[507]
Jean-Jacques Simard
Sociologue, département de sociologie, Université Laval
“Le chemin de croix:
nation et sciences sociales
au Québec”.
Un article publié dans Continuité et rupture. Les sciences sociales au Québec (2 tomes). Textes réunis par Georges-Henri Lévesque, Guy Rocher, Jacques Henripin et al., éditeurs. Tome II, chapitre XXX, pp. 507-529. Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal, 1984, tome II, [pp. 311-670].
- I. Dollard et le dollar [507]
- II. La croix nationale [508]
- III. Science et conscience sociales : la nationalisation du discours savant [511]
-
- Bibliographie [528]
Nos fils croiront avoir de l'imagination,
ils n'auront que des réminiscences
SAINT-SIMON
I. Dollard et le dollar
Autant l'avouer : je suis un disciple de l'abbé Groulx. D'un sociologue de Laval, dira-t-on, cela n'étonne guère. Pourtant, même si je partage avec certains de mes collègues (qui furent aussi mes professeurs) le soupçon que le petit chanoine ait été autre chose qu'un simple idéologue fascisant au service de la petite bourgeoisie traditionnelle, les complicités que je peux entretenir avec la pensée de Groulx n'ont pas grand chose à voir avec l'influence de mes maîtres ni même avec mes fréquentations de la littérature sociologique ou historiographique québécoise.
Dans mon cas, la continuité passe par Dollard des Ormeaux, un personnage que l'historiographie eut, à bon droit probablement, abandonné aux Iroquois si Groulx n'avait pas entrepris de lui tailler une place au panthéon de la Nouvelle‑France, âge d'or et mythe fondateur de la race canadienne. Pour les enfants des années 50 que nous étions, Dollard équivalait à un Kit Carson ou à un Daniel Boone d'ici, une sorte de cowboy canadien‑français dont le malheureux sort avait été scellé par la fatidique rencontre d'un baril de poudre et d'une branche d'épinette. Aussi, par‑dessus la fierté que nous en éprouvions, n'étions-nous pas tellement surpris de constater que ce héros avait légué son nom à la monnaie de toute l'Amérique du Nord. Pensez-donc : non seulement les Zanglais mais encore les Zétats eux‑mêmes avaient tenu à honorer ainsi un des nôtres !
On imagine que le chanoine Groulx eut été fort contrarié d'apprendre que nous avions fait de son Dollard le symbole de Mammon lui‑même et de cette américanisation délétère supposée, à ses yeux, ronger notre peuple comme un cancer. Que veut-on : le symbolisme et [508] l'imaginaire d'une collectivité ne se laissent pas contenir par les idéologies de ses élites (classes dirigeantes ?). Si Dollard des Ormeaux, qu'on eut voulu croisé de Dieu et de la France, pouvait servir à des petits Canadiens français pour s'approprier symboliquement l'argent et l'Amérique, c'est qu'avant même les idéologies nationalistes il y a un champ d'identification, d'appartenance et de durée susceptible de rassembler les membres d'une communauté de destin et qu'on peut sans chichi, comme tout le monde, appeler la nation. Pour Groulx, l'existence même d'une nation appelle le nationalisme ; je crois au contraire que cela ne va pas de soi. Mais, d'une certaine manière, à cause de Dollard, je reste disciple de Groulx en ce que je le suivrais s'il descendait aujourd'hui du paradis des historiens pour venir rabrouer les marxistes en leur rappelant que la nation n'est pas qu'une superstructure, un artifice du discours idéologique et le masque diaphane des intérêts bourgeois. Encore que derrière son dos, je soufflerais : oui mais, elle peut le devenir. Continuité, donc ; ruptures encore plus.
Peut-on imaginer qu'en quelques tréfonds de la conscience collective qui l'habite, un Canadien français s'oriente vers les sciences sociales afin de trouver le langage rationnel, légitime et universel qui lui permette de démontrer en quoi Dollard des Ormeaux et le dollar nord-américain n'étaient pas incompatibles ? En public, cependant, je maintiens être abouti en sociologie pour essayer de comprendre la situation des Indiens et des Esquimaux du Nouveau-Québec chez qui je travaillais à la fin de la décennie soixante. Mais on n'échappe pas à son Karma : la damnée question nationale se posait en ces milieux avec plus d'acuité encore que chez les Québécois du sud. Chose certaine, lorsque je me retourne aujourd'hui sur les prises de position, les conférences ou les articles jalonnant les quelques pistes que j'ai laissées derrière moi dans le domaine amérindien, j'ai l'impression désagréable - car elle me paraît ethnocentrique -d'avoir élaboré sur la question autochtone un décalque du discours que les praticiens québécois des sciences sociales ont graduellement construit pour répondre aux questions que l'histoire posait aux Canadiens français. En d'autres mots, l'itinéraire intellectuel que j'ai suivi au travers de la problématique autochtone au Canada ressemble fort à un pèlerinage sur les lieux saints du dialogue qu'ont poursuivi, au gré des années, les sciences sociales d'ici avec le problème national des Canadiens français.
II. La croix nationale
Première station : l'ethnisme. Vous vous chargez des péchés du monde ou encore, dans un vocabulaire plus moderne : une attitude d'engagement. Cela suppose un diagnostic (discours) appelant des remèdes [509] (pratiques). Frappé par l'état de soumission et de dépendance économique des Indiens devant les Blancs, j'ai commencé par croire, un peu comme Groulx disons, que le problème national des Autochtones se résumait au choc des cultures. Au lieu de pleurer sur la « dénationalisation », nous maudissions « l'acculturation », mais cela voulait dire la même chose : la culture des Blancs bulldozait la culture des chasseurs et ceux-ci se désintégraient, ils perdaient leur identité. Les « vrais Indiens », désorientés, connaissaient l'humiliation du secours direct ; les jeunes, perdus, sombraient dans l'indolence, l'alcoolisme ou la promiscuité. Ces gens-là subissaient le mépris des Blancs, qui ne respectaient pas leur culture, et avaient honte d'eux-mêmes.
Il fallait - dans l'esprit d'un Minville, par exemple - sauver la chasse et la pêche en les rendant rentables, faire la même chose pour l'artisanat, rassembler et organiser les efforts de la communauté dans des associations volontaires ou des coopératives, stimuler l'émergence des leaders et faire l'éducation nationale pour stimuler la fierté indienne, mobiliser les gens, propager la doctrine de l'affirmation culturelle et de la modernisation tout en protégeant, en conservant l'authenticité ethnique, les valeurs profondes de l'indianité.
Deuxième station : l'étatisme. Le développement communautaire, à la base, dans les micro-projets, ne suffisait pas. Les autochtones n'arriveraient pas à se libérer par leurs faibles moyens : ils avaient besoin de capital, d'études socio-économiques, d'une planification régionale d'ensemble, d'une politique globale d'éducation progressiste et d'une profonde réforme de l'aide sociale. Il fallait faire appel aux ressources et au pouvoir de l'État et de la science sociale moderne. L'ère des élites paternalistes - missionnaires, fonctionnaires sans instruction, leaders autochtones traditionnels - était terminée. Une politique gouvernementale rationnelle, globale, chargée de prévoir une structuration systématique de la participation populaire, permettrait de liquider le colonialisme. B fallait changer les mentalités défaitistes et conservatrices du peuple, lesquelles ne résultaient pas seulement d'un héritage culturel mais surtout d'un conditionnement social. Nous étions quelques jeunes experts désintéressés, des techniciens du développement collectif en somme, prêts à nous mettre au service des autochtones pour ce faire, à leur fournir les moyens collectifs de devenir Maîtres chez Eux. À remarquer : que nous ayons été blancs ou pas passait au second plan, car c'est notre connaissance des impératifs scientifiques du développement et de la société moderne qui nous conférait une mission historique. Nous n'étions que des commis au service des populations autochtones. Alors nous sommes passés des salles communautaires [510] aux corridors de l'État. Nous aurions pu, n'est-ce pas, nous appeler Martin, Rocher, Fortin, Frégault, Falardeau.
Ce courant-là emporta la Révolution tranquille du Nouveau-Québec. Au lieu de se propager par des commissions d'enquête successives et par l'érection d'appareils de domaine en domaine, tous les secteurs ont été pris de front à l'occasion du projet hydroélectrique de la Grande-Rivière et le nouveau régime institutionnel a été instauré par la Convention de la Baie James et du Nord québécois.
Troisième station : la nation en question. Les animateurs sociaux lancés parmi les masses nordiques avec la bénédiction salariée de l'État nous ont fait le coup de la Compagnie des jeunes Canadiens qui se prend soudain pour le Mouvement de libération du Taxi et vous pond ici un felquiste, là un marxiste que vous n'attendiez guère. Voici que de technique, le discours, même savant, devient politique.
Les coopératives esquimaudes dont l'épanouissement et la croissance avaient été encouragés, soutenus, Voire provoqués par l'État libéral et modernisateur, se trouvent soudainement en conflit avec l'État sur l'accès au capital public. Pour elles, il n'y a plus d'Esquimaux ou de Cris ; manipulées, diront certains, par des intellectuels blancs - c'est-à-dire des gens qui ne sont pas des autochtones comme Marcel Pépin n'est pas un ouvrier - elles lancent presque le slogan « Autochtones du monde, unissez-vous ! »
À ce moment-là, je fais partie de ces intellectuels. Les coops esquimaudes sont notre CSN, notre P. Q. et notre Mouvement Desjardins dans un même chaudron. (Au heu de nous emprisonner, on nous met à la porte de la fonction publique, ce qui stimule singulièrement notre conscience critique)., A nos yeux, les autochtones forment une classe-ethnie. Le nationalisme de certains de leurs leaders n'est rien d'autre que le mensonge dont ils habillent leur intérêt de technocratie-comprador en ascension. En affirmant la primauté des valeurs de l'unité et de l'homogénéité nationales, ils étouffent les débats au sein du peuple, nient la solidarité trans-ethnique de tous les aborigènes du monde et s'avèrent suppôts du colonialisme techno-bureaucratique, qui lui-même n'est rien d'autre que le masque présenté aux autochtones par le capitalisme monopoliste d'Etat pour déguiser le vol pur et simple de leurs terres au bénéfice des grands exploitants des richesses naturelles. Sur une très courte période, nous télescopons à notre manière la pensée de Rioux, Dofny, Bourque. Puis - il suffit d'un instant - nous rejoignons Nicole Laurin-Frenette : la fameuse question nationale mérite-t-elle seulement d'être posée ? Qu'on affirme ou non la primauté des solidarités nationales sur les solidarités de classe, « la négation aussi bien que l'affirmation confirment la théorie-nation parce que les deux positions [511] se situent dans la problématique nationale » (Laurin-Frenette, N., 1980, p. 59).
Quatrième station : retour de l'homme invisible. Et pourtant, il suffit d'un instant pour constater à quel point des façons différentes d'accumuler l'expérience socio‑historique ont fait des Cris et des Esquimaux des gens très différents ; cette différence se projette dans les pratiques, les luttes, le quotidien. Savoir si la question que cela soulève est celle de la nation ou pas revient à une guerre d'étiquettes : considérée sous l'angle des groupes d'identité qui se forment au gré des procès sociaux d'appropriation symbolique du monde (Simard, J.-J., 1980), c'est une question qui ne va pas demain cesser d'interroger les sciences sociales - qu'elles soient du Québec, de Pologne ou d'ailleurs.
Quand les Canadiens français du Québec visitent l'Ontario ou les États-Unis, ils constatent qu'ils ne sont pas « chez eux ». Pour la majorité, l'étrangeté de la France, comme l'a dit Rocher (Rocher G., 1979), paraît encore plus marquée. C'est banal, j'en conviens, mais cela pose la question des groupes d'identité. D'autre part, un bon nombre sont contrariés de se sentir étrangers en Ontario alors qu'ailleurs, le problème ne se pose pas : cela soulève la question nationale.
III. Science et conscience sociales :
la nationalisation du discours savant
J'avais accompli la majeure partie de ce chemin de croix, lorsque le hasard et la nécessité m'ont conduit à l'étude, puis à la pratique et à l'enseignement des sciences sociales.
Car enfin, ce métier de sociologue a été pour moi une vocation tardive. J'y suis venu rempli d'idées sociologiques déjà faites avant même d'avoir seulement lu une ligne des écrivains québécois occupant déjà le terrain. Cherchant le médium d'une formation comme la mienne, on finit par se demander si c'est la mémoire collective de l'expérience canadienne-française ou les sciences sociales québécoises qui ont pesé le plus lourd.
Et on a envie de répondre que, de façon générale, cette question en est une de poule et d'œuf et qu'en particulier au Québec, elle se dissout devant l'extraordinaire complicité associant les sciences sociales et la conscience sociale, dont on connaît l'obsession nationalitaire. Partout, les sciences sociales sont sorties des questions que les sociétés occidentales du XIXe siècle, en pleine révolution bourgeoise-industrielle, se sont [512] posées sur elles-mêmes. Au Canada, cette mouvance historique a en même temps tissé, dans les conditions douloureuses que l'on sait, un rapport social privilégié et faussé entre deux groupes d'identité, et le traumatisme a, de notre côté au moins, porté à l'obsession ce qui serait probablement resté, en d'autres circonstances, un simple et banal sentiment national. Discours sur une mutation du destin humain, les sciences sociales d'ici ont voulu du même coup et surtout assumer le destin des Canadiens-français-catholiques dans un monde sans cœur. Aussi ont-elles été, dans le verbe vieillot de nos aînés, les Grandes Filles de l'obsession nationale.
Filles soumises, dirions-nous si, pour remonter aux sources, on allait jusqu'à ces Rouges délavés par les pluies de l'Histoire que sont les Garneau et les Parent.
Première station : l'ethnisme. Faut-il plutôt s'arrêter à Groulx, Montpetit, Minville ? On parlerait peut-être alors de filles orphelines ou, en tout cas, agenouillées auprès d'une maternelle conscience nationalitaire qu'elles croient frappée à mort et jurant devant Dieu et les hommes de reprendre sa place pour se faire gardiennes de la famille. Écoutez vibrer Minville, évoquant l'épanouissement des « familles-souches » - celles de Gérin, sans doute, - « pierres angulaires de la société » :
- La voix qui les enseigne, c'est la voix qui monte des tombeaux [...] mêlée à celle qui crie dans les églises. (Minville, E., 1926, p. 270-271.)
Le problème national en est un de races, on dirait aujourd'hui : de culture, à condition d'investir ce mot d'une charge de nature qui ne trouve plus vraiment d'écho dans les sciences sociales, bien qu'encore répandue dans l'opinion publique. La première théorie de la nation fait de cette forme d'appartenance un besoin absolu de la nature humaine et affirme que les facteurs empiriquement observables constituant la nation - territoire, coutumes, langue, religion et autres particularismes uniques dans leur somme sinon un à un - façonnent jusqu'au cœur le caractère des individus, tellement que ceux-ci ne peuvent s'expliquer qu'en référence privilégiée au groupe modelé par la nation.
Ce positivisme naturaliste qui investit entièrement l'identité d'un peuple dans certaines propriétés empiriques, réelles ou imaginaires, ce monisme qui ferme les yeux sur la pluralité des cercles d'appartenance susceptibles d'informer la personnalité, Isaiah Berlin, l'historien anglais des idées, en fait la pierre d'assise de l'idéologie nationaliste. C'est [513] cette conception qui conduit à « l'élévation des intérêts d'unité et d'autodétermination nationales au statut de valeurs suprêmes devant lesquelles, à l'occasion, toute autre considération doit passer au second plan ». (Berlin, I., 1980, p. 338.)
Pour Berlin, c'est le premier verset d'un quatrain entonné par tous les nationalismes ; les trois autres sont nécessairement les suivants :
- 1. Une conception organique de la nation. Elle forme un ensemble auquel les parties (la tête, les membres, les organes, etc.) sont complètement subordonnées. La nation ne peut résulter de la volonté délibérée des humains, sauf si cette volonté s'inscrit dans la foulée de l'héritage historique national [1]. L'homogénéité organique de la nation est constamment menacée par des enzymes gloutons et dissolvants, des corps étrangers comme les métèques, les valeurs universelles, cosmopolitaines, etc. [2].
- 2. Hors de la nation, point de salut. Puisque l'individu ne peut se réaliser pleinement que par et dans la nation, ce qui est bon pour sa nation est bon pour lui [3].
- 3. La nation est supérieure à toute autre forme d'autorité ou de loyauté ; aucune valeur supérieure ne permet de juger les valeurs nationales, dont la réalisation doit balayer ou contourner tout obstacle, tout ennemi, y compris les intérêts nationaux des autres nations. (Il y a contradiction, ici, puisque la pleine expression d'une nation risque de brimer l'être des autres nations ; Berlin rappelle qu’on peut s'en sortir en inventant, pour sa propre nation, une « mission providentielle ».)
Je n'ai pas assez d'érudition pour nier que, considérées dans leur ensemble, l'œuvre d'un Groulx et d'un Minville constituent une longue démonstration de ces axiomes. Mais j'en ai assez pour nuancer un jugement qui se réfère plus à la vulgate abandonnée par ces oeuvres dans la conscience banale qu'à la complexité originelle d'une pensée qui fut plus nuancée et plus contradictoire qu'elle en a l'air au regard de l'époque contemporaine.
Il y a d'abord le fait que les historiens ou socio-économistes de l'entre-deux-guerres n'ont pas liquidé le « combat des deux glaives » que menait saint Augustin au Ve siècle. Ultramontains gallicans, ils sont une vivante contradiction et n'arrivent pas à trancher entre l'Eglise et la Nation quant à la totalité de référence où l'unité de l'individu et de la société se reconstitue par‑delà les différences sociales incompressibles - celles des classes, par exemple. De là cet angoissant tiraillement envers la réalité de l'Etat qu’André J. Bélanger a nommé (malheureusement me semble-t-il) « apolitisme » (Bélanger, A.-J., 1974).
D'abord, ils ont hésité sur les fondements du droit positif, ne sachant trop s'il fallait s'en référer à Dieu ou aux Hommes. Quant au droit naturel, ils sont restés écartelés entre la rationalité immanente au [514] contrat social (à la Hobbes, disons) et les impératifs indépassables des valeurs fondamentales d'une communauté naturelle qu'ils appelaient la race. La question qu'ils n'ont su résoudre est donc celle‑ci : quel est le lieu privilégié du politique, ou de « la gouverne » ? Si les normes de la Cité découlent des débats publics et de la nécessité d'arbitrer rationnellement les conflits d'intérêts, alors l'État enveloppe le politique. Si au contraire la légitimité de la gouverne s'appuie sur des valeurs héritées, même l'État est soumis à la communauté, à l'âme d'un peuple. De fait, Groulx et Minville ne reconnaissent qu'à moitié le principe de la souveraineté du peuple qui fonde la conception bourgeoise du politique, l'État moderne.
Parmi les facteurs objectifs qui expliquent cette réserve, je serais porté à considérer très lourd l'éparpillement de la diaspora canadienne-française : minoritaires dans les provinces de l'ouest, citoyens américains en Nouvelle-Angleterre, majoritaires au Québec mais pas au Canada. La vie politique de la « race » ne saurait donc se projeter dans un État unitaire.
Donc, le nationalisme de l'entre‑deux‑guerres ne peut pas s'investir tout rond dans l'État parce que, comme dit Minville en parlant pour les autres, « il n'existe pas de conception de la famille, de l'école, des oeuvres d'entraide et d'assistance, de l'ordre social propre à une nation ». (Minville, E., 1946, p. 134). Voilà une phrase extraordinaire parce qu'elle peut s'interpréter de deux manières absolument irréconciliables. Ou bien l'ordre social dépend des circonstances historiques ou sociologiques ; ou bien il leur échappe tout à fait et renvoie aux lois divines et à la religion. Minville choisit Dieu et craint en conséquence que, suivant la pente des démocraties politiques, l'Etat provincial ne cherche à se substituer graduellement à l'initiative de l'Eglise et des oeuvres qu'elle organise (E. Minville, 1946, p. 166). Nous n'avons pas tant ici affaire à un apolitisme qu'à une conception du politique où l'homme n'est que partiellement responsable des affaires de tout le monde parce qu'il n'est que partiellement souverain. Entre l'État, ultime projection du logos, et l'Eglise, ultime dépositaire du nomos, il y a le lieu où se résolvent les affaires de tout le monde, la politique concrète, historiquement située dans le temps et l'espace, la Nation, c'est-à-dire une société civile, n'appartenant entièrement ni tout à fait à l'Église ni tout à fait à l'État [4].
Ces sociologues, ces historiens n'ont pas fait leur choix méthodologique en quelque sorte, entre deux validités concurrentes : la Foi ou la Raison, la révélation ou la science. Ici, on entend Minville tenir un discours de savant positiviste :
- Les progrès moraux de l'humanité n'ont pas accompagné ses progrès économiques et les sciences sociales n'ont pas avance au [515] rythme des sciences physiques et naturelles - cause profonde des désordres dont souffre la société contemporaine (E. Minville, 1946, p. 240).
Puis, le voici qui présente un autre visage :
- Si, pendant les temps périlleux que nous traversons, les catholiques du Canada, les sociologues en tête... (Minville, E., 1946, p. 70-71).
Ou encore :
- L'enseignement dispensé du haut de la chaire demeure toujours le plus propre à provoquer et à guider l'action sociale (Minville, E., 1946, p. 173).
Drôle de sociologue, pour qui une chaire aux H.E.C. ne vaut pas la chaire de Notre-Dame pour « guider l'action sociale » et qui appelle « catholique » sa collectivité de référence.
Ce genre, d'attitude colle mal au qualificatif « petit bourgeois » dont on l'affuble, car elle n'est guère, même petitement, bourgeoise : elle se détourne trop de la rationalité bourgeoise, des vertus bourgeoises de l'accumulation des richesses, de l'État bourgeois, de la liberté individuelle bourgeoise, etc. Quand nos intellectuels de l'entre‑deux guerres embrassent cet univers normatif, ils le font de reculons, comme on embrasse un vieil oncle revenu des États avec sa barbe piquante : aussi vite et superficiellement que possible.
En simplifiant, mais non sans raison, on a dit des conceptions sociales de cette génération qu'elles se détournaient, au moins partiellement, du monde réel. Clergé Médiéval, on lance des slogans à l'intention d'une « nation catholique » dont l'âme a déjà un bon bout de fait sur le chemin de l'au-delà ; intellectuels modernes, rationalistes, on appelle une génération nouvelle d'entrepreneurs « nationaux » dont l'économie politique du Canada refuse obstinément l'accouchement.
Si les groupes d'identité constituent une réalité sociologique que n'épuise pas la critique de la fausse conscience, il faudra peut‑être un jour faire l'hypothèse que ces gens de parole se conduisent, pour une part au moins, comme « intelligentzia organique » d'un groupe d'identité : les Canadiens-français-catholiques où les petits‑bourgeois, comme Taylor l'a montré, préfèrent les relations de parenté aux relations de travail, et les prolétaires, ainsi que Bourque et Légaré ont pris soin de le rappeler, vendent leurs bras aux machines en conservant leurs coeurs pour les valeurs du terroir. Comprenez-moi bien : je n'essaie pas ici d'opposer la culture en dernière instance à l'économie en dernière instance. J'abandonne volontiers les marais de la dernière instance à ceux qui s'y chicanent : les théoriciens du national-corporatisme des années 30 [516] et ceux du national-marxisme contemporain (Bourque, G. et Laurin-Frenette, N., 1971, p. 109-155).
Je veux simplement redonner aux procès socio-historiques d'appropriation symbolique et aux réalités sociales qu'ils engendrent, l'autonomie relative qu'ils ont par rapport aux affaires de l'appropriation matérielle ; sans tenir compte de cette autonomie il me semble impossible de rendre compte de la dialectique sociologique de l'universel et du particulier, de l'unité et de la contradiction, bref, pour emprunter un mot à Dumont, du véritable « lieu de l'homme ».
Deuxième station : l'Étatisme. La pensée de nos premiers théoriciens de la nation, écartelée entre la transcendance du discours théologique et la transcendance du discours scientifique, demeure proto-sociologique et proto-historique. Tandis que Groulx entreprenait des recherches historiques pour montrer à quel point « plus ça change, plus c'est pareil », Minville lançait des études sur notre milieu pour voir comment la voix des tombeaux et des clochers arriverait sinon à enterrer, du moins à rabaisser de quelques décibels le bruit des machines, la clameur de la piastre et la plainte des prolétaires.
Une rupture s'imposait pour qu'apparaisse une véritable science sociale québécoise. Puisque le Québec, contrairement à ce qu'il paraît à certains nationalistes, n'est pas la tête d'épingle sur laquelle pivote l'histoire du monde, cette nouvelle pratique intellectuelle ne sera pas plus québécoise que Durkheim est français et Weber allemand. Mais elle le sera dans la mesure précise où sa rupture participe d'une continuité.
D'un côté, on sait bien, par exemple, que par‑delà même ses grands disciples (Frégault, Séguin, Brunet, etc.) les mânes de Groulx ont hanté les débats historiographiques subséquents (École de Montréal/École de Québec ; Wallot/Ouellet, etc.), ou que les théoriciens de la planification/participation, tel un Gérald Fortin, se situent dans la foulée de Minville. F.-A. Angers a déjà sigrialé cette parenté. Minville, de toutes manières, continue à nous regarder comme l’œil de Caïn par l'entremise de l'attachante et combien présente personne de M. Angers.
Par ailleurs, la première génération des « purs » naît, elle aussi, de l'accouplement de nos disciplines avec l'obsession nationale. Sauf que c'est une grande adolescente en rébellion contre sa mère qui se retrouve à l'École de réforme fondée à Québec par le père Lévesque, puisqu'à Montréal le terrain appartenait aux jésuites de l'École sociale populaire et aux universitaires nationalistes.
L'École des sciences sociales de Laval bat la marche d'un virage intellectuel majeur. En suivre les étapes serait trop long et demanderait, encore une fois, plus d'érudition que j'en ai ; chose certaine, les confrontations qui l'accompagnent dépassent très largement la cité savante. [517] La bataille de la déconfessionnalisation des coopératives, par exemple, est peut-être le début de la Révolution tranquille, car au fond elle soulève une question épistémologique en même temps que politique : est-ce la foi ou bien la raison qui doit d'abord « guider l'action sociale » et poser les questions politiques ? Est-ce la révélation ou bien la science qui doit permettre aux hommes de comprendre et de maîtriser leur situation ?
En 1947, Laurendeau rassemble les esprits autour d'un problème angoissant : la « dénationalisation de la classe ouvrière ». Le débat se poursuit dans les pages de l'Action nationale (vol. XXX et XXXI, 1947 et 1948). La « question nationale », avait déjà dit Montpetit, était « une question économique ». Mais cela signifiait deux choses : que les Canadiens français devaient combattre l'Anglais sur le terrain économique aussi bien que politique ; et que le matérialisme, la suprématie des valeurs économiques menaçaient de corrompre l'âme de la nation. Après la guerre, c'est la primauté des solidarités nationales qui est remise en question :
- Cette famille irlandaise et cette famille canadienne-française qui occupent chacune une chambre dans un réduit de la rue St-Antoine ne sont-elles pas plus près l'une de l'autre, et plus solidaires, que deux familles canadiennes-françaises dont l'une est confortablement installée à Outremont et dont l'autre demeure dans un taudis ? En d'autres termes, la communauté de besoins inassouvis ne crée-t-elle as des solidarités plus dynamiques, plus fondamentales que l’appartenance à une même communauté nationale (Ryan, C., 1948, p. 175).
Cet intervenant est des nôtres : il a fait des études en service social à l'Université de Montréal. Il pose une alternative qui obsède encore plusieurs de nos collègues : classe ou nation ? De plus, il affirme qu'un certain discours dominant sur la nation n'a guère de fondement dans les faits scientifiquement confirmés, même si, dit-il, nos milieux intellectuels ne manquent pas de gens pour ajouter à leurs titres celui de « sociologue ». Le nationalisme, en réalité, est une mystification : « l'ouvrier entend parler de sa « race » en temps d'élections, le 24 juin, à chaque guerre impériale. À part ça, il passe le reste de sa vie à se faire exploiter par ses frères arrivistes autant que par les étrangers » (Ryan, C., 1948, p. 182). Le prolétaire, ajoute-t-il, est un « travailleur réduit à la disposition de sa seule force physique de travail sans réserve d'aucune sorte ».
Claude Ryan n'était pas marxiste, Dieu l'en garde. Comme les intellectuels de son âge, il définit les classes de façon positiviste, à l'américaine, en parlant de « besoins » plus ou moins « inassouvis », touchant l'habitat, la santé, l'éducation, bref, le standard de vie. Il exige, [518] si on tient à parler de la nation, qu'on sonde l'opinion, qu'on mesure, qu'on compte rigoureusement.
Le nationalisme est ici attaqué sur deux fronts : les valeurs nationales, la loyauté envers la nation ne sont pas suprêmes mais susceptibles d'une critique rationnelle, à la lumière des réalités sociologiques et des valeurs universelles : le progrès technique par exemple ; ensuite, on ne saurait enfermer à jamais le caractère national d'une collectivité dans des particularismes donnés - coutumes, institutions, traditions - et les valeurs nationales ne peuvent se réaliser autrement qu'en assumant pleinement les conditions historiques objectives : l'industrialisation par exemple. Là-dessus, les chiffres parlent plus clair que les tombeaux et les clochers.
Toute une génération de praticiens des sciences sociales va en conséquence organiser son discours autour de la typologie société traditionnelle/société moderne (industrielle, technologique, urbanisée, etc.), et son vocabulaire autour d'une comptabilité.
Derrière ces propos couve toujours, malgré les apparences, l'obsession nationale. L'opposition archi-simplificatrice de la tradition et de la modernité opère une formidable réduction : elle aplatît 35 000 ans d'histoire humaine dans la folk-society, la « mentalité traditionnelle ». Tandis que la sociologie se charge de refouler à jamais dans la préhistoire toute une gênante culture canadienne-française-catholique-rurale, l'historiographie poursuit les coupables de ce qui, au regard de « la société moderne », ressemble fort à un retard et à une infériorité collectifs : c'est la faute de notre petite-bourgeoisie-cléricale-traditionnelle, affirme-t-on d'un côté ; pas du tout, rétorque-t-on en face, c'est la faute aux Anglais conquérants.
Quoi qu'il en soit des causes de ce handicap national, toutes sortes de données scientifiques permettent d'en prendre la mesure. La société québécoise souffre d'une sorte de rétrécissement du per capita par rapport aux « autres » sociétés occidentales. Rioux a parlé de rattrapage pour caractériser l'idéologie la plus répandue à cette époque (Rioux, M., 1973, p. 271-293). Jean‑Louis Roy (1976) a cru devoir préciser que la « connaissance chiffrée » fournie par les praticiens des sciences sociales était à l'origine de cette « prise de conscience » : rattrapage, certes ; des statistiques surtout. On n'en finit plus de rattraper le lapin, comme dans les courses de lévrier. Tenez, en 1977, Gary Caldwell et Dan Czarnocki (1977) parlent encore d'un « rattrapage raté ». Prise de conscience ou prise du pouvoir ? Le pouvoir de l'intelligentzia, dans n'importe quelle société, tient à la monopolisation du savoir qui permet de guider l'action sociale. [519] Ce savoir doit être légitimement considéré comme transcendant, c'est-à-dire échapper au jugement d'une connaissance qui lui serait supérieure et dépasser la conscience pratique des circonstances particulières.
Ce n'est pas pour rien que ce pauvre clergé a pris tant de coups de la part de nos savants. Car il s'agissait d'affirmer la transcendance des sciences sociales sur la connaissance théologique, et de substituer à la téléologie de la mission providentielle la téléologie des lois du développement économique.
Et puis, institutionnaliser le nouveau savoir-pouvoir : remplacer l'Église canadienne par l'État québécois, les deux aussi « catholiques » l'un que l'autre, aussi capables d'incarner, pour ainsi dire, l'universel d'ici. Chiffres en main, lois scientifiques du développement en bouche, diplôme en poche, la nouvelle intelligentzia nationale se chargerait de mener la nation aux portes de l'État, lequel, aux fins du grand rattrapage, remplacerait l'Église sur le terrain de la socialisation (l'éducation, les œuvres sociales, les orientations culturelles) et, sur celui de l'accumulation et de l'investissement, l'Autre-puissance, le Capital canadian ou américain. A.-J. Bélanger précise :
- La raison est portée en triomphe par ceux-là qui s'en prétendent les meilleurs interprètes. Elle est bien sûr appelée à présider aux destinées de la société toute entière par le truchement de l'État. L'appel de la « race » qui mobilisait (...) une « élite » d'enseignants clercs et laïcs de même que des notables, fait place a l'appel de l'Etat qui mobilise maintenant une avant-garde nouvelle, celle des spécialistes, des experts, bref, une technocratie en devenir. (Bélanger, A.-J., 1977, p. 131.)
En devenir. Avant 1960, la confrérie des sciences sociales québécoises se contente de revendiquer pour elle seule la science et l'expertise. En attendant que « notre population », comme elle dit, se décide à la nationaliser, à l'étatiser, elle se prend (appareils en moins) pour l'O.N.U., l'U.N.E.S.C.O., l'O.C.D.E. des Canadiens français.
Quant à ces derniers, elle les prend - excusez l'expression - pour des nègres, si « nègre » a pu vouloir dire : du bon monde, mais péniblement mal équipé pour la modernité. L'attitude est-elle, chez moi, pharisienne ? Il me semble que le père Lévesque n'est pas par hasard passé de l'Université, Laval à celle du Rwanda. Même mission.
Par l'entremise d'une théorie du passage de la société traditionnelle à la société technologique ou industrielle, on cherche la stratégie du décollage, du take-off, applicable à notre peuple. Car enfin, comme dit Trudeau, « il n'y a guère d'État qui puisse transgresser impunément [520] les lois de l'économique et de la technologie ». Notre roi-philosophe aux plumes de colombe [5] ne caquette pas tout seul ; Bélanger souligne :
- Tout autant impliqués dans l'opération de débroussaillage et d'accès à un certain positivisme, se situent les recherches et certains enseignements de la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval (Bélanger, A.-J., 1977, p. 87).
Nous glanons ici, j'en conviens, dans du vieux buché. Personne ne prétendrait innover en démasquant les servitudes bourgeoises qui pèsent sur les propriétés intellectuelles des penseurs de Cité libre.
Cette façon de voir appartenait bien sûr à son époque : l'après-guerre subit la séduction de la croissance, de la technologie, de la rationalité - Bell célébrera la « fin des idéologies ». Mais elle appartient aussi à son milieu : devant la tribu canadienne-française, Sirius s'émeut et il arrive que cette émotion se charge d'une certaine honte, trahisse un certain mépris de soi.
Cette honte n'est pas nouvelle. En 1926, le père Dugré s'exclamait, devant « l'érosion des mœurs » : « Que doivent penser de nous, en voyant ces horreurs [...] les gens civilisés qui nous observent, l'Anglais aristocratique, le Français cultivé, le prélat Italien ? » (Dugré, A., 1926, p. 72). Et le Ryan de 1948 : « Il n'y a rien qui m'humilie comme de me faire décrire nos divisions par mes amis anglais d'Ottawa et de Toronto ». (Ryan, C., 1948, p. 184). L'homme du « lousy French » [6], de son côté, ne sera pas seul à croire que le pouvoir fédéral se portait garant contre le fascisme endémique à l'État provincial - hanté en permanence, n'est-ce pas, par les sombres recoins de cette « personnalité canadienne-française » que Maurice Tremblay se chargera d'accabler au nom de tous les siens dans un article vitriolique célèbre. À partir du mépris bénin qui couve sous l'expression a priest ridden Province en passant par l'interminable débat sur « le retard du Québec et l'infériorité des Canadiens français » jusqu'à la honte marxiste devant des mouvements populaires (syndicats, coops, colonisation) empêtrés dans une innommable fausse conscience, la longue vue des sciences sociales universelles découvre une tribu passablement tarée : elle sent la vache, le cani et la soutane, quand ce n'est pas le hot-dog, Old Orchard et autres relents graisseux de l'épaisseur étatsunisienne.
N'allons pas nous-même descendre du Parnasse de notre époque pour venir mépriser l'oeuvre de nos prédécesseurs : il suffit d'évoquer Duplessis et tout ce qu'il représentait pour comprendre leur gêne et leur colère. Et puis, si la démesure a parfois poussé la critique aux lisières de « l'identification négative », plusieurs ont complètement [521] échappé à ce travers - on pense aux oeuvres d'un Falardeau, d'un Ryerson, d'un Dumont lorsqu'on n'a pas lu tout le monde.
Je veux simplement souligner à quel point l'antinationalisme qui a pu marquer le « grand cru 50 » participait, à sa manière, de l'obsession nationale. Notre grande adolescente, dans le fond, doit aimer profondément sa mère, mais elle préférerait sortir en ville sans elle et ne pas étirer les présentations lorsque maman interrompt une partie de copains en train d'écouter des disques de Redfield, de Weber, de Keynes ou de Marx.
Sous ce rapport, nul ouvrage de sociographie ne renversera plus les conceptions banalisées de la nation que l'enquête Tremblay-Fortin sur les comportements économiques de la famille canadienne‑française. Certes, cela commençait à se savoir, mais Fortin et Tremblay le « prouvent » empiriquement : dans l'ordre des valeurs, celles de la tribu sont en train de céder devant celles de la consommation ; et sous cet éclairage la fameuse dichotomie rural/urbain, censée déchirer la continuité nationale, n'existe plus. Or, c'est sur elle que se fondait à la fois le conservatisme de « la campagne, réservoir de la race » et le progressisme qui vouait au musée la « société traditionnelle ». Nos chercheurs touchent à l'épaule leurs collègues qui luttent contre l'obscurantisme de la « mentalité traditionnelle » et du nationalisme passéiste pour leur murmurer : les amis, vous vous acharnez sur un chien mort. Au ras du quotidien, dans ses cuisines mêmes où veillent l'image du Sacré-Cœur et les rameaux tressés, le peuple canadien‑français s'est libéré tout seul du pays charnel des Habitants pour entrer dans celui, plus concret en même temps que plus abstrait, du marché, où priment le calcul et les grandeurs économiques. La nation se trouve donc disponible pour s'investir dans l'espace symbolique de l'État. On peut lancer le cri de ralliement : « Désormais ! ».
Les scrupules « apolitiques » des nationalistes des années 30 sont tombés, mais le mariage de raison entre la nation et l'État appelle l'instauration d'un nouvel ordre politique. Contre les Canadiens français de Laurier, lesquels, « mon cher Henri », n'avaient pas d'opinions mais que des sentiments, on parie sur la rationalité immanente de la « population ». Aussi, de réformes en réformes, de secteur en secteur et de niveau en niveau, les appareils techno‑bureaucratiques de la planification/participation voudront-ils s'étendre sur tous les domaines des affaires communes, et se substituer aux pratiques et institutions de l'ancienne politique partisane, sentimentale, jusqu'à ce qu'au terme de cette révolution, la cybernétique de l'État et la dialectique de la société civile se fondent l'une dans l'autre (Simard, J.-J., 1979). La nation pourrait [522] alors annoncer : l'État, c'est NOUS. Marcel Rioux (à qui on doit la distinction) accepterait-il qu'en ce sens l'idéologie de la participation est en parfaite continuité avec l'idéologie de rattrapage ?
Troisième station : la nation en question. Le discours que fabriquent les sciences sociales sur la nature humaine découvre un nouveau paradigme : l'homme du conditionnement. Écoutons Léon Dion, écrivant dans Cité libre à la fin des années 50 :
- Il est temps qu'à côté de l'histoire nationale s'élabore une histoire sociale qui reprenne, sous de nouveaux an les, l'expérience politique, économique et culturelle des Canadiens français en tant qu'ils furent des ouvriers, des paysans et des bourgeois, c'est-à-dire des hommes qui ont travaillé et cherché à se définir par rapport aux structures concrètes à l'intérieur desquelles leur expérience prenait virtuellement son sens et qui, sans doute, ont aspiré vers certaines formes de libération et de transcendance (cité par Bélanger, A.-J., 1977, p. 82).
Si l'identité nationale existe, elle n'est pas tant un héritage inéluctable et une série de caractères indélébiles, que la signature apposée sur les êtres et les choses par des hommes concrets, placés en situation, dont les projets sont conditionnés par la place qu'ils ont occupée dans les structures socio‑historiques composant leur environnement. Alors que chez Minville et Groulx le sens des engagements sociaux est donné par le caractère national, l'impératif de la race, la voix des tombeaux, donc l'au‑delà des valeurs révélées, ici, le sens doit être construit à partir d'une expérience conditionnée par un mode de participation au travail social, lui‑même déterminé en dernière instance - oui, même chez Dion - par le régime économique. Il n'existe pas, disait Minville, de conception nationale de l'ordre social. En effet, répond-on, elle nous est donnée par le mode de production : il s'agit de s'y traduire.
La nation, du coup, se retrouve en question. Comment peut-elle servir de totalité de référence alors que la condition de classe médiatise la prise des hommes de chair et d'os sur leur environnement ? Les uns ont déjà répondu : pourvu qu'elle se retrouve dans l'État, incarnation institutionnelle de la Raison et de la Volonté collectives. Dumont, par exemple, dans une langue qui, je crois, n'est plus tout à fait la sienne aujourd'hui écrivait :
- L'antagonisme des conditions de vie et des classes est une réalité profonde de notre société ; il ne faut pas chercher à l’enrayer par des mystifications. Mais ce n'est pas au niveau de l'État que cet antagonisme doit se manifester. (Cité par Bélanger, A.-J., 1977, P. 119.)
[523]
Pour d'autres ceux-là sont poètes avant que d'emprunter au vocabulaire des sciences sociales l'État, être de raison, ne peut se substituer à l'être du cœur. Ce coeur-là, Groulx et les siens avaient cru le reconnaître dans des particularismes de fait, une « personnalité première » aux traits fixes, inamovibles, que la suite du monde a presque complètement effacés. Enfermée hors du temps, par les nationalistes de l’entre-deux-guerres, exilée hors de l'histoire par les antinationalistes, de l'après-guerre, cette identité qui s'appelait elle‑même canadienne-française n'a plus de réalité ni de prise sur le mouvement du réel. Cette mémoire conditionnée est celle d'une absence. Parlant de la revue où cette angoisse s'est le plus ouvertement exprimée, André-J. Bélanger écrit :
- Les anciennes composantes ayant volé en éclats, Parti Pris est forcé d'entamer une réflexion sur l'absence même d'identité (Bélanger, A.-J., 1977, p. 145).
Que dira-t-on ? Que l'identité nationale n'est pas enfermée dans un patrimoine mais conscience d'un rapport au monde en évolution ; et que ce rapport ne s'opère pas directement : il passe par une relation entre le Nous et le Eux elle‑même médiatisée par un rapport économique, un rapport de classe. La génération précédente avait voulu exorciser les mutations de l'identité canadienne-française en invoquant un continuum abstrait entre deux modèles de société ; du coup, on balayait sous le tapis du « retard historique » la réduction, l'émasculation de la nation - ce dont le colonisé avait honte, ce qui fondait sa haine-de-soi.
C'est alors que Rioux et Dofny écrivent leur article fameux sur là classe-ethnie, tandis que Vallières revendique - au heu de la regarder de haut - la négritude blanche d'Amérique [7], et que l'afficheur Chamberland hurle :
- Je suis un homme agressé dans chacun des miens et qui ne tient pas de conduite sensée cohérente tant qu'il n'aura pas réussi à effacer l’infamie que c'est d'être canadien français. (Chamberland, P., 1964, p. 9.)
La supposée « mentalité traditionnelle » n'est pas la superstructure d'une « société traditionnelle » mais la conscience aliénée du colonisé, de la victime d'un impérialisme. Car la soi‑disant « société industrielle » trouve profondeur historique et dynamique dans un régime d'exploitation d'une classe par une autre - le capitalisme. En ce pays, l'impérialisme et le capitalisme parlent anglais. La condition nationale du Canadien français est celle du colonisé et du prolétaire, handicapé de la main et de la langue : le porteur d'eau parle joual. La nation disparaît dans l'oppression nationale : en d'autres mots, tirés du lexique marxiste, [524] « l'articulation spécifique du capitalisme impérialiste aux fractions linguistiques de la formation sociale canadienne ». Aussi la prise de conscience du mépris-de-soi comme intériorisation de l'oppression sous la forme de la culpabilité est-elle la première phase d'une prise de conscience de classe. La « question nationale » ainsi dissoute, ne reste que celle de « l'oppression nationale » : par quels méandres structurels s'opère-t-elle ? Le débat autour de ce problème se transporte, par exemple, sur les diverses orientations de la classe dominante : il importe de savoir qui, de la bourgeoisie industrielle ou de la bourgeoisie marchande, a mené la transformation structurelle de l'économie politique canadienne au siècle dernier.
Ryerson, par exemple, insiste sur l'industrialisation au tout début du dix‑neuvième siècle pour faire voir comment la Rébellion, par-delà les clivages ethniques du Haut et du Bas-Canada, fut un mouvement de prolétaires exploités. Les travaux de Dubuc s'attachent à des problèmes similaires. (Ryerson, S.-B., 1978 et Dubuc, A., 1965 et 1978, p. 29-53.)
Tandis que d'autres essaient de prendre la mesure du pouvoir effectif des fractions canadiennes et québécoises du Capital contemporain, et quelque part dans ces cénacles, de la bourgeoisie d'Etat provinciale (Niosi, J., 1978 ; Fournier, P. et al., 1978 ; Brunelle, L., 1978). Ces nuances comptent beaucoup pour interpréter la polarité du rapport dominants/dominés et, par conséquence, la focalisation des luttes populaires-nationales - si tant est qu'elles soient nationales. Enfin, on connaît l'importance des recherches sur l'histoire des « travailleurs québécois » ; lorsqu'elles se colorent d'une intentionnalité nationalitaire, elles reprennent, à leur manière, le baluchon de l'abbé Groulx ; sans l'avouer, elles vont fouiller l'histoire pour y trouver le rachat des Québécois : une profonde tradition de luttes où ancrer la fierté collective du peuple et lui découvrir même, à l’occasion, des figures héroïques : Médéric Lanctot, Albert St-Martin, Laure Gaudreault, Madeleine Parent. Comme celui de Groulx ce regard souffre à l'occasion d'un irritant strabisme doctrinaire. Ce qui ne l'empêchera pas, lui non plus, de renouveler l'historiographie québécoise.
Solidaires de ces recherches plus descriptives, un certain nombre de théoriciens-militants [8] s'efforcent de clarifier une question pratique abandonnée par Parti Pris à l'agenda des intellectuels : pourquoi l'émancipation des Québécois devra-t-elle passer en même temps par le socialisme et l'indépendance ? Derrière l'opacité d'une langue byzantine où nulle mouche n'échappe à l'outrage bulgare, on soupçonne que c'est sur ce terrain que se rencontrent des gens comme un Gilles Bourque ou un Jacques Mascotto.
[525]
À partir du même tronc commun se trouve la voie où (à tâtons encore, il faut bien le dire) avancent certains collaborateurs de la revue Possibles : Rioux, Gagnon, Marcel Fournier et le tandem Robert Laplante/Andrée Fortin [9], quatre générations de sociologues qui se reconnaissent dans une certaine « québécitude » des tripes rappelant le romantisme allemand et le populisme russe, par contraste, disons, avec une pensée tout aussi soucieuse d'enracinement mais d'abord médiatisée par la perspective marxiste classique, plus jalouse de son obédience « scientifique » et de ses accointances « travaillistes » [10].
Les fidélités qui fondent la « québécitude » où se loge Possibles remontent jusqu'au nationalisme de l'entre-deux-guerres. Marcel Fournier (1980) a d'ailleurs souligné les parentés qui emboutissent le corporatisme d'un Minville, si soucieux de préserver l'autonomie de la société civile contre l'État, jusque dans l'utopie mal assurée qui se cherche actuellement du côté des expériences et des groupes plus ou moins « populaires » ou « autogestionnaires ». Bouchant les trous du continuum, A.-J. Bélanger (1971) s'était déjà chargé d'embrocher Groulx et Parti Pris sur ce même vecteur d'une vision communautariste du social.
La chasse aux continuités ne devrait toutefois pas nous rendre aveugles aux ruptures entre le « communautarisme » des années 30 et celui de l'heure actuelle. Inutile de revenir sur les distinctions entre donné et construit, entre héritage et projet, à l'origine de deux conceptions radicalement différentes de l'identité nationale. Par contre, il faut relever une autre discontinuité. Évoquons pour ce faire l'autre Minville : celui des grandes enquêtes socio‑économiques, celui qui réclame des experts et qui convaincra Duplessis de fonder un Conseil provincial d'orientation économique, interlocuteur privilégié des corps intermédiaires. Ce Minville-là contient déjà les germes de l'idéologie de planification/participation qui inspirera toutes les réformes d'appareil où s'est échoué le projet nationalisant et socialisant de la Révolution tranquille. Or, s'il est un carrefour où divergent ce que Possibles appelle « les chemins de l'autogestion », c'est bien celui-là.
En somme, la critique de la technobureaucratie « nationale » rejoint sur ce point le discours marxiste « d'ici » lorsqu'il stigmatise le Capitalisme d'État et la nouvelle petite-bourgeoisie. Celui‑ci surveille la C.S.N. et les luttes des travailleurs organisés ; celui‑là guette Tricofil, les Opérations-Dignité ou la librairie Pantoute. Les uns et les autres cherchent sur différents fronts de la praxis la réconciliation des solidarités souvent conflictuelles de la classe et de la nation, l'inspiration d'un discours neuf susceptible d'ordonner ces deux concepts au sein d'une logique unitaire, bref, les matières premières d'un « projet de société » où le [526] peuple-nation puisse s'investir, pour les uns ; l'oppression nationale de classe se liquider, pour les autres.
Quatrième station : quelques enzymes gloutons. Je crois qu'on n'y arrivera pas, ni en pratique ni en théorie. Il faudrait écrire une thèse pour s'en expliquer. Disons seulement qu'elle pourrait prendre appui sur les hypothèses et démarches suivantes :
- 1. Le concept de classe et celui de nation possèdent la même détermination historique : la société bourgeoise-industrielle. Ce sont les mots qu'on a trouvés pour désigner, en temps et lieux donnés, l'expérience historique de l'unité et des contradictions inhérentes à la socialité humaine.
- 2. L'idée de classe ne peut pas se dissoudre entièrement dans le discours sur la nation ; l'idée de nation ne peut se soumettre totalement au discours sur les classes. On ne peut embrasser tout le social historique à partir d'une logique unitaire. L'humanité est langage, et sous ce rapport social au monde, la classe comme là nation s'inscrivent l'une dans l'autre, comme groupes d'identité. L'humanité est technique (forces productives) et, sous ce rapport social au monde, la nation est un effet du mode de production. Cette dialectique invente l'histoire, mais ne se résout pas. Se dépasse-t-elle ?
- 3. Le nationalisme est toujours une idéologie de classe. Le sentiment national, c'est autre chose. Considéré sous l'angle des solidarités symboliques, rien ne permet a priori de privilégier la primauté du champ de signification dit « national » sur d'autres cercles d'identification au travers desquels l'individu saisit symboliquement son univers. L'identité est un rapport à l'autre. Les rapports entre générations, entre régions, entre classes, entre strates de consommation, entre catégories professionnelles, entre ethnies, entre empires, entre familles, bref, tout principe de différenciation sociale peut polariser un champ d’dentification, nourrir un sentiment de loyauté, rassembler des groupes d'identité. Le nationalisme consiste à poser le primat de la nation envers et contre tout autre champ d'identification.
- 4. À force d'être « traditionnelle » ou d'être « nouvelle », la petite-bourgeoisie censée avoir porté le nationalisme canadien‑français finit par ne plus être petite-bourgeoisie. Il faudrait peut‑être se demander si ce nationalisme ne recouvrait pas les intérêts d'une intelligentzia essayant de se constituer en classe, pour elle‑même, à défaut de pouvoir s'accrocher à un prolétariat et à une bourgeoisie qui, dans tous les sens du mot, ne comprenaient pas son langage (Konrad, G. et Szelenyi, Y., 1979).
- 5. Notre thèse pourrait prendre appui sur ce que l'historiographie nous révèle du XIXe siècle québécois, puisque c'est à ce moment que tout le monde situe l'émergence des classes et de la nation telles qu'on [527] en parle aujourd'hui. J'essaierais, pour ma part - on est toujours de quelque part - de mettre en relation deux livres qui traitent du Lac St-Jean : la Conquête du sol au dix‑neuvième siècle de Normand Séguin (1977), privilégiant les procès et structures de l’appropriation matérielle ; Anthropologie de la colonisation de Michel Verdon (1973), qui met l'accent sur l'appropriation symbolique. Deux titres dont la prétention signale déjà la démesure qui menace de nos jours la pratique de nos disciplines. Deux ouvrages dont la richesse et la qualité scientifique demeurent incontestables et qui, chacun à leur manière, racontent quelque chose de vrai et de passionnant.
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[1] Minville : « Un peuple (...) ne choisit pas ses institutions sociales : elles sont la manifestation même de sa vie ; il ne choisit pas non plus le caractère à leur donner, il leur communique comme une projection de son esprit (...) elles apparaissent comme organes de la vie collective » (Minville, E., 1946, p. 133-134).
[2] C'est parce qu’elle est « internationale », d'aucune nation, de tout temps et de nulle part, que la « juiverie » sert de bouc émissaire. Et la terreur que suscite le communisme tient à son humanisme universaliste : l'homme, disait Marx, est un être générique. Les nationalistes y voient au contraire un être génétique.
[3] Minville, citant le père Delos : « Pour être pleinement homme, il lui faut d'abord être membre d'un certain groupe ethnique et national et en avoir subi l'influence par mode de culture. » Je souligne.
[4] L'analyse que fait A.-J. Bélanger de cette idéologie n'en demeure pas moins remarquablement fine, honnête et convaincante. Mais son choix du qualificatif « apolitique » prête à confusion. Il assume trop aisément le non-dit qu’enveloppe vulgairement le concept actuel de « politique » - l'État. Or, une idéologie peut bien refuser de focaliser sur l'État et ses appareils sa conception de la Cité, de l'Agora, de l'instance sociale privilégiée où doivent se discuter et se régler les affaires de tout le monde, s'exercer le pouvoir légitime : le communisme anarchique par exemple. Utopique, le corporatisme de l'entre-deux-guerres ? Sans doute. Contre la politique telle qu'elle se pratique ? Absolument. Apolitique ? Je ne crois pas.
[5] Je n'ai pas dit : le Muriel Millard de la science, puis de la scène politique.
[6] Trudeau ridiculise les appels à une énergie créatrice nationale « qui donnerait du génie à des gens qui n'en ont pas, et qui apporterait le courage et l'instruction à une nation indolente et ignorante ». (Cité par Bélanger, A.-J., 1977, p. 120.)
[7] En 1933, dans l'Action nationale, Jacques Brassier avait déjà utilisé l'expression : « Quand nos chefs politiques se décideront-ils à traiter leurs compatriotes autrement que comme un peuple de quality niggers ? » Dans le civil, ce Brassier (le nom sonne vaillant, comme un héros de bande dessinée), s'appelle Lionel Groulx, prêtre (Brassier, J., 1933, p. 191).
[8] L'image du théoricien-militant se démarque contre celle du théoricien-expert de la Révolution tranquille.
[9] Notre colloque aurait-il oublié la génération montante des moins de trente ans ?
[10] Je suppose qu'à bon droit les auteurs mentionnés rejetteraient mon analogie avec le romantisme et le populisme puisqu'elle risque de réduire, de tordre et de trahir l'originalité de leur commune démarche. La défense de ma comparaison exigerait qu'on réexamine sous une lumière critique les conceptions sociologiques qui organisaient en profondeur l'éthique et l'esthétique des romantiques allemands et des populistes russes avant que ces intuitions aillent se perdre dans les absurdités jusqu'au‑boutistes que l'on connaît. Cette critique permettrait de comprendre pourquoi, délibérément, Possibles veut accoupler le discours des sciences sociales et celui des poètes, comme Parti Pris avant elle. Le romantisme, c'est aussi Schiller ; le populisme, Tolstoï avant les narodniki.
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