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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Rémi Savard, “Et les autres Québécois” (1971)
1. Un dossier oublié


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rémi Savard, “Et les autres Québécois”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Claude Ryan, Le Québec qui se fait, pp. 201-211. Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH ltée, 1971, 311 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 15 novembre 2005.]

1. Un dossier oublié

Dans nos écrits, discours, discussions, activités politiques, manifestations, etc., portant sur l'avenir du Québec, nous avons toujours, à toute fin pratique, passé sous silence la présence des Indiens et des Esquimaux, répétant ainsi à leur endroit les gestes d'omission souvent adoptés envers nous par la majorité canadienne. Ils sont pourtant quelque trente mille de l'océan Arctique jusqu'aux bas-fonds de nos grandes cités polluées, de la baie d'Hudson jusqu'aux fiords du Labrador, de leurs mots que nous avons tordus (noms de lacs, de rivières, de villes, etc.) jusqu'aux noms chrétiens désormais imprimés sur leurs chèques d'assurance sociale, et d'hier à demain ... Dans l'imbroglio d'une erreur de navigation, nos ancêtres ont affublé la plupart du nom d'Indiens, ceux-ci leur faisant adopter par la suite le terme péjoratif Esquimaux [1] pour désigner leurs ennemis séculaires vivant plus au nord. Mais aujourd'hui les Indiens se nomment eux-mêmes Indiens et les Esquimaux en font autant avec le terme Exquimaux ! Ils sont trente mille, encore que ce chiffre relève d'une comptabilité douteuse ; en bons patrilinéaires indo-européens, nous avons décidé que ni l'épouse indienne d'un des nôtres, ni les descendants de cette union inquiétante, ne devaient être considérés comme des aborigènes, même si dans bien des cas ceux-ci percevaient comme dominante la filiation matrilinéaire ! Et nous ne comptons pas non plus dans ces trente mille ceux qui ont dû renoncer publiquement à leur identité ethnique pour s'affranchir d'un statut juridique méprisant. Ils sont environ trente mille mais, si les taux actuels de natalité se maintiennent, nous pourrions en compter soixante mille d'ici deux décades. 

Incroyablement absents de nos projets québécois, tellement refoulés jusque dans l'arrière-pays de notre conscience collective qu'ils se sont substitués aux cigognes des croyances populaires européennes [2], ils s'apprêtent néanmoins à faire irruption sur nos places publiques et à nous renvoyer une certaine image de nous-mêmes qui risque d'en surprendre plusieurs. C'est à l'amorce d'une exploration de ce dossier que nous nous emploierons dans cet article, en développant les trois thèmes suivants :

 

  • Les théories anthropologiques ont souvent été mises en forme d'une vision idéologique du dominé par le dominant, et l'anthropologie canadienne-française, dans sa pratique, a trop rarement mis en lumière ces rapports de domination entretenus par la société dont elle fait partie.

  • Il n'y aurait ni Indiens ni Esquimaux si, aussi loin qu'on remonte dans leur histoire, ces populations n'avaient pas fait face à des défis analogues à ceux que leur pose présentement la société blanche. C'est pourquoi ils nous semblent présentement engagés dans une nouvelle quête d'identité culturelle qui passe nécessairement par une analyse rigoureuse et violente des rapports entre eux et nous.

  • Il existe une différence culturelle entre notre civilisation fondée sur l'écriture et cette civilisation orale qu'ils ont encore à fleur de peau. S'ils devaient s'en inspirer pour affirmer leur identité, nous croyons qu'ils pourraient jouer un rôle de premier plan dans un monde où l'écriture perd beaucoup d'importance au profit de la communication visuelle, sonore, etc.

 

Il ne s'agit pas pour nous de parler au nom de qui que ce soit, et il ne peut être question d'oublier naïvement que nous appartenons nous-mêmes à la société dominante. C'est pourquoi nous nous proposons de poursuivre l'exploration de ce dossier dans les mois qui viendront, en ouvrant la revue Interprétation à des représentants de ces populations indiennes et esquimaudes.


[1] Adaptation française d'un terme présent dans plusieurs dialectes algonquiens, et dont le sens est à peu près ceux qui ne font Pas cuire la viande.

[2] Au Québec rural on laissait entendre aux jeunes enfants que les nouveaux-nés étaient apportés à leurs parents par les Sauvages.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 28 février 2007 11:48
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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