[215]
Entre tradition et universalisme.
Recueil d’articles suite au Colloque Entre tradition et universalisme
tenu à Rimouski par l’ACSALF du 18 au 20 mai 1993.
DEUXIÈME partie
A. LA FILIATION
13
“Une anomalie algérienne :
femmes et islamisme.”
Par Marie-Blanche TAHON
Département de sociologie. Université d'Ottawa
En préparant cette conférence, je me suis demandé pourquoi j'avais été approchée pour la faire « autour de femmes et Islam », et, qui plus est, sous le thème « Entre tradition et universalisme ». Il était trop tard ! J'avais accepté, en précisant quelque peu. Non pas « Islam » mais islamisme et en situant le propos dans le pays que je connais le moins mal de ceux dont l'islam [1] est la religion du peuple.
Quelles sont les attentes face à ce thème, aujourd'hui, ici, dans le Québec profond ? Il ne s'agit pas seulement d'une question à résoudre pour tenter de capter au mieux votre attention. Il est probable que votre présence à cette conférence est partiellement dictée par un intérêt alimenté surtout par les médias occidentaux. Or, leur discours, quant à la situation des pays dont l'islam est la religion du peuple, est surtout révélateur de l'Occident, de son incompréhension entretenue séculairement à l'égard de l'Islam [2]. Quant à la situation des femmes dans ces pays, elle fournit le plus souvent l'occasion de nourrir sans vergogne le racisme « anti-arabe », au nom d'un féminisme universaliste de salon [3]. Mon objet n'est pas de rectifier ces présentations « tronquées » ; mon angoisse réside dans la crainte de les renforcer.
Seraient nécessaires tant de préalables que l'on en resterait là, tant de prudence dans la formulation des hypothèses qu'elles seraient surtout banales, tant de nuances dans l'exposé qu'il en deviendrait incompréhensible. [216] Ces risques sont inhérents à toute conférence. Celle-ci se situe pourtant en terrain miné par treize siècles d'histoire tissés au plus profond des mythes puisqu'ils renvoient au religieux - à ce qui relie et à ce qui fait sens. Cette tension est ici d'autant plus profonde que je veux faire intervenir le rapport social le plus fondamental, le plus incontournable, donc, le plus occulté, le rapport entre les sexes.
Depuis que les observateurs occidentaux ont redécouvert l'Islam, depuis que la révolution iranienne de 1979 leur a fait redouter « la montée de l'islamisme » et son « fanatisme », il est partout communément admis, en cette ère de démocratisme universaliste, que LE problème des États où l'islam est la religion du peuple réside dans la non-séparation du religieux et du politique ; proposition soutenue implicitement : dans ces États, le politique est soumis au religieux. Cette explication paresseusement rabâchée a le mérite de promouvoir une autre fois la supériorité de l'Occident... Que des analystes s'acharnent à dire que c'est le religieux qui est instrumentalisé à des fins partisanes n'atteint guère la logorrhée médiatique.
Sans dédaigner le terrain du politique, mon intérêt pour les femmes et l'Algérie me permet de déplacer quelque peu l'angle d'approche. La sécularisation des sociétés dites musulmanes - je me réfugie à l'ombre de ce terme commode de sécularisation ; il faudrait lui donner un contenu plus précis non seulement eu égard à la religion considérée mais encore en tenant compte de l'angle d'approche : le rapport social-anthropologique entre les sexes -, mais disons, jusqu'à mieux, la sécularisation des sociétés dites musulmanes ne reposerait pas sur la séparation de l'Église et de l'État - il n'y a pas d'Église ni de clergé en Islam non chiite - mais sur la sécularisation de cette partie du code civil, appelée en Algérie « statut personnel » sous la colonisation et « code de la famille » depuis l'indépendance, cette partie du code civil qui régit l'alliance et l'héritage. Aujourd'hui en Algérie, comme sous la colonisation, cette partie du code civil est directement inspirée de la Sharia, de la loi islamique. Et il en va de même, à quelques nuances près, dans les pays où l'islam est la religion unique ou majoritaire et pour les communautés musulmanes là où l'islam n'est pas majoritaire (en Inde, par exemple), à l'exception de la Turquie qui a sécularisé son code civil en 1926.
Ce faisant, je ne déserte pas le terrain du politique car je propose de considérer, en me basant sur les travaux de Pierre Legendre, que cette matière - celle qui régit l'alliance et l'héritage - constitue le coeur du politique puisque c'est « là où se joue de façon décisive la reproduction de l'Interdit [4] ». Interdit entendu comme un dit d'interposition qui permet à l'humain l'accès à l'espèce parlante en surmontant « l'horreur des commencements [5] ».
[217]
Dans un premier temps, je me laisserai témérairement [6] aller à cerner comment l'islam s'y est pris pour surmonter l'horreur des commencements, pour raconter l'origine. Ensuite, j'en viendrai plus directement à l'Algérie et j'examinerai comment la perdurance de la gestion de la matière qui régit l'alliance et l'héritage sous la colonisation et après l'indépendance permet de saisir que ce peuple était prêt, en décembre 1991, à remettre sa destinée aux mains du si bien nommé Front islamique du salut [7]. Je n'ai pas dit sa destinée politique car je me demande si l'instance politique existe, a existé, en Algérie. Je tenterai - malgré les analyses qui classent les femmes en Algérie sous la rubrique de la morale [8] - d'illustrer qu'elles sont soumises à une gestion politique, marquée par l'exclusion [9], exclusion non seulement repérable dans leur absence des institutions, mais exclusion structurelle en quelque sorte, éclairée par l'utilisation de la matière qui régit l'alliance et l'héritage.
L'ordre de présentation tient à ce que si la matière qui régit l'alliance et l'héritage a une telle importance en Algérie, au point que la France coloniale, républicaine et laïque a préféré la fétichiser plutôt que l'affronter et que l'Algérie indépendante a tergiversé pendant vingt-deux ans avant de l'officialiser, cela tient à une donnée anthropologique de l'islam qui nous est difficilement représentable à nous qui sommes nés marqués du péché originel.
L'ORIGINE DURE LONGTEMPS
Pour saisir cette donnée anthropologique, deux éléments doivent être pris en compte et articulés ; le premier a trait au récit des origines ou de l'origine et le second au traitement de la différence des sexes qui en découle.
Selon O. Roy [10], pour les islamistes, le concept politique qui exprime la société islamique idéale est le concept d'unicité (towhîd) ; unicité qui nie les classes sociales, les clivages nationaux, ethniques ou tribaux. La segmentation est perçue comme péché et non comme donnée sociologique. Toute différenciation est négation de l’Oumma, la communauté des croyants. « L'islam n'a pas d'histoire, l'Oumma n'a pas de divisions, l'homme n'a pas d'inconscient. », dit-il de manière qui peut sembler abrupte. Il cite Muhammed Qotb [11] qui écrit : « L'islam englobe chaque aspect de l'âme humaine parce qu'il est révélé pour chaque personne individuelle vivant sur cette terre, sans considération pour sa race, sa couleur, sa langue, son lieu, son environnement, les circonstances géographiques ou historiques, l'héritage culturel ou intellectuel [...] ; l'islam englobe et réalise tous les besoins de la vie, passée et future, que ces besoins soient spirituels, matériels, politiques, économiques, sociaux, moraux, intellectuels ou esthétiques. » Roy commente : [218] « L'universalité du message se paie de la grande pauvreté de son objet anthropologique : une nature humaine universelle conçue comme un ensemble de besoins, de désirs et de capacités physiques, centrée autour du fait primordial de la différence biologique des sexes, et sur qui la culture et l'histoire ne font que glisser. La quête du <musulman pur> suppose que l'homme s'arrache aux déterminismes sociaux et culturels, en particulier aux références identitaires autres qu'islamiques qui structurent la société dans le non-dit (segmentation ethnique, tribale, sociale, nationale, etc.) pour rejoindre et spiritualiser le modèle anthropologique initial. »
S'arracher aux déterminismes sociaux et culturels, passe encore, mais comment s'arracher à ce que l'on appelle les déterminismes biologiques, et en particulier ceux qui divisent l'humanité en deux sexes ? La tentation n'est-elle pas d'en nier un pour que l'unité soit maintenue ? Ou encore de faire de la femme la personnification du péché de segmentation, l'ennemi intérieur parce qu'en elle peut se concentrer l'essence de la scission, de la division (fitna). De cause ultimement désignée de la scission, de la division, elle finit par la personnifier [12]. Grâce à elle et contre elle - au-delà de ceux qui considèrent l'islam comme idéologie politique - peut être constamment réaffirmée l'unicité de la communauté. De la communauté des croyants mais aussi de la communauté des citoyens, si cette expression avait un sens, de la communauté du peuple.
L'achoppement sur la différence biologique érigée en seule différence interne [13] représentable peut sans doute être renvoyé au problème de l'établissement de l'origine de l'islam. Pour ce faire, un détour par une histoire de famille, celle d'Abraham, de ses fils - Isaac et Ismaël - et, une fois n'est pas coutume, de leur mère respective, Sarah et Agar, permettra de mieux visualiser la question.
Pour mémoire, dans L'homme Moïse et la religion monothéiste, les connaissances limitées de Freud « lui permettent seulement d'ajouter que le cas de la fondation de la religion mahométane lui apparaît comme une répétition abrégée de la fondation de la religion juive, dont elle se manifesta comme une imitation. Il semble en effet que le Prophète eut d'abord l'intention d'adapter intégralement le judaïsme pour lui et pour son peuple. La récupération du seul grand Père primitif produisit chez les Arabes un extraordinaire accroissement de leur conscience d'eux-mêmes, qui conduisit à de grands succès temporels mais s'épuisa aussi avec eux. Allah se montra beaucoup plus reconnaissant à l'égard de son peuple élu que jadis Yahvé à l'égard du sien. Mais le développement intérieur de la nouvelle religion s'arrêta bientôt, peut-être parce qu'il manquait l'approfondissement que produisit, dans le cas du peuple juif, le meurtre du fondateur de la religion [14] ».
[219]
Se pourrait-il que « cet handicap » de l'islam - l'absence du meurtre qui structure le rapport à la Loi via la faute initiale ; la Loi qui est ligature d'un manque qu'elle reconnaît - soit redevable à un autre, d'ordre socio- historique : son arrivée tardive, au VIIe siècle de l'ère chrétienne, tandis que, comme la religion chrétienne et contrairement au judaïsme, il se veut universel. Si, pour la chrétienté, l'islam peut aisément être représenté comme une hérésie, une doctrine fausse, la création d'un homme hérétique ou imposteur, pour Muhammad, la tâche est moins aisée, il doit établir que son message contient les précédents afin d'amener les juifs et les chrétiens à la conversion, à délaisser leurs erreurs.
Son trait de génie consisterait à islamiser le message et les personnages antérieurs. Ainsi d'Abraham, appelé le Père des Croyants, le Coran dit qu'il n'a été ni un juif, ni un chrétien, mais un musulman, c'est-à-dire un soumis. Selon Arkoun [15], qui insiste aussi sur le caractère religieux du modèle que représente Abraham, cette qualification « ne renvoyait pas à l'islam, défini par les théologiens et les juristes après le Coran et les enseignements de Muhammad ; muslim désigne donc l'attitude religieuse, idéale, symbolisée par la conduite d'Abraham, conformément au Pacte ou Alliance (mithaq) dont parlent la Bible et le Coran. C'est pour cela qu'Abraham est nommé le Père des Croyants : il incarne l'attitude religieuse fondatrice du monothéisme avant l'institution des rituels et des législations qui définissent et particularisent les trois religions monothéistes. Cette attitude religieuse initiale, fondatrice de l'Alliance, non dans un temps historique et un espace repérable, mais dans l'espace-temps infini de la conscience, sollicitée par l'Absolu, hors de toutes les déterminations du langage, de la loi, de la tradition... Cette attitude, en arabe, dans le Coran, se nomme islam [<soumission>]. » Moubarac [16] lui aussi souligne la priorité du religieux sur le politique. Il ne s'agirait pas d'un renouvellement de la doctrine par les différents prophètes, dont Jésus et Muhammad, mais d'un ressourcement opéré par ce dernier : l'Islam se désolidarise des juifs et des chrétiens « pour avoir découvert en Abraham un type religieux antérieur à la révélation judéo-chrétienne qui en sera venue à la défigurer. ».
Cette antériorité, Sibony [17] la traduit [18] par : « l'élaboration que fait le Coran de l'origine introduit, dans l'identité qu'il fonde, une sorte d'achèvement, de perfection qui l'encombre, qui l'empêche de <bouger>, sur le plan collectif comme sur le plan individuel, et qui semble la soustraire au temps, donc à l'histoire ». En d'autres mots, toujours selon cet auteur, « le messianisme coranique, c'est l'origine pleinement achevée qu'il élabore [19] ». L'horreur des commencements fait place au sentiment que l'appartenance est payée d'avance - l'enfant naît musulman et non pas marqué par le péché originel. L'horreur des commencements fait place à la plénitude, à la totalité exhaustive, à l'absence de manque.
[220]
L'altérité est absorbée par Allah et par les « insoumis », les non-musulmans, au sein desquels sont toutefois distingués les gens du Livre. L'altérité ne traverse pas l'homme musulman. On pourrait, si le temps n'était pas compté, revenir longuement sur le personnage d'Abraham, le Père des Croyants, en étant attentif à celui qui personnifie le sacrifice [20]. Qu'il s'agisse d'Isaac dans la version juive puis chrétienne ou d'Ismaël dans la version islamique, son existence marque une victoire « artificielle » sur la stérilité - féminine, comme il se doit [21] - sublimée par le « sacrifice » premier de Sarah qui permet à sa servante de la remplacer dans son rôle de mère. L'Alliance est rendue possible par cette sublimation féminine-là, mais c'est bien sûr Abraham qui en tire la gloire [22]. Autrement dit aussi, par « l'Alliance », de géniteur, de donneur de sperme à la servante [23], il devient Père des Croyants. N'est-ce pas la métaphore incontournable de ce que la matière qui régit l'alliance et l'héritage constitue le coeur du politique ?
Dans cette occultation de l'horreur des commencements - Abraham pour tous - est exclu le féminin. Sont construites les femmes de telle sorte qu'elles incorporent en elles la segmentation - Sara pour les juifs puis les chrétiens, Agar pour les musulmans. C'est bien d'incorporation qu'il s'agit dans le sens où « ce qui est appris par le corps n'est pas quelque chose que l'on a, comme un savoir que l'on peut tenir devant soi, mais quelque chose que l'on est [24] ». Et c'est bien de « femmes » qu'il s'agit. L'insistance sur le terme « femmes » renvoie à l'impérative distinction qu'il m'apparaît constamment nécessaire de maintenir entre « femme » et « mère », la première relevant d'une construction résultant d'un rapport binaire et la seconde d'un rapport trinaire. Au niveau de la représentation, il peut ainsi se faire que des mères ne sont pas femmes ou que des femmes ayant donné naissance à des enfants ne sont pas mères [25]. Cela dit, revenons au Coran et retenons-en rapidement deux caractères qui y président à la construction de la femme.
À la femme est reconnue une personnalité économique, elle peut gérer ses biens. Cette reconnaissance est mise de l'avant pour soutenir que l'islam est une religion « féministe » et que le Prophète est venu libérer les femmes. La femme peut gérer ses biens, mais s'agit-il de biens propres ? Ses biens sont ceux qu'elle a reçus en dot de son mari. La dot est une condition du mariage. Elle est aussi le signe de la prééminence des hommes sur les femmes [26] ! Ses biens sont aussi ceux qu'elle a reçus en héritage. Toutefois, parce qu'elle a une autonomie de gestion, sa part d'héritage représente une demi-portion de la part d'un héritier masculin de même niveau qui, lui, est censé la faire fructifier pour d'autres. On pourrait dire qu'une personnalité économique lui est reconnue à fonds perdus et que les biens dont elle dispose ne sont pas destinés à lui assurer un rôle de partenaire conjugal. Son mari est tenu, le mariage durant, de faire face à son entretien intégral, [221] quelle que soit sa fortune à elle. Son capital économique ne l'intègre pas à une communauté familiale. Elle est à l'extérieur.
Exorbitée économiquement, elle n'est pas propriétaire de son corps. Son père ou son représentant le livre vierge, intouché, au mari qu'il choisit - celui-ci peut le renvoyer, séance de la nuit de noces tenante, s'il estime qu'il a déjà été entamé. Ce privilège de la répudiation lui est accordé à tout moment, selon sa volonté, par exemple si le corps de la femme ne produit que des filles. Elle n'aura un statut de mère reconnu que lorsqu'elle sera belle-mère et donc grand-mère, lorsque son corps cessera d'être un outil de production d'enfants masculins. En ce sens, la virginité initiale, au moment du mariage, est reconduite à chaque conception de fils. Il est le fruit d'une vierge. Cette obsession de la virginité [27], qui exprime le fantasme de l'origine sans faille, se lit dans la représentation du paradis coranique : la récompense des vrais croyants consiste en la jouissance sexuelle de la femme vierge en son essence : « l'homme jouit de ces femmes <paradisiaques> et elles restent intouchées [28] ». L'occultation de l'horreur des commencements rend inentamée la Mère originaire ; elle est immorcelable en autant de mères avec minuscule. Aussi les femmes restent-elles femmes tant qu'elles ne sont pas grand-mères. Cette représentation sociale n'empêche certes pas chaque fils de prendre la femme de son père pour la Mère et elle-même de s'y laisser prendre.
Le fantasme de l'origine sans faille qui s'imprime quotidiennement sur le corps des femmes, sur l'irreprésentée mère avec minuscule, dont l'autonomie économique joue à l'exclusion de la communauté familiale alors que les moyens de cette autonomie sont endogènes à cette communauté, a encore d'autres conséquences qui, elles, reçoivent une attention plus médiatique... ou scientifique. Les islamistes n'ont pas de « projet » politique, la cité idéale qu'ils prônent se situe derrière eux, à l'origine, et non devant. Il ne s'agit pas de travailler à l'avènement du royaume de Dieu sur terre mais de revenir au temps du Prophète. L'âge d'or politique n'est pas à construire, il a existé au premier siècle de l'Hégire, il « suffit » d'y revenir. C'est aussi en tenant compte de cette perception de l'origine que l'on peut comprendre le caractère intolérable que représente l'État d'Israël ou encore la faute qu'a constitué sa réécriture par Shalman Rusdhie. Plus profondément, si possible, cette perfection de départ imprègne la gestion du politique - ou du non-politique ; comment le politique pourrait-il se construire sur la base d'une perfection originaire ? - dans sa quotidienneté, même lorsqu'elle n'est pas aux mains des islamistes. Reprenons le fil de l'histoire.
[222]
LE VOILE-SIGNAL
À certains égards, l'Algérie - le terme lui-même n'existe que depuis 1831 [29], soit après la prise d'Alger par les Français - est une anomalie : elle est une construction anomale, c'est-à-dire une construction qui présente un caractère aberrant, sans être incorrect ou anormal, par rapport à un type ou à une règle. L'Algérie incarne l'anomalie de la France colonisatrice-héritière de la Révolution [30]. Il n'est pas ici le lieu de réécrire l'histoire de la colonisation française en Algérie. Pour avancer dans cet exposé, je soulignerai seulement qu'elle a exacerbé l'identification du peuple algérien à la religion islamique.
C'est en prenant appui sur la religion que les Algériens purent revendiquer leur indépendance. Ceci ne tient pas à ce que la religion islamique ait une assise « nationaliste » - au contraire, on l'a vu, l'imaginaire islamique ne renvoie pas à la nation, mais à l’Oumma, la communauté des croyants, qui transcende les frontières nationales. La religion put servir d'assise à la revendication de l'indépendance parce qu'elle était le seul terrain sur lequel les Algériens n'avaient pas été totalement spoliés [31].
Il ne faudrait pourtant pas passer sous silence la destruction de nombreuses mosquées, au début de la colonisation, ou leur transformation en églises catholiques ; l'accaparement des fondations pieuses ou la dispersion de cimetières ; plus grave, de multiples tracasseries furent opposées à l'enseignement du Coran parce qu'il consistait aussi en un enseignement de la langue arabe ; ce qui aura des conséquences lointaines, notamment en ce que la culture religieuse sera relativement frustre. Il n'y a pas lieu d'assimiler l'Algérie à l'Iran. Sans compter « la création d'un clergé officiel nommé et rémunéré par les autorités françaises [32] ».
Plus, il n'est pas peu important que l'accès à la citoyenneté se jouait, déjà sous la colonisation, autour du statut personnel. Alors que l'Algérie avait un statut qui l'assimilait à un ensemble de départements français, les Algériens « les indigènes » ou encore « les musulmans » ne pouvaient accéder à la citoyenneté française que s'ils renonçaient au « statut personnel ». La France se garda bien de toucher aux lois qui géraient le mariage, le divorce [33] ou l'héritage alors qu'elle imposa son droit sur toutes les autres matières. Elle s'employa au contraire à unifier le respect de la loi islamique en matière de statut personnel sur l'ensemble du territoire en rognant les éléments de « la coutume kabyle » qui ne s'y conformaient pas [34].
Par l'obligation du renoncement au statut personnel comme condition d'accès à la citoyenneté, la France coloniale, républicaine et laïque, mettaient ceux qu'elle appelait les musulmans face à l'alternative : rester [223] fidèles à leur religion et demeurer sujets, renoncer à leur religion et devenir citoyens français. Ce qu'ils firent en nombre infime. En posant cette condition, la France républicaine et laïque, sous la poussée hargneuse des colons, imposait un apartheid politique. Mais, en compensation pourrait-on dire, la patrie de l'égalité laissait aux hommes colonisés le pouvoir de dominer quotidiennement, au plus intime du privé mais en conformité avec sa loi, les femmes colonisées [35]. À ma connaissance, cette donnée a été peu étudiée, en particulier par les auteurs algériens qui s'efforcent de soutenir que la colonisation a aussi paradoxalement apporté les valeurs des Lumières et de la Révolution française [36].
En faisant de l'abandon du « statut personnel » le critère d'accès à la citoyenneté française, le colonisateur le fétichise : la structure familiale agnatique est le seul lieu où l'identité du colonisé est implicitement admise. Ce qui n'empêchait certes pas, du côté des « civilisateurs », des couplets larmoyants sur le triste sort des « femmes musulmanes » dont la métaphore obsessive est le voile [37] et, par ricochet, du côté des colonisés, une crispation sur le rôle des femmes comme « gardiennes des traditions ».
La lutte pour l'indépendance cristallisera la transformation de l'unanimisme des croyants en unanimisme du peuple. Le problème se situant moins, on l'aura compris, dans la valorisation du « peuple » que dans son unanimisme hérité directement de la religion mais renforcé par la colonisation. L'appartenance religieuse sera le ciment de l'unanimisme du peuple puisque c'est le seul refuge identificatoire laissé aux colonisés. La crispation sur l'univers familial - forcée par la politique coloniale - aboutira, pour faire prévaloir l'unanimisme du peuple, à y enfermer les femmes (dans le peuple).
Un des artisans [38] de cet enfermement est sans doute un produit de la France révolutionnaire en la personne d'un autre colonisé, mais lui laïc : Franz Fanon. Il faut relire ses livres et ses textes publiés dans El Moudjahid qu'il dirigeait pendant la guerre. D'une phrase, écrite en 1959 : « L'Algérienne n'attend pas d'être émancipée, elle est déjà libre parce qu'elle participe à la libération du pays », il va sceller pour longtemps - c'est encore le cas aujourd'hui - la possibilité des Algériennes d'être autre chose qu'un enjeu du politique. Ses pages sur « l'Algérie se dévoile [39] » sont exemplaires : les femmes sont érigées en symbole national, mais le voile - exhibé ou enlevé selon les circonstances commandées par la résistance ou la guerre - est là pour signifier que les femmes érigées en symbole sont des femmes anonymes. Des antihéroïnes [40].
Avec la représentation qu'en propose Fanon, le voile devient un signal, le signal de la récupération de l'identité nationale et/ou islamique [224] persécutée par l'impérialisme colonialiste. Mais, réduit au signal d'insoumission à l'égard des insoumis, le voile ainsi qualifié largue encore plus ses porteuses en dehors de la clôture religieuse. Il ne sera dès lors pas étonnant que trente années plus tard, des Algériennes, nées après 1962, troquent le voile traditionnel, le haïk (ou le jean), pour le voile islamique, le hijab....
« UN SEUL HÉROS : LE PEUPLE [41] »
Si l'Algérie incarne l'anomalie de la France colonisatrice-héritière de la Révolution, ce pays est confronté à reprendre à son compte les principes de la puissance coloniale pour les retourner contre la France et ainsi arracher son indépendance tandis que la France n'a pas appliqué ces principes aux « musulmans ». Si l'indépendance finalement arrachée met fin à la colonisation, cette page ne peut être effacée. D'autant qu’avant la prise d'Alger en 1831, l'État n'y avait été qu'une institution discontinue dans l'espace et dans le temps. D'autant que, malgré leur grandeur passée, depuis le XVIe siècle, les sociétés musulmanes n'ont connu ni la continuité de l'action historique conduite par la bourgeoisie marchande puis capitaliste, ni le dynamisme et la diversité de la vie intellectuelle et scientifique que connaît l'Europe. La période coloniale n'a structurellement rien corrigé à ce chapitre ; au contraire, elle a empêché un profond réformisme religieux [42] en obligeant les acteurs sociaux à transformer la religion en idéologie de combat [43].
À l'indépendance, compte tenu de ces facteurs et de 1 héritage même de la lutte de libération, est ouvert moins que jamais un espace où gérer la segmentation comme donnée sociologique. Je serai atrocement réductrice et dirai que la segmentation ethnicolinguistique (« la question berbère ») est réglée par la proclamation de l'arabe comme seule langue nationale. La segmentation sociale est réglée par la proclamation d'un socialisme spécifique qui dénie l'existence de luttes de classes. La question de la construction politique de l'État est réglée par la proclamation de l'unipartisme à l'ombre de l'armée dont la vigilance ne s'est pas encore démentie. Le « vivre en commun » est réglé par une gestion astucieuse de la rente énergétique mise au service de l'intérêt général sans que puissent s'y opposer des intérêts particuliers. L'État nourricier [44] repose sur l'apolitique et le « rejet de la violence économique [45] ».
L'instauration d'un État algérien sans faille - l'horreur des commencements n'a pas de raison d'être, elle peut être exorcisée dans l'horreur du précommencement (la colonisation et la lutte pour 1 indépendance) - paraît inattaquable - sinon par les ainsi dénommés ennemis de la Révolution [225] peu nombreux à l'intérieur - d'autant que Boumediène (1965-1978) s'emploie et parvient largement [46] à associer socialisme et islam tels qu'il les entend et à rendre crédible cette association. Une coexistence, pacifique elle aussi, s'établit même au niveau de l'instance gouvernementale : les ministères économiques sont aux mains des « socialistes » - dont l'actuel premier ministre Abdesslam [47] qui fut le brillant avocat des pays pétroliers en octobre 1973 - et les ministères « superstructurels » (Affaires religieuses, certes, mais aussi Éducation et Justice) aux héritiers des « réformistes musulmans ». À l'extérieur, l'Algérie est le chantre écouté du « nouvel ordre économique international », tout en s'imposant comme l'interlocuteur le plus crédible des « impérialistes occidentaux » au plan diplomatique (voir, par exemple, son rôle dans le dénouement de l'affaire des otages américains à Téhéran en 1980).
Dans le réglage assez réussi de la mise en scène de « la république algérienne démocratique et populaire », la femme sans nom, symbole de la lutte pour l'indépendance, n'échappe pas à la plénitude puisqu'elle va officiellement être qualifiée de « citoyenne à part entière ». Cette proclamation survient en 1976 (Charte nationale) tandis que l'élaboration d'un « code de la famille » pour gérer l'alliance et l'héritage, programmée dès 1963, va s'enliser pendant près de vingt ans. Il n'est pas impossible, rétrospectivement, d'interpréter cet enlisement comme l'indice du souci du pouvoir algérien de ne pas régler une fois pour toutes « la question des femmes » en la renvoyant aux solutions de la Sharia. Cela se produira en 1984, mais n'anticipons pas.
Proclamées « citoyennes à part entière », les femmes constituent le seul groupe social dont l'interpellation est connotée politiquement. Cette connotation tient à ce que les femmes ne sont pas situables en un lieu où se localisent « les forces vives » de la Nation : dans une société nationale (les travailleurs et leur organisation de masse : l'UGTA [48]), dans une coopérative agricole (les paysans et l'UNPA), à l'université (les jeunes et l'UNJA) [49]. Les femmes sont désignées comme des citoyennes à part entière parce qu'elles relèvent d'un heu indescriptible publiquement : elles sont des citoyennes parce qu'elles sont des épouses et des mères tandis que ces qualifications ne sont pas encore codifiées officiellement. Mais, étant des épouses et des mères, elles ne sont pas des travailleuses, pas des paysannes, pas des étudiantes. Faute de pouvoir appartenir à une organisation de masse crédible, elles sont assignées à un corps politique désincarné puisque les hommes n'en sont pas, eux qui ne sont pas nommés comme citoyens mais comme travailleurs, paysans ou étudiants et qu'il n'y a pas d'institutions représentatives. La difficulté de nommer la place des femmes aboutit à les proclamer citoyennes à part entière : est pris ainsi acte qu'elles sont des ressortissantes de l'Algérie devenue indépendante. Cette dénomination dit [226] une autre fois leur solitude mais indique également leur attache problématique à la nation.
Cette acrobatie emprunte les accents de la glorification de la participation des femmes à la guerre qui a abouti à l'indépendance en admettant leur rôle de productrices d'enfants algériens. Cet équilibre précaire ne peut avoir qu'un temps. D'autant que le pouvoir est inconfortablement appelé à rabâcher que « dès le début, la femme algérienne a lié sa liberté à celle de son peuple » (Yahaoui, Congrès de l'UNFA, 1978) tandis qu'il se sent tenu de rappeler que « l'émancipation de la femme n'implique pas l'abandon de l'éthique dont notre peuple est profondément imprégné » (Charte Nationale, 1976), indiquant bien ainsi que tout en étant « citoyenne à part entière », la femme émancipée est étrangère au peuple algérien. Le temps passant, l'effritement de « l'esprit de novembre » va aboutir à ce que, en 1984, il soit possible de mettre la femme à sa place.
1984
Il faut mettre la femme à sa place parce que les tergiversations et autres acrobaties postindépendance risquent d'entériner que doit leur être reconnu un rôle actif dans la production d'enfants, à défaut de leur en reconnaître un autre ailleurs. Irreprésentables comme travailleuses, paysannes ou étudiantes, il faudrait leur reconnaître le rôle social de mères. Et parce que mères, citoyennes à part entières ! Cette équation ressort d'une anomalie [50] qui, grâce à Dieu !, sera corrigée par la promulgation d'un code de la famille en 1984.
Je ne peux entrer dans le détail du Code [51]. En passant, il reconduit la répudiation par l'homme, bien sûr, et la polygamie, ou plus justement, la polygynie. La femme n'est toujours héritière que d'une demi-part, et son droit d'avoir une profession est laissée à la discrétion du mari [52] puisqu'elle a le devoir d'obéissance (art. 39). J'insisterai sur l'alliance.
L'article 11 stipule que « la conclusion du mariage pour la femme incombe à son tuteur matrimonial qui est soit son père, soit l'un de ses proches parents. Le juge est le tuteur matrimonial de la personne qui n'en a pas ». Cette prérogative est accordée aux seuls hommes, la mère ne peut pas être tuteur matrimonial. Le tuteur n'a pas le droit de contraindre la fille au mariage, mais le père peut s'opposer au mariage de sa fille vierge [53] si tel est l'intérêt de la fille. Ainsi, si la majorité civile de la fille est fixée à 19 ans (comme pour le garçon), il n'en reste pas moins qu'elle ne devient femme que par la consommation du mariage, par la perte de sa virginité. En effet, [227] l'article 75 prévoit que « le père est tenu de subvenir à l'entretien de son enfant à moins que celui-ci ne dispose de ressources. Pour les enfants mâles, l'entretien est dû jusqu'à la majorité, pour les filles jusqu'à la consommation du mariage ». À ce moment, elle sera entretenue par son mari (art. 37). C'est donc la perte de sa virginité, l'impression de la marque d'un homme sur son corps qui fait office d'accès à la majorité pour une femme.
Concernant les droits et devoirs de l'épouse, le Code marque très clairement le sens de la circulation des femmes vers la lignée du mari. L'épouse a le droit de visiter ses parents prohibés - c'est-à-dire les parents très proches avec lesquels le mariage est prohibé -, de les recevoir conformément aux usages et aux coutumes et de disposer de ses biens en toute liberté. Par contre, elle est tenue de 1) obéir à son mari et de lui accorder des égards en sa qualité de chef de famille, 2) allaiter sa progéniture si elle est en mesure de le faire et de l'élever, 3) respecter les parents de son mari et ses proches. La femme passe donc de la tutelle de son père à celle de son mari. La position de l'épouse au sein du foyer en est une d'assujettissement à la lignée du mari (lui, ses descendants et ses ascendants) tandis que lui est reconnue la capacité de gérer ses biens. On retrouve bien la schrizophrénisation originaire.
L'article 31 interdit le mariage d'une musulmane avec un non-musulman. L'inverse n'est pas prévu, donc permis. En ce cas, pour les hommes, le Code algérien est plus permissif que la Sharia qui limite les femmes non musulmanes à celles du Livre, les juives et les chrétiennes. On peut considérer que cette interdiction enferme les femmes dans la clôture religieuse mais, et ce serait plutôt mon hypothèse, on peut aussi estimer que la musulmanité des femmes ne se maintient que si elle est confortée par le mariage avec un musulman. Elle est toujours suspecte d'apostasie, du péché par excellence. Autrement dit, seul l'homme peut transmettre la religion. Si l'enfant naît musulman, il doit naître d'un père musulman. L'article 62 précise que « Le droit de garde consiste en l'entretien, la scolarisation et l'éducation de l'enfant dans la religion de son père ainsi qu'en la sauvegarde de sa santé physique et morale. Le titulaire de ce droit doit être apte à en assurer la charge. » Lors de la séparation, le code prévoit que le droit de garde est d'abord dévolu à la mère. Encore faut-il qu'elle soit de la religion du père et qu'elle ne se remarie pas. La garde de la fille par sa mère cesse lorsqu'elle a « l'âge de capacité de mariage », tandis que celle du fils cesse à dix ans révolus, cette garde peut être prolongée par le juge jusqu'à 16 ans si la mère n'est pas remariée. La fin de l'alliance met fin à cette prolongation : le corps de la vierge ayant été cédé au mari lors du mariage, le fils vivra son adolescence avec l'ex-épouse du père à condition qu'elle reste chaste, qu'elle reste l'épouse délaissée du père.
[228]
La promulgation du code de la famille rend caduque la fiction de la proclamation de la femme-citoyenne à part entière. Il indique clairement qu'elle est celle qui reste à soumettre à l'intérieur, elle est l'ennemi intérieur. Le plus redoutable parce qu'incontournable. Pour que le fantasme de l'origine sans faille puisse rester à l'horizon de l'imaginaire quotidien, l'alliance, nécessaire à la production d'enfants, est placée sous le signe de la soumission de la femme à l'homme et de la négation de sa maternité comme représentation. La musulmanité non assurée de la femme le justifie.
LES RISQUES DE SÉCESSION
Ce code a été promulgué en 1984. À un moment où « la montée de l'islamisme » en Algérie n'en était plus à ses balbutiements. Les observateurs ne s'accordent pas sur le moment de son éclosion. Certains sont prêts, rétrospectivement, à considérer qu'il a toujours été puissant. D'autres estiment qu'il a commencé à occuper l'espace de la parole au moment du débat sur la Charte nationale en 1976 et qu'il s'est renforcé ou a pris vigueur après la prise du pouvoir par Khomeyni en février 1979. L'automne 1979 a été chaud dans les universités qui ont connu un mouvement pour l'arabisation totale de la langue d'enseignement, ce qui entraîna en réaction le « printemps kabyle » en 1980. En novembre 1982, une manifestation de masse à Alger qui se soldait notamment par l'arrestation d'Abassi Madani - le chef « historique » du futur FIS - indiquait publiquement la puissance du mouvement.
On pourrait donc considérer que la promulgation d'un code de la famille avec un tel contenu gynophobe est une concession du pouvoir pour calmer l'effervescence islamiste. Mais, comme le souligne H. Benkheira [54], « il faut se demander dans quelle mesure les succès du fondamentalisme ne peuvent pas s'expliquer, en partie, par une manipulation intelligente de l'affect machiste de la part des prédicateurs fondamentalistes ». Ceux-ci ne s'en priveront pas [55] et Roy [56] fait de la perception du statut de la femme une des différences les plus frappantes entre l'islamisme (qui a eu cours en Iran [57]) et le néofondamentalisme que représente à ses yeux le FIS algérien.
M'importe plus, pour conclure, de tenter d'appréhender la réaction des femmes algériennes à cette situation. Nombre d'entre elles, parmi les intellectuelles, n'ont eu d'autre choix que l'exil. D'autres, appartenant elles aussi à la petite bourgeoisie intellectuelle, se sont mobilisées dans des groupes féministes qui ont un certain impact dans leur milieu [58]. Ce sont des réactions attendues.
[229]
Est plus intrigante la position de celles [59] qui revendiquent d'afficher, y compris par « la tenue », leur appartenance à la religion islamique. Elles portent le hijab, rompant ainsi avec leur mère qui porte ou portait le haïk traditionnel. Le passage de l'un à l'autre est probablement lourd de sens et ne peut manquer de plonger les hommes dans le malaise [60]. Le haïk le voile traditionnel, celui du temps de la colonisation dont parlait Fanon marque le retranchement des femmes de l'espace public : quand elles y sont elles ne portent le haïk que dans la rue , elles doivent y être méconnaissables. Le second, le hijab, « le voile islamiste » marque le bouleversement des repères de l'espace public : les femmes y sont désormais à visage découvert. De plus, le hijab permet aux femmes ainsi revêtues de recevoir des étrangers, y compris des hommes, dans la clôture de l'espace privé. Le haïk marque la frontière entre l'espace des hommes et l'espace des femmes. Le hijab transcende la frontière entre les sexes et permet aux femmes d'afficher leur « désir politique de Dieu [61] ». Il n'est pas impossible d'y voir un geste féministe.
Cette affirmation est passablement provocatrice. Il est probable que, statistiquement, la majorité des femmes algériennes qui aujourd'hui portent le hijab, le font dans un esprit de soumission moins à Dieu qu'aux « barbus ». Ne serait-ce que pour qu'ils leur laissent la paix. Mais réduire la diffusion du port du hijab à cette occurrence risque de manquer l'essentiel : le travail qui s'effectue au niveau des rapports sociaux de sexe. Au-delà de la domination, qui continue à marquer les rapports des hommes algériens sur l'écrasante majorité des femmes algériennes, le hijab peut aussi être tenu, pour certaines de celles qui le portent, pour un signe de sécession. Elles touchent là à un interdit au royaume des hommes, elles transforment le rêve - l'exclusion des femmes - en cauchemar, en scandale : leur sécession [62]. Et elles le font au nom de Dieu dans une société qui était prête à se doter d'un « État islamiste ». Croyant Dieu sur parole, elles sont au-delà des rapports que les hommes, y compris barbus, leur imposent.
Mais est-ce en « femmes » qu'elles portent le hijab ou espèrent-elles, ainsi vêtues, participer de la Mère originaire ? La question se pose d'autant plus que, on l'a vu, au niveau de la représentation remise à l'honneur avec la promulgation du Code de la famille, les mères avec minuscule n'ont pas d'existence. Il se pourrait que cet affichement dise la tentation de participer de l'origine pleine et d'en tirer des bénéfices immédiats. Ce geste serait compréhensible eu égard au passé et au présent, à la représentation et à la vie quotidienne, au religieux et au politique. Il ne résoudrait pourtant rien pour personne.
[230]
POST-SCRIPTUM
Ceux qui y ont assisté se souviendront qu'un débat n'a pu suivre cette conférence et le commentaire de Ratiba Hadj-Moussa puisque la période de questions fut dominée par des militants aussi bruyants que sourds...
Ce texte méritait pourtant bien des critiques. Sa faiblesse principale tient à la difficulté même de la question que je tente d'éclaircir depuis plusieurs années et qui n'est toujours pas claire : comment cerner la difficulté que représente l'accès des femmes à la pleine capacité civile et civique, à la pleine citoyenneté. Je tente d'asseoir l'hypothèse que cette difficulté renvoie moins au « machisme » sous toutes ses formes qu'à la représentation de la femme comme individu tant que ne lui est pas reconnu à elle le contrôle de sa fécondité. Autrement dit, la femme n'adviendrait que lorsqu'elle est désincorporée de la mère, ou aussi, mais cela ne se recouvre pas nécessairement, la représentation de la maternité est incompatible avec le politique. M'intéresse de cerner la maternité comme catégorie politique, la place faite aux mères avec minuscule dans la représentation du politique. On m'accordera que si le questionnement est passionnant, il n'est pas simple et incite dès lors parfois à la simplification. Ainsi des « citoyennes à part entière ».
Avant d'y venir, je signale que c'est précisément cette formulation qui m'a aiguillé vers ce terrain de recherche [63]. Par la suite, j'ai fait des avancées en interrogeant l'État-providence et sa gestion des êtres vivants (Foucault [64]), puis j'ai puisé dans les analyses fécondes de Nicole Loraux sur la Grèce classique ; le tout alimenté par les textes de Legendre. Ainsi munie, j'en suis revenue à l'Algérie. Dans cette trajectoire, il est un problème méthodologique majeur : peut-on considérer que la mère avec minuscule, ou, plus précisément le rapport Mère-mère est soumis à un même traitement universel au plan de la représentation du politique ? Je ne sais pas. Peut-être... Par contre, pour l'instant, il m'apparaît que « le ficelage » mère-femme n'est pas partout pareil. Je suis momentanément tentée de penser qu'en « Occident », en « latinité »... la femme a été recouverte par la mère, incorporée en elle, tandis que le ficelage pourrait être inverse en « islamité ». Mais que signifie « inverse » ? Les éléments présentés en première partie doivent être creusés, notamment quant à la représentation de la différence des sexes. Se pourrait-il qu'elle soit structurante de la représentation en islam alors qu'elle pourrait être niée dans celle de la chrétienté romaine ? Cette question m'occupera à l'avenir. Il se pourrait que ma réflexion soit aveuglément christianocentriste, malgré les tentatives respectueuses dans les passages... Je crois pourtant que le voyage peut être entamé...
[231]
Ratiba Hadj-Moussa a probablement raison de me rappeler à l'ordre à propos des « citoyennes à part entière ». Je ne suis sans doute pas assez attentive à ce que cela implique d'inclusion des « femmes » au peuple, trop occupée à tenter d'illustrer leur exclusion, leur mise en dehors, leur statut d'« ennemi intérieur [65] », voire intime. Toutefois, je n'adhérerai pas sans approfondissement de la question au lien entre cette reconnaissance et le fait qu'elles soient érigées en mères de martyrs. Ce serait tentant parce que cela rapprocherait l'appréhension politique quant à la citoyenneté des femmes algériennes et des femmes occidentales. Ainsi, alors que toutes les femmes belges n'ont eu le droit de suffrage qu'après la Deuxième Guerre mondiale, les veuves et les mères des soldats tués au front l'ont obtenu après la Première Guerre mondiale. Le rapport d'appartenance des femmes à la Nation transiterait par leur rapport au « sang du guerrier [66] ». Peut-être, mais ne s'agit-il pas d'un voile pour dire le renversement de la ma trie en la patrie, la terre des pères ? La question se pose d'autant plus intensément en Algérie que la représentation de la Nation puise des éléments dans celle de l’Oumma mais encore que l'indépendance est arrachée grâce à une guérilla anticoloniale dans laquelle se jouait aussi un rapporta la métropole - à la ville-mère. Il y aurait lieu d'approfondir.
La constitution de la « citoyenne à part entière » peut être repérée comme exclusive dans la mesure où le citoyen masculin n'existe pas dans le discours. Il y aurait peut-être lieu d'y voir l'expression d'un « suffrage universel » à l'envers. Il est possible que je sois, malgré moi comme on dit, marquée au plus enfoui par l'idée que l'universel est informulable à partir des femmes... Au plus conscient, cette perspective ne me semble pas adéquate dans la mesure où il ressort que la citoyenneté est liée à l'apparition de l'individu abstrait ; or, la femme ne pourrait être absorbée dans l'individu abstrait que lorsque le sauvage est dompté en elle, que lorsqu'elle est capable elle-même de contrôler sa production d'enfants. Il m'apparaît donc irreprésentable - ce serait une anomalie - que la citoyenneté des femmes soit fondée sur la maternité. Ici encore, il faudra creuser. Pour l'instant, il me semble qu'un des outils indispensables pour le faire consiste en un retour sur la construction de « femme » et de « mère », la première relevant de la différence des sexes, la seconde...
[232]
NOTES
[233]
[234]
[235]
[236]
[1] Selon une graphie généralement admise, même si elle est discutable, islam avec minuscule renvoie à la religion et avec majuscule à la civilisation. Quant à islamisme, ce terme est utilisé pour désigner « le mouvement contemporain qui pense l'islam comme idéologie politique » (O. Roy, L'échec de l'islam politique, Paris, Seuil, 1992).
[2] Voir, parmi d'autres, A. Grosrichard, Structure du sérail, Paris, Seuil, 1979 ; Th. Hentsch, L'Orient imaginaire, Paris, Minuit, 1988 ; S. Naïr, Le regard des vainqueurs, Paris, Grasset, 1992.
[3] Voir, par exemple, les articles de Michèle Ouimet (La Presse, 7 et 8 mars 1992 et 2 janvier 1993) et de Martine Turenne (Le Devoir, 6-7-8 janvier 1993).
[4] P. Legendre, Les enfants du texte, Étude sur la fonction parentale des États, Paris, Fayard, 1992, p. 130.
[5] Voir « L'indestructible question de l'Interdit », op. cit., pp. 25-31.
[6] Je n'ai aucune compétence en théologie ; je tente de me situer en sociologue.
[7] Voir M. Arkoun, « Islam, révélation et révolutions ». Autrement, n° 127, février 1992 ; Dieux en sociétés, Le religieux et le politique, pp. 138-154.
[8] La plus stimulante est sans doute contenue dans le travail remarquable de L.-W. Deheuvels. Islam et pensée contemporaine en Algérie, Paris, CNRS, 1991. Je m'autorise à formuler ma distanciation à la lecture de la « présentation » de H. Benkheira au numéro de Peuples méditerranéens qu'il a coordonné : Algérie, vers l’État islamique ?, juil.-déc. 1990, nos 52-53, pp. 3-6.
[9] J'utilise ce terme en un sens, disons, descriptif : l'exclusion comme l'inverse de l'inclusion. Ce qui manque incontestablement de nuances (voir le commentaire de R. Hadj-Moussa) mais n'implique pas ipso facto de victimologiser « les femmes ». Je ne peux ici développer et soutenir que mon propos n'est pas sociologiste est insuffisant - je souhaiterais pourtant qu'il en fut pris acte.
[10] Dans L'échec de l'islam politique, op. cit., pp. 97-98.
[11] Le frère de Sayyid Qotb, célèbre « frère musulman » égyptien pendu en 1966.
[12] Un approfondissement de la question dans la chrétienté - sans pour autant prôner, faut-il le préciser, le recouvrement islam/christianisme - permettrait sans doute un questionnement plus acéré (et non nécessairement relativisé). En ce domaine chrétien, voir les considérations « viriles » ( ?) de P. Legendre, « La Phallacieuse. Le roman du féminin dans le Texte occidental », dans A. Verdeglione (dir.), La jouissance et le pouvoir, Paris, 10/18, 1976, pp. 9-31. L'apport de N. Loraux à propos de la Grèce, en particulier dans Les expériences de Tirésias, Paris, Gallimard, 1989, devrait aussi être versé à ce questionnement.
[13] Peu d'auteurs y sont attentifs. Voir pourtant B. Lewis dans Le retour de l'islam, Paris, Gallimard, 1985. Pour expliciter que l'apparition de l'islam fut une révolution en soi, il note que « dans l'islam, il ne devait y avoir ni église, ni prêtre, ni orthodoxie, ni hiérarchie, ni royauté, ni aristocratie. Il ne devait y avoir ni castes, ni rangs pour troubler l'unité des croyants ; pas de privilèges si ce n'est la supériorité évidente de ceux qui acceptent sur ceux qui rejettent obstinément la vraie foi - et, bien sûr, des faits naturels et sociaux aussi évidents que la supériorité de l'homme sur la femme et du maître sur l'esclave. » (p. 33) ou S. Zéghidour qui, ayant pris acte de l'abolition de l'esclavage, dans Le voile et la bannière Paris, Hachette, 1990, écrit que « l'Oumma paraît loger à la même enseigne la femme et l'Infidèle, tous deux demeurant, en effet, inférieurs au croyant en droits et en devoirs. Exclus des grandes activités publiques, leur témoignage, à l'un comme à l'autre, vaut pour moitié celui de l'homme musulman. La différence consiste à afficher sa nature pour l'Infidèle et son sexe pour la femme, à occulter sa religion pour celui-là, et les formes de son corps pour celle-ci. » (p. 34)
[14] Traduction française, C. Heim, Paris, Gallimard, 1986, p. 186.
[15] M. Arkoun, Ouvertures sur l'islam, Paris, Jacques-Grancher éditeur, 1989, pp. 29-30.
[16] Y. Moubarac, Abraham dans le Coran, Paris, Vrin, 1958, p. 55. Merci à Hocine Benkheira d'avoir attiré mon attention sur ce livre. Th. Hentsch (op. cit., p. 67) se montre circonspect à l'égard de cet auteur : « jésuite de formation, disciple de Louis Massignon et ardent défenseur d'un rapprochement islamo-chrétien, se montre tellement pro-islamique qu'il en vient à dire aux musulmans le vrai sens de leur propre foi. Et, bien sûr, ce sens coïncide comme par miracle avec la vérité chrétienne ! » La lecture de ce seul livre ne me permet pas d'en juger.
[17] D. Sibony, Les trois monothéismes, juifs, chrétiens, musulmans entre leurs sources et leurs origines, Paris, Seuil, 1992, p. 20.
[18] Sibony ne fait pas référence à Arkoun, pas plus qu'à Moubarac. Notons que M. Saïd Al-Ashmawy dans L'islamisme contre l'islam (tr. fr., Paris, La Découverte, 1989) soutient lui la thèse qu'il y a eu « une judaïcisation de l'islam, une déviation par rapport à la nature de la prophétie de Muhammad » (p. 38) de la part de la « pensée islamique » qui a privilégié le juridisme au dépens de la vertu morale.
[20] Il faudrait certes aussi interroger « le sacrifié » même - dont le nom (Isaac ou Ismaël) n'est pas dit dans la version coranique. Quoi qu'il en soit, il est le fils à sacrifier par son père. C'est cette mort annoncée du fils que les musulmans célèbrent lors du sacrifice commémoratif de l'Aïd, en rendant gloire au Père des Croyants, au « sacrifice d'Abraham ». Celui-ci était sans doute touché dans son amour de père, mais pas dans sa vie.
[21] Voir G. David, « La stérilité masculine : le déni du mâle », Le genre humain, 1984, n° 10, p. 23-38. Il n'est pas peu troublant de rappeler que Marie, la mère de Jésus, elle aussi, peut être regardée comme une mère « artificielle », ce qui en dit long sur la représentation de la chair masculine, voir mon article « Du verbe et de la chair », Conjonctures, 1991, n° 15, pp. 33-50.
[22] Même aux yeux des analystes actuels. Voir Arkoun et Sibony, cités. Voir aussi Th. Hentsch, « Mutilation des peuples, mutilation des mythes ». Conjonctures, n° 15, pp. 59-76. Derrida, bien sûr, n'y est pas insensible dans « Donner la mort » (dans L'éthique du don, Jacques Derrida et la pensée du don. Colloque de Royaumont, décembre 1990, Paris, Métaillé, 1992), et note « la femme, Sara, est celle à laquelle rien n'est dit ; [...] Dans l'implacable universalité de la loi, de sa loi, la logique de la responsabilité sacrificielle serait-elle altérée, infléchie, atténuée, déplacée si une femme y intervenait de façon déterminante ? Le système de cette responsabilité sacrificielle et du double <donner la mort> est-il au plus profond de lui une exclusion ou un sacrifice de la femme ? De la femme, selon tel ou tel génitif. Laissons ici la question suspendue. » (Derrida, p. 75).
[23] La servante dans la version de l'Ancien Testament, mais Moubarac nous invite en note (op. cit., p. 69), à « remarquer qu'il n'est nulle part question dans le Coran d'Ajar ».
[24] P. Bourdieu, « La croyance et le corps » dans Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, p. 123.
[25] Voir ma communication « L'affirmation politique des femmes et le postféminisme », ACSALF, Rimouski, 1993.
[26] Voir sourate IV, verset 38 : « Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci, et parce que les hommes emploient leurs biens pour doter les femmes. »
[27] Cette question de la virginité - de « la Femme inviolée » - devrait être approfondie. Elle doit renvoyer à une gestion de la castration. Il y a sans doute lieu de se garder de transposer tels quels les enseignements que nous fournit la religion catholique. La concernant, voir P. Legendre, « Le sexe de la loi. Remarques sur la division des sexes d'après le mythe chrétien », dans A. Verdeglione (dir.), La sexualité dans les institutions, Paris, Payot, 1978, pp. 43-63.
[28] Sibony, op. cit., p. 86. Voir aussi A. Bouhdiba, La sexualité en islam, Paris, Presses universitaires de France, 1975.
[29] Ch.-R. Ageron, Histoire de l'Algérie, Paris, Presses universitaires de France, Que sais-je ?, 1974, p. 5.
[30] Je ne partage certes pas, au regard de l'Algérie, la désinvolture de Luc Ferry lorsqu'il écrit dans Le nouvel ordre écologique (Paris, Grasset, 1992, pp. 209-210) : « La conquête des peuples du tiers monde était-elle inscrite dans la logique de l'universalisme républicain ? Était-ce au contraire une trahison de ses principes les plus nobles ? Tout bien pesé, la réponse importe assez peu au regard de l'histoire, même si elle reste essentielle sur un plan philosophique. » Il m'apparaît que cette question n'importe pas peu au regard de l'histoire, sans rien dire de l'histoire de la France, en tout cas de celle de l'Algérie.
[31] Voir, par exemple, Ch.-R. Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine, 1871-1954, Paris, Presses universitaires de France, 1979.
[33] Elle réglementa quelque peu la répudiation en 1959, quand l'issue de la lutte pour l'indépendance était inéluctable.
[34] Voir J.P. Charnay, La vie musulmane en Algérie, d'après la jurisprudence de la première moitié du XXe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 1965, rééd. 1991.
[35] Lorsqu'un conflit familial surgissait et qu'il n'était pas réglé par le cadi (le juge musulman en matière de statut personnel), il pouvait venir devant le juge français. Charnay a répertorié des cas où « au-delà du respect du droit musulman, le juge français soit, inconsciemment sans doute, influencé par la supériorité masculine qui, partout encore, domine le Maghreb », comme il l'écrit benoîtement, op. cit., p. 26.
[36] Voir, par exemple, M. Harbi, L'Algérie et son destin, Croyants ou citoyens, Paris, L'Arcantère, 1992.
[37] Pour mémoire, le cirque de la fraternisation, organisé par l'épouse du général Massu en mai 1958, s'est terminé sur l'immolation de quelques voiles par le feu.
[38] Il n'est sans doute pas le seul mais sa figure est exemplaire.
[39] Dans L'an V de la révolution algérienne, Paris, Maspero, 1959.
[40] J'ai développé ce point dans « l'antihéroïne dans la révolution algérienne », dans Yolande Cohen (dir.). Femmes et contre-pouvoirs, Montréal, Boréal, 1987, pp. 71-78.
[41] Ce slogan a couvert les murs d'Alger pour prévenir Ben Bella que ses jours étaient comptés ; il reste, me semble-t-il, le slogan qui condense le mieux les dits et les non-dits et de la lutte de libération nationale et des premières années de l'indépendance (plus de la première décennie) ; il ne faudrait pas trop vite le réduire à l'expression du populisme.
[42] Voir A. Merad, Le réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940, Paris-La Haye, Mouton, 1967.
[43] Voir, par exemple, les diverses indications que fournit M. Arkoun dans Ouvertures sur l'islam, op. cit. Voir aussi S. Naïr, Le différend méditerranéen, Essais sur les limites de la démocratie au Maghreb et dans les pays du tiers-monde, Paris, Kimé, 1992.
[44] Voir A. Corten et M.B. Tahon, L'État nourricier, Prolétariat et population, Mexique/Algérie, Paris, L'Harmattan, 1988. Voir aussi les travaux de J. Leca et J.C. Vatin, notamment L'Algérie politique, institutions et régimes, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1975 et « Le système politique algérien (1976-1978) », dans Développements politiques au Maghreb, Paris, Ed. du CNRS, 1979, pp. 15-80.
[45] H. Benkheira, « présentation ». Peuples méditerranéens, op. cit., p. 6.
[46] Voir Deheuvels, op. cit..
[47] Il a été limogé en août 1993 et remplacé par R. Malek qui joua un rôle important dans la libération des otages américains en Iran.
[48] UGTA = Union générale des travailleurs algériens ; UNPA = Union nationale des paysans algériens ; UNJ A = Union nationale de la jeunesse algérienne. Existait aussi une organisation de masse de femmes : l'UNFA.
[49] J'ai développé cette analyse dans « En Algérie : des citoyennes “à part entière” », Actes des tables rondes internationales, Genèse de l'État moderne, Approches historique et anthropologique des pratiques et des représentations, Rome, Ecole française de Rome, 1993, pp. 437-455.
[50] J'ai développé ce point dans « les mères ne sont pas des citoyennes », communication, UQAM, séminaire UNESCO, 6 mai 1992, à paraître.
[51] Voir, par exemple, H. Vandevelde, « Où en est le problème du code de la famille en Algérie ? », Maghreb-Machrek, juil.-août-sept. 1982, n° 97, pp. 39-54 et « Le code algérien de la famille », Maghreb-Machrek, janv.-fév.-mars 1985, n° 107, pp. 52-64. Voir aussi N. Saadi, La femme et la loi en Algérie, Casablanca, Éd. Le Fennec, 1991, en particulier « L'égalité différenciée ? », pp. 43-79.
[52] Dans le projet de 1981 qui a été retiré suite à une mobilisation sans précédent, la possibilité de travailler à l'extérieur était évoquée mais soumise à conditions : « avoir travaillé avant le mariage ; avoir travaillé après le mariage avec l'autorisation formelle ou tacite du mari ; avoir stipulé pour ce faire une clause dans le contrat de mariage. »
[53] Par la suite, en français, « fille vierge » a été rectifié par « jeune fille ». D'après Vandevelde, art. cité, cette correction est sans conséquence.
[54] « “Machisme”, nationalisme et religion ». Peuples méditerranéens, juil.-déc. 1990, nos 52-53, pp. 127-143.
[55] Voir M. Al-Ahnaf, B. Botivcau, F. Frégosi, L'Algérie par ses islamistes, Paris, Karthala, 1991, en particulier chap. 6, pp. 239-265.
[56] L’échec de l'Islam politique, op. cit., notamment p. 111.
[57] Voir, pour un point de vue extrêmement nuancé et donc instructif sur le statut des femmes, F. Abdelkhah, La révolution sous le voile, Paris, Karthala, 1991.
[58] Voir M.-A. Hélie-Lucas, « Les stratégies des femmes à l'égard des fondamentalismes dans le monde musulman », Nouvelles questions féministes, 1991, nos 16-17-18, pp. 29-62.
[59] Cinq d'entre elles ont bien voulu individuellement m'accorder une longue entrevue à Montréal en mai et juin 1992. Huit autres jeunes femmes algériennes - non hijabisées - l'ont également fait. Je les en remercie ; toutes ont participé à bouleverser ma vision de la situation des femmes en Algérie. Ce texte leur doit beaucoup. Voir aussi, S. Bessis, S. Belhassen, Femmes du Maghreb : l'enjeu, Paris, J. C. Lattes, 1992 ; H. Taarji, Les voilées de l'Islam, Paris, Balland, 1990.
[60] Voir par exemple, ce que dit le romancier « démocrate » - il a aussi publié un pamphlet : De la barbarie en général et de l'intégrisme en particulier, Paris, Le pré aux clercs, 1992 -, Rachid Mimouni à la journaliste française D. Sigaud : « Je n'aime pas les femmes qui portent le hijab et je les regarde différemment, alors que j'éprouve du désir pour celles qui portent le voile traditionnel. Leur habit est austère et rebutant. Elles essaient de nier leurs attributs féminins ; ce ne sont pas des vraies femmes, elles ne sont pas désirables. » dans La fracture algérienne, Paris, Calmann-Lévy, 1991, p. 198.
[61] P. Legendre, Paris, Fayard, 1988.
[62] N. Loraux, Les enfants d'Athéna, Paris, Seuil, Points, 1990, p. 22.
[63] Notamment dans ma thèse, Des Algériennes entre masque et voile, Paris VIII, 1979 et « Comme une chose attendue, entendue », dans A. Corten et al., Les autres marxismes réels, Paris, Bourgois, 1985, pp. 81-95.
[64] Dans La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, relayé par Fr. Ewald, L'État-providence, Paris, Fayard, 1986 ; voir « La mère sans ombre ? », Recherches féministes, 1990, vol. 3, n° 1, pp. 97-107.
[65] En formulant cette expression, je ne veux évidemment pas suggérer que les femmes seraient placées en camps de concentration si c'était possible. Je pense aux pages que Nicole Loraux consacre au repérage des femmes dans la guerre civile (voir Les expériences de Tirésias, Paris, Gallimard, 1989).
[66] Voir F. Héritier, « Le sang du guerrier et le sang des femmes ». Les Cahiers du GRIF, 1984, n° 29, pp. 7-21.
|