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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
“Ijiqqat: voyage au pays de l'invisible inuit.” (1983)
Introduction
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bernard Saladin d’Anglure, “Ijiqqat: voyage au pays de l'invisible inuit.” Un article publié dans la revue ÉTUDES/INUIT/STUDIES, vol. 7, no 1, 1983, pp. 67-83. Québec: Département d'anthropologie de l'Université Laval. [Autorisation formelle accordée conjointement par l’auteur et la directrice de la revue Etudes Inuit/Studies le 5 mai 2008.]
Introduction
Il est dans le système inuit de représentations traditionnelles, des éléments dont l'importance a échappé à l'ethnographie classique, trop souvent engoncée dans des oripeaux de rationalisme scientifique ou de représentations occidentales ; en particulier en ce qui concerne la conception de l'identité et de l'altérité culturelle, décelable dans les mythes et rites des Inuit traditionnels comme dans les récits historiques et le vécu imaginaire des Inuit contemporains [1].
Ayant tenté ailleurs d'explorer le système inuit d'identité/altérité, à propos des noms de personnes, des rapports humains/animaux, adultes/enfants, hommes/femmes, monde terrestre/esprits cosmiques, nous aborderons ici un aspect méconnu de ce système, les rapports entre les humains et le monde invisible des Ijiqqat, défini par nos informateurs comme un véritable paradis terrestre situé à l'intérieur des terres, au pays des caribous. Notre démonstration est partie de la redécouverte d'un manteau de chamane provenant de la région d'Igloolik (T.N.O.) [2] et acheté en 1902 par l'American Museum of Natural History (New York), à la demande de Franz Boas, et s'appuie sur la réalisation d'une réplique de ce manteau par les Inuit d'Igloolik, en 1982, sous notre supervision [3].
Cette expérience partielle et limitée nous a néanmoins convaincus de la nécessité d'une ethnographie systématique de l'invisible et de l'imaginaire quotidien des Inuit, de leur aveu bien plus réels et déterminants que ce que nous appelons la réalité empirique des lieux, des temps ou des formes qui n'est selon eux qu'une apparence du réel.
la lumière des données inuit, nous ne proposons ici rien de moins que de rouvrir le vieux débat portant sur le statut épistémologique respectif du réel et de l'imaginaire, tranché il y a deux mille cinq cents ans en faveur du « positivisme » par les précurseurs grecs du rationalisme scientifique occidental, et de suggérer une réflexion méthodologique et critique sur l'ethnographie et ses méthodes [4].
[1] Nous savons combien il est difficile d'étudier les représentations et que la barrière de la langue est sans doute la cause majeure de la désaffection qui a marqué ce domaine dans l'aire inuit. Les rares chercheurs esquimauphones ont souvent été des missionnaires a qui nous sommes redevables de bien des observations, dictionnaires, recueils de mythes, etc. ... mais qui n'étaient peut-être pas les mieux placés pour analyser objectivement les représentations des autres. En fait, Knud Rasmussen qui a fait oeuvre de pionnier en 1921-24 n'a pas d'émules et c'est regrettable car depuis soixante ans l'anthropologie s'est dotée d'outils théoriques forts précieux et les Inuit contemporains ont un imaginaire qui ne le cède en rien à celui de leurs grands-parents.
[2] Ce manteau que l'on voit sur les figures 1 et 2 est accompagné de moufles et d'un bonnet (figure 6). L'ensemble est conservé depuis 1902 à l'American, Museum of Natural History ; nous remercions chaleureusement la direction et le personnel du Département d'Anthropologie de ce musée pour nous avoir permis d'étudier, de mesurer et de photographier cet ensemble.
[3] Le Musée National du Canada (Ottawa), le Prince of Wales Museum (Yellowknife) et le Musée didactique de l'Université Laval, participèrent à l'entreprise en acquérant chacun un exemplaire du manteau (1982). Nous passâmes un mois à Igloolik en 1982 pour y organiser la confection des habits de chamane.
[4] Il s'agit de se demander à la suite de notre expérience à Igloolik si l'ethnographie ne porte pas en elle-même ses propres limitations et l'incapacité d'aborder objectivement ce qui a trait à l'invisible à moins d'accepter le découpage du « réel »effectué par les sociétés qu'elle étudie.
Dernière mise à jour de cette page le vendredi 25 juillet 200810:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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