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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rodrigue Tremblay, Indépendance et marché commun Québec États-Unis. (Manifeste économique). Une édition électronique réalisée à partir du livre de M. Rodrigue Tremblay, Montréal: Les Éditions du Jour, 1970, 127 pp. Collection: Les idées du jour. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure retraitée de l'enseignement à l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi, Ville de Saguenay. Introduction L'humanité, en somme, est assez bête ; elle fait lentement et mal par révolutions ce qu'elle pourrait faire plus vite et beaucoup mieux par réformes si elle avait un peu plus d'esprit. (Léon Walras) Réflexions d'un économiste sur l'orientation future du Québec On a souvent reproché aux hommes de science de ne pas intervenir dans les débats d'intérêt public et de laisser plutôt aux seuls hommes politiques la lourde tâche de proposer à la population diverses orientations politiques et d'en expliquer les conséquences. En temps normal, quand la gouverne de l'État est avant tout affaire d'administration et de gestion, il est bon qu'il en soit ainsi puisque ce n'est là qu'un reflet de la division des tâches dans la société, bien illustrée d'ailleurs par le dicton populaire que » trop de cuisiniers gâtent la sauce ». Il en va tout autrement cependant en périodes troublées et de mutation, quand la population est confrontée avec des projets politiques radicaux dont la mise en application peut comporter de profondes transformations dans son mode de vie et dans son niveau de vie. L'adhésion ou non à un programme politique est souvent alors conditionnelle à une connaissance préalable, la plus exacte possible, des effets que toute réorganisation politique proposée aura sur la vie de chacun. Personne en effet n'aime s'engager dans de grandes décisions à l'aveuglette. Seuls les irréfléchis et les manipulateurs politiques n'hésitent pas à tenter les entreprises les plus risquées les yeux bandés, en se payant le luxe de faire supporter leurs erreurs par les autres une fois reposée la poussière du moment. Or, la prévision des effets des politiques revêt des aspects techniques qui exigent de ceux qui les formulent une expertise dont sont dépourvus beaucoup d'hommes politiques. La neutralité confortable de l'homme de science est difficilement justifiable en pareils cas, surtout quand le sujet débattu est étroitement rattaché à sa spécialité. Le projet d'indépendance du Québec, en faveur duquel quelque vingt-quatre (24%) pourcent de la population du Québec et au-delà du tiers des Québécois francophones se sont directement ou indirectement prononcés lors de la dernière élection de 1970, constitue à notre avis l'exemple patent d'un projet politique dont les modalités d'application sont les plus incertaines et les conséquences les plus nébuleuses. C'est un témoignage à la profonde volonté des Québécois francophones de jouir de l'indépendance politique qu'un si grand nombre d'entre eux ait appuyé l'option indépendantiste sans que les modalités de cette indépendance leur aient été clairement exposées. L'ignorance et l'incertitude nourrissent la crainte cependant, et l'idée même d'indépendance, loin de gagner de nouvelles adhésions dans l'avenir, risque de perdre des adeptes si on ne présente pas à la population un plan détaillé de la transition du Québec à l'indépendance. En effet, tout parti voué à l'idée d'indépendance du Québec doit inévitablement concentrer ses efforts à gagner à sa cause de 15 à 20 pourcent d'électeurs additionnels, c'est-à-dire tendre à obtenir la majorité des votes francophones au Québec. Or, il saute aux yeux de tous que ce sont les modalités économiques, monétaires et financières de l'indépendance qui soulèvent les plus grandes craintes et les résistances les plus farouches. Rares, en effet, sont les Québécois francophones [1], qui s'opposent à ce que les Québécois aient le contrôle de leurs institutions et qu'ils ne soient plus tributaires pour leurs choix collectifs de la bienveillance d'une majorité anglophone. Entre la dignité et l'assujettissement, le choix n'est pas difficile à faire. La vie d'une personne est un tout, cependant, et il est normal que l'on ne veuille pas s'affranchir sur le plan politique si en se faisant on créait sur le plan économique une situation qui mette en danger les moyens même d'existence. Le « primo vivere » vaut pour les individus comme pour les peuples. Ce n'est pas un fait du hasard par exemple que ce sont les étudiants et les électeurs des zones défavorisées de Montréal qui ont accordé le plus massivement leur appui au Parti Québécois lors de la dernière élection. Pour l'avenir, cependant, il est essentiel que les hommes politiques se rendent compte que la majorité des Canadiens français du Québec sont ni pauvres, ni jeunes. Et ce sont les « ni pauvres, ni jeunes » qui feront ou pas l'indépendance du Québec. Par quoi le Québécois francophone moyen est-il préoccupé lorsque confronté avec l'idée d'indépendance du Québec ? Il n'est nul besoin de faire une analyse exhaustive des motivations humaines pour savoir qu'il s'interroge pour savoir :
Nous le répétons, il est remarquable que plus du tiers des Québécois francophones aient directement ou indirectement voté pour l'indépendance sans que des réponses vraiment articulées aient été présentées pour fixer les esprits sur les aspects fondamentaux que nous venons de soulever. Il est vrai que le programme du Parti Québécois comporte un vague projet de réintégration commerciale et monétaire avec le reste du Canada, une fois l'indépendance réalisée, par le truchement d'une monnaie commune, d'une même banque centrale et d'une politique tarifaire uniformisée. Parce que ce projet de réintégration économique avec les anciens partenaires sous-estime gravement les conséquences psychologiques (« backlash » politique) de la séparation du Québec pour les Anglo-Canadiens et, surtout, parce que la formule proposée, au mieux, n'améliore nullement la situation économique présente du Québec sur ce continent, il en est résulté une double conséquence que les tenants de l'indépendance préfèrent ne plus y faire allusion alors que son caractère irréaliste renforce dans l'esprit de plusieurs les craintes auxquelles nous avons fait allusion plus haut. En réalité, que l'on parle de fuite éventuelle de capitaux spéculatifs, de transferts de sièges sociaux et de ralentissement dans les investissements réels d'entreprises « Canadian » implantées au Québec, tout semble logiquement indiquer que c'est le reste du Canada qui contribuera le plus à rendre difficile la période de transition du Québec vers l'indépendance. Je ne veux pas insister, dans cet ouvrage, sur les effets de la réaction négative anticipée du reste du Canada à la volonté d'indépendance politique du Québec. Je voudrais plutôt dans cet ouvrage, démontrer premièrement que le nationalisme économique « Canadian », qui a toujours existé à des degrés divers et qui connaît présentement un regain de popularité au Canada anglais, est fondamentalement préjudiciable aux intérêts du Québec et surtout des Québécois francophones et, deuxièmement, que la seule façon de rallier une majorité de Québécois à l'idée d'indépendance du Québec est de l'associer à l'idée d'un MARCHÉ COMMUN avec les États-Unis. C'est la façon, à notre avis, de non seulement rallier un pourcentage accru de Québécois à l'idée d'indépendance mais, surtout, d'éviter les embûches économiques, monétaires et financières qui accableraient un Québec nouvellement indépendant et isolé. Nous voulons en effet démontrer que l'INDÉPENDANCE DU QUÉBEC ASSORTIE D'UN MARCHÉ COMMUN AVEC LES ÉTATS-UNIS se traduirait par des avantages économiques appréciables pour le Québec à moyen et long terme et permettrait en plus de contourner la plupart des perturbations économiques lors de la transition vers l'indépendance. Avantages à long terme Des études récentes nous permettent d'établir, en effet, ce que la plupart des Québécois savaient déjà d'expérience, à savoir que le nationalisme économique « Canadian » vis-à-vis les États-Unis a signifié pour le Québec :
Nous savons aujourd'hui que la fragmentation du marché nord-américain en un marché américain et en un marché canadien est la cause directe d'une perte de 10 à 11 pourcent en revenu réel par habitant pour l'ensemble du Canada. Les prix artificiellement élevés au Canada sont, en effet, responsables pour environ 4 pourcent des chiffres cités ci-haut, tandis que les revenus monétaires artificiellement abaissés au Canada sont responsables pour l'autre 6 ou 7 pourcent de la perte globale [2]. Ce qui est vrai pour l'ensemble du Canada l'est doublement pour le Québec qui doit payer les mêmes prix artificiellement élevés que le reste de la confédération canadienne mais qui possède une proportion démesurée des industries à basse productivité, soit celles des biens de consommation, alors que les industries de biens durables à plus forte productivité sont surtout concentrées en Ontario, derrière la protection du mur tarifaire canadien. En effet, alors que les salaires dans le secteur manufacturier sont en moyenne de trente (30) pour cent plus élevés aux États-Unis qu'au Canada, les salaires dans le même secteur au Québec sont d'environ 15 pourcent inférieurs à ceux de l'Ontario. Il faut donc un curieux exercice de l'esprit pour prétendre que le nationalisme économique « Canadian » est bénéfique à la grande majorité des travailleurs québécois. Il est de plus inconcevable que des écarts de cette grandeur soient l'unique effet des désavantages géographiques (coûts de transport et climat). Par contre, s'il est vrai que l'insulation du marché canadien du marché américain maintient les salaires anormalement bas et des prix artificiellement élevés, une troisième conséquence de cette insulation consiste à procurer aux détenteurs de capitaux des rendements qui sont de 15 à 20 pour cent plus élevés au Canada qu'aux États-Unis. D'un strict point de vue économique, il est apparent que placé devant une alternative, soit participer à un marché commun avec le reste du Canada, soit participer à un marché commun avec les États-Unis, que l'avantage du Québec réside d'emblée en une participation à un marché commun avec les États-Unis. D'ailleurs, il en serait sans doute de même pour le reste du Canada si ce n'était de l'attachement aux institutions britanniques d'une certaine élite politique et de l'influence prépondérante des milieux financiers de Bay Street. Ces deux types d'influence n'ont cependant aucun poids auprès des Québécois francophones. Que signifierait donc pour le Québec son transfert du marché commun canadien vers le marché commun Québec-États-Unis ? Nous supposons que ce transfert s'effectue simultanément, grâce à des négociations préalables, à l'accession du Québec à l'indépendance, le nouveau pays possédant sa propre banque centrale et sa propre monnaie, reliée par un taux fixe au dollar américain. (Nous expliquerons plus loin cet aspect monétaire). Que signifierait encore un marché commun du Québec avec les États-Unis ? Essentiellement, ce serait le même arrangement économique que possède la Belgique, par exemple, avec la France, l’Italie, l'Allemagne de l'Ouest, la Hollande et le Luxembourg à l'intérieur du Marché Commun européen. Il en résulte un commerce libre à l'intérieur du marché commun, un seul tarif à l'endroit des autres pays et une libre circulation des facteurs de production. Ce sont là les caractéristiques du marché commun que le Québec forme présentement avec le reste du Canada. Ce marché commun permet au Québec de vendre certains produits dans le reste du Canada mais le Québec est dans l'obligation, en contrepartie, d'acheter des produits des autres provinces même s'il en coûtait moins cher d'acheter ces produits aux États-Unis (exemples : automobiles, appareils ménagers... etc...). La question évidente concernant un Québec indépendant consiste à savoir s'il serait possible, une fois les tarifs américains abolis pour les produits québécois commercialisables, d'orienter une partie des exportations québécoises vers le vaste marché américain, tout en s'approvisionnant aux États-Unis à meilleur compte pour une partie de nos importations (tout commerce n'étant pas coupé avec le reste du Canada). Pour répondre à cette question, il faut savoir ce que nous exportons et ce que nous importons. À ce sujet, nos connaissances sont beaucoup plus précises qu'elles ne l'étaient il y a quelques années. Considérons, en premier lieu, les exportations du Québec en dehors du Canada dont la très grande partie se dirige déjà vers les États-Unis. Avec un produit national brut de $19.9 milliards en 1969, le Québec exporta du papier-journal pour une somme de $516 millions (15.8 % des exportations), de l'aluminium et des alliages de métaux pour $329 millions (10 %). des véhicules et des pièces (automobiles et motos-neige) pour $302 millions, du minerai de fer pour $251 millions, du cuivre et des alliages pour $215 millions, de l'amiante pour $167 millions, des avions, pour $145 millions, de la pâte de bois pour $93 millions, du matériel de communication pour $82 millions et du bois d'œuvre pour $65 millions. Toutes ces exportations québécoises procurèrent à l'économie canadienne des devises fortes (dollars américains) au montant d'environ $3.3 milliards. Il est évident que la participation d'un Québec indépendant à un marché commun Québec-États-Unis ne pourrait qu'accroître ces exportations à la suite de l'abolition des tarifs entre les deux pays. Le point central consiste à établir si la baisse dans les exportations du Québec vers le reste du Canada, causée par la mise en place de la nouvelle structure tarifaire entre le Québec et les États-Unis et le reste du Canada, pourra être plus que compensée, et dans des délais relativement courts, par une réorientation d'une partie de ces exportations québécoises vers le marché américain. Nous ne faisons pas allusion aux produits que nous importons du reste du Canada car toute baisse dans ces importations pourra être remplacée sans trop de difficultés par une augmentation de nos importations en provenance des États-Unis. Donc, s'il nous est possible de démontrer qu'un Québec indépendant, membre d'un marché commun Québec-États- Unis, pourrait compenser toute perte de marchés dans le reste du Canada par un élargissement de ses ventes aux États-Unis, il est clair que les citoyens d'un tel Québec indépendant s'en trouveraient avantagés au triple point de vue du niveau soutenu de l'activité économique, des salaires plus élevés et des prix d'achat des produits abaissés. Nous nous efforcerons donc dans les pages qui suivent d'analyser le type de production que le Québec exporte dans le reste du Canada et de voir si le remplacement de l'actuelle structure tarifaire par celle que possèdent présentement les États-Unis serait de nature à favoriser ou non un Québec indépendant. [1] Nous ne faisons pas allusion aux anglophones, immigrants ou pas, du Québec car l'idée d'un Québec francophone indépendant ne peut, à notre avis, susciter l'enthousiasme que d'une très faible minorité d'entre eux, malgré la promesse formelle que tous les droits culturels acquis seraient préservés dans un Québec indépendant. [2] R. J. Wonnacott et P. Wonnacott, Free Trade Between the United-States and Canada Harvard University Press, 1967.
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