Bernard Saladin D’Anglure *
“Pour un nouveau regard ethnographique
sur le chamanisme, la possession et la christianisation”.
Un article publié dans la revue ÉTUDES/INUIT/STUDIES, vol. 21, no 1-2, 1997, pp. 5-20. Québec : Département d'anthropologie de l'Université Laval.
- Introduction
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- Repenser le chamanisme inuit
- Repenser la « possession par des esprits » chez les Inuit
- Repenser la christianisation chez les Inuit
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- Références bibliographiques
Introduction
S'il est un domaine négligé par l'ethnographie des Inuit, depuis près de soixante-dix ans, c'est à dire depuis la publication des rapports de la Cinquième Expédition de Thulé, c'est bien celui du chamanisme. Les écrits de Knud Rasmussen, le chef d'expédition, qui fait encore figure d'autorité ethnographique sur ce sujet, sont en effet abondamment cités, sans cesse réutilisés, parfois réanalysés, mais jamais ils n'ont donné lieu à un complément d'enquête, à une vérification sur le terrain, à un examen critique. Il est étonnant qu'après sa mort, survenue en 1933, aucun ethnographe n'ait cherché à continuer son oeuvre, à retravailler en profondeur avec ses informateurs-chamanes, dont certains vivaient encore au début des années 1960, ou avec leurs proches, leurs descendants etc. Nous verrons plus loin comment quelqu'un s'y est néanmoins essayé, comment il a fait des découvertes passionnantes, qui ont été occultées par l'anthropologie dominante, au point que ses manuscrits sont restés inédits et qu'il est mort oublié de tous.
Pour ce qui est de la possession, les lacunes sont encore plus flagrantes. Elles tiennent à des raisons diverses, comme le parti-pris historique des Occidentaux à considérer la possession sous l'angle de la démonologie, parti-pris dont on retrouve les effets dans les séances actuelles d'exorcisme organisées chez les Inuit par certaines confessions chrétiennes intégristes ou fondamentalistes. Comme aussi la tendance à classer la possession parmi les maladies mentales, depuis que la psychiatrie, à ses débuts, a cru pouvoir identifier sous le nom d'hystérie arctique des comportements que les Inuit qualifiaient le plus souvent de possession par des esprits. Si la dimension religieuse de la possession n'a donc jamais été vraiment étudiée, ni les rapports qu'elle entretenait avec le chamanisme, des interventions et aussi des études ont été par contre réalisées depuis le milieu des années 1960 dans la plupart des groupes, dans une perspective de santé mentale le plus souvent très eurocentrée [1].
Quant à la christianisation, c'est très récemment qu'elle est devenue un objet d'étude ethnographique, alors que de nombreuses confessions chrétiennes et plusieurs sectes religieuses déploient toujours leur énergie pour conserver ou pour conquérir leur part du « marché des âmes ». C'est qu'avec l'autonomie grandissante des territoires inuit, ce marché longtemps fermé ou réservé à quelques confessions dominantes, s'est peu à peu ouvert. À Iqaluit, capitale du Nunavut, il y avait récemment jusqu'à sept lieux de culte concurrents ouverts aux Inuit...
À l'aide de travaux originaux récents, tous reposant sur des recherches de terrain ou sur la découverte de documents d'archives inédits, nous voulons dans ce numéro d'Études/Inuit/Studies, qui marque le vingtième anniversaire de la revue, aller à J'encontre de cette désaffection et promouvoir une nouvelle ethnographie du chamanisme, de la possession et de la christianisation. Comme nous le verrons tout au long de ce numéro ces trois thèmes sont en profonde interaction quand on les étudie dans leur historicité, c'est-à-dire au cours du vingtième siècle qui s'achève. Pour des raisons méthodologiques, nous les avons néanmoins séparés dans cette présentation, afin de mieux cerner les apports des diverses contributions les concernant et d'ouvrir de nouvelles voies pour la recherche ethnographique future.
Si l'on s'interroge sur le pourquoi de cette désaffection du champ religieux [2], on se doit de reconnaître que le chamanisme, la possession et la christianisation sont des thèmes bien délicats à étudier, depuis que des missionnaires chrétiens se sont installés à demeure dans toutes les régions habitées par les Inuit, même les plus reculées. Souvent ils se sont substitués aux ethnographes en ce qui concerne l'étude de la langue inuit (cf, A. Thibert, L. Schneider, R. Lechat), la collecte des mythes (cf. M. Métayer) l'ethnographie, l'ethnohistoire et l'archéologie (cf. A. Turquetil, F. Van de Velde, G. Mary-Rousselière), pour ne citer que quelques exemples concernant des régions de l'Arctique canadien que nous connaissons bien.
Ces travaux, ainsi que les nombreux récits biographiques écrits par des missionnaires pour faire connaître leur ordre ou l'aider à solliciter la charité publique (cf. R. Bulliard, R. de Coccola), ont posé comme un écran ou un filtre sur le champ religieux. Et ceci d'autant plus que ces savants missionnaires devenaient souvent les hôtes, les interprètes, les professeurs de langue, les collaborateurs ou les amis des ethnographes de passage. Ces derniers, se trouvaient donc dans une position d'obligés par rapport aux premiers, et ceci d'autant plus s'ils avaient souvent reçu eux-mêmes une éducation religieuse chrétienne. Certains ont réussi à surmonter cette ambiguïté, d'autres n'y sont pas parvenus [3]. La revue Études/Inuit/IStudies s'est par le passé plusieurs fois fait l'écho de controverses entre missionnaires et ethnographes au sujet de leur travail respectif.
L'attitude de Knud Rasmussen lui-même à l'égard du chamanisme n'était pas dénuée d'ambiguïté ; il faut savoir qu'un des collaborateurs inuit les plus importants de la Cinquième Expédition de Thulé était le catéchiste luthérien groenlandais Jacob Olsen, principal interprète. Son rôle sur le terrain demanderait à être éclairci. On sait que c'est lui qui a recueilli les données parmi les plus intéressantes sur le chamanisme, notamment le compte-rendu verbatim d'une séance de cure tenue à l'île de Southampton. On sait aussi que c'est pendant le séjour de Rasmussen et de son équipe que nombre de familles inuit décidèrent de passer au christianisme. N'était-il pas tentant d'accélérer le processus de christianisation pour obtenir des chamanes qu'ils parlent plus librement de leurs anciennes pratiques, un sujet dont ils auraient hésité de parler en étant encore chamanes ? Il faudrait réexaminer les archives de l'expédition pour répondre à cette question [4].
Trois ethnographes auraient pu dans les années 1960 redonner au chamanisme inuit la place centrale qui lui revient dans les « études inuit » ; le premier est Svend Frederiksen (cf. l'article sur son oeuvre dans ce numéro). Formé à l'école de Thalbitzer, le plus grand spécialiste du chamanisme inuit avec K. Rasmussen, il parlait couramment la langue inuit depuis son enfance passée au Groenland. Venu enquêter sur ce thème à Chesterfield Inlet, en 1946, il travailla pendant plusieurs mois avec d'anciens chamanes dont il enregistra avec un phonographe des chants, des mythes, des termes chamaniques etc... Il transcrivit aussi en inuktitut l'histoire de l'accession au chamanisme de Qimuksiraaq, qui avait été l'un des plus grands chamanes de la région. Pour des raisons diverses, ces documents n'ont pas été publiés et sont tombés dans l'oubli jusqu'à leur redécouverte en 1990 (cf. K.G. Hansen 1993 et dans ce numéro). De 1957 à 1965 Frederiksen poursuivit systématiquement ses enquêtes auprès d'anciens chamanes dans le Keewatin, puis à Ammassalik, chez les Inuvialuit, enfin en Alaska du nord, sans compter de nombreuses visites dans les hôpitaux canadiens où il rencontra plusieurs anciens chamanes. En dehors de deux courtes communications publiées (Frederiksen 1964a et 1964b) mais rarement citées, la plus grande partie des données de Frederiksen est restée à l'état de manuscrit en langue inuit. C'est à l'heure actuelle le plus grand fonds d'archives sur le chamanisme inuit. Le génie de Frederiksen a été de découvrir qu'une des clés pour comprendre le chamanisme inuit était le système anthroponymique qui procurait aux chamanes non seulement une identité mais leurs principaux esprits auxiliaires. Je pense être le seul (B. Saladin d'Anglure 1970, 1980, 1986) avec R.G. Williamson (1974, 1988), parmi les anthropologues sociaux qui se sont par la suite intéressés à l'anthroponymie inuit (L. Guemple 1965, 1994, M. Nuttall 1994), à avoir relevé cet aspect.
Le second ethnographe, qui étrangement ne semble pas connaître le premier est A. Balikci, auteur d'un article sur le chamanisme netsilik (1963). S'il avait lu les travaux de Frederiksen, Balikci aurait compris pourquoi lksivalitaq, le dernier chamane netsilik en activité (mort dans les années 1940) avait son éponyme parmi ses esprits auxiliaires. Cet article n'en constitue pas moins la première analyse scientifique moderne du chamanisme, basée sur une enquête de terrain. Balikci qui ne parlait pas la langue inuit eut la chance de bénéficier des services d'un excellent interprète, R.G. Williamson (un ami de S. Frederiksen) et surtout de la collaboration du R.P. F. Van de Velde, O.M.I., missionnaire catholique et grand ethnographe de Pelly Bay, en poste depuis plusieurs dizaines d'années dans le Nord. Fasciné par les tensions interpersonnelles qui semblaient marquer les relations entre chamanes, telles que décrites dans ses entrevues, Balikci présente surtout des cas de magie offensive (ilisiinniq), ou sorcellerie.
La question que l'on doit se poser face à cette publication, c'est pourquoi Balikci n'a-t-il pas continué dans cette voie ? Sans doute son implication dans le grand projet de films éducatifs (la série Netsilik) absorba-t-elle une grande partie de son énergie dans les années qui ont suivi ; mais aussi pourrait-on penser que sa méconnaissance de la langue et les tensions qui se développèrent avec F. Van de Velde à la suite de la publication d'un article critiquant l'action des missionnaires à Pelly Bay, en sont peut-être la cause. Ce qui est certain, c'est que Balikci se désintéressa peu à peu de l'inuitologie après la parution de son livre The Netsilik Eskimo en 1970 et la sortie de ses films.
Le troisième ethnographe est une femme, Jane Murphy, qui a publié un article en 1974 sur les dimensions psychothérapeutiques du chamanisme sur l'île St. Laurent (Alaska). Ses données recueillies sur le terrain en 1954-55 sont d'un très grand intérêt puisqu'elles traitent du travestissement thérapeutique destiné à fourvoyer les mauvais esprits. C'étaient surtout les enfants qui étaient sujets au travestissement, lequel pouvait entraîner une vocation chamanique. C'est exactement la thèse que je défends pour les Inuit de l'Arctique central canadien, mais dans une perspective beaucoup plus sociale et symbolique. Il est regrettable que J. Murphy n'ait pas donné suite à ses premières recherches sur un terrain exceptionnellement riche en traditions, et surtout étroitement lié aux Inuit de Sibérie.
Un autre obstacle à l'étude des phénomènes religieux par les ethnographes qui ont voulu travailler sur le chamanisme dans des régions christianisées par d'autres confessions chrétiennes comme l'anglicanisme [5], tient au fait que les nouveaux convertis, ou ceux de la seconde génération, sont devenus peu à peu les plus ardents défenseurs des nouvelles croyances et ont souvent opposé une résistance passive à quiconque voulait les faire parler de la vie passée. Jean Briggs (1970) raconte dans son livre comment, s'intéressant au chamanisme, elle avait dû changer complètement de sujet de recherche, une fois rendue sur le terrain, quand elle avait découvert que le petit groupe isolé du Nord canadien qu'elle avait choisi d'étudier connaissait le christianisme depuis une trentaine d'années et ne comprenait que des anglicans dévots.
Si l'on fait un bilan des recherches de terrain dans le domaine du religieux chez les Inuit, depuis le début du 20e siècle, force est de constater que seuls quelques ethnographes ou missionnaires, possédant une connaissance approfondie de la langue inuit, ont réussi à faire parler d'anciens chamanes, le plus souvent au moment de leur conversion (cf. W. Thalbitzer, K. Rasmussen, S. Frederiksen, O. Sandgreen, J. Rosing). Tous étaient à des degrés divers imprégnés par l'idéologie dominant alors dans les sciences humaines, l'évolutionnisme social.
Les religions « primitives » (cf. A. Kuper 1988) étaient à la mode au début du siècle, on y recherchait, pour les ethnographes, le degré zéro de la religion, la source de toutes les grandes religions, et donc la justification de leurs recherches ; pour les missionnaires, une justification de leur présence et de leur fonction. Le totémisme, le chamanisme et l'animisme étaient les thèmes favoris de l'anthropologie naissante. On trouve trace de ces idées dans les titres et les sous-titres des écrits de tous les pionniers de l'ethnographie religieuse sur les Inuit, comme aussi dans les écrits d'auteurs comme M. Mauss (Mauss et Beuchat 1906) ou M. Eliade (1951), qui tentèrent d'en faire la théorie. Mais les temps ont changé, d'autres modes ont passé, qu'il s'agisse de l'étude de la parenté et de l'organisation sociale, ou d'approches comme le matérialisme historique, l'écologie culturelle, et la sociobiologie. On est entré dans l'ère de la critique du « texte ethnographique » (cf. J. Jamin 1985), c'est-à-dire de la monographie comme « texte », comme construit, lié à un contexte, tant celui de la subjectivité de l'ethnographe que celui de l'environnement local et global. Cette déconstruction ouvre la porte à la critique historique, à l'examen et à la prise en compte des sources de toute nature (cf. G. Taylor dans ce numéro) ; à la redéfinition d'une ethnographie qui s'appuiera, certes, toujours sur la petite communauté, mais saura élargir ses horizons à la région et à l'aire, et sortir des frontières nationales. Elle devra enfin intégrer dans sa perspective, tant les autres textes produits dans la même discipline que ceux des autres disciplines sur le même sujet. Il est temps que cessent les ghettos intellectuels nationaux, linguistiques et disciplinaires qui ont empêché jusqu'à présent que le fait religieux chez les Inuit soit un objet d'observation, d'analyse et de réflexion, comme il n'aurait jamais dû cesser de l'être.
Les temps ont aussi changé dans l'Arctique inuit et si, dans certaines régions, des groupes intégristes continuent de diaboliser les croyances passées (cf. L.-J. Dorais dans ce numéro), dans d'autres, on assiste au contraire à une revalorisation des anciennes pratiques (cf. A. Fienup-Riordan dans ce numéro). À Igloolik, une banque de données sur le savoir traditionnel a été constituée et des enquêteurs inuit vont interroger les anciens. Au Nunavik, un jeune Inuk a décidé de réapprendre le chamanisme. Il s'impose une ascèse, fait de longs séjours solitaires dans les terres et entreprend une quête de savoir auprès des plus âgés. À Iqaluit, les étudiants du Nunavut Arctic College réclament un cours sur la cosmologie traditionnelle et les pratiques chamaniques de leurs ancêtres... Certains jeunes Inuit du Canada et d'Alaska vont même suivre des sessions de formation chamanique en Californie à l'école de Michael Harner. Le temps semble donc venu pour les anthropologues de se réintéresser au champ religieux, de recueillir des données nouvelles, de réinterpréter les anciennes et d'aborder les thèmes qui le composent dans toutes leurs dimensions, historiques, bien sûr, mais aussi symboliques et sociales.
Repenser le chamanisme inuit
Un renouveau d'intérêt pour le chamanisme inuit se manifeste depuis quelques années à travers divers travaux, thèses, articles ou livres consacrés à ce thème ; mes propres recherches et ce numéro double y participent également [6]. Je ferai donc brièvement l'inventaire de ces travaux en les classant selon qu'ils apportent des données nouvelles provenant de recherches sur le terrain ou en archives, ou qu'ils présentent des interprétations nouvelles de données déjà publiées ; en les distinguant aussi selon l'orientation disciplinaire de leurs auteurs. Je citerai tout d'abord les travaux des rares anthropologues qui, grâce à une bonne connaissance de la langue inuit et à une longue pratique du terrain, ont réussi à conduire des enquêtes sur le chamanisme.
À propos du chamanisme des Yupiit de Sibérie on connaît peu de travaux récents, si ce n'est la traduction anglaise (1994) d'un article en russe de R.S. Tein (1976), un ethnographe yup'ik sibérien qui fait le point sur la tradition chamanique de son peuple.
Pour ce qui est de l'Alaska du nord, T. Lowenstein (1992), ethnographe et poète, a recueilli et mis en valeur quelques traditions chamaniques ; en Alaska central, A. Fienup-Riordan (1994) a renouvelé la compréhension des grands rituels cosmologiques yup'ik ; elle discute dans ce numéro de la réinterprétation du chamanisme par des Yupiit actuels qui commentent avec beaucoup d'intérêt une récente exposition de masques utilisés autrefois par leurs chamanes.
Dans l'Arctique central canadien, l'ethnographe et artiste N. Hallendy travaille depuis plusieurs années à recueillir les noms de lieux sacrés (toponymie chamanique) et le vocabulaire spécifique des chamanes ; B. Saladin d'Anglure (1986, 1988, 1989, 1991) enquête sur le chamanisme et la cosmologie dans la région d'Igloolik depuis le début des années 1970, avec notamment plusieurs anciens informateurs de K. Rasmussen [7]. Influencé par le structuralisme, il privilégie le rapport homme/femme dans ses analyses, tout en étudiant présentement, de façon comparative, l'alliance matrimoniale des chamanes avec les esprits chez les Inuit, les Tchouktches de Sibérie et les Shipibo d'Amazonie. Il travaille aussi (cf. dans ce numéro) à la mise en valeur des manuscrits de S. Frederiksen sur le chamanisme.
Une deuxième catégorie de chercheurs comprend des anthropologues ayant une certaine pratique de la langue inuit et une bonne connaissance du terrain, mais dont l'intérêt pour le domaine s'est développé à l'occasion de travaux d'édition ou de traduction de textes sur le chamanisme ; tel est le cas de J. Robert-Lamblin qui a publié et commenté les notes de terrain écrites au cours des années 1930 à Ammassalik par P.-E. Victor (1993), et les a complétées par des enquêtes orales (1996 et dans ce numéro) réalisées avec l'équipe de R. Gessain dans cette même région. De ce travail ressort un impressionnant dossier sur le vocabulaire chamanique et un inventaire statistique des chamanes connus depuis un siècle, qui révèle un taux tout à fait comparable à celui relevé chez les Iglulingmiut (cf. B. Saladin d'Anglure 1986). Il faut mentionner aussi les travaux de C. Remie (cf. J. Oosten et C. Remie dans ce numéro) effectués à partir des manuscrits inédits recueillis par F. Van de Velde, et complétés par ses propres enquêtes. À C. Enel (Quppersimaan 1992) on doit une traduction française de la passionnante autobiographie du chamane groenlandais G. Quppersimaan d'Ammassalik. Ce texte a d'abord été édité en groenlandais (Quppersimaan 1972), puis traduit en danois par 0. Sandgreen (Quppersimaan 1982). Il s'agit d'un des plus riches documents autobiographiques sur le chamanisme. On attend avec impatience d'avoir accès à l'important fonds manuscrit en langue inuit recueilli par S. Frederiksen de la bouche de ce même Quppersimaan, à Ammassalik, au début des années 1960.
Une troisième catégorie de chercheurs, dont l'orientation disciplinaire se situe entre l'histoire des religions et l'anthropologie, s'est intéressée au chamanisme à partir de travaux déjà publiés. Mentionnons parmi eux J. Oosten qui, avec une approche inspirée du structuralisme (1981, 1984, 1986, 1995 et dans ce numéro), s'est intéressé à la mythologie, à la cosmologie et au chamanisme ; il tente de prouver (dans ce numéro), à l'aide des travaux de C. Remie, que l'infanticide pratiqué par les chamanes pourrait être mis en rapport avec leur désir de fournir des âmes humaines aux esprits en échange du gibier ; thèse osée, influencée par les travaux de R. Hamayon (1990) sur le chamanisme sibérien, qui heurtera plus d'un inuitologue, mais qui demande à être confrontée à l'ethnographie.
Citons ensuite B. Sonne (1982, 1986, 1988, 1990) qui, formée à l'histoire des religions, a de son côté ouvert la voie à une intéressante critique historique des textes et des concepts concernant les grandes figures de la religion inuit (cf. G. Taylor dans ce numéro) ; signalons aussi les travaux de D. Merkur, également historien des religions, qui consistent en un essai sur l'initiation et la pratique chamanique inuit (1985), et un autre sur les esprits (1991). En dépit des réserves que l'on peut avoir à l'égard de son approche psychologique et phénoménologique qui ignore la plupart des avancées récentes de l'anthropologie sociale dans ce domaine, ses deux livres constituent la plus importante synthèse [8] sur la religion inuit depuis E. Weyer (1932) ; enfin E. Haase (1987) a publié en allemand un intéressant ouvrage sur le chamanisme inuit ; il comporte quelques lacunes documentaires, mais il peut néanmoins servir de bonne introduction à quiconque veut étudier ce sujet.
Il faudrait rajouter à cette liste deux auteurs qui, tout en ayant eu une courte expérience du terrain, ont traité du chamanisme d'un point de vue théorique et ont écrit à son sujet à partir de la littérature, principalement à partir des écrits de Rasmussen. Le premier, D. Richies (1994), s'inspirant de F. Barth (1987) et de V. Turner (1969), insiste sur la prééminence du chamane dans le processus de création cosmologique ; le second, X. Blaisel (1986, 1993), s'intéresse aux structures des rituels d'initiation chamanique, à travers leurs variations régionales et leurs rapports avec la cosmologie.
Avant de clore cette brève revue de la littérature récente sur le chamanisme inuit, je voudrais dire un mot d'un thème qui ne figure pas dans ce numéro, mais qui n'en entretient pas moins d'étroites relations avec le chamanisme, la possession et la christianisation ; c'est celui de la sorcellerie (ilisiinniq). Trois auteurs en ont traité spécifiquement : A. Balikci (1963) dont nous avons parlé plus haut, avec des cas reliés directement au chamanisme ; P. Robbe (1983), qui a publié, à propos d'Ammassalik, l'étude la plus détaillée sur ce sujet (inspirée des travaux de J. Favret-Saada (1977), fondée sur une ethnographie étalée sur plusieurs années dans une communauté christianisée et sur une très bonne connaissance de la langue ; et enfin E. Carpenter (1968) qui présente dans une note de recherche six cas de sorcellerie, parmi une centaine de cas recueillis chez les Aivilik de l'île de Southampton lors de deux séjours chez eux, en 1950 et 1951.
Carpenter considère les cas étudiés, qui se situent tous entre 1930 et 1950, comme le résultat d'une difficile période de transition entre une idéologie collective fondée sur le chamanisme et un nouveau système de valeurs beaucoup plus individualiste, celui des Blancs. La période concernée est en même temps l'une des pires dans l'histoire de ce groupe, avec les effets de la crise économique des années 30, une mortalité très élevée et une aide gouvernementale réduite au minimun. Au début des années 1950, on assiste par contre a une prise en charge systématique des communautés inuit sur les plans économique, social et médical par les instances gouvernementales, et à l'installation d'une mission catholique. Alors, selon Carpenter, disparaît la peur des sorciers qui prédominait durant la période précédente. Carpenter eut accès aux dossiers médicaux de l'Hôpital Psychiatrique de Toronto, qui avait traité plusieurs des cas étudiés, mais il ne semble jamais avoir donné suite à ce premier travail pourtant prometteur. Il lui eût fallu pour cela étudier beaucoup plus à fond les croyances et les pratiques associées aux noms personnels et à leur transmission, la théorie inuit concernant l'âme-tarniq des humains et des animaux, et celle des esprits auxiliaires des chamanes, thèmes qui tous entrent en jeu dans les cas présentés, dont plusieurs relèvent de la possession. Thèmes qui justement sont ceux que S. Frederiksen avait étudiés à quelques dizaines de kilomètres de l'île de Southampton, trois ans auparavant.
Repenser la « possession
par des esprits » chez les Inuit
La « possession par un esprit » est sans doute une des catégories analytiques parmi les plus difficiles à définir chez les Inuit, car elle n'a jamais été reconnue comme telle, située comme elle est entre deux autres catégories beaucoup plus opératoires, si l'on en juge par le nombre de travaux qui les ont utilisées. La première catégorie est empruntée à l'étude des religions, celle de chamanisme, et l'autre aux sciences psychiatriques, celle de maladie mentale, avec sa sous-catégorie, l'hystérie arctique, dont nous avons parlé au début de cette présentation. Le problème pour les observateurs occidentaux, comme nous l'avons évoqué plus haut, c'est que cette catégorie « possession » est déjà historiquement très chargée de sens. Un sens éminemment négatif puisqu'il concerne la démonologie (possession diabolique). Cette possession, quand elle était diagnostiquée, donnait lieu à des rituels d'exorcisme, encore pratiqués en de rares occasions par le christianisme. La plupart des procès de sorcellerie sanctionnés par le bûcher, à la fin du Moyen Âge et durant la Renaissance, mentionnaient les rapports sexuels illicites des condamnés avec des incubes ou des succubes diaboliques. C'est donc avec un lourd bagage idéologique plus ou moins refoulé que les sciences anthropologiques, religieuses et psychiatriques ont abordé, de façon le plus souvent biaisée, les faits que l'on a voulu y faire entrer. Laissons de côté la possession rituelle, abondamment décrite ailleurs, notamment en Afrique et en Asie du Sud-Est et dont pourraient relever certaines pratiques chamaniques, comme l'adoption par le chamane de traits caractéristiques de l'esprit protecteur qui a pénétré son corps (sous forme de cris, de présence de canines ou défenses, de gestes, ou de vêtements spéciaux...), pour concentrer notre attention sur les cas de possession individuelle par un conjoint invisible.
Il s'agit d'un des thèmes importants sur lesquels l'équipe interdisciplinaire constituée autour de L. Kirmayer (cf. C. Fletcher et L. Kirmayer dans ce numéro) s'est penchée dans son étude sur la santé mentale au Nunavik. L'ethnographe de l'équipe, C. Fletcher, a recueilli dans plusieurs villages du Nunavik des témoignages concernant des « Uirsaliit » et des « Nuliarsaliit », que je propose de traduire respectivement par « celle qui a un époux virtuel » et « celui qui a une épouse virtuelle », et qui peuvent être considérés comme des cas de possession par des esprits. Mon attention avait été attirée dès le début des années 1960 par ce sujet, alors que les aventures d'une « uirsalik » défrayaient la chronique dans la communauté que j'étudiais. On prétendait que l'époux invisible de cette femme avait tué ses trois maris, dont le dernier venait de mourir dans des circonstances étranges. Déjà dans sa jeunesse, cette femme avait été soumise à une sorte d'exorcisme, par un catéchiste anglican qui l'avait rebaptisée avec un nouveau nom. Elle mourut plusieurs années après, seule dans la toundra, après avoir fui sa famille alors qu'elle vivait dans un autre village où elle avait trouvé un nouveau mari. Mitiarjuk, dont le témoignage (dans ce numéro) vient éclairer plusieurs facettes de ce phénomène, accepta au milieu des années 1960 d'écrire pour moi les détails qu'elle connaissait sur un certain nombre de cas de possession comparables. Elle en fit même le thème principal d'un nouveau chapitre de son roman intitulé Sanaaq (chapitre encore inédit). À la lecture attentive du cas d'uirsalik qu'elle décrit (dans ce numéro), il m'apparaît qu'il s'agit d'un des cas étudiés vingt ans plus tard par E. Carpenter (cf. supra) sur l'île de Southampton, cas que l'Hôpital Psychiatrique de Toronto aurait qualifié de schizophrénie catatonique... N. Hallendy (1985) relate des témoignages comparables en provenance de la Terre de Baffin, où les mêmes termes sont utilisés.
Cette question de relations sexuelles ou même de mariage avec des esprits invisibles avait dès 1971 été évoquée par E. Burch Jr. (1971) dans un article pionnier sur le thème de l'environnement non empirique chez les Inuit d'Alaska. Les conjoints invisibles portent là-bas le nom d'iziraq (invisible) ; terme qui équivaut phonologiquement aux mots ijiraq (singulier) ou ijiqqat et ijirait (formes alternatives du pluriel), avec le même sens, décrits dans les monographies des ethnographes classiques comme F. Boas et K. Rasmussen, et que j'ai étudiés à Igloolik (cf. B. Saladin d'Anglure 1983). À Igloolik, où le chamanisme persista plus longtemps qu'au Nunavik, nombreux sont les cas d'individus, comme de chamanes, qui contractèrent (et contractent toujours) des alliances matrimoniales avec de tels êtres invisibles. Plusieurs chamanes avaient ces êtres comme esprits auxiliaires et leur origine remonte, selon les anciens, au mythe d'origine des races humaines... Aux îles Belcher existent aussi de tels êtres invisibles qui portent là-bas le nom de tuurngaq, terme qui est, un peu partout chez les Inuit, utilisé pour désigner les esprits auxiliaires des chamanes. Or à ce même endroit prévaut la croyance que certains Inuit qui ont disparu mystérieusement vivent maritalement chez ces êtres invisibles (cf. B. Saladin d'Anglure 1992a). On voit par ces exemples épars qu'une nouvelle ethnographie est indispensable pour étudier ce monde virtuel de l'invisible, qui alimentait le chamanisme, la possession, mais aussi les rêves, les mythes et les rites des Inuit. Elle est d'autant plus nécessaire que le risque est grand que cet aspect si important de la « réalité » inuit ne soit réduit à un dérèglement mental ou à une possession diabolique, si l'anthropologie démissionne devant l'emprise grandissante des sciences de la santé et du fondamentalisme religieux. Dans l'Occident contemporain, il s'agit là de formes insidieuses et menaçantes de l'acculturation moderne, tant que la culture de l'autre n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance et d'une compréhension éclairées.
Repenser la christianisation chez les Inuit
Nous en arrivons à l'un des aspects les plus novateurs de ce numéro, les contributions originales, toutes basées sur des recherches de terrain ou des découvertes d'archives, au sujet de la christianisation. Qu'il s'agisse de la transition du chamanisme au christianisme dans les années 1920 sur la Terre de Baffin, avec le rite du Siqqitiq (cf. F. Laugrand), de l'exacerbation des objectifs du christianisme, avec le rite du Mumiksimaniq, dans les années 1930 au Nunavik (cf. S. Grant et aussi Mitiarjuk), du mouvement religieux d'une angakkukuluk (petite chamane) àAdmiralty Inlet dans les années 1940 (cf. C. Trott), ou du pentecôtisme des années 1990 au Nunavik (cf. L.-J. Dorais) et au Nunavut (cf. C. Trott) tous ces mouvements, tous ces rites impliquent, tant de la part des observateurs que des observés, des références positives, négatives ou neutres au chamanisme. Et l'on en arrive à ce paradoxe, qui n'en est pas vraiment un du point de vue méthodologique, que la christianisation pourrait nous en apprendre plus sur le chamanisme qu'une enquête directe sur ce thème. Les premiers ethnographes l'avaient déjà constaté (cf. supra).
C'est le programme de collecte du savoir traditionnel développé à Igloolik par l'Association Inummariit d'abord, puis par l'Association Inudlariit, avec J'aide du Igloolik Research Centre et de son directeur J. MacDonald, qui doit être crédité d'avoir produit les premiers textes en inuit décrivant en détails le rite du Siqqitiq, que F. Laugrand a su avec beaucoup de talent transformer en fait social total, en objet de recherche et de réflexion. À ce propos, une vieille informatrice me proposait récemment une étymologie possible et originale du terme Siqqitiq. Arguant du fait que les Inuit avaient entendu parler du baptême chrétien bien avant l'installation chez eux de missionnaires, et que sa représentation la plus classique était le baptême du Christ, debout les pieds dans l'eau, elle disait que le terme devait signifier la descente de la terre vers l'eau, comme il le signifie dans la vie courante, lors du passage de la terre à la mer...
Références citées ou consultées
ATKINSON, Jane Monnig
1992 « Shamanism today », Annual Review of Anthropology, 21 : 307-330.
BALIKCI, Asen
1963 « Shamanistic behavior among the Netsilik Eskimo », Southwestern Journal of Anthropology, 19 : 380-396.
1970 The Netsilik Eskimo, Garden City, Natural History Press.
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[1] Il fut un temps en Amérique du Nord où il était plus facile pour les chercheurs en sciences humaines d'obtenir des subventions de recherche lorsqu'ils inscrivaient leurs travaux dans une telle perspective. L'Institut Clarke de Toronto, qui est en charge de la santé mentale dans le Nunavut, m'a déjà consulté dans le passé à propos de cas de travestissement d'adolescents inuit qu'il considérait à l'époque comme une pathologie, alors qu'il s'agissait d'une ancienne coutume liée à l'homonymie.
[2] Si l'on donne à ce terme un sens large qui englobe aussi bien la mythologie, le système rituel des prescriptions et des prohibitions, les croyances, la cosmologie et les pratiques chamaniques, que les rites de passage au christianisme, les mouvements religieux divers, la sorcellerie et la possession par des esprits.
[3] Parmi les collaborations réussies mentionnons celle de A. Balikci (dans ses premières recherches) avec F. Van de Velde, puis G. Mary-Rousselière, celle de R. Savard avec M. Métayer, la mienne avec R. Lechat, J. Dion et L. Schneider, celles de G. van der Steenhoven et de C. Remie avec F. Van de Velde…
[4] Il est de notoriété publique que c'est Knud Rasmussen qui introduisit le christianisme (luthérien) à Thulé en 1909, avec deux de ses amis d'enfance, deux missionnaires groenlandais d'Ilulissat (Jakobshavn) (cf. R. Gilberg 1988).
[5] Il est frappant de constater que les seules recherches sur le chamanisme qui ont pu être conduites avec succès chez les Inuit canadiens l'ont été dans des régions christianisées par des missionnaires catholiques. John MacDonald, directeur du Igloolik Research Centre, a attiré mon attention sur le fait que les missionnaires catholiques étaient en moyenne beaucoup plus instruits que le clergé protestant, et de ce fait avaient une attitude plus libérale envers la culture traditionnelle des Inuit. Ceci n'a cependant pas empêché certains missionnaires catholiques de faire une guerre ouverte aux chamanes et de tenter de les ridiculiser, dans les débuts de la christianisation.
[6] Cet intérêt fait partie d'un courant plus large observable dans plusieurs disciplines. Il vise, depuis la fin des années 1960, à étudier les diverses formes de transes, d'expériences psychédéliques, et de spiritualité alternative (cf. J.M. Atkinson 1992) dont la vogue est observable chez les jeunes et dans les milieux populaires. À signaler la parution récente de deux ouvrages synthétiques sur le chamanisme, de M. Perrin (1995) et P. Vitebsky (1995).
[7] Dans le sillage de ce programme il faut mentionner l'enquête faite à Igloolik sur le chamanisme par F. Thérien en 1978.
[8] On peut regretter néanmoins son ignorance de la plupart des travaux publiés en français depuis vingt ans et des principaux auteurs cités dans cette présentation, entre autres le livre de E. Haase (1987), plusieurs travaux de A. Fienup-Riordan et J. Oosten, les biographies chamaniques d'Ammassalik. Quant à mes propres travaux, ignorés dans l'édition de 1985, ils sont réduits dans l'édition de 1992 à une seule référence (B. Saladin d'Anglure 1986) que D. Merkur résume ainsi de façon lapidaire et pour le moins réductrice dans une note : « D'Anglure (1986) used structuralism to argue that shamans form a 'third sex' that is androgynous. However, since structuralism aspires to 'unconscious formulations' (Lévi-Strauss 1969 : 12), d'Anglure's analysis may be seen to coincide with the Freudian theory that unconscious bisexuality is universal in our species. D'Anglure's observation then indicates nothing distinctive of Inuit shamanism » (D. Merkur 1992 : 12). Ce parti-pris en dit long sur la façon péremptoire dont D. Merkur sélectionne ses sources pour étayer ses a priori théoriques.
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