis une cinquantaine d'années. Il faut donc toute la banalité de l'économie vulgaire, chère à M. Dühring, pour expliquer cette collision spécifique par la sous-consommation vieille de milliers d'années, et non par le phénomène nouveau de la surproduction. [L'explication finale et décisive se trouve donc pour Engels, dans le mode de production, dont le but est la création de plus-value avec la production pour la production. N.d.Tr.]. M. Dühring procède ici comme si, en mathématique, on voulait expliquer la variation du rapport de deux grandeurs - une constante et une variable -, non par le fait que la variable change, mais que la constante reste la même ! La sous-consommation des masses est la condition sine qua non de toutes les formes de société basées sur l'exploitation, et donc aussi de la capitaliste. Cependant, seule la forme capitaliste de production aboutit à des crises. En somme, la sous-consommation est, elle aussi, une condition préalable des crises, et elle y joue un rôle reconnu depuis longtemps. Néanmoins, elle ne nous explique pas plus les causes de l'existence actuelle des crises que celles de leur absence dans le passé [2],»
En ce sens, Engels parle de crise du mode de production capitaliste, dont elle exprime les antagonismes [11] fondamentaux : mode de production socialisé qui entre en conflit avec le mode de distribution privé. Le volcan de la production surplombe le stagnant marché solvable : « La force d'expansion de la grande industrie, à côté de laquelle celle des fluides n'est qu'un jeu d'enfant, correspond de nos jours à un besoin énorme d'expansion quantitative et qualitative, qui se rit de toute pression contraire. En effet, celle-ci ne repose que sur la consommation, les débouchés, bref le marché pour les produits de la grande industrie. Or, il se trouve que l'expansibilité quantitative et qualitative des marchés est régie par des lois tout différentes, dont l'action est beaucoup moins énergique que celles de l'industrie. Le marché ne peut s'étendre au même rythme que la production. Le heurt est inévitable, et comme il ne peut être trouvé de solution à la crise, tant qu'elle ne fait pas éclater le mode de production capitaliste lui-même, elle devient périodique. »
Ce qui déplaît souverainement aux bourgeois, c'est le renouvellement cyclique de la crise et le fait qu'elle devient de plus en plus grave à mesure que le capitalisme mûrit et vieillit. Cela leur suggère irrésistiblement que leur mode de production est précaire et historiquement limité, et que le cours de l'économie obéit à des lois irréfragables et à un DÉTERMINISME auquel le capital lui-même est soumis.
En ce sens, Engels ajoute : « Les crises sont si caractéristiques que Fourier les a définies toutes quand il a qualifié la première de crise pléthorique, crise de surproduction. Dans les crises, la contradiction entre production sociale et appropriation privée capitaliste éclate avec violence. La circulation des marchandises est momentanément détruite ; l'argent, de moyen de circulation devient obstacle à la circulation ; toutes les lois de la production et de la circulation marchandes se renversent en leur contraire. La collision économique atteint son paroxysme : le mode de production se rebelle contre le mode d'échange ; les forces productives [12] s'insurgent contre le mode de production pour lequel elles sont devenues trop grandes [3]. »
Marx s'amusait de la forfanterie des bourgeois au moment de la prospérité et de leur impuissance devant la crise qui exige une solution aux antagonismes inhérents à leur mode de production : « Le capitaliste ne comprend rien à la nature de son procès de valorisation. C'est pourtant en période de crises qu'il aurait vraiment intérêt à en prendre conscience ! [4] »
Symptômes de la crise
Il y a crise économique, quand on assiste à diverses. évolutions entrant en contradiction de plus en plus frappante avec le cours antérieur qui allait vers une prospérité croissante. Le phénomène que l'on retrouve dans toutes les crises de surproduction, générales ou partielles, c'est un arrêt dans l'augmentation de l'indice de la production industrielle exprimée en données, physiques, puis son fléchissement, voire sa chute brutale. La différence purement quantitative donne la mesure de l'ampleur du mal.
Ce premier phénomène a des effets variables selon la classe concernée : 1. le licenciement massif de salariés jetés sur le pavé, 2. la faillite de capitalistes qui, privés de la manne des profits, arrêtent leurs usines et leurs machines encore en état de fonctionner.
Ces évolutions sont l'effet manifeste de la surproduction de marchandises qui, sur le marché, provoque la mévente, voire la chute des prix (ce terme n'est pas scientifique, car il faudrait dire valeur, puisque les prix peuvent varier pour une même valeur). Cet indice est essentiel dans une crise qui parvient à assainir les rapports économiques, et à relancer ensuite la production. Cette déflation n'a aucune raison d'être majeure lorsque la crise se prolonge en une guerre de destruction de la surproduction. Le remède serait alors inadapté au mal.
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Ces différents facteurs de la crise sont évidemment liés entre eux et peuvent réagir de Manière variable l'un sur l'autre. C'est ainsi que la chute des prix qui signifie dévalorisation brutale du produit du capital, peut' accélérer au maximum la faillite des entreprises, tout comme elle peut entraîner - comme cela est arrivé aux États-Unis en 1929 - une hausse du pouvoir d'achat moyen des ouvriers, même si l'on y inclut les chômeurs, dès lors que le prix des moyens de subsistance chute fortement, contre quoi les gouvernements s'acharnent dans cet après-guerre de capitalisme drogué, pour faire peser le fardeau de la crise sur les prolétaires, et non sur les capitalistes.
La bourgeoisie « éclairée » du capitalisme sénile truque benoîtement les données statistiques qui permettraient de mesurer très simplement la profondeur de la crise -, la baisse en quantités physiques de la production des divers secteurs [5].
Négation est ici encore détermination. En effet, les contorsions et les manipulations des économistes témoignent des contradictions et des difficultés croissantes de l'économie en crise : les réticences et les falsifications sont au moins aussi éloquentes que les chiffres officiels.
Après avoir analysé les indices de la production (dont ceux de l'industrie, l'enfant chéri de la bourgeoisie, sont les plus spectaculaires), il faut, pour lire la crise, se pencher sur les données du revenu national. Le voile se fait ici de plus en plus opaque. On y trouve le condensé de tout le savoir-faire de l'économie politique moderne. Les opérateurs y écrèment les revenus, effectuent des compensations et s'efforcent en même temps de, masquer les disparités criantes, inhérentes au mode de distribution capitaliste. Les produits et revenus n'y sont plus du tout calculés en simples grandeurs physiques, mais en valeurs marchandes et monétaires. Comment unifier autrement les données sur le charbon extrait par le mineur et les services rendus dans les innombrables bureaux et bordels, sans parler d'éléments [14] du revenu national, tels que les « capitaux immobiliers » que l'on revalorise à mesure qu'augmente la production ? L'Etat et les collectivités locales, les banques, les grandes entreprises, les « multinationales », etc. y opèrent gaillardement, en un trait de plume, des transferts qui font s'évanouir les revenus des uns et gonfler ceux, des autres. Les masses monétaires qui expriment ces données changent de valeur d'une année à l'autre, et en un sens parfois opposé selon qu'on les rapporte au mark ou au dollar. L'art de les exprimer en valeur « constante » tient de la prestidigitation. Ce qui est en crise ici, ce n'est plus seulement la production et le marché, mais encore la théorie économique, droguée elle aussi à l'âge du capitalisme parasitaire et dégénéré.
L'explication de la crise chez Marx
Un exemple vivant et concret - celui de la Russie de nos jours - permet de mieux suivre les explications théoriques parfois complexes du Capital [6]. Pourquoi la Russie ? Parce que son économie est plus ricardienne, moins droguée que celles de l'Occident. Pour Marx, la crise est la manifestation violente de la contradiction fondamentale entre la production devenue sociale et le mode d'appropriation demeuré privé, et, en conséquence, de l'antagonisme de classe entre prolétariat et capital, le premier produisant, et le second s'appropriant son produit et déterminant quelle en sera la nature, la qualité et la quantité.
Lorsqu'il décrit le procès d'ensemble de la circulation du capital dans la société (livre Il, chap. xx), Marx subdivise - la production en deux sections fondamentales qui correspondent en gros aux structures de classe : 1. - la production des moyens de production (la fameuse section I en croissance rapide, l'industrie lourde chère à Staline), soit la production de marchandises qui forment le corps même du capital et servent à mettre [15] en action et à exploiter le travail ; 2. la production des moyens de consommation (la section Il toujours en difficulté et plus ou moins en perte de vitesse en Russie), soit de marchandises que consomment les individus formant les classes ouvrière, petite-bourgeoise et capitaliste, démocratiquement unies sous le terme de « peuple ».
Si la section I représente sans aucun doute le capital et ses moyens de domination, il faut diviser en deux la section II pour y trouver un sens de classe ; en II a, qui produit pour les ouvriers les moyens de subsistance nécessaires, et en Il b, qui produit les articles de luxe pour la consommation des capitalistes, des propriétaires fonciers et de leurs larbins. Notons que ces deux sous-sections admettent une petite frange d'osmose - pour les capitalistes, etc. qui, en mangeant du pain, par exemple, participent à la consommation des moyens de subsistance, et pour l'aristocratie ouvrière qui peut profiter, à certains moments du cycle, de la consommation de luxe. En somme, la section I et Il b est pour les capitalistes, les rentiers et les sous-bourgeois, et la section Il a pour les ouvriers : on est justifié, au plan politique, sinon économique, de ranger les vendus du côté de ceux qui les ont achetés.
Ce qui distingue un pays capitaliste jeune (type classique analysé par Ricardo) d'un pays capitaliste sénile (société de bien-être à la Keynes et Malthus), c'est que la zone d'interprétation des sous-sections des moyens de subsistance (section Il a) et des moyens de luxe (section Il b) est très réduite dans le premier, le gaspillage organisé et le parasitisme y étant beaucoup moins importants. Ainsi fabrique-t-on encore bien moins d'automobiles, de réfrigérateurs et autres pacotilles de luxe en Russie qu'en Occident, les ouvriers y étant ainsi moins corrompus ou aristocratisés. Malenkov et, à un moindre degré, Krouchtchev furent chassés par les « conservateurs » du pouvoir (crise économique devenue politique) pour avoir voulu forcer la croissance de la [16] section II a et b au détriment du secteur 1 de l'industrie lourde.
En somme, le capitalisme jeune augmente très peu la section des moyens de subsistance nécessaires (fournie essentiellement par l'agriculture qui produit pour la consommation la plus immédiate), car elle trouve ses débouchés - demande solvable - sur le marché auprès des ouvriers disposant du capital variable (salaire). En revanche, il gonfle fortement les sections I et II b, dont les marchandises correspondent aux revenus du capital (plus-value destinée aux investissements, etc. ou à la consommation des capitalistes et de leurs agents). D'où un déséquilibre fondamental, générateur de crise.
L'économie russe répond assez bien au schéma classique, et tend au point de rupture de la crise, parce que la section I des biens capitaux se gonfle de manière éléphantesque, et la section II des biens de consommation est constamment à la traîne et à l'intérieur de celle ci, l'agriculture l'est le plus. En somme la production sociale s'effectue toujours davantage en faveur du capital et au détriment du salariat. L'économie engendre à la fois la surproduction et la sous-consommation.
Voici quelques chiffres. En Russie, de 1922 à 1975, la section 1 a augmenté de 103,9 fois, alors que l'ensemble de la section Il augmentait de 11,9 fois. La section 1 qui représentait en 1922 les 32 % du total des deux sections avait gonflé à 74,1 % en 1975, tandis que la section H chutait de 68 % à 25,9 %. Notons que le rapport 74,1 à 25,9 est exactement celui de 1945, où les masses se sont serrées la ceinture au maximum : au niveau actuel des forces productives, la fin de la prospérité donne le même rapport que l'économie de guerre. La boucle est bouclée.
Nous savons que la section II comprend en gros deux parties : les produits alimentaires issus de l'agriculture et les articles de jouissance issus de l'industrie. Ces derniers ont fortement participé à l'accroissement moyen de 11,9 fois des produits de la section II : certains [17] (réfrigérateurs, aspirateurs, télévisions, etc.) ont vu leur indice augmenter jusqu'à 1 000 fois, leur production étant partie de zéro, alors que celle des céréales est déprimée depuis 1913, la production par tête étant une année au-dessous et une autre au-dessus de celle de... l'époque tsariste, comme le confirment encore les récoltes de ces quatre dernières années : 1974 : 186,9 millions de tonnes ; 1975 : 134,7 ; 1976 : 214,3 et 1977 : 194, selon Brejnev (et 195,5 selon Balibakov, son ministre). Lorsque demain, les Russes, privés des céréales que leur procurent leurs compères capitalistes de l'Occident, se soulèveront après que leur gouvernement ait fait les pires concessions aux Américains, Marie-Antoinette Brejnev dira aux ouvriers affamés : Si vous n'avez pas de pain, mangez donc de l'acier (dont la production par tête est passée de 31 kg en 1913 à 564 kg en 1976) ! [7]
Cette évolution n'est pas spécifique à la Russie. Elle est universelle, comme l'ont démontré déjà les premiers signes de la crise en 1974 : dans les pays de couleur, la pénurie des produits alimentaires de base (riz, blé, légumes, fruits, sucre, café, viande, etc.) est brutale, alors qu'en Occident elle est hypocrite sous le masque de la hausse des prix qui laisse les magasins garnis. Tout converge, en somme, vers la classique crise du capitalisme décrite par Marx : « La raison - et l'aboutissement - ultime de toute véritable crise demeure toujours la pauvreté et la dérisoire consommation des masses, en face de la tendance de la production à développer (dans l'industrie surtout. N.d.Tr.) les forces productives comme si elles n'avaient pour limite que la capacité de consommation absolue de la société [8]. »
La réaction en chaîne dans la crise
Avant d'entrer dans les analyses de Marx sur la crise, il faut se demander quel peut bien être l'intérêt de [18] ses textes sur la crise au siècle dernier ? Car nous avons affaire aujourd'hui à une drôle de crise, aussi droguée que toute l'économie bourgeoise elle-même dans sa phase sénile, parasitaire et dégénérative. La production stagne et recule même çà et là en pleine inflation. Les prix grimpent alors que les débouchés se ferment progressivement ; les gains de productivité et les salaires en baisse devraient faire diminuer fortement les coûts de production, donc le prix des marchandises. C’est tout le contraire. La surproduction force certes à fermer des usines, mais les faillites en cascade ne se produisent pas. L'économie dopée ne réagit plus par un violent coup de fièvre à ses dérèglements cycliques pour s'assainir et amorcer un nouveau cycle de développement historique.
Les règles, normes et lois de l'économie sont faussées, et toute sensibilité fait défaut pour repérer le mal et permettre de placer le levier pour redresser la situation. La loi de la valeur s'est émoussée ; le temps de travail humain ou l'argent n'est plus un critère sûr pour mesurer les richesses, les besoins du marché et l'état de la production. Le cancer de l'inflation a rongé tous les réflexes sains.
C'est alors que la question se pose : le capitalisme drogué et dégénéré est-il parvenu à dépasser les lois fondamentales de la production telles que Ricardo les a établies et que Marx les a critiquées ? Ou bien les a-t-il simplement corrompues, truquées, contournées et faussées sans pouvoir cependant échapper à leur contrôle à la fin ? Il est clair que Marx garde raison avec sa théorie de l'invariance du capital, ne serait-ce que parce qu'il est et demeure le seul économiste à mettre la crise au centre du développement économique bourgeois, et la crise qui a éclaté fin 1974 a déjà apporté une confirmation foudroyante à l'auteur du Capital contre tous les économistes qui l'avaient exorcisée.
Les convulsions actuelles de l'économie démontrent que les lois classiques de la valeur, de la baisse tendancielle [19] du taux de profit, etc., sont certes perverties, mais qu'elles ne sont pas hors jeu. Au contraire, c'est par rapport aux saines normes du capital qu'il faut confronter la crise actuelle pour la comprendre, la définir et en saisir toute la gravité. Du reste, c'est leur marche inexorable qui dans la crise actuelle a fait éclater au grand jour tous les dévoiements, les dérèglements et la pathologie du capitalisme dégénéré.
C'est ce qui a dicté en partie le plan de ce recueil. Dans la première Introduction, nous considérons d'abord, sur la base des textes de Marx-Engels, quelles sont les lois et normes fondamentales du capital dont les contradictions aboutissent inévitablement au point de crise économique, qui cependant trouve une solution « pacifique ». Nous y avons décrit le mécanisme des diverses crises dans la production industrielle et agricole, sur le marché, en distinguant - selon les causes spécifiques et l'acuité des antagonismes - entre crises partielles, intermédiaires, sectorielles, commerciales, boursières, cycliques, historiques. Les crises ont bien changé aujourd'hui, et c'est pourquoi, dans la seconde Introduction, nous avons confronté les lois de l'économie classique, juvénile et progressive du capital à la crise, liée à des solutions de guerre du capitalisme dégénéré, de cette société du bien-être et de la consommation, dont l'explication est, au fond, la folie des records d'augmentation de la richesse, la fameuse « production pour la production » chère à Ricardo. Pour déterminer l'ampleur et l'acuité du mal, nous avons passé en revue tous les remèdes et drogues que les économistes peuvent bien injecter dans l'appareil productif pour le doper et contourner les lois normales de son fonctionnement. En somme, il faut ajouter tous ces ingrédients nouveaux aux éléments classiques de la crise pour avoir la crise actuelle.
Un simple exemple pour fixer les idées. Dans la première analyse du mécanisme de la crise qui va suivre, Marx parle, comme toujours, de chute des prix [20] (déflation), car c'est elle qui provoque les réactions en chaîne des faillites. Il ne faut donc pas y voir la description de l'actuelle crise, autrement grave, que celles du siècle dernier. Ce n'est qu'un point de référence, et il importe de confronter cette déflation salutaire (qui permet de résoudre la crise et la surmonter) avec l'actuelle inflation qui endort de plus en plus tous les réflexes de défense et de santé pour glisser l'économie encore plus profondément dans la crise - sans doute jusqu'à la révolution ou la guerre, comme ce fut le cas à plusieurs reprises déjà depuis le début du siècle. En un autre sens encore, les descriptions de Marx servent de baromètre pour comparer et, mesurer, donc spécifier, les dégénérescences actuelles. Dans la crise catastrophique d'aujourd'hui, l'État, en développant l'armement, l'administration et les interventions politiques et impérialistes, a injecté d'emblée, dans l'économie les ferments politiques, militaires de la crise. Chez Marx, les choses étaient plus simples : la crise économique, avait des prolongements politiques et militaires distincts - ce qui nous permet, par opposition, de voir plus clair dans la crise actuelle et d'en spécifier tous les facteurs pathologiques.
Avant de suivre les explications de Marx sur la crise à partir des contradictions inhérentes au mode de production capitaliste, voyons comment, du haut de son bulldozer, il décrit ce phénomène au cours duquel un pan de l'économie s'effondre après l'autre, tandis que la pléthore se change en pénurie. Pour cela, il examine, sur la base des rapports de classe, les échanges entre la section I (de la production des moyens de production) et la section IIa et b (celle de la production des moyens de subsistance et des articles de luxe). Le passage de Marx est extrait du Capital II, chapitre xx, § 4 sur les moyens de subsistance nécessaires et les moyens de luxe. Il y montre comment la crise passe de la production au marché, ce dernier étant le révélateur de la crise.
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Dans son schéma, la crise part du secteur des moyens de luxe, comme elle aurait pu partir de l'agriculture ou de l'industrie lourde. La baisse des profits, due à la surproduction générale de la phase de boom précédant la crise, suscite d'abord pour les bourgeois une mévente des articles de la section Il b de luxe - d'où une baisse de leur revenu. Nous nous trouvons encore dans le capitalisme à la Ricardo, qui ne fait pas peser automatiquement toutes les charges sur les salaires déjà maigres, en truquant les données économiques avec les transferts de richesses aux dépens des plus démunis et au profit des plus riches, au moyen de l'inflation. « Toute crise réduit momentanément la consommation d'articles de luxe. L'effet en est de ralentir et de retarder la reconversion en capital-argent du capital variable ou salaires de la section Il b [celle de la production d'articles de luxe. N.d.Tr.] et de jeter sur le pavé une partie des ouvriers de luxe, ce qui freine et diminue à son tour la vente des moyens de consommation nécessaires. Nous faisons complètement abstraction ici des travailleurs improductifs, licenciés qui recevaient pour leurs services une partie des dépenses de luxe des capitalistes - car pour autant que ces travailleurs étaient eux-mêmes des articles de luxe (Marx détermine l'homme par ce qu'il fait et produit. N.d.-Tr.) - ils participaient, eux aussi, pour une large part à la consommation des moyens de subsistance nécessaire. »
Ainsi donc, la surproduction avec la mévente qui s'ensuit, fait baisser les salaires et les profits dans cette branche - ce qui provoque une diminution de la demande dans une autre, d'où nouvelle baisse des salaires et des profits, etc. Marx souligne que les ouvriers de luxe, payés sur les dépenses de luxe des capitalistes, vont grossir l'armée de ceux qui consomment les moyens de subsistance, étant donné leur maigre rétribution (un domestique ou un ouvrier bijoutier ne gagne jamais grand-chose). Les ouvriers productifs voient donc empirer leurs conditions de vie, de par [22] l’augmentation du prix des denrées de Première nécessité, à mesure que gonfle la production de luxe. Puis, il met en évidence que l'aristocratie ouvrière, en période de prospérité et d'inflation, participe pour un temps à la consommation de luxe propre aux capitalistes, comme ceux-ci participent de tout temps à la consommation des moyens de subsistance des ouvriers : « En revanche, dans la phase de prospérité, et surtout au moment où la production s'exacerbe du fait de la spéculation, la valeur relative de l'argent, exprimée en marchandises, baisse encore pour d'autres raisons sans qu'il y ait d'ailleurs véritable révolution des valeurs, autrement dit le prix des marchandises monte indépendamment de leur propre valeur [la fameuse inflation des temps de la prospérité. N.d.Tr.]. Non seulement on enregistre alors une augmentation de la consommation des moyens de subsistance nécessaires, mais encore là classe ouvrière, dont toute l'armée de réserve des chômeurs est à présent occupée dans la production [te plein emploi - mais que dire du taux de chômage de 4 à 5 % considéré comme normal par les économistes distingués des États-Unis de cet après-guerre de superprospérité et de records d’accroissement de la production ? N.d.Tr.]. La classe ouvrière participe même momentanément à la consommation d'articles de luxe qui, d'ordinaire, lui sont inaccessibles et constituent pour la plupart des moyens de consommation "nécessaires" uniquement à la classe des capitalistes. Ce qui provoque une flambée supplémentaire des prix [toujours l'inflation du capitalisme prospère. N.d.Tr.]. »
La théorie de Marx est donc parfaitement établie depuis plus d'un siècle, bien que, de son temps, on ne connût pas encore tous ces objets futiles et idiots - « de luxe [9] » - que sont les machines sophistiquées pour se rendre mobile et tourner en rond les dimanches, voire même les jours de semaine, les machines à voler, à geler, à congeler, à rôtir, à bouillir, à mijoter, à écraser, à piler, à bronzer, à climatiser, à couper l'herbe, à [23] sécher les cheveux, etc., etc., qui encombrent les rues, l'atmosphère et les maisons. Rien ne sert d'opposer à Marx qu'il n'a pas bu le calice jusqu'à la lie pour pouvoir connaître toutes les lois du capitalisme et ses méthodes de corruption - en bonne démocratie, le partage des conneries.
Enfin, il répond aux bons apôtres qui veulent conjurer les crises, en accroissant le pouvoir d'achat pour éviter le déséquilibre entre la surproduction et la sous-consommation et pour harmoniser production et consommation : « C'est donc une pure tautologie de prétendre que les crises proviennent d'un manque de consommateurs ou de consommation solvables [et qu'il suffirait pour conjurer la crise de distribuer de l'argent pour que les consommateurs achètent, en accroissant l'inflation déjà forte en période de boom. N.d.Tr.]. Le système capitaliste ne connaît pas de façon de consommer autre que solvable - exception faite de la façon de consommer des pauvres ou de celle des voyous. »
Le système de crédit qui a porté à l'éléphantiasis la production dans tous les secteurs, ne fait que renvoyer à plus tard l'acte du paiement cash, et si cette échéance coïncide avec la crise qui ébranle la confiance et - le crédit, la consommation et la demande en seront alors encore plus réduites - ce qui aggrave la catastrophe. Le paiement au comptant retenu par Marx est donc l'hypothèse la plus normale et aussi la plus favorable pour le système capitaliste. Au plan théorique, il fait toujours - la part belle à l'adversaire qui se charge d'aggraver son cas lui-même. Dans les crises cycliques du début du capitalisme, la liquidation des comptes facilitait considérablement l'assainissement de l'économie et la reprise des activités. C'était une solution infiniment moins douloureuse que la guerre qui prolonge les effroyables crises historiques du capitalisme sénile qui, parce qu'il vit de crédit et d'inflation, drogue l'économie de sorte qu'il perd tout contrôle et débouche [24] sans même s’en rendre compte sur la catastrophe. Mais revenons à Marx : « Dire que les marchandises restent invendues, cela signifie simplement qu'elles n'ont pas trouvé d'acheteurs susceptibles de les payer, c'est-à-dire des consommateurs solvables - et peu importe, en dernière instance, que les marchandises soient acquises pour la consommation productive ou la consommation individuelle. Cependant, pour donner à cette tautologie l'apparence d'une justification plus profonde, on prétend que la classe ouvrière reçoit une part trop faible de son propre produit et que l'on pourrait, remédier à cet inconvénient en, lui accordant une part plus grande de ce produit, grâce à l'augmentation des salaires. Or il suffit de remarquer que les crises sont chaque fois préparées précisément par une phase au cours de laquelle la hausse des salaires est générale, où la classe ouvrière obtient effectivement une part plus large du produit annuel destiné à la consommation. [Une fois de plus, rien de neuf. N.d.Tr.]. Si l'on écoutait ces chevaliers du sain et « simple » bon sens humain, il faudrait admettre que cette phase éloigne au contraire les crises. En somme, il apparait que la production capitaliste renferme des conditions tout à fait indépendantes de la bonne ou de la mauvaise volonté des capitalistes, et que ces conditions n'admettent que momentanément cette relative prospérité de la classe ouvrière - et ce, toujours comme le prélude d'une crise. »
Le capitalisme peut donc échapper un moment, dans les pays de production capitaliste développée, à la plaie de la sous-consommation, mais c'est pour y retomber plus lourdement avec la crise.
Absolues ou relatives ?
Marx explique que la surproduction de richesses capitalistes suppose directement la sous-consommation de ceux qui les produisent (ou sont prolétarisés et attendent [25] de pouvoir produire si le capital daigne les admettre à travailler). C'est le résultat direct de la production capitaliste qui veut que le produit du travail soit monopolisé par la classe de ceux qui ne travaillent pas, de sorte que le choix des investissements et des articles à produire correspond aux intérêts du capital et à la recherche du profit de sorte que la demande des larges masses humaines ne peut être satisfaite, les branches de l’industrie étant orientées non pas pour éviter la sous-consommation, mais pour permettre la surproduction, la production de plus-value,
Pour mesurer la surproduction aussi bien que la sous-consommation, il faut les confronter, d'une part, au développement donné des forces productives et, d'autre part, aux conditions historiques réelles du capitalisme dans lequel nous vivons. En faire abstraction, est irréel. Il faut aussi considérer ces notions du point de vue de l'économie mercantile où la valeur d’échange, la demande solvable, l'argent, déterminent la valeur d'usage, les besoins humains physiques.
Une précision s'impose ensuite pour éviter une confusion tout à fait banale. La sous-consommation et la paupérisation sont-elles relatives ou absolues ? Il serait spécieux de dire qu'elles ne peuvent être absolues parce qu'elles sont aussi relatives. Absolu signifie que la misère et la faim augmentent au fur et à mesure, à la fois en intensité et en quantité. La pauvreté augmente relativement à la masse de richesses qui se concentre à un pôle, et absolument en quantité et en acuité par rapport aux besoins humains. Ce rapport (tout est relatif en ce sens) engendre la paupérisation absolue, celle qui augmente de plus en plus.
La cause en est que la sous-consommation relative est déterminée par la demande solvable, sur la base du mécanisme mercantile et monétaire correspondant à la valeur d'échange qui est limitée par définition, tandis que la sous-consommation absolue se détermine par rapport à l'absence de valeur d’échange c’est-à-dire, [26] faute de mieux, pour les malheureux, à la valeur d’usage, aux besoins physiologiques. Or, ceux-ci sont de plus en plus mal satisfaits alors que l'humanité croît sans cesse, cependant que les besoins secondaires ou factices (produits par l'industrie lourde ou de luxe) le sont, largement et plus, pour une minorité de privilégiés. Ce sont là des notions scientifiques exprimant des rapports mesurables et corroborés dans les faits par les statistiques portant sur les revenus monétaires ou les calories parfaitement quantifiables - et notre définition se fait ici encore par opposition, relativement.
C'est de la sous-consommation (et donc aussi de la surproduction) relative aux conditions capitalistes qu'il faut partir. C'est indispensable, parce qu’on s’aperçoit aussitôt que même la faible production de moyens de subsistance signifie déjà surproduction eu égard à la demande solvable, la seule qui soit admise dans les rapports capitalistes. Et disons tout de suite qu'il ne suffit pas de mettre plus d'argent en circulation pour pouvoir résorber la surproduction des aliments (par exemple, la montagne de lait et de beurre de la CEE), car 1. l'argent est lié aux revenus et, directement ou indirectement, à l'emploi ; 2. la masse et la qualité de la production sont déterminées par le taux de profit qui explique que l'on produit certaines marchandises (industrielles) qui rapporte davantage que d'autres (agricoles notamment).
L'agriculture, tout famélique qu'elle soit, souffre de surproduction chronique, même dans le Tiers monde, et elle la combat en diminuant de plus en plus son offre, sa production, car une légère pénurie augmente les prix, la masse moindre de ses récoltes donnant un revenu monétaire supérieur. De plus, les produits agricoles et alimentaires sont grevés d'une rente qui augmente leur prix et favorise, chez ceux qui forment la demande solvable, l'achat de produits industriels qui sont en concurrence privilégiée avec les moyens de [27] subsistante élémentaires. Ainsi à mesure que-le-capitalisme se diffuse dans les continents de couleur, il accroît de plus en plus la sphère commerciale de l’agriculture et de l'alimentation : la nourriture devient moins accessible car les prix augmentent toujours plus tandis qu'une masse toujours plus grande d'humains est privée des moyens de gagner leur vie. La raison fondamentale en est que la demande d’aliments est solvable, et que cette exigence croît à mesure que les conditions mercantiles se répandent : dans le monde. La demande solvable est si étroite dans les continents de couleur, qu'elle impose d'emblée une limitation draconienne à la production agraire, dont le marché solvable se trouve donc pour l'essentiel dans les pays blancs. Autrement dit, dans la plus grande partie du monde, l’agriculture capitaliste surproduit, faute de demande solvable, avant même que les besoins physiologiques les plus élémentaires ne soient satisfaits. Dès lors, la paupérisation est absolue - et les splendeurs de l'industrie dans les pays privilégiés ne sont qu'outrage.
Dans l'industrie, nous avons aussi surproduction, mais à un niveau de développement quantitativement bien plus élevé. La demande solvable étant bien supérieure, puisqu'elle provient le plus souvent du capital lui-même, Se sentant le plus à l'aise dans l'industrie où il peut faire de fréquentes rotations, grâce auxquelles un même taux de profit donne une masse de profits plus grande que dans l'agriculture, le capital a donc tendance à se gonfler au maximum de produits industriels. Cependant, la surproduction y engendre aussi à la fin, dans la crise et les destructions de la guerre, la sous-consommation. Ici aussi le volcan de la production se heurte à la « faiblesse » du marché. La surproduction, commune à l’agriculture et à l’industrie, apparaît le plus nettement au cours de la crise dans cette dernière, car dans l'agriculture la « surproduction » est faible, puisqu'elle se manifeste [28] déjà lorsque, pour le plus grand nombre, les besoins physiologiques, en raison de la demande solvable limitée, ne sont pas du tout satisfaits.
Mais, voyons comment la paupérisation absolue se développe de nos jours, et l'on saisira mieux la notion de sous-consommation ou de paupérisation, si contestée par de pseudo-marxistes, au moment précis où elle est la plus manifeste. Les bourgeois. eux-mêmes, par exemple, les spécialistes de la FAO (Organisation pour l'alimentation et l'agriculture des Nations Unies) reconnaissent - mais il se gardent bien d'en tirer des conséquences pratiques - que la demande solvable détermine des distorsions ignobles dans la production et la distribution, en favorisant l'agriculture industrielle où l'utilisation de plus en plus poussée d'engrais, de pesticides, d'essence pour tracteurs, etc., élève sans cesse les coûts de production et augmente en conséquence les prix au point de mettre rapidement les produits hors de portée des bourses modestes, les débouchés se restreignant aux détenteurs des gros revenus : « C’est ainsi que le commerce des céréales destinées à l'alimentation du bétail suscite plus d'intérêt dans les milieux financiers que celui de l'alimentation de centaines de millions d'hommes, parce que la demande d'aliments pour le bétail des pays industrialisés est solvable, alors que celle des hommes ne l'est pas [10] ». De même, les millions de chiens français constituent une meilleure demande solvable que les enfants du Tiers monde. Swift dirait que ce ne sont plus seulement les machines, mais encore les chiens qui dévorent les enfants prolétarisés.
Ces mêmes bourgeois reconnaissent - et ce n'est pas fait pour déplaire aux pingres métropoles capitalistes surdéveloppées, que si les produits n'étaient pas commercialisés, le Tiers monde lui-même pourrait satisfaire sa faim. Cela signifie en termes clairs, que l'on y surproduit aussi eu égard à la demande solvable tout à fait défaillante. Nous tirons encore les [29] données suivantes de la revue Cérès de la très officielle FAO. En 1943, un million et demi de Bengalis - certains disent même 3 millions - sont morts de faim alors que la production agricole avait... augmenté de 9 %. Explication : ceux qui avaient été évincés de leurs terres pour permettre cette hausse de la production, n'avaient pas d'argent pour manger et les surplus s'accumulèrent en même temps que les morts par inanition [11]. « Au Bengladesh, après les inondations de 1974, 4 millions de tonnes de riz s'accumulèrent parce que personne n'avait les moyens d'acheter [12] . Et au Mexique, les paysans ont découvert « qu'ils. peuvent gagner 20 fois plus en cultivant des tomates pour les Américains [qui en ont trop] que du maïs pour les Mexicains [qui en manquent] » (p. 26). Ainsi, « les pays mêmes que l'on estime généralement pauvres en nourriture et dépendants de l'importation se révèlent être des exportateurs agricoles » (p. 26).
En somme, « quand le cercle de la pauvreté [qui se détermine par l'infecte argent. N. d. Tr.] s'élargit, le marché national des produits alimentaires stagne ou même se rétrécit » (p. 26) - et la misère fait augmenter la population aux rythmes les plus élevés : la boucle est bouclée.
Même les États-Unis sont touchés par la sous-consommation. Il n'y a pas que les 25 millions de pauvres. Depuis 1970, les U.S.A. exportent de plus en plus d'aliments, à mesure que l'inflation et le chômage grignotent le pouvoir d'achat des masses.
Cette sous-consommation n'exclut pas, à certaines phases du cycle économique, un accroissement constant de la consommation des classes riches, et tempo raire de l'aristocratie ouvrière, voire des ouvriers qui ont un travail, dont les revenus peuvent augmenter considérablement. Néanmoins pour le prolétariat, la sous-consommation et la paupérisation augmentent de manière absolue, puisqu'il inclut aussi tous les travailleurs [30] à temps partiel, les chômeurs occasionnels et permanents, ceux qui ne peuvent même pas espérer trouver du travail et sont totalement expropriés. Or, c'est, selon Marx et les statistiques, la fraction la plus grande de l'humanité qui est ainsi de plus en plus prolétarisée, donc paupérisée - et il faut dire en conséquence que la sous-consommation augmente absolument avec le capitalisme. Les crises de surproduction deviennent donc de plus en plus graves.
La sous-consommation ou paupérisation gagne, dans la crise, jusqu'à la petite clique des nations, classes ou individus favorisés. En période de prospérité, la sous-consommation a l'air - mais l'air seulement - d'être relative, puisque la masse de la richesse augmente à l'autre pôle (mais aujourd'hui moins que la masse de la pauvreté, car la richesse se gaspille et se détruit dans les métropoles capitalistes à l'âge du capitalisme sénile dégénéré). Dans la crise, il apparaît ouvertement qu'elle est absolue, les privilégiés eux-mêmes voyant fondre alors leurs richesses - même dans les pays développés.
Crise agraire et industrielle
Le déclin de l'agriculture et de la consommation de moyens de subsistance immédiats se lit, dans les statistiques de la production américaine aussi bien que russe, même si l'évolution est apparemment contraire, les Etats-Unis semblant souffrir de surproduction et exportant des céréales, et la Russie de sous-production. À la lumière de la classique distinction entre surproduction et sous-consommation tout redevient clair : l'Américain qui « surproduit », consomme indubitablement moins de céréales que le Russe. Ils sous-consomment tous deux : le Russe moyen consomme 140 kg de farine par tête et par an, et l'Américain 63,6 kg. Les U.S.A. peuvent donc vendre à la Russie une partie de l'« excédent » de céréales qu'ils produisent [13]. C'est ainsi que le nombre [31] de calories par jour, baisse progressivement aux U.S.A., passant de 3 520 en 1902 à 3 050 en 1975 et la Russie les suit lentement, mais sûrement ici. Cette sous-consommation, obtenue dans la « lutte » du capital contre la surproduction, se traduit par la hausse historique du prix des aliments qui frappe en premier les ouvriers [14].
À en croire les statistiques, dans les pays de l’Est où, par exemple, le luxe de l'automobile n'entre pas (encore) en concurrence avec les moyens de subsistance nécessaires, les salaires sont dépensés de manière moins dégénérée qu'en Occident. C'est ce qui ressort des données suivantes pour les disponibilités par an et par tête des quatre aliments essentiels. Le premier chiffre sera celui de la Pologne, le second de la riche Suisse, et le troisième et dernier, celui de l'Ouganda. Céréales : 705 kg contre 332 et 186 ; sucre : 54 kg contre 32 et 3 ; viande : 78 kg contre 67 et 9 ; lait : 502 litres contre 529 et 30. Les quatre chiffres correspondants pour le Japon supersophistiqué sont plus pruches de l’Ouganda que de la Pologne : 328, 26, 23 et 45 [15].
La même revue Cérès déclare - « Une enquête révéla, à la surprise de ses auteurs, que le statut nutritionnel d'enfants pauvres mexicains alimentés à partir de produits locaux était supérieur à bien des égards à celui des enfants américains [16]. »
Nous sommes toujours dans le problème de la crise, puisque la cause en est le développement inégal du capital pour des raisons de classe. On le constate en Russie avec l’essor fabuleux de l'industrie et le retard croissant de l'agriculture. La structure petite-bourgeoise (arriérée) de la petite propriété agraire (coexistence des coopératives de l'entreprise kolkhoz avec les lopins précapitalistes des familles kolkhoziennes) explique que le prolétariat russe - contrairement aux paysans kolkhoziens - souffre d'une sous-consommation chronique de moyens de subsistance nécessaire (logement aussi bien qu'aliments et vêtements).
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Alors que la Russie venait tout juste d'introduire le capitalisme qui dépouille l'agriculture de sa main d'œuvre, des matières premières et aliments qu'elle produit au bénéfice de l'industrie et des villes en croissance, Marx constatait que la priorité accordée à l'industrie expliquait la faiblesse des moyens dont disposait le paysan russe, et donc les graves oscillations de la production : « Dès lors, les conditions climatiques favorables elles-mêmes conduisent tout droit à une année de famine du fait qu'elles accélèrent la libération et la consommation des fertilisants minéraux contenus dans le sol, tandis qu'une année de famine et, plus encore, une succession de mauvaises années, permettent aux minéraux du sol de se reconstituer afin de remplir efficacement leur rôle quand les conditions climatiques redeviendront favorables. » Dans ces conditions, conclut Marx, la nature est « le seul facteur de régulation, l'homme ne représentant pas une puissance - faute de moyens [17] ».
L’une des thèses majeures du marxisme est que l'économie mercantile - même si elle exploite le travail mécanisé et salarié pourtant si efficace - ne peut donner les moyens à l'agriculture d'apaiser la faim de l'humanité. Au cours de cet après-guerre, la crise agraire n'a cessé de s'aggraver en Europe de l'Est. Celle-ci était auto-suffisante en 1960. Le déficit était de - 4 en 1966 et de - 24 en 1973 (cf. Cérès, no 50, p. 9). Dans la dernière décennie, la production russe de céréales, malgré des investissements croissants, a subi des crises de plus en plus rapprochées et violentes. En voici les fluctuations annuelles de 1966 à 1977 : -13,6 %, + 14,6 % ; -4,2 %, + 15 %, - 3 %, - 7,2 %, + 32,3%, - 12,1 %, 27,8 %, + 58,7 %, - 9,5 %. Sept baisses pour quatre hausses ! Même du point de vue militaire, cette crise de l'alimentation est catastrophique, car - comme le soulignait Engels on ne peut engager une guerre sans d'importants stocks de vivres, à moins de créer le chaos chez soi dès que la mobilisation aura diminué la main-d'œuvre [33] dans les campagnes - et alors se dresse le spectre du défaitisme et de la révolution.
La même crise économique et sociale secoue la Chine russophobe et prétendument socialiste. Alors que la production agricole par tête a reculé en 1977, l'industrie (qui a désormais clairement la priorité) a fait un bond en avant de 14 % par rapport à 1976 : « Les succès obtenus d'un côté doivent être tempérés par les déceptions enregistrées de l'autre », constate le journaliste de service qui rapporte ces données. Mais d'ores et déjà, la crise économique se traduit en termes politiques : le gouvernement se vend, morceau par morceau, aux Yankees, dont l'impérialisme se trouve renforcé. La nourriture manquante est importée des U.S.A., et c'est d'eux que dépend à longue échéance l'élévation du taux d'accroissement de l'industrie où s'obtient le mieux la plus-value. Les Américains répètent l'opération de l'époque du plan Marshall : Avec quelques boîtes de conserves pour les salariés qui font marcher toute la production, ils ont progressivement pris la direction de la partie décisive du capital européen [18]. La Chine est en retard de trente ans, mais elle s'engage dans la même voie. Qui nierait que c'est la crise agricole qui a jeté Hua Kuomfeng dans les bras de Washington, comme la disette agricole russe de 1975 avait contraint Brejnev à céder à Kissinger dans l'affaire du Sinaï - ce qui décida du camp impérialiste « choisi » par Sadate [19]. Partout la crise économique est désormais aggravée par l'impérialisme qui maintient ses esclaves en état de crise politique permanente.
Mais voyons comment la crise agricole gagne progressivement tout le reste de l'économie, Le mécanisme en est simple, et confirme que l'agriculture décide du sort de l'industrie. La terre ne produit plus assez de moyens de subsistance pour accroître la production industrielle russe dans son ensemble, ou pour valoriser pleinement telle ou telle branche particulière. Suivons le raisonnement de Marx : « Quand le capitaliste convertit UNE [34] FRACTION DE SON, CAPITAL en force de travail (autrement dit vend les moyens de subsistance nécessaires aux ouvriers), il valorise DU MÊME COUP -TOUT SON CAPITAL. Il fait d'une pierre deux coups. Il profite non seulement de ce qu'il reçoit de l'ouvrier, mais encore de ce qu'il lui donne [20]. » (Autrement dit : il réalise son profit sur la vente des moyens de subsistance à l'ouvrier, dont il tire la, plus-value, qui, en échange du salaire pour se nourrir, met au travail les ouvriers de tous les secteurs - productifs. ou improductifs - de l'économie.)
En dépit de Staline, le secteur fondamental de l'économie est l’agriculture, et sa crise devient maintenant une crise générale de toute l'économie russe. L’effectif des ouvriers qui, croissait de 4 à 5 % par an durant les années 1950, augmentera de moins de 1 % durant le prochain Xe plan. « La production, dit Kossyguine au XXVe Congrès, devra s'accroître sans augmentation de main-d'œuvre,, voire en la réduisant. »
Désormais l'agriculture, sucée jusqu'à la moelle par l'industrie, est devenue un véritable poids mort pour l'économie russe, Il en résulte, pour 1976-1980, une baisse de 36 à 26 %, de la part, des investissements dans le produit national brut. Dans ce chiffre en forte diminution, la part de l'agriculture a augmenté de 340 % par rapport à son taux de 1960 et représente 33 % du total des investissements avec les récoltes que l'on sait.
Au moment où l'on manque de capitaux, voilà qu'on les prélève sur l'industrie qui les produit efficacement pour les transférer au secteur agricole qui les distille au compte-gouttes - contresens économique absolu en régime capitaliste ! Est-il. meilleur moyen pour faire chuter les hauts indices d'accroissement de la production globale ?
Dans le cycle économique, où elle exprime le heurt entre production et marché, la crise n'est cependant qu'un point fluide de passage, où toutes les contradictions non résolues du capitalisme s'exaspèrent et se nient mutuellement pour s'exclure à la fin avec violence. [35] Si la thèse représente l'accroissement ininterrompu de la production avec la prospérité ; l'antithèse en est la crise avec la chute de la production et la diffusion massive et brutale de la misère ; enfin la synthèse ou dépassement en est, de manière négative (avortée), la guerre qui liquide la surproduction pour permettre un nouveau cycle historique de croissance, de prospérité et de... crise ou, de manière positive, la révolution qui surmonte toutes les causes de la crise et instaure un mode de production nouveau sur la base de la socialisation déjà réalisée des forces productives existantes [21].
Si les crises générales mènent à la guerre ou à la révolution, où elles trouvent leur dénouement, cette guerre et cette révolution sont à leur tour spécifiques du mode de production capitaliste et n'ont plus rien à voir avec celles des modes de production antérieurs [22].
Engels souligne qu'il ne peut y avoir d'effet dialectique, si la thèse ne prépare pas déjà l'antithèse ; autrement dit, si la prospérité des phases des hauts indices de la production n'est pas déjà d'une espèce particulière qu'elle implique, par exemple, en conflit avec l'accumulation croissante des richesses, une prolétarisation et une expropriation progressives (de nos jours non tant dans les pays de capitalisme développé où elles sont pratiquement réalisées, que dans les pays dépendants qui fournissent aux premiers un marché, des matières premières, des moyens de subsistance variés, etc.). En ce sens encore, définition est négation. La crise est le point de rencontre de contraires qui l'ont engendrée : l'exubérance des indices de croissance de la production industrielle approvisionnant en machines et produits le corps éléphantiasique de Sa Majesté le Capital converge avec l'asthénie chronique des indices de production des moyens de subsistance destinés aux masses. À la fin, le déséquilibre double devient unique et général - et c'est le point de rupture.
Prospérité et crise, paix et guerre du capitalisme sont régis par les mêmes lois fondamentales. Au reste, la [36] prospérité prépare la crise et vice-versa - comme la paix avec la course aux armements ou la cynique « guerre froide » prépare la guerre tout court.
Dénégations significatives
Lorsque la crise mondiale actuelle a éclaté fin 1974, la presse a révélé la faillite complète des instituts privés et publics de l'économie politique officielle : à l’heure de l'épreuve, aucun économiste, bien ou mal stipendié, n'avait prévu la crise contre laquelle il ne pouvait donc réagir ; pire encore, pendant plus d'une année, aucun n'a pu diagnostiquer le mal - les plus réalistes dont parlé que d'une récession assortie d'une reprise rapide.
Cette dénégation des économistes, nous l’utiliserons, à l'instar de Marx : « Le fait que les apologistes nient la crise avec des mots nous intéresse pour autant qu’ils nous démontrent le contraire de ce qu’ils veulent prouver. Pour nier la crise, ils parlent d'unité là où il y a antagonisme et contradiction. Ce qui nous importe, c'est qu'ils, prétendent que si les contradictions - éliminées par leurs ratiocinations - n'existaient pas effectivement, il n'y aurait pas non plus de crise. Mais, en fait, il y a des crises, parce que ces contradictions existent. Chaque argument qu'ils opposent à la crise n'est qu'une contradiction résolue par leurs élucubrations, donc une contradiction réelle qui produit une crie non moins réelle. Le désir de se convaincre soi-même de l'inexistence de contradictions est du même coup le vœu pieux qu’elles, ne devraient pas exister, c'est dire que ces contradictions existent réellement. [23] »
Rien qui ne soit prévu. En 1975, messieurs les politiciens et économistes associés ont nié la crise, en prétendant que c'était une récession. - La différence entre l'une et l'autre nous permettra de définir chacune, et « abord ce qu'est une crise générale, historique, comme celle que nous vivons, puisqu'elle ne peut contrairement [37] à celle de 1929 - résoudre les contradictions accumulées au cours de toute la période pour relancer de nouveau l'économie à une ère technologique supérieure.
Ainsi, dans le passé, y a-t-il eu l'époque où le textile a joué le rôle d'entraînement de toute l'économie, lorsque l'Angleterre avec ses quelque 18 millions d'habitants produisait pour le monde entier. Puis, ce fut l'ère du charbon et du fer, avec les machines à vapeur, le gaz et l’é1ectricité, la construction de villes, de routes, de canaux, de chemins de fer, et enfin, au cours de cet après-guerre dégénéré, le pétrole avec l'automobile, les autoroutes, la chimie, le plastique, l'informatique, la robotisation des hommes et la minéralisation des choses. On nous parle pour demain de l'âge du nucléaire. Or, il ne peut y avoir d'âge technologique du nucléaire, parce qu'il ne s'agit pas là d'une matière pouvant alimenter, vêtir, abriter, etc. les hommes - contrairement, par exemple, au textile, au charbon et même au pétrole, qui pourtant a déjà fait triompher le minéral sur l'organique dans la production. Le capital ne peut exister qu'en transformant le travail vivant en capital mort et en minéralisant de plus en plus les produits de la terre [24].
La raison pour laquelle les économistes et hommes politiques ont eu une telle frayeur devant le mot de crise et ont cherché à l'escamoter par celui de récession est sans doute que nous nous trouvons devant un tournant décisif de l'histoire : ou bien le capital se hausse à une ère technologique nouvelle, ou bien il cède la place à un autre mode de production. Or, il semble bien que les bourgeois eux-mêmes se rendent compte que leur solution est presque impossible - et on ne peut stagner longtemps dans le marasme actuel. Il n’est même pas certain que l'on puisse avoir un taux de profit moyen encore assez élevé pour permettre une nouvelle période historique. Même les destructions folles d'une guerre, comme celles de 1914-18 et 1939-45, n'ont [38] permis que de relever momentanément un taux de profit de plus en plus bas. Certes, ce taux oseille autour de la moyenne, remonte après les ravages de la guerre pour tomber à zéro, ou en dessous, à la fin de chaque période, lorsque la prospérité se mue en crise, mais encore faut-il que sa moyenne de période soit au-dessus de zéro pour amorcer une nouvelle période longue.
Les statistiques bourgeoises sont trop imprécises, par suite d'un manque de rigueur et de la peur d'y trouver des conclusions pénibles, pour que l'on puisse avancer des chiffres précis sur le niveau exact du taux de profit moyen de la période actuelle. Mais tout laisse à penser qu'il est extrêmement bas, surtout si l’on ajoute la production agricole à l'industrielle.
Quoi qu'il en soit, on ne peut actuellement alourdir encore la composition organique du capital, dont dépend le taux de profit, en lançant de grands plans d'investissement : les coûts de production, au lieu de baisser, monteraient encore plus. Tout progrès ultérieur de longue période dépend donc d'une révolution dans cette composition organique, Or, elle ne peut être obtenue sans destructions massives du capital constant par rapport auquel se détermine essentiellement le taux de profit. D'ores et déjà, on dispose des moyens d'anéantissement nécessaires.
Mais il se trouve que la crise historique, si elle débouche sur la solution bourgeoise : - la guerre d'anéantissement de la surproduction - prépare aussi la révolution qui a de plus en plus de chances de l'emporter à mesure que le capital vieillit et dégénère. Là encore les perspectives d'une ère technologique nouvelle pour le capital sont sombres, puisqu'elles passent par la révolution ou la guerre impérialiste qui risque, elle encore, de se changer en révolution.
[39]
Crise cyclique et crise historique
Les milieux officiels et la gauche toute aussi officielle à son service ne peuvent s'empêcher de brouiller les cartes : le dilemme est trop atroce, et le bilan catastrophique [25]. En parlant de récession et de reprise, ils mettent la discussion et les préoccupations en deçà de la crise historique qui exige une solution violente pour se dénouer - et ils ont l'air de faire déjà un pas en avant, lorsqu'ils comparent 1975 à 1929, crise intermédiaire que le capitalisme a été en mesure de surmonter sans violences majeures.
Cette manœuvre nous amène à préciser encore la différence entre crise cyclique et crise historique. Au milieu du siècle dernier, Marx interrogeait Engels pour savoir quelle pouvait bien être la raison strictement économique, touchant l'appareil de production, pour laquelle l'économie bourgeoise traversait une série de cycles avant d'en arriver à une crise historique qui pose l'alternative guerre ou révolution. Il pensait trouver l'explication dans la valeur d'usage des machines toujours plus efficaces et solides, donc durables qu'il faut remplacer d'un seul coup, à l'occasion d'un changement général de technologie [26]. Or, il se trouve que la durée de l'équipement industriel et des biens s'allonge de plus en plus. Elle est aujourd'hui, nous dit-on, de trente ans pour les usines et le matériel d'extraction, ce qui correspond en gros à la longueur du cycle de cet après-guerre, et de cinq à dix ans pour les biens de consommation durables.
Dès le siècle dernier, ces crises historiques - véritables séismes qui ébranlent le mode de production tout entier et appellent une solution violente dans un sens ou dans un autre - ponctuèrent des périodes de plus en plus longues, parce que les économies s'imbriquent toujours plus étroitement sous la direction d'une puissance hégémonique dictatorialement centralisatrice, et enfin que le capitalisme, en vieillissant, évolue à un [40]
rythme qui va en ralentissant. Déjà Engels écrivait : « Le prochain raz-de-marée ne saurait tarder maintenant, l'échéance des révolutions européennes passant de quinze à dix-huit ans durant ce siècle, à savoir 1815-1830, 1831-1848, 1852-1870 [27]. Si l'on veut être plus précis encore, on peut partir, chaque fois - comme le propose le Capital - de la fin de chaque crise au début de la suivante, et l’on constatera que le cycle s'allonge régulièrement : 1815-1830 : 15 ans, 1831-1848. 17 ans, 1849-1870 : 21 ans.
Après 1871, le mode de production capitaliste s'étala dans l’espace, en s'assujettissant le monde entier et en faisant peser la crise, avec la prolétarisation, la spoliation et la misère sur les peuples de couleur, tandis que, dans les pays développés, il transformait la violence cinétique en violence potentielle ; en outre, il gonflait les indices de sa production par la course aux armements : l'intervalle entre les crises historiques s'allongea encore.
Cependant, les contradictions et la violence du capitalisme n’en ont pas diminué pour autant - au contraire. Il suffit de relever deux faits parmi tant d'autres. Les crises gagnèrent en extension et en intensité - d'européennes, elles devinrent mondiales, tandis que les crises locales s'avérèrent pires que les crises européennes du siècle dernier et se multiplièrent par dix, sinon par cent. Durant les deux guerres locales d'Indochine, on fit sauter deux fois plus de munitions que pendant la guerre mondiale de 1939-1945. Cent révolutions, dont chacune fut plus meurtrière que la révolution européenne de 1848-49, secouèrent les pays de couleur, etc. au cours de cet après-guerre.
La différence entre crise historique et crise cyclique décennale (ou pluriannuelle de nos jours) devrait donc être facile à faire n’en étaient les terribles implications. Le terme moderne de récession ne signifie au fond qu’une mini-crise qui permet de relancer, sans difficultés ni destructions majeures, l'ensemble de l'économie. Elle [41] n'est pas l'aboutissement de toute une période économique, mais une phase intermédiaire d'un cycle ou d'une telle période à moins de l'entendre à fa place du mot crise que les bourgeois cherchent à exorciser.
En prétendant que la crise qui dure depuis fin 1974 n'était que 1'un de ces « incidents » de parcours qui ont jalonné la longue période de prospérité des pays développés de cet après-guerre et qui, après une petite pause pour reprendre souffle, ont chaque fois relancé les indices de la production à un niveau encore plus élevé, les économistes supervulgaires d'aujourd'hui n’ont rien fait d'autre que l'apologie du mode de production capitaliste, puisqu'ils en exaltent l'exceptionnelle force de récupération et d'adaptation [28]. Or, c'est, de toute évidence, une crise historique, puisqu'elle affecte en même temps toutes les économies capitalistes - aussi bien de l'Ouest que de l'Est dont les courbes épousaient de plus en plus la même allure, pour le meilleur et pour le pire. La crise du capitalisme mondial qui couvait dans les « récessions » (crises) prémonitrices et explosait sporadiquement dans les convulsions et les guerres des pays de couleur, touchait en 1974 le cœur du système lui-même, d'abord les métropoles ex-colonialistes (Angleterre, France, Portugal, etc.) puis les autres, les Etats-Unis, l'Allemagne, le Japon et la Russie.
La crise : faillite et succès
Cette crise confirme doublement le marxisme : d'une part, les marxistes restés fidèles à leur doctrine de la catastrophe sans admettre que l'on y change un iota - les quelques dogmatiques impénitents qui ont résisté à la contre-révolution et la prospérité - avaient prévu cette crise historique des années 1975 plusieurs décennies avant qu'elle ait éclaté [29] ; et, d'autre part, la banqueroute des instances officielles sanctionne le pronostic de Marx sur l'incompétence croissante des tenants de [42] l'économie qui devient de plus en plus vulgaire, apologétique, puis supervulgaire et dégénérée (thème du IVe Livre du Capital sur les Théories successives de la plus-value [30]).
Les bourgeois sont incapables d'admettre les crises et de saisir leur nature réelle, parce qu'ils reconnaîtraient du même coup que leur mode de production est intrinsèquement taré et défectueux, puisque la machine enraye périodiquement et d'une façon de plus en plus grave. À mesure que le capitalisme vieillit, l'économie bourgeoise devient donc de plus en plus myope : Quos deus vult perdere prius dementat, citait Marx [31].
Tout au long de cet après-guerre, la bourgeoisie n'a cessé de délirer et, à sa suite, les partis ouvriers dégénérés : il n'y a plus désormais de crise - et ce, en pleine guerre froide, au milieu des génocides des peuples de couleur et de la misère des ouvriers émigrés, en plein totalitarisme économique et policier de l'Etat, avec l’intoxication croissante de la presse et de la radio ! Le bourgeois et les aristocrates ouvriers de cet après-guerre sont plus racistes que Hitler : ils font crever à petit feu la majeure partie de l'humanité - et hurlent au bien-être général.
Les contre-révolutionnaires staliniens (ou maoïstes, etc.) participent à cet exorcisme, en en accentuant le côté religieux : la loi de la valeur, reprise en Russie comme en Chine, est baptisée de socialiste, comme le salaire, le profit, l'accumulation de capital, le marché et l'argent - et l'on croit avoir ainsi une économie excluant les crises, ce que dément de plus en plus éloquemment l'histoire de tous les jours, en ruinant du même coup la crédibilité de toute cette théorie stalinienne et poststalinienne.
La crise au passé
La crise de 1974 a fait ressurgir, à ses débuts, la manœuvre favorite des économistes vulgaires pour dissiper [43] la réalité : ignorer le côté désagréable des choses pour ne voir que leur côté agréable. Il nous suffit d'opposer à leurs descriptions apologétiques les tristes réalités qui les sous-tendent pour avoir une vision complète de ce qu'est une crise, cette somme hautement instable de contraires.
C'est précisément la caractéristique de la crise capitaliste - la surproduction avec l'accumulation poussée à son paroxysme, donc le maximum d'inégalités et d'antagonismes entre les secteurs fondamentaux de l'économie - qui, parce qu'elle est synonyme de pléthore, a fait douter de son existence nos contemporains blancs, plus crétinisés que jamais par une longue période de « prospérité » croissante.
Au début de la crise, l'excédent de marchandises avec l'inflation de la monnaie (donc des revenus) contraste avec l’image que la presse bourgeoise et opportuniste donne complaisamment des crises du passé pour mieux les nier... dans le présent. Ainsi dépeint-elle les crises, une fois surmontées, sous les couleurs les plus sombres - suicide des banquiers et fermeture des usines, longues files de chômeurs et soupe populaire pour les miséreux, enfants faméliques et scrofuleux, mendiants dans les rues, épidémies décimant les faibles et les vieux, etc., etc. - pour en arriver à la conclusion que le temps des malheurs est définitivement révolu (du moins pour les peuples civilisés, c'est-à-dire blancs). La crise n’est plus qu’un prétexte pour faire l'apologie de l'actuel capitalisme.
Cette première mystification permet une autre manœuvre : en n'admettant à la rigueur qu'une « récession », les milieux officiels et l'opposition ont habitué progressivement le publie, grâce à leurs dénégations - « ce n'est pas la crise ! ce n'est pas la crise ! ce n'est pas la crise ! » etc., etc. - à la possibilité d'une crise que l'on avait mise au rebut de l'économie et de l'histoire [32].
En ne soulignant qu'un terme de la contradiction et [44] en éliminant l’autre, la bourgeoisie s7efforce d'effacer le côté désagréable de la crise, dès lors qu'elle ne peut plus être niée par des paroles. Cette mystification a été facilitée d'abord par le fait qu'une crise historique n'impose pas une déflation avec son cortège de faillites, etc. qui permettrait d'assainir l'économie. Celle-ci a besoin de remèdes autrement vigoureux.
Dans ces conditions, au début de la crise, l'excès de marchandises ne devient pas pénurie du jour au lendemain : la baisse de demande solvable des chômeurs complets ou partiels, des vieux, etc. suscite encore un accroissement des jouissances pour une autre couche toujours très large de la population. Tant pis pour les premiers ! La contre-révolution, le culte de l'individu et des petites affaires privées ont atrophié tout réflexe de solidarité.
Les paroles rassurantes des économistes sont la réponse à la tempête du système économique : c'est toute la politique Barre. Mais, en entrant en contradiction toujours plus flagrante avec la réalité, la lénifiante économie vulgaire se fait de plus en plus sinistre. Loin d'admettre que - comme la pauvreté fonde la richesse - le long essor de la production mondiale après 1945 reposait sur les gigantesques destructions de la dernière guerre impérialiste qui a liquidé la surproduction et plus de 57 millions de surnuméraires, et que cette prospérité des pays blancs est allée de pair avec d'incessantes guerres coloniales et la misère effrayante des peuples de couleur - les infâmes apologistes du Capital y ont vu les mérites de leur théorie nouvelle du bienêtre et de leur planification reprise au Dr Schacht et à Staline7, et restent arrogants dans une crise piteuse pour les bourgeois.
Aujourd'hui dans un univers édifié sur le crédit et les préjugés [33], l'économie et la démocratie vulgaires se trouvent liées elles-mêmes par leur propre bêtise qu'elles ont répandue dans le monde au cours des trente dernières années. Et tout se paie, comme le disait Marx : [45] « Tromper les autres et en les trompant se tromper soi-même - telle est, réduite à son expression la plus simple, toute leur sagesse [34]. »
Engels se divertissait fort de l'alternance de dépression et euphorie chez les bourgeois en crise. C'est, disait-il, parce qu'ils ne comprennent rien à ce qui leur arrive. La crise ne montre-t-elle pas le mieux que nos braves capitalistes sont eux-mêmes le jouet des conditions économiques ? Cependant, leur réaction était alors toute spontanée, et, pour ainsi dire, ingénue, alors que les pantins d'aujourd'hui prétendent, eux, orchestrer et manipuler l'économie et le public : « Le climat général a été très plaisant à la bourse de Manchester la semaine dernière. Ma bonne humeur met tous ces gaillards dans une colère noire. La Bourse est, effectivement le seul lieu où ma morosité se mue en ressort et en gaîté. Avec cela, je fais toujours les prophéties les plus sombres, ce qui irrite doublement ces ânes. Alors que jeudi la situation était la plus lamentable, ces messieurs s'interrogeaient vendredi sur l'effet possible de la suspension de la Loi sur les Banques - et, comme le coton était de nouveau en hausse d'un penny, ils se disaient que le pire était maintenant passé. Or, hier, un désenchantement, vraiment fort réjouissant à voir les avait de nouveau gagnés. Tout le bel optimisme n'était plus que mirage, et nul ne voulait plus acheter, si bien que le marché est resté aussi mauvais qu'auparavant [35]. »
Les capitalistes, les politiciens et les économistes sont terrorisés de voir leur échapper chaque jour davantage le pouvoir, non tant sur leur bel appareil de production qu'ils pensaient avoir réglé à leur gré pendant des décennies, que sur les prolétaires qui le font tourner. Ce qui est grave c'est que perdre le contrôle de leur économie signifie perdre bientôt leur domination sur les ouvriers. C'est pourquoi, ils ne font plus confiance qu’à la police pour rétablir l'Ordre, en voyant des « terroristes » partout et en dénonçant comme saboteurs de l'économie les grévistes qui défendent simplement [46] leur pain. De par le déterminisme même du mode de production capitaliste, les bourgeois « ils sont éliminés et leurs fonctions remplies par des « agents rémunérés ». Selon l'expression de Marx, le capitalisme prépare lui-même les conditions non seulement matérielles, mais encore subjectives (politiques) de son élimination [36].
Rien ne sert aux bourgeois de lire le Capital de Marx, et les Américains peuvent bien embaucher deux mille économistes radicaux dans leurs universités. Ils ne comprendront jamais ce qu'il écrivait en conclusion de son premier Livre : c'est le capitalisme lui-même qui a pour mission historique d’exproprier, d'abord la masse des petits producteurs paysans et artisans, puis les petits et moyens capitalistes, et enfin, dans des secousses plus violentes, la fleur des grands capitalistes eux-mêmes - les de Wendel, par exemple. Or, la crise constitue précisément, et par excellence, un attentat à la Propriété.
L'idée ne peut venir aux bourgeois que leur propre système engendre la crise, d'abord économique, puis politique et militaire, enfin sociale. En 1929, les banquiers faillis se précipitaient par la fenêtre ; aujourd'hui, tout philistin se prend pour un banquier en passe d'être ruiné et tremble devant le spectre d'une mystérieuse cinquième colonne internationale qu'il ne peut concevoir que comme une bande de malfaiteurs. En effet, ces philistins - le bourgeois, le petit-bourgeois, le rentier et l'aristocrate ouvrier - ne peuvent admettre - ce serait trop affreux - que la longue prospérité est irrémédiablement brisée de par le déterminisme de leur propre chef capitalisme et qu'il faut désormais rompre avec la douce bonbonnière du home familial, le confort douillet, la résidence secondaire, la voiture qui vous donne des ailes, les jolis, week-ends, la drogue des spectacles radios et télés, les vacances au bord de mer ou en montagne, voire les croisières autour du monde, l'absence de soucis d'argent et les denrées de plus en plus sophistiquées. Cette engeance n'a jamais pensé [47] une seule minute que son bien-être supposait une hiérarchie des salaires de 1 à 15 et plus, la mort lente des Peuples de couleur pillés par les nouveaux aristocrates : pour un bien-être infiniment moindre, la vieille Roma était esclavagiste. C'est dire leur infamie et leur attachement à des privilèges énormes. La peur gagne cette masse veule et infecte, et elle est d'autant plus atroce - ce n'est pas par hasard que l'opulente et benoîte Allemagne a le plus peur - qu'elle ne peut rien contre le retournement du sort. Et chacun sait que lorsque le terrorisé ne fait aucun geste pour répondre aux agressions du milieu, la peur et son suc physiologique - l'adrénaline - se transforment en angoisse et en phobies, au lieu d'être l'impulsion à une action pratique. Et ces ânes de brailler à la défense de l'Ordre et de soutenir toute Répression, sans se douter que le capitalisme met ainsi la révolution sur ses rails, que - selon l'expression de Marx du 18-Brumaire - « l'épée qui doit les protéger, ils la suspendent au-dessus de leur propre tête comme l'épée de Damoclès ».
Après avoir semé la misère, la crise pousse ainsi par la violence les classes ouvrières - émasculées par un trop long bien-être, démoralisées par la dégénérescence de leurs organisations économiques et politiques, et mystifiées par les manœuvres démocratiques - sur le terrain de la violence révolutionnaire qui permet de dénouer positivement la crise. D'économique et de politique, la crise devient révolution sociale : Bravo ! disait Engels à Bismarck qui mettait hors la loi les socialistes et les persécutait « tu travailles pour nous comme dix chameaux [37] ».
Brave Bismarck, continué par les sociaux-démocrates actuellement au, pouvoir en Allemagne, et aimable Marianne qui, depuis Thiers, « collabore » avec les forces armées de l'« ennemi héréditaire » pour mater, les ouvriers insurgés et aujourd'hui - on n'arrête pas le progrès - avant même qu'ils se rebiffent [38].
[48]
La définition sous-vulgaire de la crise
L'opposition de Gauche apporte, elle aussi, sa contribution pratique et « théorique » à la bêtise de l'apologétique du système capitaliste. Depuis Jésus-Christ, tout révolutionnaire considère comme ses pires ennemis ceux qui se prétendent les plus proches en paroles, alors qu'ils sont en fait de l'autre bord. Les faux frères de l'opposition sont au-dessous des bourgeois et - comme le montre leur attitude vis-à-vis de la crise - le sous-produit dégénéré de l'économie vulgaire bourgeoise. Si les économistes officiels nient le côté désagréable de la crise pour n'en voir que le côté agréable, la reprise, la Gauche part du même schéma d'idées, mais comme il convient pour une opposition - souligne le côté « désagréable du phénomène, puisqu'elle prétend défendre .les masses exploitées et opprimées, sur lesquelles pèse la misère qui se propage de plus en plus. En revanche, ce qu'elle nie, c'est la réalité capitaliste de la surproduction avec ses conséquences nécessaires. Elle ne s'en prend pas au système, mais à ses abus, à certaines de ses excroissances, qui provoquent, à ses yeux, la sous-consommation, le chômage et la misère qu'elle se vante, en un tour de main, d'abolir. Le tour de passe-passe est connu : prendre aux riches ou, plus précisément, aux monopoles - pour les distribuer aux pauvres - les sur-profits, qu'elle prétend vouloir supprimer en laissant intacts les « simples et modestes » profits qui sont les plus répandus et les plus tenaces. Les masses misérables et opprimées aujourd'hui connaîtraient alors le bien-être, autre postulat bourgeois frelaté (en faillite actuellement), puisqu'il implique le mercantilisme, l'argent et, en fin de compte, le capital et l'exploitation salariée des masses.
La Gauche - les communistes faisant mine d'aller jusqu'au bout (! ?) de leur objectif (nationalisation des monopoles), et les socialistes de les suivre, en étant plus raisonnables, donc plus réalistes et efficaces - exorcise la crise de manière plus symbolique encore que l'économie [49] officielle. Elle est au-dessous de l'économie vulgaire qui, pour une bonne raison de classe, ferme tout simplement les yeux sur le côté noir de la situation - il affecte les autres, la masse des ouvriers - pour ne s'intéresser qu'au côté agréable qui la concerne. En revanche, la Gauche prétend, elle, « réformer » les pires conséquences du système, sans toucher le moins du monde à sa base, ni aux causes de ses manifestations les plus sinistres. Un rite suffit pour accompagner ce « miracle » : mettre dans l'urne un chiffon de papier pour la porter au pouvoir. Marx appelait cela du « crétinisme parlementaire [39] ».
L'arrivée de la Gauche au pouvoir muerait l'exploitation et la misère des masses qu'elle décrit en termes noirs, en bonheur et bien-être - et ce, non seulement durant la prospérité (à laquelle participe momentanément l'aristocratie ouvrière), mais encore durant la crise ! Celle-ci n'est plus le fait du capitalisme, de l'économie monétaire et mercantile, mais d'une clique - la Droite. C'est ce que nous appelons du fascisme rentré, puisque les explications ne partent pas de l'économie, mais de l’influence sur les masses inertes d’une élite décisive, de génies bienfaisants ou malfaisants - les sauveurs de la Gauche et les naufrageurs de la Droite. Là encore les arguments de la Gauche sont les pires, car ils sont ceux de traîtres et de renégats qui parlent en faveur d'une élite dominante... au nom des masses exploitées qui doivent se taire et rester passives.
L'appliquant à la crise, la Gauche reprend les âneries sur la guerre répandues par les staliniens - tour à tour alliés et adversaires du fascisme - âneries que partagent aussi les résistants gaullistes qui sont aujourd'hui les alliés des sous-produits nazis et américains qui gouvernent la malheureuse Allemagne de cet après-guerre. La dernière tuerie n'était pas due au capitalisme, mais au fascisme, et l'on menait soi-même une guerre de « libération ».
L'économie capitaliste s'est chargée elle-même de [50] rectifier la position de la Gauche : à la première tentative d'actualisation, pourtant électoraliste c’est-à-dire démagogique, de son programme commun, elle n'a pas résisté au souffle bien réel de la crise. Mais le jeu de la Gauche est abject à faire vomir. Elle-même n'a jamais cru, ni voulu aller au pouvoir. Elle n'a fait semblant que pour tromper les masses, et c’est là d'ailleurs son rôle dans la gestion de la crise - depuis que la pratique des dirigeants ouvriers vendus d’Angleterre a mis en évidence que « la bourgeoisie est incapable de dominer, politiquement et socialement, la nation sans l'appui de la classe ouvrière [40] ».
Toujours pire
L'opposition soi-disant révolutionnaire de, l'Opposition - les trotskystes, par exemple - participe allégrement à cette dégringolade générale de, la pensée économique et politique. Elle se targue même d' « améliorer, le marxisme, et elle fait dire à Marx lu pires sottises de l'économie vulgaire, en les assaisonnant de formules d'un révisionnisme sous-bernsteinien. On est abasourdi de lire, par exemple, dès la première ligne d'un article sur les « crises »... en 1973, en plein boom (durant la prospérité, les réformistes se délectent, eux aussi, à de sombres descriptions de la misère !) : « L'inflation ni les crises de surproduction ne sont des catégories du mode de production capitaliste [41]. » Ces prétendus révolutionnaires qui ne voient pas au-delà d'une société mercantile avec leur socialisme qui perpétue le salariat, l'argent, le marché, la division du travail, etc., se placent d'emblée sur le même terrain que ceux auxquels ils s'opposent - les « communistes » du Parti français.
Leur théorie sur la crise permanente formule ronflante pour révolutionnaires d'opérette n’est qu'une apologie aveugle du « socialisme russe », puisqu'elle [51] a été revendiquée aussi par Staline. Celui-ci voulait voir le capitalisme (occidental) en stagnation et en pourrissement - en crise permanente - c'est-à-dire incapable d'augmenter ses indices de production, face à la Russie baptisée socialiste qui, disait-il, surpassait tous les records. De fait, elle progressait à des rythmes élevés qui faisaient penser à Staline - et encore à Khrouchtchev - que la Russie allait bientôt rattraper, puis dépasser l'Amérique, battant ainsi le capitalisme... sur son propre terrain. Les hauts indices £accroissement devenaient - à la place de l'abolition de l'argent, du salariat, du marché, etc. - la caractéristique du socialisme, la marque de sa supériorité sur le capitalisme. Or, il s'agit là simplement d'une manifestation juvénile du mode de production bourgeois - ou de son expression exacerbée par l'impérialisme après une guerre de destruction où les indices remontent momentanément. Ainsi, les indices de production de l'Allemagne « occidentale », par exemple, ne diffèrent guère de ceux qu'a obtenus l'Allemagne « communiste », et la Russie mercantile ne dépassera pas demain sa concurrente américaine, parce que ses indices diminuent au fur et à mesure, comme c’est le cas de tout banal capitalisme.
Quoi qu'il en soit, la théorie de la « crise permanente » du capitalisme - précisément à cause de ses origines et de ses intentions louches - ne donna pas aux trotskystes une sensibilité particulière pour déceler la crise historique du capitalisme qui éclata fin 1974 : pour eux, la crise est permanente quand le capital prospère, et il n'y a plus qu'une... récession quand il est vraiment en crise. De fait le théoricien Mandel ne voulait admettre qu'une « récession généralisée des années 1975-1976 » : la reprise est à l'image de la récession : limitée [42] ». Rien de neuf par rapport aux dires des économistes bourgeois supervulgaires, mais le langage est « extrémiste », car, à bien la considérer, poursuivait le même Mandel, cette récession « limitée » [52] est « l'imbrication de trois crises avec une crise approfondie de tous les rapports bourgeois » (p. 41). En somme, plus il y a de crises, moins c'est la crise. L'économie, officielle s'y prend plus simplement pour cacher une réalité désagréable : elle n’en parle pas. En fait plus on se dit en paroles révolutionnaire, plus on est sous-bourgeois - et c'est pourquoi, il faut parler de dégénérescence des organisations ouvrières qui trahissent les ouvriers, en diffusant parmi eux les positions qui conviennent le mieux à la classe dominante.
Cette constatation polémique n'a pas pour but de mettre en lumière la bêtise des autres, mais sert par oppositions successives - selon la méthode de Marx - à cerner les divers aspects de la crise. Il se trouve que la Russie, étant un pays de capitalisme jeune (ou mieux rajeuni Par des destructions massives), subit les crises de manière plus pure au sens de Marx, que les capitalismes séniles et pourris de l’Occident. Dès lors, il suffit de compléter les lénifiantes descriptions officielles par le corollaire négatif et désagréable qu'elles impliquent en pratique et en théorie, pour avoir une vision complète de la crise. Mandel, lui, foudroie ceux qui affirment que la Russie mercantile et régie, selon Staline, par la loi de la valeur, est capitaliste et doit subir toutes les vicissitudes du cycle économique bourgeois - de la prospérité et des hauts indices de la production à la crise avec la baisse et la chute de ces mêmes indices : « Parler d'une " crise économique mondiale ", en feignant d'ignorer le mouvement économique fondamentalement divergent des pays où le capitalisme existe et de ceux où il a été aboli n'en reste pas moins une mystification théorique et une imposture politique » (p. 6). Rien moins !
Toutes les études de l'Occident officiel sur la situation économique des pays « socialistes » partent du même postulat erroné : S'il doit y avoir crise dans le bloc oriental, ce ne peut être en raison des contradictions [53] internes de ces pays, mais seulement de l' « effet de résonance » ou de « contamination » de l'extérieur - ce qui donne, à la rigueur, une récession. Mandel partage sur ce point encore les préjugés les plus largement, répandus chez nos contemporains et pour admettre la crise dans le bloc soi-disant socialiste, il attendra que la bourgeoisie en parle.
Crise de surproduction
Les bourgeois nient plus mollement l'existence de la crise en Russie - ne serait-ce que parce qu'elle les tenaille eux-mêmes et qu'ils ne sont pas fâchés de voir leur compère russe partager leur beau souci. Pour l'heure, c'est la Gauche et l'extrême-gauche qui sont les plus enragés à défendre la paix et l’harmonie à l'Est.
Comme notre méthode est de définir par opposition, nous continuerons notre périple en direction de l'extrême-gauche, ce qui nous permettra d'avoir un contradicteur pour mettre en lumière de manière concrète et actuelle la raison profonde, la loi capitaliste, qui provoque surproduction et crises.
Décidément, on ne peut se faire à l'idée qu'en régime capitaliste la surproduction éclate irrémédiablement, bien avant que les besoins soient satisfaits, dès lors qu’on peut imaginer... dans l'abstrait qu'il reste encore de larges possibilités de développement pour la production. C’est ce qui ressort implicitement de raisonnements suivants que l'on lit dans toutes les feuilles d'extrême-gauche qui font montre par ailleurs de s'opposer : Une crise générale de surproduction ne peut encore, en 1975, naître et éclater de l’intérieur de la Russie. Ce pays n'est-il pas immense, n'a-t-il pas un retard important à combler par rapport aux Etats-Unis ? Avec ce raisonnement, on ne voit pas pourquoi l'Angleterre fut périodiquement secouée de crises de surproduction dès le siècle dernier.
[54]
La soif ardente de capitaux occidentaux de la part des Russes semble confirmer que leur pays a des possibilités de développement encore considérables. En réalité, c'est le signe manifeste d'une crise qui affecte l'agriculture aussi bien que l'industrie, puisque la Russie importe depuis 1970 des céréales de l’Occident et que son industrie en appelle de plus en plus au cours de ces dernières années aux capitaux occidentaux. Elle s'endette donc comme tous les pays capitalistes, grands et petits. Cela coïncide même avec la crise mondiale - comme en témoigne le déficit brutal à partir de 1975 ; (- 3,3 milliards de dollars;) sa balance des paiements avec l’Occident. Des secteurs entiers de la production industrielle russe dépendent pour leur croissance des capitaux étrangers. Le plus beau fleuron de l'industrie russe - le ciment - a atteint des niveaux astronomiques. Or, plus du tiers des cimenteries a été importé clé en mains et le plus souvent à crédit. Dam ces conditions, la Russie dépassait, en 1964, les Etats-Unis pour la production de ciment : 64,9 millions de tonnes contre 64,3 ; en 1973, ce rapport était de 115 contre 77,5, et en 1976 de 123,9 contre 61,4. Le ciment n'est pas la seule production où la Russie a largement dépassé les Etats-Unis. Tandis qu’elle récolte presque autant de céréales elle produit une quantité plus grande d'acier, de ciment, de charbon et de pétrole. C’est ce qui témoigne d'une gigantesque surproduction de la portion qui revient au Capital et qui écrase le misérable produit destiné à la consommation des producteurs de toute la richesse. Quelle différence dès lors avec les Etats-Unis en crise ? Qui diable pourrait équilibrer de telles inégalités sans crises violentes, ni guerres ?
L’endettement croissant s’explique du fait que le taux de profit (et donc le 'moyen de soutenir la croissance) n'a cessé de baisser tout au long de cet après-guerre, après les sommets - légèrement inférieurs à ceux de l'Allemagne et du Japon - de la période de [55] reconstruction. Ce phénomène de déclin correspond au vieillissement de la forme de production capitaliste. Il apparaît clairement pour la Russie. En effet, le taux moyen d'accroissement annuel de sa production de 1921 à 1940 (qui aboutit à la guerre et à l'effondrement) était de 19,5 % alors que dans la période suivante (1940 à 1977), le rythme annuel moyen tombe à 8,2 %. Qui plus est, l'écart est énorme entre le rythme du début de cette période, de 22 % par an de 1947 à 1950, et le modeste 2,4 % de 1976 que l'on obtient en incluant l'agriculture. Or, dans tous ces calculs, nous prenons pour argent comptant les statistiques truquées des experts russes qui sont en émulation avec leurs collègues de l'Occident.
En fait, l'ultime souffle de développement de la production industrielle n'a été obtenu que par la drogue de l'endettement croissant vis-à-vis de l'Occident. Or, il est clair que, sans cet apport extérieur, l'ensemble de la production aurait chuté au-dessous de zéro. Il s'ensuit que la Russie suscite sa crise de par les contradictions internes de son économie et n'évite l'effondrement qu'en collaborant avec l'Occident, dont il est donc normal qu'elle partage le sort.
En fait, PLUS LE TAUX DE PROFIT DIMINUE, PLUS ARDENTE DEVIENT LA SOIF DE CAPITAUX. Et c'est ce qui explique le paradoxe suivant : le besoin de capitaux est précisément le plus violent dans les pays dont le développement capitaliste est le plus monstrueusement élevé. La Russie et l'Amérique souffrent du même mal, et ils s'endettent plus que jamais. Les Etats-Unis procèdent comme les Russes : ils droguent leur économie en prélevant des capitaux à l'étranger par de gigantesques transferts financiers qui sont autant de ponctions sur les marchandises et la monnaie (capital) des autres pays. Ainsi les Américains relancent-ils l'inflation partout avec leur fabuleux déficit commercial et budgétaire. Dans ces conditions qui ne sont pas nouvelles, la crise a touché les États-Unis [56] avant la Russie, Puisque la fameuse crise financière et monétaire qui, dans les analyses classiques de Marx, précède la crise de production, y a éclaté dès les années 1970. Pourtant cela n'a pas empêché l'Occident de prêter de plus en plus de capitaux à la Russie et à ses satellites, faisant croire aux gens de bon sens qu'il se porte bien, alors qu'il souffre, au contraire d'une irrémédiable surproduction. En effet, si les Américains « investissent » en Russie, c'est parce que le capital « ne rapporte plus » chez eux, parce qu'il ne trouve plus de branches de production où il puisse faire du profit (se valoriser, selon l'expression de Marx), parce qu'il y a pléthore de capital du fait de la surproduction. Dans le chapitre sur « le Taux d'intérêt et la crise » de ce recueil, Marx explique que le capital productif se dévalorise alors en capital de prêt, financier et spéculatif qui ne donne que des intérêts - s'il trouve à se placer.
Avant de voir dans le chapitre suivant les explications théoriques de Marx sur la métamorphose de la surproduction en pénurie de capitaux, considérons comment ce phénomène se passe dans la crise actuelle. Ce passage est dialectique. C'est dire que le mouvement se poursuit, mais en sens inverse. Dans sa circulation, le capital productif se transforme en argent, se monétise, comme la monnaie se capitalise, et le point de passage est le crédit qui est assignation sur du travail futur. Au moment de la crise, la confiance cesse, parce que le capital productif est hors d'état de créer des profits, d'assurer que l'assignation sur un travail ou production futurs se réalise dans les faits.
La dévalorisation du capital productif en capital de prêt pléthorique explique le passage de la phase de surproduction (boom) à celle de pénurie de capital (crise). Ce qui caractérise ce passage, c'est la dévalorisation, ou destruction de capital. En voici le processus : le capital ne peut plus produire avec profit nulle part. D'un côté, les USA, par exemple, nous avons du capital [57] en excédent (surproduction) qui ne trouve plus à se placer dans le pays pour faire des profits : il devient capital spéculatif, de prêt. D'un autre, la Russie, par exemple, nous avons une soif de capitaux qui témoigne aussi £une surproduction, du fait que l'industrie ne produit plus de profits à investir, le taux de profit étant tombé à zéro. La situation est la même dans les deux pays : surproduction et assèchement de la source des profits.
Les réalistes Américains distribuent à l'extérieur leur capital en excédent (surproduction) mais incapable de créer du profit, c'est-à-dire dévalorisé, et ils laissent tomber leur production çà et là (ciment, acier, automobile, etc.) de 30 % et plus par rapport à 1973 en phagocytant chez leurs Alliés et satellites ce dont ils ont besoin grâce à des ponctions par les moyens impérialistes, financiers, etc. bien connus de tous.
Ainsi une grande partie de la masse des capitaux spéculatifs en quête de placements est épongée chez leurs alliés occidentaux de par l'augmentation du prix du pétrole, et l'argent des pays arabes va aux instituts financiers américains qui les centralisent et en disposent. Toute cette masse est bel et bien du capital américain, parce qu'elle a la forme de la monnaie nationale américaine.
Mais, il se trouve que les Russes veulent à tout prix augmenter encore leur production, parce qu'ils ont la folie capitaliste de la « production pour la production » ou parce qu'ils veulent gonfler certains secteurs comme l'acier, etc. car ils craignent la guerre. Ils empruntent donc du capital (dévalorisé en Amérique comme en Russie, parce qu'il ne produit plus de profit). Ils développeront chez eux un secteur déjà dévalorisé (non porteur de profit et donc incapable de se reproduire par lui-même). En important du capital dévalorisé, ils accroissent encore leur crise et la soif future de capital. Dans l'immédiat, ils s'en fichent, mais le jour où ils devront rembourser ce capital de prêt dévalorisé, ils [58] paieront en phagocytant le capital productif encore susceptible d'être créé, du fait du développement inégal du capital, dans certains secteurs qui ne sont certainement pas ceux qui surproduisent déjà et se gonflent encore en empruntant du capital occidental. Le capital dévalorisé ne se valorise donc ni chez les Américains, ni chez les Russes. Ceux-ci propagent la crise de surproduction d'un secteur à l'autre en dopant leur économie. Ainsi la surproduction se transforme en pénurie croissante de capital productif. Comme le dit Marx : « Il n'est donc rien de plus faux que d'attribuer cet état de choses à un manque de capital productif, tant par rapport à l'échelle normale, mais momentanément contractée, de la reproduction, que par rapport à la paralysie de la consommation » (p. 372).
L'affaire pour les Russes est catastrophique, 1º ils importent directement une crise supplémentaire à la leur, en achetant ce qui s'est dévalorisé à l'Ouest ; 2º ce surplus, en s'ajoutant chez eux aux secteurs correspondants, y force la surproduction et éponge les profits qui peuvent subsister encore dans quelques branches de leur production tandis que les Occidentaux se débarrassent d'une partie de leur pléthore inutilisable ; 3º ils accroissent leurs échanges avec l'Occident au moment de la crise, et l'unifient activement à l'échelle mondiale - et font apparaître ainsi la catastrophe dans toute son acuité et avec ses conséquences nécessaires.
L'Italie qui essaie de singer les USA perd doublement en jouant ce jeu, car elle souffre de tous les effets de la crise : surproduction et sous-consommation. D'un côté, elle exporte une partie de sa surproduction en Russie (usines de voitures FIAT) pour laquelle elle sera payée en quinze ans, d'autre part, elle emprunte de l'argent aux Américano-Allemands et vend une partie de la FIAT au capitaliste parasitaire Khadafi. Le capital applique ouvertement ses règles aux pays faibles.
[59]
Métamorphose de la surproduction
en pénurie
La surproduction inhérente au capital créateur de plus-value est, par définition, liée à la pénurie (chez les autres, sinon chez soi) et à la sous-consommation. Elle-même se change en pénurie pendant la crise. Le phénomène est inscrit dans tout le cours du capital, car sa « productivité » - sa capacité de faire des profits - ne cesse de diminuer tout au long du cycle, au fur et à mesure de la baisse du taux de profit. Sur une base : technologique donnée et une composition organique déterminée du capital, une même somme de valeurs rapporte de moins en moins, de profits, de sorte que la masse énorme de capital se valorise toujours plus péniblement.
Surproduire ne signifie pas qu'il ne reste plus de secteurs à développer, mais que le capital ne peut plus continuer à se valoriser en entier : « Même dans l'hypothèse extrême que nous avons émise de surproduction absolue de capital, il n’y a pas en fait de surproduction absolue tout court, surproduction absolue de moyens de production. Il n’y a surproduction de moyens de production que dans la mesure où ceux-ci doivent fonctionner en tant que capital, c'est-à-dire impliquent - par rapport à, leur valeur qui s'est gonflée en même temps que leur masse - qu'ils doivent reproduire cette valeur, en créant une valeur nouvelle plus grande [43]. »
Marx explique ensuite que le niveau du taux de profit détermine - au plan économique - s'il y a ou non crise de surproduction. La crise générale est ainsi le tournant où la surproduction se mue en pénurie de capital. Ce renversement s'effectue lorsque la masse de plus-value extorquée (heures de travail non payées) ne suffit plus à valoriser la masse du capital accumulé. Le capital, étant par définition production de PLUS-VALUE, ne peut plus alors fonctionner en tant que tel, se reproduire tout entier : du capital est dévalorisé, [60] c'est-à-dire détruit. La production chute, bien que l'on puisse concevoir - si l'on fait abstraction des lois de fonctionnement de l'actuelle économie - que le capital pourrait encore se développer - « Il y aurait tout de même surproduction », dit Marx, « parce que le capital serait hors d'état d'exploiter ultérieurement le travail au degré d'exploitation requis par un développement "sain et normal" du procès de production capitaliste, puisque ce degré doit au moins accroître la masse du profit à mesure que s'accroît la masse du capital employé ; autrement dit, ce degré d'exploitation doit exclure que le TAUX DE PROFIT BAISSE dans la même proportion, voire plus rapidement, que le capital n'augmente. Surproduction de capital n'a jamais signifié autre chose que surproduction de moyens de production - moyens de travail et de subsistance - qui sont susceptibles de fonctionner comme capital ou de servir à exploiter le travail au degré d'exploitation déterminé, la chute de ce taux d'exploitation au-dessous d’un certain niveau provoquant des perturbations et des arrêts du procès de production capitaliste - des crises et une destruction de capital » (ibid.).
Marx a donné ici la clé de la crise typique de production : elle est due à un bouleversement de la composition organique du capital, c'est-à-dire à une révolution du rapport entre capital variable, constant et profit qu'aucune inflation ne peut empêcher d'éclater en crise.
Nous en arrivons ainsi au centre de la question, à l'explication ultime et décisive de la surproduction, des déséquilibres entre elle et la consommation, et de la crise qui s'ensuit. C'est évidemment dans la base économique du mode de production que nous la trouvons, en l'occurrence dans la loi fondamentale du capitalisme - la baisse tendancielle du taux de profit.
Dans le chapitre où il en traite dans le Capital III, Marx décrit le conflit sans cesse plus aigu entre l’accroissement (masse) de la production et la valorisation (capacité de faire des profits) du capital : « La [61] masse des capitaux s'accroît à mesure que baisse le taux de profit. Cependant, la dévalorisation du capital existant freine cette baisse et imprime un mouvement « accélération à l'accumulation de la valeur du capital. À mesure que se développent les forces productives la composition organique du capital s’élève, de sorte que la partie variable baisse par rapport à la partie constante du capital - et le taux de profit baisse donc, tandis qu'augmente le besoin de capitaux. Ces influences contradictoires se manifestent tantôt simultanément dans l’espace, tantôt successivement dans le temps. Périodiquement, le conflit de ces facteurs antagoniques éclate en ; crises » (infra, p. 345-46).
Tout le mécanisme de la crise devient clair si l'on sait pourquoi le capital ne peut s'étendre paisiblement en continuant indéfiniment à faire des profits, mais au contraire provoque une crise violente lorsque le taux de profit tombé à zéro ne permet plus de faire augmenter la masse des profits (donc de la production). Voyons d'où provient ce heurt.
Au début du chapitre sur la baisse tendancielle, Marx explique que le taux de profit exprime aussi l'expansion ou la croissance du capital. C'est dire qu'il est l'aiguillon de la production capitaliste, car lorsque ce taux baisse, le capital réagit vivement et exaspère ses contradictions, en haussant la masse des profits. Or taux et masse évoluent en sens inverse, car à mesure que le taux baisse, le capital réagit en accroissant la masse des profits, en gonflant la production. Au début, le capital se concentre, en éliminant les petits et moyens capitaux rivaux. De même, il diminue ses frais de production en aggravant l'exploitation ouvrière en licenciant, en innovant, en économisant sur les équipements, les matières premières, en augmentant l'efficacité des machines par un nombre plus grand de ses rotations, etc. Bref, pour compenser la baisse du taux de profit, il augmente sa masse, en dilatant encore la production. Mais le résultat en est la surproduction et [62] une chute encore plus grave du taux de profit. Au comble de l'éléphantiasis de la production, c'est le renversement : pour une diminution d'un petit pourcentage du taux de profit, c'est une masse gigantesque de profits qui chute, et ce sont des milliers d'entreprises qui ne peuvent plus reproduire leur capital. Plus que le taux de profit était petit, plus le capital augmentait sa masse de façon gigantesque pour compenser la toute petite baisse du taux de profit. C'est donc la catastrophe quand le taux passe en dessous de la barre du zéro, quand au lieu d'être + 1, il devient - 1.
Le crédit et l'inflation ne peuvent plus alors stimuler l'essor de la production, ils sécrètent directement la crise dans la production, en la masquant dans la distribution : ils gonflent les facteurs ou coûts de la production. C'est la moderne stagflation suivie de la chuteflation, la baisse de production en pleine inflation entraînant la désagrégation finale du capital.
La masse croissante des profits a fait perdre de vue pendant un laps de temps très long que le taux de profit baisse car la masse bien tangible est une quantité physique absolue, et le taux un simple rapport, le profit rapporté au capital à avancer pour recommencer à produire, c'est-à-dire au salaire + capital constant d’un cycle de production. En somme, si l'énorme montagne de marchandises de la phase de prospérité extrême à la veille de la crise, comble d'aise les économistes bourgeois et impressionne tant les pseudo-révolutionnaires, elle cache aussi le minuscule taux de profit qui sera fatal à l'économie capitaliste.
Longtemps à l'avance, la baisse tendancielle du taux de profit annonce donc le heurt et, l'effondrement. C'est tout le sens des textes de ce recueil où Marx analyse d'abord la crise sous l'angle potentiel, puis réel, c'est-à-dire découvre dans tout le cycle la loi qui laisse prévoir sa fin. La crise n'est donc pas un accident, mais l'aboutissement logique de tout ce mode de production, dont la richesse est fondée sur la misère, [63] comme la propriété l'est sur l'expropriation. Elle est au centre du Capital.
En fin de compte, la loi de la baisse du taux de profit exprime aussi la contradiction fondamentale entre capital et travail : la partie constante du capital (dépenses. pour les installations, machines, matières premières. auxiliaires) augmente historiquement à un rythme plus important que le salaire (ou capital variable) qui est la seule source de la plus-value ou profit, si bien que le travail a de plus en plus de mal à reproduire la masse du capital et celle-ci croît donc de moins en moins vite. C’est pourquoi Marx a intitulé le chapitre où il expose cette loi : Développement des contradictions internes.
Contradiction fondamentale
entre capital et travail
La surproduction ne cesse de croître avec l’essor des forces productives, parce que l'énorme, masse produite se dévalorise de plus en plus : le travail-valeur incorporé à une même marchandise diminue à mesure que la productivité des ouvriers. La baisse ici, liée à l'augmentation là, exprime une contradiction fondamentale de l'économie mercantile du capital : la valeur d'échange des marchandises évolue en sens inverse de leur valeur d'usage. « Une quantité plus considérable de valeurs d'usage forme évidemment une plus grande richesse matérielle : deux habits sont plus qu'un seul. Avec deux habits, on peut vêtir deux hommes ; avec un habit, on n'en, peut vêtir qu'un seul, etc. Or, une croissance de la masse de la richesse matérielle peut aller de pair avec une baisse de la somme de sa valeur. Ce mouvement contradictoire découle du caractère double et antagonique du travail [du fait qu'il est valeur d’usage, créateur de choses utiles, en même temps qu'il est valeur d'échange, donc créateur aussi de valeurs d'échange. [64] [N.d.T.]. En conséquence, un même travail fournit toujours dans le même laps de temps la même somme de valeurs, quelle que soit la variation de sa force productive, mais il fournira, dans le même laps de temps, des quantités variables, de valeurs d'usage - plus si sa force productive croît, moins si elle diminue » [44].
Dès lors que les forces productives du travail augmentent sans cesse à l'échelle historique, les valeurs d'usage (l'habit, par exemple) se dévalorisent toujours davantage, parce qu'elles renferment une valeur d'échange toujours moindre par unité de marchandise produite. Cette diminution de valeur, le capital la compense - et cela entraîne la compensation du taux de profit par sa masse - en augmentant la quantité de marchandises, c'est-à-dire sa production. L'essor toujours plus grand des forces productives qui entraime une dévalorisation croissante de la marchandise produite condamne donc le capital à produire de plus en plus frénétiquement une masse croissante de marchandises. C'est une contradiction issue de l'opposition au sein de la marchandise entre la valeur d'usage et la valeur d'échange. Certes, la marchandise en est l'unité, mais celle-ci est toute contradictoire, puisque les deux varient en sens inverse l'une de l'autre en production capitaliste mercantile. Or comme la demande solvable est liée à la valeur d'échange, au marché et aux besoins humains argentés, les valeurs d'usage toujours moins chères s'accumulent en montagne de surproduction - et les économistes modernes poussent chaque individu à consommer deux automobiles, trois radios, etc., s'il gagne de l'argent et a un emploi facile.
C'est là où l'économie politique moderne a trouvé un remède pire que le mal. Nous le verrons en détail dans la Seconde Introduction sur la crise du capitalisme drogué à propos des prix qui augmentent avec la productivité du travail ou plus exactement avec les [65] transferts de richesses qui s'effectuent au détriment des travailleurs productifs, créateurs de toute richesse, et au profit des travailleurs improductifs et autres parasites qui ont des entrées d'argent faciles et dépensent avec de la monnaie de singe, de crédit ou d'inflation.
Ceux qui paient durement ce système, ce sont donc les ouvriers productifs (souvent de couleur) qui sont bestialement exploités et les peuples de couleur dont le capitalisme ne peut satisfaire les besoins essentiels parce que toute sa production est orientée vers la production de marchandises qui conviennent essentiellement à des parasites et qui permettent l'éléphantiasis de l'appareil productif.
Tout ce système repose en somme, sur le fait, d'une part, que les ouvriers productifs ne sont pas payés de manière à vivre humainement - ce qui donnerait une tout autre orientation à la qualité et à la nature des articles produits - et, d'autre part, que les matières premières raflés aux peuples de couleur sont payées à ce vil prix qui permet de produire la camelote bon marché, absorbée par les marchés blancs. Car comment pourrait-on gaspiller autrement les valeurs d'usage qu'elles servent à produire dans l'inflation en tout genre de la société automatisée de cet après-guerre. ? Il a suffi d'ailleurs que le prix des matières premières hausse en même temps que leur coût de production qui, en économie mercantile, inclut la rente, et que les traites des pays et des consommateurs viennent progressivement à échéance pour que la crise de surproduction touche enfin les pays développés.
La crise se déplace ainsi vers les pays développés - et, dès 1957, on pouvait prévoir que les Etats-Unis, le centre du capitalisme mondial, seraient touchés les premiers par cette crise et la répandraient ensuite chez leurs alliés : « Tout l'arsenal au moyen duquel en veut amener l'ouvrier à éprouver comme réels ces besoins illusoires qui le poussent à souscrire des engagements en vue d'acquérir des montagnes [66] de marchandises devra, dans un avenir pas trop lointain, céder à l'éloquence des faits, et le caractère artificiel et drogué du mécanisme économique débouchera sur une violente e t irréparable dissolution qui, à n'en pas douter, prendra son départ dans le pays où l'on s'efforce - à des fins contre-révolutionnaires - de concentrer les bénéfices [45] ».
Cette prévision se confirma historiquement, lorsque l'impérialisme yankee entreprit la guerre du Vietnam contre les pays de couleur ' tandis que son allié israélien tenait en échec les pays arabes. En faisant appel à la contribution économique de tous ses, alliés et en finançant la, guerre avec la planche à billets du dollar, monnaie internationale, l'inflation du bien-être, tendant à créer des revenus pour écouler l'énorme production des métropoles blanches, évolua tout naturellement en crise monétaire internationale qui introduisait la crise de surproduction de 1974. ,
Depuis, la crise a gagnée métropoles capitalistes elles-mêmes, dont la guerre de concurrence s'exaspère avant de tourner à cette guerre tout court attendue depuis si longtemps par l'Amérique [46].
La crise des pays dépendants
La bourgeoisie a attribué, sur le plan économique, la crise de 1974 aux pays de, couleur qui avaient haussé le prix des matières premières, et notamment le pétrole. Or, 1oin d'être un accident, un hasard, cette hausse est le produit de la folle surproduction industrielle du monde entier qui a de plus en plus de mal à s'approvisionner en ressources minérales et énergétiques.
Un autre fait le confirme : la crise de 1971 précéda le boom de 1973, le vrai fauteur de la hausse du pétrole. Avant celle-ci, il y a eu aussi l'inflation massive, les crises monétaires internationales périodiques de plus [67] en plus graves, le poids de plus en plus lourd de la dette extérieure, les catastrophes agricoles liées à la gabegie mercantile et capitaliste qui ne peut plus réagir à l'alternance des années de sécheresse et d'inondation à la suite desquelles le prix des denrées alimentaires a doublé, voire quadruplé, ce qui commençait de paralyser de nombreux pays développés, dont l’Italie et l'Angleterre. En 1971, l'abolition de la convertibilité du dollar et le cataclysme monétaire qui s'ensuivit, entraînèrent un effondrement brutal de la crédibilité du vieil ordre économique, l'accord monétaire cadre de Bretton Woods et le GATT. Bref, la crise productive et financière éclatait dès 1971 et précédait le boom de 1973, donc la crise de l'inflation pétrolière.
Expliquons celle-ci à grands traits. Le gonflement gigantesque de la production tout au long de cet après-guerre, avec l'efficacité folle et l'étendue universelle des moyens techniques en est arrivé forcément à entamer largement certaines ressources naturelles du monde, et le comble en est atteint dans 1a phase du boom où culmine la demande de matières premières. Or, la production de celles-ci se heurte aux limites naturelles de la terre. Les gisements les plus riches, mis en exploitation les premiers, s'épuisent, et le capital est contraint d'en mettre de nouveaux en chantier. Or., ceux-ci sont d'un accès plus difficile et d'une fécondité moindre - ce qui fait augmenter le prix de leur produit. La même chose vaut pour les matières premières végétales (jute, caoutchouc naturel, cacao, oléagineux, etc.), dont la demande accrue oblige, pour les produire, à recourir à des terres et à des conditions de production toujours plus défavorables - ce qui augmente leurs frais de production. En outre, pour les produits de la terre, le mécanisme mercantile fixe le prix en fonction du coût de production de la terre la moins féconde - d'où hausse générale, puisque, en moyenne, le prix d'un même produit est unitaire sur le marché.
[68]
Cette hausse continuelle des matières premières et de l’énergie, liées à la terre, et donc au mécanisme rentier, fait maintenant corps avec le capital industriel lui-même qui consomme de plus en plus de ces biens grevés d'une rente. Au lieu de faire baisser le prix des marchandises industrielles, le capital industriel les fait monter - comme la vulgaire agriculture. Le capital tout entier est maintenant parasitaire et drogué.
Ainsi, le capital est contraint d'augmenter toujours plus ses dépenses de capital constant pour exploiter de nouveaux gisements de matières premières et créer : des énergies de substitution. La composition, organique du, capital ne cesse donc, de gonfler en même temps que les coûts de production - ce qui entraine une chute fatale du taux de profit. L’inflation ne cesse ensuite d'augmenter, en dépit de la baisse de la demande.
Matières premières et crise
Il en ressort que la crise est historique et qu'elle ne peut trouver de solution sans changement radical de l'actuelle composition organique du capital, de la technologie, c'est-à-dire une dévalorisation ou destruction massive de capital constant, pour relever le taux de profit. Or, avant ces énormes destructions, tout investissement et innovation a l'effet contraire, à savoir gonfler davantage la masse déjà trop énorme du capital constant et donc faire baisser encore le taux de profit.
Mais voyons à présent comment la hausse des matières premières a contribué au renversement dialectique du boom économique en crise. Nous considérerons en même temps quel est l'effet de cette hausse dans la théorie de la crise de Marx.
Aux yeux de celui-ci, l'accroissement de la production [69] donne aux matières premières un poids toujours croissant. À mesure que s'accroît la productivité de la force ouvrière avec le développement technique accumulé par le travail dans les machines, les installations productives, l'organisation et les procédés de fabrication, une même heure de travail transforme sans cesse une masse plus grande de matières premières, de sorte que c'est le prix de celles-ci qui gonfle le plus le capital constant. Dans ces conditions, le taux de profit dépend essentiellement du coût des matières premières. Quant aux machines qui deviennent toujours plus efficaces et plus durables, leur coût n'augmente pas au même rythme.
En somme, le capitalisme impérialiste se bat sur deux fronts pour réaliser la plus-value, et freiner la baisse du taux de profit : 1° contre les ouvriers exploités, dont la baisse de salaire permet une hausse proportionnelle du profit, et 2° contre les fournisseurs de matières premières, c'est-à-dire pour une bonne part les peuples de couleur. Voyons quel est le mécanisme par lequel la hausse des matières premières conduit à la crise. Nous verrons que cette hausse provient des conditions de production et agit en retour sur elles.
Quelques précisions techniques sont nécessaires pour en saisir le mécanisme.
Le profit a un taux d'autant plus bas qu'il se rapporte à des frais plus élevés de production - avances pour les salaires (v) et pour le capital constant (c), dont les matières premières forment la fraction de plus en plus importante. Comme nous l'avons dit, c'est au moment précis de la phase du boom général, lorsque le profit est à son taux (rapport) le plus bas, que ces dépenses augmentent le plus, les matières premières étant les plus demandées quand elles manquent le plus : en plein boom. Le résultat ne peut qu'en être catastrophique, la chute du taux de profit.
Dans le livre III du Capital, Marx explique lumineusement [70] quel est le rapport entre prix de la matière première et évolution du taux de profit : « S'il se produit des variations - soit à la suite d'une épargne de capital constant, soit à la suite d’oscillations du prix de la matière première -, elles affectent toujours le taux de profit, même quand le salaire reste complètement inchangé. Si le prix de la matière première augmente, à se peut qu'une fois les salaires versés, il ne soit plus possible de récupérer son prix dans celui de la marchandise produite. Ainsi donc, de fortes fluctuations de prix provoquent des interruptions, de graves collisions, voire des catastrophes au sein du procès de production. Ce sont surtout les produits de l'agriculture proprement dite et les matières premières issues de la nature organique qui sont soumis à de telles fluctuations de la valeur... Le taux de profit étant , il est clair que tout ce qui provoquera un changement de grandeur de c entraînera du même coup une variation du taux de profit, même si pl et v et leur rapport réciproque restent inchangés. En effet, la matière première représente la partie essentielle du capital constant... Si le prix de la matière première hausse d'une somme égale à d, devient , d'où baisse du taux de profit. Toutes choses égales par ailleurs, le taux de profit est donc inversement proportionnel au prix des matières premières. Cela explique, entre autres, l'importance particulière qu'attachent les pays industriels à obtenir des matières premières à bas prix ». [47]
Et Marx établit que la montée des prix des matières premières finit par faire diminuer leur demande, de sorte que la pléthore industrielle commence à se dégonfler : « Lorsque la hausse des prix commence à avoir des effets très sensibles sur l'expansion de la production et l'offre des produits, c'est que l'on est déjà arrivé [71] au tournant où, par suite de la hausse persistante du prix des matières premières et de toutes les marchandises dont elles sont partie intégrante, la demande sur le marché diminue - d'où une réaction sur le prix des matières premières » [48].
C'est, entre autres, le rapport entre la production de matières premières, organiques et inorganiques, avec le taux de minéralisation grandissant de notre infâme civilisation de mort, qui a conduit notre parti à prévoir que la crise historique du capitalisme éclaterait dans les années 1975 : « Si l’on trace deux courbes - celle de la production de végétaux et celle de la production de minéraux - on pourrait soutenir que, quand inexorablement la seconde aura dépassé la première, le cycle du capitalisme sera achevé. Tout à fait en gros, nous calculons vingt-deux ans pour les 22 % que la folle courbe minérale doit encore gagner pour toucher 100 - et de 1956 on arrive à 1978, année où nous espérons que le capitalisme sera en crise mortelle » [49].
Crise au niveau de la reproduction simple
Marx étudie chaque fois les crises au niveau de la reproduction simple, de ce que l'on appelle aujourd'hui la croissance zéro. C'est ce point que doit rejoindre la courbe de production capitaliste pour que la crise éclate, que le capital entre en conflit aigu avec sa détermination de produire de la plus-value, c'est-à-dire sa nature même. C’en est fait alors de la reproduction élargie et de l'accumulation forcenée. Le comble, c'est que le capital est alors en pleine surproduction où il a exacerbé toutes ses contradictions inhérentes.
Le niveau de la reproduction simple est le lieu privilégié pour saisir le mécanisme et les lois de la crise générale et distinguer entre les diverses crises spécifiques : [72] crise de production et de marché, crise industrielle et agricole, crises monétaires et commerciales, krach financier et boursier, crise partielle ou intermédiaire [50], générale, locale ou sectorielle.
C’est quand le capital se reproduit simplement lui-même, sans se grossir d'une masse nouvelle de profits, que l'on observe le plus clairement les lois de ses échanges, de ses métamorphoses et de ses phases successives. Le caractère mercantile de ce mode de production (échanges entre équivalents) avec l’anarchie de la production qui en résulte, n'est pas troublé alors par l'apport, aux effets complexes, de la plus-value qui déséquilibre les échanges, perturbe les phases que parcourt le capital et déforme ses métamorphoses successives : nous sommes en présence du phénomène pur, le plus favorable à l'hypothèse scientifique.
Si la crise a son centre, son foyer, dans la production, elle manifeste ses effets les plus ravageurs dans la sphère de la circulation proprement dite, où le capital trouve ses pires limitations - la distribution sur le marché, le commerce avec les banques, la bourse, etc. La crise est le point où la production de plus-value entre en conflit avec le mode de distribution mercantile, où l'échange avec plus-value en sus de l'ouvrier avec le capitaliste dans l'entreprise s'oppose à l'échange entre équivalents des marchandises sur le marché.
Considérons quelques-unes des métamorphoses que le capital productif doit subir dans sa folle course de handicap pour se valoriser : ce sont autant de points critiques où la crise peut éclater. Avec le capital qu'il avance, l'entrepreneur commence à acheter d'abord sur le marché du travail la main-d’œuvre dont il a besoin celle-ci peut être trop ou pas assez nombreuse, adaptée à sa production ou non, etc., ensuite sur le marché du capital, le capital constant (machines, matières premières, etc.) qui peut être acheté trop cher, en quantité et en qualité non appropriée, etc.
D'ores et déjà, il peut y avoir crise (pour tout le [73] capital) ou « crisette » (pour un seul capitaliste), ce premier échange se réalisant avec plus ou moins de bonheur. Il peut même ne pas trouver sur le marché : local ce que la production sociale a pourtant fabriqué, puisque la distribution et le marché obéissent à des lois spécifiques - celles de rappropriation privée. Au niveau social, l'adéquation de la main-d'œuvre à la production implique que la section I qui produit les moyens de production pour le capital constant et la section IIb s’harmonisent avec la section IIa (essentiellement l'agriculture) qui produit les moyens de subsistance nécessaires, au capital variable (c'est pour l’essentiel le nœud de la crise actuelle en Russie). D'où possibilité de chômage ou de tension trop forte de la main-d'œuvre. Sous le capitalisme, ces deux sections de la production ont, également, des évolutions et des lois différentes. Dans l'agriculture, par exemple, outre le profit perçu par le fermier, on a une rente pour le propriétaire foncier, ce qui renchérit l'alimentation des ouvriers et les matières premières à transformer.
Après la phase A-M sur le marché, le capital-marchandise traverse le procès de production qui peut donner lieu à de multiples accrocs : mauvaise adaptation de la main-d'œuvre aux machines ou aux matières à transformer ; installations insuffisantes ou en excédent par rapport aux ouvriers ou à la matière première ; capacités de l’appareil productif sous-employées, comme dans la sidérurgie française, qui n'a travaillé fin 1917 qu'à 60 % de ses possibilités techniques. Et le capitaliste doit enfin transformer son capital-marchandises en argent sur le marché (M-A) : les produits fabriqués peuvent s'avérer d'une qualité impropre ; ils peuvent ne pas trouver une demande solvable correspondant à leur quantité et qualité, et ainsi de suite.
Une crise éclate, quand le capital ne parvient pas à sauter l'un de ces obstacles. Il se dévalorise alors - et, pour tout ou partie, est mis au rebut ou détruit : « Supposons que l'un de ces trois procès échoue - et [74] cette possibilité existe pour chaque cas particulier, du simple fait de la coupure existant entre les divers procès -, le capitaliste aura transformé son argent en un produit dénué de valeur : non seulement il n'aura gagné aucune valeur nouvelle, mais il aura perdu sa valeur primitive. Que cela se produise ou non, la dévalorisation reste un élément du procès de valorisation, ne serait-ce que parce que, dans sa forme immédiate, le produit du procès de production n'est pas valeur, puisqu'il doit d'abord entrer dans la circulation pour se réaliser en tant que telle. Si le procès de production crée donc le capital sous forme de valeur et de valeur additionnelle, il le crée aussi et, d'abord sous forme de non-valeur, puisque l’échange doit par la suite le valoriser » (Grundrisse, t. 2, p. 262).
La seconde raison pour laquelle Marx se place au niveau de la reproduction simple en vue d'étudier les crises est la plus évidente : c'est un point dialectique, comme le malheureux zéro tant honni des mathématiciens officiels, parce qu'il n'a aucun contenu et représente seulement le point de passage dialectique, où + 1 se mue en 1 [51].
La crise est le, point où le taux de profit tombe à zéro au moment précis où la masse de capital (surproduction) est la plus gigantesque. La reproduction croissante se renverse alors en son contraire. De potentielles, les contradictions du capital deviennent cinétiques ou explosives. Il entre non seulement en contradiction stridente avec sa propre exigence de s'élargir, mais il cesse encore de circuler en quantité, constante, autrement dit, il se développe régressivement au-dessous de la reproduction simple : ses indices de production chutent. Une partie de la valeur qui a déjà pris la forme de capital productif - industriel ou agricole - est détruite (dévalorisée), et la somme des moyens de production qui circulent dans la société comme capitaux, diminue par rapport au niveau historique précédemment atteint.
[75]
La troisième raison est que la reproduction simple constitue un terrain critique pour le capital, car c'est là où apparaissent toutes les tares de ce mode de production, et qu'elles lui sont fatales. C’est là où le capital a, plus, que jamais, un besoin impérieux de se reproduire intégralement - sous peine de manger sa propre substance, voire de se dévaloriser entièrement. Lorsque la croissance est nulle, le capital dispose de moins de ressources pour compenser les pertes de son laborieux système de circulation où, à chaque pas, il doit s'adapter à une demande ou à une production laissée à l'initiative privée qui engendre inévitablement, des faux frais et des déchets, des retards et ides ralentissements. Alors que le gaspillage et la dilapidation du capital ralentissaient simplement l'essor de la production quand le taux de profit était élevé, ils conduisent à des indices négatifs au niveau de la reproduction simple.
En se plaçant uniquement au niveau de l'échange, un apologiste enragé du système capitaliste niait purement et simplement que les crises détruisaient du capital. A ses yeux, les patrons en faillite perdaient ce que récupéraient ceux qui survivaient, et le capital se concentrait, voire se renforçait : « Il est parfaitement faux d'affirmer comme lord Overstone, authentique usurier et homme d'argent, que les crises ne signifient rien d'autre que des profits énormes pour les uns et des pertes terribles pour les autres [52] ».
Lord Overstone avait cependant une excuse il n'a pas connu les gigantesques effondrements des appareils productifs de l'ère impérialiste. (Par exemple, en France, où l'indice 100, en 1913 de la production industrielle est tombé à 43 en 1918, et aux U.S.A., où l’indice 103 en 1929 avait chuté à 51 en 1934 : la guerre vaut pratiquement la paix à ce compte!)
Un cas dramatique de crise multidécennale aiguë au niveau de la reproduction simple, avec des phases agitées d'accumulation en plus et en moins, est celui de l'Allemagne qui avait atteint l'indice 100 de production [76] en 1913 et ne l'a dépassé à nouveau qu'en... 1951. C'est la période, par excellence, des guerres et des révolutions en Europe.
Enfin, le choix de Marx a une signification polémique. Il critique le « socialisme » à la Lassalle où l'on donnerait au travailleur tout le produit de son travail en supprimant le profit, de sorte qu'il n’y aurait plus d'accumulation élargie. Du même coup, il réfute à l'avance les élucubrations modernes sur « la croissance zéro » de l'économie.
Crise et limitations du capital
Voyons maintenant comment la loi de la baisse du taux de profit liée à l'élévation de la composition organique du capital - après avoir suscité l'éléphantiasis de la surproduction quand le capitalisme a augmenté au maximum la masse de ses profits pour compenser la baisse de leur taux - trouve sa répercussion sur le marché. En effet, nous dit Marx, le capital surproduit par rapport au mécanisme mercantile et monétaire, le débouché, la demande solvable. La crise se manifeste donc sur le marché, et à partir de celui-ci répercute sa sentence sur le procès de production.
Dans la 1re section, chapitre 2 § I sur la Reproduction simple du Second livre du Capital, Marx décrit de la façon la plus suggestive comment la mécanique capitaliste s'enraye. C'est sur le marché qu'il décèle les germes d'une crise due aux particularités mercantiles de la production capitaliste. Il y laisse de côté la consommation de l'ouvrier et du capitaliste pour ne considérer que les échanges de capital à capital à un niveau constant de reproduction : « Dès que le fil, par exemple, est vendu, le cycle de valorisation du capital peut recommencer pour un même montant, quel que soit le sort réservé à ce fil vendu. [Il, est, en fait, entre-les mains du grossiste qui ne le revendra [77] qu'après. N. d. Tr.] Or, tant que le produit se vend, tout procède, normalement pour le producteur capitaliste. Le cycle de la valorisation du capital qu'il représente ne sera pas interrompu... Ainsi donc, le procès de production tout entier peut se trouver dans l'état le plus florissant [Marx dit même que, si le capitaliste investissait une partie du profit au lieu de le manger, il pourrait élargir la sphère de reproduction de son capital. N. d. Tr.]. En effet, la valeur se réalise continûment et le procès de reproduction du capital se poursuit. Cependant, une grande partie des marchandises n’est entrée qu'en apparence dans la consommation, c'est-à-dire se trouve encore sur le marché, car elle, reste invendue entre les mains des revendeurs [les grossistes ou les détaillants qui ont déjà payé le fil au capitaliste, de sorte qu'il continue de produire et de réinvestir. N. d. Tr.]. Or, voici que surgit un nouveau flot de marchandises et l'on découvre que le premier arrivage n'a été absorbé qu'en apparence seulement par la consommation. Les capitaux-marchandises se disputent alors réciproquement la place sur le marché. Les derniers arrivés, pour trouver acquéreur, sont vendus au-dessous de leur prix [si bien que la reproduction ne pourra plus s'effectuer au même niveau de valeur que précédemment. N. d. Tr.], tandis que les arrivages précédents de marchandises ne sont pas encore devenus fluides sur le marché, bien que l'échéance de leur paiement soit arrivée. Leurs possesseurs doivent se déclarer insolvables ou vendre à n'importe quel prix, pour pouvoir payer. Cette vente n'a absolument rien à voir avec l'état effectif de la demande, mais reflète simplement un besoin de moyen de paiement, autrement dit la nécessité absolue de convertir les marchandises en argent. À CE POINT, LA CRISE ÉCLATE [car ceux qui auront vendu à perte achèteront moins dans un autre secteur, de sorte que les ouvriers y produiront moins, et les capitalistes feront moins de profits, et investiront moins. Le cercle vicieux [78] est engagé. N. d. Tr.]. On ne pouvait pas déceler cette crise dans une diminution immédiate de la demande individuelle de consommation ; elle se manifeste dans la décroissance des échanges de capital contre capital, du procès de reproduction du capital [53] ».
En somme, il suffit de dissocier une phase de l'autre, pour que le procès de circulation du capital s'interrompe et que toute la production se bloque.
Marx dit que cet exemple illustre une crise d'échange de capital à capital, c'est une crise que le marché met simplement en évidence. Ce que les ventes apparentes, mais non effectives, révèlent, en effet, c'est que l'entrepreneur capitaliste ne domine pas le marché, la tâche de réaliser son produit en argent étant confiée au marchand, et que le marché est trop étroit pour le fabricant qui a surproduit. La crise qui éclate en conséquence, provient de l'impossibilité de convertir du capital en capital pour continuer le procès de reproduction au même niveau. De fait, la production et la reproduction du capital impliquent les métamorphoses suivantes : A (argent) qui achète M (marchandises que sont les matières premières, les machines, et la force vivante du travail) pour produire, puis la transformation de M (marchandise produite) en A (argent) pour reprendre le processus.
Cet exemple illustre aussi le dualisme grossier qui engendre gaspillage et crise : le capital doit exister à la fois comme marchandise et comme argent, dans la production et la circulation, l'industrie et le commerce, le capital étant à la fois valorisation et dévalorisation, la surproduction (surinvestissement et gaspillage) allant de pair avec la sous-consommation : « Le capital est à la fois unité de la circulation et de la production, et leur différence dans le temps et dans l'espace » [avec la possibilité de leur conflit, de la dégradation de l'un pour assurer le bon fonctionnement de l'autre. N. d. Tr.] « Un même capital apparaît à la fois sous les deux [79] formes différentes. Ainsi l’une de ses parties se trouve toujours sous la première forme, et l'autre sous la seconde - l'une est immobile, l'autre circule... Même pour le commerçant, une partie du capital est immobilisée sous forme de stocks, et l'autre roule. Certes, chacune apparaît successivement sous l'autre forme, comme cela se produit aussi pour l'industriel, mais son capital est continuellement divisé en ces deux formes. La division de ces deux déterminations tait apparaître le procès de valorisation comme un procès de dévalorisation : elle est en contradiction avec la tendance du capital à se valoriser le plus possible. Pour réagir, le capital invente des EXPÉDIENTS en vue d'abréger cette phase d’immobilisation [54]. »
Parmi ces expédients, il y a le crédit qui appelle tout naturellement l'inflation. Mais, nous dit Marx et l'expérience des années 1970 confirme son pronostic, ces expédients pour abolir les limitations inhérentes au capital ne font que pousser à la surproduction, et donc à la crise, qu'ils devaient précisément éviter - et les forces productives pléthoriques entrent alors d'autant plus gravement en conflit avec la nature mercantile de la production capitaliste. Il apparaît alors que la surproduction, résultat nécessaire de l'économie mercantile capitaliste, est synonyme de dilapidation et de gaspillage, donc de crise, parce que le capital pose des entraves à l'essor productif démesuré qu'il suscite.
Le secret fatal au capitalisme que Marx révèle ici, c'est qu'il est un mode de production borné qui tend irrésistiblement à se dépasser ; il surproduit quand il cherche à surmonter ses limites et doit dilapider ou détruire une partie de la valeur du capital pour retrouver un niveau de production qui lui soit compatible. Il ne peut se valoriser qu'en se dévalorisant. C'est pourquoi aussi il produit doublement, en opposant la production à la circulation - d'où une source infinie de gaspillage, de dilapidations et de destructions, dont les crises sont l'expression la plus concentrée.
[80]
La raison profonde des crises est que l'humanité laborieuse a développé les forces productives pour ainsi dire en progression géométrique ce qui explique le phénomène de la surproduction qui se heurte toujours plus gravement à la forme d'appropriation et de distribution bourgeoise. Il faut être aveugle pour ne pas voir la cause réelle de la perpétuelle menace de surproduction qui guette le capital, dans les puissances productives prodigieuses que recèle la carcasse de l'ouvrier moderne. Son heure de travail a, en fait, une densité multipliée par le savoir-faire, l'ingéniosité et l'efficacité de toutes les générations laborieuses du passé et de tous les pays. Archimède, le barbier Arkwright, l'ouvrier anonyme chinois, africain ou sud-américain qui « inventa » telle espèce nouvelle de plantes ou mit au point tel procédé de culture sont en action dans le Prométhée qu'est l'ouvrier d'aujourd'hui.
Du volcan de la production, le travail humain éructe des masses de marchandises toujours plus grandes, et le feu du travail prolétarien consume les limites mesquines des lois régissant l'économie de classe du Capital qui ne peut tourner que s'il réalise ce profit, qui n'est pourtant qu'une mince partie du produit. Or, cette petite marge excédentaire est calculée par la valeur d'échange qui évolue en sens contraire des valeurs d'usage, puisque leur prix monétaire baisse avec le rendement croissant du travail humain : une même heure de travail donne une même valeur, mais des articles de plus en plus nombreux.
Lorsque les marchandises en surproduction se sont accumulées à la suite d'une longue période d'intense travail productif, la crise éclate ; le capital ne faisant plus de profit, si elles ne sont pas vendues et payées, il ne peut plus continuer de produire. Les profits restent alors enfouis dans la montagne de marchandises invendues, et mettre encore du travail nouveau en mouvement pour produire n'a plus de sens pour le capitaliste. Au contraire, cela ne ferait qu'aggraver ses difficultés [81] à réaliser son profit. Cependant, les ouvriers sont parfaitement capables de produire encore, toujours, mieux et davantage - ce qui se manifesterait au grand jour, s'ils pouvaient produire pour leurs besoins, sans le préalable de la petite frange du profit, la production pour la production, c'est-à-dire en dehors des limitations de l'appropriation privée, de la valeur d'échange, du marché, et donc du salariat et de l’argent. C'est alors qu'il pourrait limiter sa production à la satisfaction de ses besoins - et il n'y aurait plus ni surproduction, ni crise. La terre cesserait d'être épuisée et le travailleur frénétiquement exploité.
[82]
[1] Au début de l'Idéologie allemande (cf. Éditions sociales, 1968, p. 48). Marx donne un exemple historique de convulsions économiques et sociales (déclin de l'industrie, de l'agriculture et du commerce, recul démographique, etc.) qui, sans être une crise, ont conduit à une révolution sociale (passage de l'esclavagisme au féodalisme) après une importante destruction de forces productives.
[2] Cf. Engels, Antidühring, Mega, p. 298.
En somme, la surproduction, spécifique au mode de production capitaliste, se lit essentiellement dans l'éléphantiasis croissante de l'industrie lourde, et la sous-consommation dans le déclin relatif de l'agriculture : cf. Fil du Temps, no 6, sur la Question Agraire et le Marxisme, chapitre intitulé : Jamais le capitalisme n’enlèvera la faim humaine, p. 129-149.
Dans son introduction à Travail salarié et Capital du 30-IV-1891, in Werke 22, p. 209. Engels explique que la surproduction a pour corollaire nécessaire la sous-consommation. « La fécondité du travail humain qui s’accroît chaque jour dans des proportions inouïes, crée à la fin un conflit dans lequel l'économie capitaliste actuelle ne peut que sombrer : D'un côté, des richesses incommensurables et une pléthore de produits que les usagers ne peuvent absorber. De l'autre, la grande masse de la société transformée en salariés, prolétarisée, et mise par ce fait même dans l'incapacité de s'approprier cet excédent de produits. La coupure de la société en une petite fraction immensément riche et en une grande classe de salariés non possédants fait que cette société étouffe sous son propre superflu, alors que l'immense majorité de ses membres n’est presque pas, ou même pas du tout, protégée contre l’extrême misère. »
Cette disparité provient de ce que le capital a tendance à produire des marchandises spécifiques (celles de l'industrie sont les plus susceptibles de donner du profit et passent donc avant celles de l'agriculture servant à l'alimentation humaine). Il s'ensuit l'inégalité de développement des branches de la production sociale, les crises et les conflits. La sous-consommation humaine augmente en même temps que s'accroît la surproduction de capital. Ainsi, tout au long de cet après-guerre de records des hauts indices productifs, avons-nous déjà pu voir grossir la crise (sous-consommation notamment des peuples de couleur du Tiers monde en face de la surproduction de l'industrie lourde et d'articles de luxe dans les métropoles blanches).
[3] Cf. Engels, Antidühring, in Mega, p. 285-86.
[4] Cf. Marx, Grundrisse, Ed. 10/18, t. 2, p. 168.
[5] Dans les temps difficiles, la façon de calculer les statistiques varie au maximum : en Russie, par exemple, les récoltes étant chroniquement déficitaires - surtout après que la priorité a été donnée à l'industrie aux dépens des moyens de subsistance - le gouvernement, depuis 1933, ne publie plus que la « production théorique » de céréales, c'est-à-dire mm les diminutions de poids au séchage, les pertes durant la récolte, le transport et le stockage (qui sont énormes dans cet immense pays aux rudes intempéries aggravées par le manque d'infrastructures). Après la catastrophe agraire de 1931 due à la réorientation de l'économie russe à la Staline, on gonfla ainsi les chiffres par rapport aux années précédentes.
L'Occident hypocrite est plus rodé dans ses manipulations, mais il ne craint pas non plus de truquer carrément les statistiques : Il apparaît, par exemple, que, pour des raisons politiques, les États-Unis aient été très gênés par l'évolution de leur production industrielle en 1954-1955 (en pleine croisade pour le bien-être et l'émulation avec la Russie). Ainsi l'ont-ils chiffré dans un premier temps à - 7,2% pour 1954 et + 11,3% pour 1955 (O.C.D.E.), puis en un second temps à - 5,2% pour 1954 et + 11,9% en 1955 (O.N.U., Growth of World Industry 1938-1961 : New York 1963), tandis que les Russes (Varga) annonçaient -9,4% puis + 14,2% - chiffres probablement plus exacts, étant donné les graves changements politiques qu'ils en déduirent : coexistence pacifique avec un ennemi plus puissant que jamais et fin « entreprises armées, telles que celles de la Corée.
En général, les « pondérations » nouvelles recherchent la plus grande gloire nationale possible, ou au moins, tentent-elles de sauver la face. L’année de référence de l'indice de la production industrielle change subitement : or, la courbe varie considérablement d'allure selon que, l'année de référence est celle d’une production forte ou celle d'une production faible.
Depuis 1970, on voit apparaître de plus en plus de tirets et de barres dans les séries statistiques : « De telles séries ne peuvent être comparées les unes aux autres, même si leur période de base est identique, (Annuaire Statistique de 1975 de l'O.N.U., p. XVIII. Par exemple, le ciment U.S., dont la production dégringole dangereusement, n'est plus du simple ciment, c'est : « A partir de 1976, livraisons. Non compris le ciment naturel! » Nous ne voulons pas parler ici des moyennes nationales qui noient allègrement les différences extrêmes de classe et les contradictions les plus graves de l'économie bourgeoise.
[6] Le lecteur sera peut-être étonné de voir que nous mêlons dans cette Introduction l'actualité aux textes et aux citations de Marx d'il y a un siècle. Mais pourquoi publier aujourd'hui Marx, si - comme on s'acharne à le répéter - il était « mort » ? S'il ne nous servait pas de clé pour déchiffrer le monde dans lequel nous vivons ? Citer Marx sans commentaire actuel et partisan (eux-mêmes le furent toute leur vie : cf. le Parti de classe, P.C.M., en quatre volumes sur leur conception et leur activité de parti), ce serait vider leur œuvre de toute signification pour nous. Est-ce donc un hasard, s'il a fallu attendre l'actualité pour que le public s'intéresse aux textes de Marx-Engels sur la crise ? La prétendue objectivité « marxologique » brouillerait même la compréhension des textes de Marx que le lecteur ne peut saisir que par rapport à sa propre expérience économique et politique dans la vie quotidienne.
[7] Ce recueil sur la crise a été précédé par la critique de la théorie du bien-être de cet après-guerre sénile et parasitaire, cf. Marx-Engels, la Critique de Malthus, Petite Collection Maspéro, 1978, 317 p. C'est Keynes lui-même qui tient Malthus, le théoricien de la rente, pour l'inspirateur de l'école du bien-être. Il écrit dans Essays in Biography, Londres, Macmillan & Co, 1922, p. 144 : « Si seulement Malthus, à la place de Ricardo, avait été le père dont a procédé l'économie du XIXe siècle ! Le monde en eût été plus riche et plus avisé. » .
Galbraith souligne, dans son ouvrage sur l’Argent, que la théorie du bien-être ne procède pas seulement de Keynes : « Au milieu des années 30, il existait aussi une application avant la lettre du système keynésien. C'était la politique d‘Adolf Hitler. Celui-ci avait trouvé moyen de guérir le sous-emploi avant que Keynes ait fini d'expliquer comme cela se fait. »
[8] Cf. Marx, le Capital III, in Werke 25, p. 501.
[9] Est-ce du communisme grossier (dont Marx critique l'ascétisme et le nivellement des besoins lorsqu'il évoque le communisme à son stade développé) que de critiquer le luxe ? C'est une chose que de s'en prendre aux privilèges des classes dominantes et de leurs larbins dans une société qui impose, par l'argent, l'usage des choses futiles et secondaires, avant que soient satisfaits les besoins les plus essentiels des larges masses, à savoir s’alimenter sainement, se vêtir décemment, se loger pratiquement et avoir quelques heures de repos après le travail, et c'en est une autre de définir les principes de la société communiste, fondée sur l'épanouissement en tout sens de l'homme, après que soient satisfaits ses besoins élémentaires.
[10] Cf. l'éditorial intitulé Pas si simple de la revue Cérès de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (F.A.O.), no 45, p. 6.
La dégénérescence de l'agriculture industrielle capitaliste se déduit des quelques chiffres suivants, tirés de l'article de Georg Borgstroin (Cérès, no 42, le Coût d'un tracteur) : « Avant que les machines et le combustible ne fussent utilisés dans la production agricole, environ 16 calories pouvaient être produites par calorie d'intrant » (p. 18). Or, aujourd'hui, aux États-Unis, par exemple, où le travail humain est remplacé par des machines pour augmenter prétendument la productivité, il faut pour obtenir 1 calorie « énergie alimentaire dépenser II fois plus de calories pour avoir du mais et 80 fois plus pour avoir 1 calorie de viande : « Si la population mondiale actuelle de 4 milliards suivait le régime alimentaire américain, les coûts énergétiques annuels seraient de 5,6 milliards de litres de pétrole. Faisons l'hypothèse que les réserves de pétrole connues sont utilisées uniquement aux fins de la production alimentaire. En ce cas, elles seraient épuisées au bout de treize ans, si elles devaient nourrir 4 milliards de personnes sur le modèle alimentaire américain » (Cérès, n' 59, Johan Galtung, Du berceau à la tombe, p. 21).
[11] Cf. Cérès, no 58, Amartya Sen, les Poulets statistiques, p. 15. L'auteur a lui-même été témoin des tragiques événements qu'il relate. Il déduit que, dans les économies précapitalistes, « le système d'échange, pour sa part, ne dresse pas de barrière entre la nourriture et les bouches à nourrir », alors qu'aujourd'hui, ce sont « les formes de l'échange qui sont à l'origine de la sous-alimentation chronique et de la malnutrition (p. 16).
[12] Cf. Fr. M. Lappé et J. Collins, les Huit mythes de la faim, in Cérès, no 58, p. 24.
[13] En fait, les Américains sont infiniment plus dépendants de l’étranger que les Russes pour ce qui concerne leur agriculture (et donc leur alimentation). Il suffit d'un chiffre pour en donner une idée : pour fournir l'alimentation d’un seul citoyen américain, il faut 1 500 litres de pétrole. Or, les États-Unis importent désormais du reste du monde et notamment des pays arabes 41% de leur consommation de cette précieuse source d'énergie. Cf. Cérès, no 59, l'article de D. et M. Pimentel, Compter les kilocalories, p. 18.
[14] La classe des propriétaires terriens est la troisième des classes fondamentales de la société. Son poids économique est décisif pour la détermination du niveau et de la structure des prix, c'est-à-dire la préférence pour tel produit plutôt que tel autre (priorité donnée par le capital à l'industrie. lourde et au luxe sur la production alimentaire qui est grevée de la rente). La puissance des propriétaires fonciers vient de ce qu'ils dominent les deux sources de toute production : la population, dont ils commandent l'alimentation, et la terre qu'ils possèdent. Marx explique le parasitisme croissant du capitalisme sénile dans les Théories sur la Plus-value, cf. par exemple au chapitre : la Thèse de Ricardo sur l'augmentation incessante du prix des céréales. Nous y lisons, par exemple « La population croit sans cesse et avec elle la demande de produits agricoles. Ceux-ci augmentent donc de prix » (Werke 26.2, p. 126).
[15] Cf. Cérès, no 55, p. 12, les gras et les maigres. Source : F.A.O.
[16] Cf. A. Bergeret et D. Théry, Il n’y a pas de, mauvaises, herbes, in Cérès, no 50, p. 30.
[17] Cf. Marx à, Danielson. 19.11.1881.
[18] Pour remettre en marche les usines arrêtées par la guerre dans l’Europe ruinée de 1945, il ne fallait pas investir d'énormes masses de capitaux. Il suffisait de nourrir (plutôt mal) les ouvriers qui produisaient, en avançant le capital variable. Tel fut l’essence du plan Marshall qui assura aux Américains l'hégémonie économique sur l'Europe, dominée déjà politiquement et militairement : cf. le Fil du Temps, no 12 sur la Perspective révolutionnaire de la crise le chapitre sur Shylock et les boîtes de conserve, p. 21-24 et l'article Encore l’Amérique, p. 54-61.
[19] Pour le marxisme orthodoxe, la clé des faits aussi bien quotidiens qu'exceptionnels se trouve dans la base économique. Ce ne sont ni les politiciens ni les dictateurs qui font les événements politiques et militaires : ceux-ci sont dictés par les hauts et bas des indices de la production. L’allure de la courbe des indices de la production révèle les déterminations profondes de la politique des États.
Cette méthode est exposée et appliquée dans l'étude de parti sur le Cours du capitalisme mondial dans l'expérience historique d’hier et d’aujourd’hui confrontée à la doctrine de Marx publiée dans Il Programma Comunista de 1956 à 1961. Nous en tirons notre argumentation, l'essentiel de nos démonstrations, ainsi que les données statistiques historiques que nous avons complétées pour la période successive, en nous basant sur les sources officielles (O.N.U. O.C.D.E., B.I.T., F.A.O., F.M.I., I.N.S.E.E., etc.) ainsi que les annuaires statistiques des différents pays, dont la Russie, et les discours et comptes rendus officiels des congrès, etc.
Un exemple classique de la détermination d'un événement politique par une « courbe de production » ost donné dans ce texte à propos de la tactique de renversement des alliances, prônée par Staline au congrès de 1939, en vue de battre le capitalisme en deux temps ou deux manœuvres. L’origine s'en trouve dans la chute des indices de la production américaine de 1938. On sait que cette tactique décida de la participation de la Russie à la seconde guerre mondiale : « On commence l'année 1938 avec une brusque chute de l’indice de la production américaine qui passe de 105 à 78. C'est ce que nous appelons la « crise de Staline », qui, dans son discours de 1939, la commenta, en y trouvant « le signe de la décadence de l'impérialisme et de l'imminence de la guerre ». Un autre écart de l'indice de la production américaine dicta l'autre volteface décisive de toute la politique mondiale du cours de cet après-guerre : « La seconde partie de 1952 laisse facilement prévoir la nouvelle dépression de 1953-1954 (parce qu’elle dura de juillet 1953 à août 1954). A ce moment-là, toute la propagande russe - à la mort de Staline et sous le règne de Béria et de ses amis - est encore orientée vers la thèse que le capitalisme est sur le chemin de l'effondrement ou du moins de fortes crises, dont on se sauvera encore une fois, sinon avec la guerre générale,, du moins avec des incidents partiels qui font le tour du monde habité » (cf. Programma Comunista, n. 19 de 1956, les Diagrammes des Indices : Amérique).
Il suffit de la remontée de 14,2% de l'indice américain de 1955 pour déterminer la volte-face du XXe Congrès qui reniait les « méthodes brutales » de Staline, et « lançait au monde entier la consigne de la paix générale, de là compétition amicale et de la voie pacifique aux conquêtes du socialisme ». Nous avons là, « l'évidente réaction de Moscou à la grande reprise américaine de 1955 qui se maintint en 1956 » (ibid.).
La prévision de la crise de 1975, dont les marxistes révolutionnaires ont eu l'intuition en 1926, lors du nouvel alignement des forces résultant de la défaite des révolutions socialistes en Russie, en Hongrie et en Allemagne à la suite de la Première Guerre mondiale, a été confirmée scientifiquement par les faits de cet après-guerre et par l'allure des courbes de production des principaux pays du monde dans la grande étude des années 1957-1961. Cette même étude déduisait alors que la récession (le 1957-58 ne pouvait se comparer à celle de l'entre-les-deux-guerres de 1929, et que le capitalisme drogué par l’inflation, le bien-être artificiel, la course aux armements, etc. déboucherait directement sur la crise historique de 1975. Cf. note 29.
[20] Cf. Marx, le Capital I, in Werke 23, p. 598. L'importance décisive de la section des moyens de subsistance (en gros, l'agriculture) - n'en déplaise à Staline qui accordait la priorité à l'industrie lourde capitaliste - ressort aussi de la confrontation de la théorie classique de Ricardo avec celle vulgaire de Malthus. Cf. Marx-Engels, la Critique de Malthus, P.C.M., p. 13-19 : Défaite de Ricardo, et p. 168-173 sur le travail productif et improductif (de capital).
[21] Pour Marx, les crises, si elles sont générales, se prolongent en guerre ou en révolution. En réalité, la guerre est, liée à la révolution. Pour Engels, toute guerre de la bourgeoisie est dirigée en premier contre le prolétariat. La bourgeoisie ne peut imposer sa solution - la guerre - qu'après une première défaite des ouvriers. La bourgeoisie en est parfois consciente, et, quand elle est en difficultés, elle cherche à provoquer la guerre pour parer à une révolution : Cf. Engels à P. Lafargue, 25-26-X-1886 et 3-X-1889. Déjà la guerre de Crimée de 1854-56 avait été une telle guerre de diversion, cf. Marx-Engels, Ecrits militaires, Ed. l'Herne, p. 307-320.
[22] Les guerres deviennent impérialistes, dès lors qu'elles se font sur la base de l'économie capitaliste, et le prolétariat doit refuser alors son soutien à la bourgeoisie, car elles ne sont plus qu'un moyen d'élargir ou de conserver ce mode de production borné qui détruit périodiquement les forces productives pour se régénérer et survivre - comme les deux dernières guerres mondiales, par exemple, l'ont montré. Tous les mots d'ordre idéologiques pour justifier ces « croisades » - par exemple, la défense de la démocratie (ou les droits de l'homme) contre le fascisme (ou le soi-disant communisme russe) - ne sont alors qu'une mystification destinée à embrouiller le prolétariat et à parer de justifications morales la solution stérile que la bourgeoisie donne périodiquement à la crise de surproduction du capitalisme. Le pays qui a le plus radicalement liquidé la surproduction bénéficiant de la reprise la plus longue et la plus forte, il importe peu que les Allemands ou les Français gagnent la guerre. Il n'y a plus lieu de se battre ! Et vive alors le défaitisme révolutionnaire ! La bourgeoisie qui ne voit aujourd'hui la révolution que sous les traits du « terroriste », et prêche la non-violence, devra alors faire un virage à 180 degrés dans sa propagande contre ceux qui seront alors opposés à la violence de la guerre impérialiste et jetteront les fusils, voire les retourneront contre elle, s'ils ont enfin compris le sens des prêches vertueux des capitalistes en mal de dominer corps et esprits pour faire des profits.
[23] Cf. Marx, Théories sur la plus-value, in Werke 26/2, p. 519.
[24] Cf. la Misère de la philosophie, Ed. Soc., 1972. Marx y explique que le capitalisme tend irrésistiblement à produire des articles de plus en plus misérables. Il passe de la soie, à la laine, puis au coton, etc. car la camelote a « la prérogative fatale de servir à l'usage du plus grand nombre » et « d'être moins coûteuse à produire » (p. 72 et 73).
[25] Est-ce à dire qu'il faut attendre en faisant l'autruche ? Spinoza (que Marx lisait avec plaisir) disait, en déterministe conséquent, que la connaissance d'un fait nécessaire permettait le mieux de réagir : « Plus nous avons d'idées adéquates, et plus nous pouvons agir » (Spinoza, l’Ethique, éd. 10/ 18, p. 147).
[26] Dans sa lettre du 2-11-1858, Marx demandait à Engels quelle était la durée moyenne de vie des machines dans la branche du coton où il travaillait : « En effet, l'espace de temps après lequel les machines sont, en moyenne, renouvelées est un élément important pour l'explication du cycle de plusieurs années que parcourt le mouvement industriel depuis que la grande industrie s'est affirmée. » Engels lui répondit que les machines avaient une tendance rapide à accroître leur durée (13 ans en 1858 contre 5 ans en 1832). On dit que cette durée moyenne est de nos jours de 30 ans. Cela allonge la distance entre les crises historiques, puisque celles-ci semblent liées en partie au fait que les capitalistes doivent remplacer tout d'un coup leur capital fixe qui est usé progressivement.
[27] Cf. Engels, Contribution à l'histoire de la Ligue des communistes, 8-X-1885.
[28] À la fin, les bourgeois ont admis que la reprise de 1976 n’en était peut-être pas une, puisqu'elle n'a servi en France, par exemple, qu'à gonfler les stocks qui, à la fin de 1976, étaient déjà de 20,3% au-dessus de la moyenne normale - contre + 26,4% au milieu de 1974 et -16,1%, après la dégringolade de la production entre les mois de juillet de 1974 et 1975 : cf. P. Dubois, les Stocks et les saccades de la croissance, in le Monde, 13-XII-1977.
[29] Cette prévision de la crise - ou du tournant historique - de 1975 est le fait de tout le courant communiste resté fidèle à la vision selon laquelle on ne change pas le capitalisme sans la classique révolution internationale. On peut la relier à certaines intuitions de Lénine, parlant, par exemple, de « plusieurs générations enchainées » au cas où la révolution russe et européenne serait battue (cf. Discours de Lénine sur la Situation mondiale au IIe Congrès), puis à la polémique de 1926 contre Staline où Trotsky parlait de la possibilité de tenir cinquante ans, même si la révolution était battue. Cette prévision fut systématiquement défendue dans la brochure Dialogue avec les Morts (Editions Il Programma Comunista, 1957) dont nous extrayons le passage suivant : « Trotsky parlait à ce sujet de cinquante ans, ce qui nous aurait conduit en, 1976, date approximative de la prochaine grande crise générale du système capitaliste que nous prévoyons » (p. 132). Un travail collectif intense de parti sur le Cours historique du capitalisme mondial dans les années 1951-62 accumula des données statistiques sur les courbes de production des capitalismes dominants, afin de corroborer économiquement l'intuition politique, née de la lutte de classe ainsi que du pronostic fait en 1945, à savoir qu'une longue période d'essor capitaliste allait suivre la seconde guerre impérialiste. Tout le mouvement anti-impérialiste des peuples de couleur fut évalué dans la perspective selon laquelle « les cinquante ans perdus par nous, Blancs battus dans les années 1920, pourraient être compensés grâce au mouvement d'accélération de la crise décisive par nos frères jaunes et noirs, (cf. Sur le Texte de Lénine « la maladie infantile du communisme », brochure ronéotée des Editions Programme Communiste, 1960, p. 21.
Pour être juste, disons que la revue qui porte encore le nom de « Programme Communiste » a curieusement rejeté la prévision de 1975 au moment où elle se... réalisait, et s'est mise - drôle d’argument - à traiter d’astrologues les camarades de Fil du Temps qui la revendiquent avant comme après : cf. le numéro 12 sur la Perspective révolutionnaire de la crise actuelle (1975) aussi bien que dans le numéro sur la Crise économique et sociale de Mai (1968).
[30] Marx y écrit : « L'économie vulgaire se fait, de propos délibéré, de plus en plus apologétique et s'efforce par tous les moyens de noyer les antagonismes dans le flot d'idées qu’elle exprime. Bastiat, par exemple, ne sait que plagier et dissiper par ses arguties le côté désagréable de l'économie politique classique. Mais il ne représente pas encore le dernier gradin de cette involution... Le dernier degré, c’est la forme professorale : elle procède de manière « historique » et, avec une sage modération, glane partout ce qu'il y a de « mieux », sans se laisser arrêter par les contradictions, car elle n'a qu'un seul souci : être complète. Elle dépouille tous les systèmes de ce qui était leur âme et leur force, et tous finissent par se confondre paisiblement sur la table du compilateur » (Werke 26/3, p. 492).
[31] Ceux que Jupiter veut perdre, il les rend d'abord fous. En d'autres termes, le capital se ruine de par son propre mouvement - en l'occurrence à la fin par la crise et la guerre qui suscitent la révolution.
[32] On a été éberlué, en lisant les bilans de fin d’année de la presse économique, d'apprendre subitement que nous étions en quatrième année de crise, alors qu'il n'avait été question jusque-là que de récession et de reprise. Pourquoi ce revirement ? C'est toujours pour faire l'apologie du système capitaliste. En effet, on peut souligner ainsi que le capital tient admirablement le coup après quatre années de crise, et que tout va même très bien pour les salariés dont le standard de vie s'est encore amélioré... comme vous l'apprend l'I.N.S.E.E. !
[33] Pour avoir du crédit, l'individu, plus isolé que jamais aujourd’hui, n'a pour caution que son revenu et son emploi. Il s'oblige donc vis-à-vis de son entreprise, d'une part, et de la banque, d'autre part, qui tient sa garantie de l'Etat. Le citoyen d'aujourd’hui se trouve ainsi lié par des chaînes dorées à son capitaliste à lui et à l'État, le capitaliste collectif : serf de la glèbe d'une espèce nouvelle ! Ce crédit, dit Marx, implique la confiance de tous en l’essor fructueux du capitalisme, il lui faut de surcroît vendre son âme : « Le crédit public repose sur la croyance que l'État se laisse exploiter par la finance des Juifs. En février 1848, le vieil État avait disparu, et la révolution était dirigée avant tout contre l'aristocratie financière... Déjà le crédit privé était paralysé, la circulation freinée et la production stagnante, quand là révolution de Février a éclaté. Mais la crise révolutionnaire poussa la crise économique à son paroxysme. On peut imaginer quel effet devait avoir la révolution, si l'on sait que le crédit, privé repose sur la confiance que, dans toute l'ampleur de leurs rapports, la production bourgeoise et l'ordre bourgeois restent intouchés et intouchables » (Marx, Luttes des classes en France, 1848-1850, in Werke 7, p. 22-23).
[34] Marx à Danielson, 10-IV-1874.
[35] Engels à Marx, le 15-XI-1857.
[36] Dans sa lettre du 29-VII-1879 à Cafiero, Marx écrit que « les conditions matérielles nécessaires à l'émancipation du prolétariat sont spontanément engendrées par la marche de la production ». Dans le Capital I, chap. sur la Grande Industrie XV, ix, Marx dit encore : « En même temps que les conditions matérielles et les combinaisons sociales de la production, (l'industrie) développe les contradictions et les antagonismes de sa forme capitaliste ; en même temps que les éléments de formation d'une société nouvelle, elle développe les forces destructives de l'ancienne. »
[37] Cf. Engels à E. Bernstein, 12-13-VI-1883 trad. fr. in Marx-Engels, la Social-démocratie a1lemande, 10/18, p. 176. Et Engels d’expliquer : « Toute cette bande disparate de canailles doit d’abord lutter entre elle, puis se ruiner et se discréditer, et nous préparer ainsi le terrain, en démontrant leur incapacité, les - uns après les autres - chacun à sa manière. »
[38] Dans le recueil sur la Commune de 1871 (10/18, p. 140), Marx dénonce la. Sainte-Alliance bourgeoise contre les ouvriers soulevés : « La Commune de Paris a été écrasée avec l'aide, des Prussiens qui ont assumé le rôle de gendarmes pour Thiers. Bismarck, Thiers et Favre ont conspiré pour liquider la Commune. À Francfort, Bismarck a reconnu que Thiers et Favre lui ont demandé d'intervenir » (Marx, Exposé sur la Commune au Conseil général de l'A.I.T., le 23-V-1871).
[39] L'expression a été utilisée par Marx dans le Dix-Huit Brumaire, chap. V, Ed. Sec., 1948, p. 231.
[40] Cf. Engels Angleterre 1845 et 1885, trad. fr. in le Syndicalisme, t. II, Petite Collection Maspéro, p. 187.
[41] Cf. Jean-Luc Dallemagne : Inflation et crises ou le mythe de la « stagflation», in Critiques de l'économie politique, 11-12, 1973 p. 139.
[42] Cf. l'article de E. Mandel intitulé la Récession généralisée 1974-1976 de l'économie capitaliste internationale, p. 17, in Critiques de l'économie politique, no 24-25, 1976.
[43] Cf. Marx, Le Capital II, in Werke 24, p. 265-266.
[44] Cf. Le Capital I, in Werke 23, p. 60.
[45] La crise a effectivement commencé dans les années 1970 par les convulsions économiques du monstre américain. La citation est extraite de l'étude la Structure économique et le cours historique de la société capitaliste in Programma Comunista, no 4 de 1957, chapitre intitulé : Consommation, épargne et crédit.
[46] La Seconde Guerre mondiale qui a permis aux Américains d'avancer jusqu'à Berlin, n'est qu'un prologue eu égard aux ambitions impérialistes américaines. Dès 1949, on pouvait lire dans notre presse. « C'était un épisode d'une seule et même invasion, commencée en 1917 et, comme le montre Versailles, menée en direction de Berlin. Mais l'Allemagne en est-elle le seul objectif ? Non certes, et les imbéciles qui en Europe ont applaudi alors à l'entreprise américaine se sont lourdement trompés, car c'est toute l'Europe qui est visée, jusqu'à Moscou! » (Cf. Le Fil du Temps, no 12, p. 84, l'article intitulé Agression à l’Europe.) Et Staline a sacrifié 23 millions de Russes pour faire avancer l'ennemi jusqu'au cœur de l'Europe ! Pauvre stratège « génial » !
[47] Du point de vue politique, on ne peut cependant s'attendre que ce renversement de la prospérité en crise fasse éclater aussitôt la révolution. Il faut tenir compte que la prospérité n'a pas préparé particulièrement les ouvriers à cette tâche. A ce propos, Engels écrit : « Il serait souhaitable, avant la seconde secousse décisive, que nous ayons cette « amélioration » qui d'aiguë rend la crise chronique. Une pression de longue durée est nécessaire pour échauffer les populations. Alors, les prolétaires frappent mieux et avec plus d'ensemble - parce qu'ils savent pourquoi ils le font. C'est exactement comme une charge de cavalerie qui a un bien meilleur résultat, si les chevaux ont pu d'abord parcourir une bonne distance au trot, pour lancer le rush final sur l'ennemi. Je ne voudrais pas que la seconde secousse arrive trop tôt - l'Europe tout entière doit être la proie de la crise, sinon la lutte, serait plus difficile et traînerait en longueur avec toutes sortes de hauts et de bas. Mai ou juin, ce serait encore presque trop tôt. A la suite de la longue prospérité, les masses ont forcément sombré dans une léthargie profonde » (à Marx, 15-XI-1857).
[48] Cf. Marx, Le Capital III, in Werke 25, p. 115, 116, 127, 128.Le grand capital français dévalorise dans la métropole elle-même les secteurs de base que sont les communications
(S.N.C.F.) et l'énergie (Charbonnages, G.D.F., E.D.F.) en les traitant comme la production de matières premières du Tiers monde. Ces secteurs ne sont-ils pas le nid de cette bande honnie de travailleurs productifs, et leur produit n'entre-t-il pas dans tous les produits fabriqués - ce qui, face à la concurrence étrangère, permet de se maintenir dès lors que cette « matière première » est à bas prix. Ainsi le patronat français s'oppose-t-il sournoisement à toute hausse du prix de J'énergie et des transports ferroviaires au niveau de leur coût de production. Cela maintient les tarifs préférentiels pour l'industrie et n'empêche pas l'usager moyen de payer cher le gaz, l'électricité et la S.N.C.F. La lutte contre l'inflation se mène bel et bien dans l'intérêt national bourgeois, dont les salariés font les frais.
[49] Ces conclusions sont extraites de la série d'articles parus sur la production capitaliste qui dégrade irrésistiblement la nature, la vie et l'homme de par sa tendance à transformer les richesses naturelles de la terre et les forces vivantes du travail humain en capital mort qui constitue le corps monstrueux du capital, lequel ne s'anime tel un vampire, que pour sucer du sang frais nouveau : cf. l'étude sur l'Expansion historique du volume de la production industrielle, Infâme civilisation minérale, in Programma Comunista, no 24, de 1958.
[50] Dans sa lettre à Bernstein du 31-1-1882, Engels donne une indication précieuse sur l'évolution des crises intermédiaires au cours de son siècle : « Une démonstration détaillée doit prendre également en considération les crises intermédiaires qui sont pour une part de nature locale, pour une part d'une espèce particulière. Nous sommes, pour l'heure, en train de vivre une crise intermédiaire de ce type, qui se ramène à une simple spéculation boursière. Jusqu'en 1947, elles constituaient les chaînons intermédiaires revenant à époques régulières. »
[51] Marx, de même, qu'Engels, utilise cet exemple pour distinguer leur méthode mathématique de celle de l'école officielle. cf. Marx, Manuscrits mathématiques inédits, 10/19, 1978.
[52] Cf. Marx, Grundrisse, t. II, p. 264.
[53] Il s'agit bel et bien d'une Crise, non pas monétaire ou mercantile, mais d'une crise de la circulation et de la production de capital, celui-ci devant passer par la métamorphose de la marchandise en argent pour se reproduire - et c'est là où le capitaliste s'aperçoit qu'il a surproduit, c'est-à-dire que sa crise a pour origine la production, et non la circulation. C'est ce que Marx voulait dire, lorsqu’il a affirmé que la crise surgissait de l’échange de capital à capital.
[54] Cf. Marx, Grundrisse, t. III, p. 199-200.