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Sociologie prospective d’Haïti.
Essai.
Avant-propos
La société haïtienne est une société de pauvreté de masse. Elle maintient depuis deux siècles ce trait caractéristique. Par quel système Haïti réussit-elle à bloquer si efficacement le changement ? À rechuter d'occupations étrangères en occupations étrangères ? Pour essayer de répondre à ces questions, nous examinerons ici trois éléments du système haïtien : l’école, l’exode rural et l'idéologie indigéniste qui imprègne la littérature d'Haïti de sa fonction conservatrice.
Un tel objet de recherche requiert une méthode appropriée, apte à saisir l'émergence du nouveau. Une méthode orientée vers l'avenir : une méthode prospective.
L'analyse sociologique se fait tantôt rétrospective : elle remonte ainsi vers les origines, jusqu'aux conditions de formation d'un phénomène social. Et tantôt elle se fait prospective : elle descend alors vers les finalités, cherche le sens immanent, l'orientation probable de l'évolution d'un processus social. Cette sociologie se nomme d'un mot cher à Maurice Merleau-Ponty : sociologie prospective [1].
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La prospective a aujourd'hui pignon sur rue dans le territoire des sciences de l'homme. Si elle a pu ainsi s'imposer c'est que son approche est particulièrement adaptée aux modalités contemporaines de l'action humaine. Ce qui définit en effet l'Homme, selon Merleau-Ponty, c'est la capacité de dépasser les structures économiques, sociales, culturelles existantes pour en créer d'autres. Et ce qui définit l'homme contemporain, c'est l'accélération de ce mouvement.
Sortir de l'ornière passéiste, lire dans une optique neuve, prospective, la société haïtienne : voilà l'idée directrice qui sous-tend la réunion des études diverses, regroupées en trois parties dans cet ouvrage.
Avec retard, l'étudiant haïtien en sciences économiques et sociales ainsi qu'en sciences de l'éducation, découvre cette discipline déjà vieille qui s'appelle la prospective. Les lycées, les collèges et facultés d'Haïti lui ont enseigné l'histoire, mais non pas les méthodes de la prévision.
Pourtant, l'orientation futurologique domine aujourd'hui dans les sciences humaines. Et l'attitude prospective est un impératif du monde contemporain ; monde de l'accélération, monde de l'innovation. Une conduite efficace des affaires sociales et des affaires scolaires ne peut plus se passer de cet élément de rationalisation de la décision et de l'organisation qu'est l'étude des tendances « lourdes » de la société globale. Une action de développement rural doit se penser en fonction du futur de la paysannerie dans les dix prochaines années.
Pourquoi en rester à la surface des choses ? Pourquoi se contenter de maudire et couper des mauvais arbres, sans se soucier de fouiller et de retourner le sol qui produit et reproduit ces arbres ?
Notre passéisme est trop longtemps demeuré imperméable au courant prospectif. Notre empirisme routinier est trop longtemps resté indifférent aux techniques de planification. Une preuve en est que la [19] bibliographie haïtienne sur ces sujets est presque inexistante. Force est alors d'utiliser des ouvrages venus d'ailleurs dont les meilleurs sont chers et souvent introuvables dans les maigres bibliothèques d'Haïti.
Cet ouvrage de sociologie prospective d'Haïti rassemble des textes de l'auteur parus à différentes époques dans diverses publications. Les voici, aujourd'hui, regroupés sous trois grandes rubriques : 1) sociologie de l'éducation, 2) sociologie rurale et 3) sociologie de la littérature.
Ce sont là trois champs labourés par l'auteur durant une vingtaine d'années de recherche sociologique et une dizaine d'années d'enseignement à la Faculté d'ethnologie de l'Université d'État d'Haïti. Le thème futurologique y est dominant. Et pour accentuer en choeur cette note prospective, on donnera ici l'hospitalité à des études consonantes : outre la préface du professeur Louis Mars de l'Université d'État d'Haïti, on joindra à la postface du professeur Wilfrid Bertrand de l'Université d'Haïti, l'annexe I par le professeur Roger Marcotte du Collège Jean de Brébeuf de Montréal et l'annexe II par le professeur Jean-Louis Fyot de la Mission universitaire française.
Rompant avec la sociologie traditionnelle, cet ouvrage porte sur Haïti un regard neuf, un regard prospectif.
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