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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bernadette Rigal-Cellard, (Professeure, Études Nord-Américaines, Directrice de l’UFR des Pays anglophones, Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3), “Etre français dans une Église d'origine américaine: les Mormons de France.” Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Christian Lerat et Bernadette Rigal-Cellard, Les mutations transatlantiques des religions. Bordeaux: Les Presses de l’Université de Bordeaux, 2000, pp. 279-308. [Avec l’autorisation de Mme Bernadette Rigal-Cellard accordée le 14 juillet 2005] Introduction Ce travail [1] s'insère dans la problématique qui m'intéresse depuis plus de vingt-cinq ans : comment l'Amérique influence-t-elle les religions qui éclosent sur son sol ? Lorsque de nouvelles religions se créent, elles réagissent vis-à-vis des valeurs et des pratiques culturelles de la société dominante selon deux modalités majeures. Certaines rejettent ces principes en bloc, prônent le séparatisme social et culturel et inventent leur propre système (qui pourtant, à l'analyse, portera encore la marque du substrat original) ; d'autres, tout en affichant également un refus de la culture dominante, en sélectionnent diverses valeurs, les sacralisent en les incorporant à leur doctrine, les transforment en articles de foi et échafaudent un système qui paraîtra original tout en demeurant dans une certaine lignée spirituelle et culturelle. L'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, connue sous le nom de mormonisme (terme toujours considéré officiellement comme péjoratif, mais de plus en plus usité sans aucune ironie) s'est développée à la fois contre la société américaine du dix-neuvième siècle et en harmonie avec elle, et c'est par cette Église que j'ai commencé en 1973 à étudier l'influence des États-Unis sur les religions. J'avais rencontré les saints des derniers jours de la banlieue de Bordeaux par l'entremise de missionnaires américains. Étudiante en anglais avec une prédilection pour les États-Unis, j'ai de suite eu envie de leur parler. Je fréquentais aussi les témoins de Jéhovah et la salle de lecture de la science chrétienne, mais sans jamais trouver la même adéquation entre ces religions et l'Amérique (il aurait fallu alors bien connaître la pensée positive et le millénarisme américain pour pouvoir les situer dans un certain contexte culturel). En revanche avec les missionnaires mormons, il n'était pas possible de faire la part entre le culturel et le religieux : entre, d'un côté, les États-Unis de l'Ouest représentés par les photos que ces ambassadeurs montraient des parcs de l'Utah ou des pyramides du Mexique (censées prouver la parenté entre les ancêtres des mormons et les bâtisseurs de pyramides en Egypte) et, de l'autre, une pratique religieuse originale et différente de celles que je connaissais. En étudiant l'histoire du mormonisme et de sa doctrine et au cours de mes différents séjours à Salt Lake City, j'ai été à nouveau frappée par les rapports intimes qui unissaient les saints à l'histoire et à la société américaine du dix-neuvième puis du vingtième siècles. J'ai pu rencontrer à l'Université de Californie à Santa Barbara le grand spécialiste de cette religion, Thomas O'Dea, dont le travail corroborait mes impressions. Il appelait le mormonisme "America in miniature", estimant que les saints avaient élaboré un microcosme à l'image du macrocosme qu'étaient les États-Unis. Des historiens mormons eux-mêmes comme Michael Homer et Grant Underwood l'ont fait à Turin, ont montré comment le mormonisme du dix-neuvième siècle appartenait à son siècle, notamment dans sa vision du millénarisme, même s'il avait dû s'isoler pour survivre, phénomène là encore typiquement américain. Le succès exemplaire du mormonisme à l'extérieur des États-Unis (en 1997, plus de dix millions de membres en tout dont plus de la moitié hors du pays d'origine [2]) soulève donc le problème de l'exportation de ses caractéristiques américaines et de leur perception par un public non-américain et entre parfaitement dans notre thématique des mutations transatlantiques des religions. Comment s'effectue l'adaptation de religions marquées par un certain milieu profane à d'autres milieux ne possédant pas la même histoire ni les mêmes valeurs ? Étudier la conception qu'ont les mormons français actuels de leur Église devrait nous permettre d'analyser plus particulièrement le problème de l'acclimatation d'une religion qui s'est développée en symbiose, parfois orageuse, avec l'Amérique, qui l'a produite ou l'a simplement vu naître, à un pays non anglo-saxon et non-protestant. Les gens qui se convertissent ici sont-ils d'abord attirés par l'américanité du mormonisme ou par un autre type de message ? Perçoivent-ils d'ailleurs cette américanité ? Le problème me semblait tout particulièrement délicat en France puisque cette religion y a été plus longue à s'imposer que dans d'autres pays européens (elle s'est développée très tôt en Grande Bretagne, Scandinavie, Allemagne, Suisse, Belgique, mais aussi depuis les dernières décennies très vite en Espagne et au Portugal) et puisque les rapports que les Français entretiennent avec les Américains ont toujours été marqués à la fois par la sympathie et la méfiance. C'est grâce à l'aide chaleureuse d'un membre de l'Église que j'ai pu commencer mon enquête. Il m'avait reproché il y a deux ans à la fin de ma conférence sur le mormonisme (dans le cycle de l'histoire des religions à l'Université) de n'avoir parlé que des Américains et d'avoir ignoré les mormons français. Je l'ai donc pris au mot. Grâce à de longues discussions avec lui et sa famille, j'ai mis au point un questionnaire dont j'analyserai ici le dépouillement, après une brève présentation de la mission de France et de mes hypothèses de départ. [1] Je tiens à remercier Monsieur Salarnier et sa famille pour leur appui ; tous les saints des derniers jours qui ont consacré du temps à remplir le questionnaire et s'y sont personnellement investis ; Massimo Introvigne pour avoir mis à la disposition du public sa bibliothèque du CESNUR, à Turin, qui contient notamment la plus riche collection sur le mormonisme à l'extérieur des États-Unis ; Grant Underwood de l'Université Brigham Young de Hawaï pour son aide précieuse. [2] Données du 31 décembre 1997 (internet, février 1999) : 10 070 524 membres. Missionnaires : 56 531. - Amérique du Nord : États-Unis :4 924 000, soit environ la moitié de l’ensemble. Canada : 151 000. - Amérique du Sud : 2 227 0000. Surtout au Brésil et au Chili. - Mexique : 783 000. - Caraïbes : 97 000. - Europe : 388 000. - Asie : 635 000. - Pacifique sud : 339 000. (en 1996 : Philippines : 360 000 ; Australie et Nouvelle-Zélande : 170 000) - Afrique : 112 000. - Autres régions: 1000. - En 1975 la France comprenait 10 000 membres, en 1996 on en comptait 30 000 (L'Église en France, dossier d'information, 3)
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