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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Paul RICOEUR, “L’université nouvelle.” Un article publié dans l’ouvrage de la Faculté des Sciences de l’Éducation de l’Université Laval, L’éducation dans un Québec en évolution, pp. 231-246. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1966, 247 pp. Publication de la Faculté des Sciences de l’Éducation de l’Université Laval.

[231]

L’Éducation dans un Québec en évolution

L’UNIVERSITÉ
NOUVELLE
.”

Par

Paul RICOEUR

Je me concentrerai surtout, dans ce chapitre, sur les problèmes posés par renseignement supérieur et sa pédagogie ; j’espère néanmoins satisfaire une curiosité plus vaste en replaçant d’abord le problème de l’université dans le cadre de la demande en éducation qui est peut-être un des phénomènes les plus extraordinaires des sociétés industrielles. Il se trouve en effet que cette demande exerce actuellement sur ces sociétés une poussée gigantesque qui, après avoir atteint le niveau primaire et le niveau secondaire de l’enseignement, s’applique aujourd’hui à l’enseignement supérieur. C’est pourquoi, comprendre l’origine et le sens de cette demande en éducation dans les sociétés modernes est la meilleure entrée dans les problèmes spécifiques de l’enseignement supérieur.

Je proposerai de placer toute cette réflexion sous la définition globale que Jacques Berque propose pour l’éducation : « L’éducation est l’ensemble des rapports entre la jeunesse et la société des adultes ». Cette très belle définition a un premier avantage de ne pas limiter l’éducation à la transmission du savoir, ni même à la [232] transmission de quelque aptitude à apprendre : elle couvre tout ce qui se passe entre la génération adulte et la génération adolescente ; dans cette définition dynamique nous mettons face à face les générations. Le second avantage de cette définition, c’est qu’elle ne propose pas une relation unilatérale entre les générations, comme si l’enfance était seulement une annexe préparatoire et l’adolescence une antichambre de la vie adulte ; l’éducation concerne aussi l’épanouissement des valeurs propres à chaque âge, existantes en elle-même, souvent contradictoirement à celle des adultes. L’éducation, ce n’est pas seulement un octroi, l’octroi du savoir des adultes aux plus jeunes, mais bien un échange, une circulation entre les âges. Nous en verrons tout à l’heure quelques incidences dans la pédagogie de l’enseignement supérieur.

LA DEMANDE EN ÉDUCATION

Pourquoi ce problème, ainsi défini dans ses plus larges contours, est-il un problème et peut-être le problème majeur des sociétés modernes ? La première raison, la plus manifeste, réside dans l’ampleur des savoirs, des techniques et des savoir-faire à transmettre. Leur niveau, dans les sociétés hautement techniques, est tel qu’un plus grand nombre d’individus, dans un temps de plus en plus long, est impliqué dans le processus de la transmission : l’allongement de la scolarité en est la conséquence la plus manifeste.

Mais cette raison trop évidente ne doit pas nous cacher quelques autres raisons plus dissimulées et peut-être plus significatives. Ce premier motif, la transmission de savoirs de plus en plus difficiles et complexes ne vise que l’aspect professionnel de l’éducation, disons l’accès aux métiers. Or, sans quitter encore la considération des métiers et des professions, il apparaît que les sociétés industrielles requièrent une dose de plus en plus considérable de culture générale, en vue de la maîtrise de savoirs et de techniques de plus en plus spécialisés ; dans vingt ou vingt-cinq ans, la mobilité professionnelle exigera qu’un homme exerce trois ou quatre métiers successifs au cours de sa vie ; cette mobilité professionnelle exige une aptitude à se renouveler et à apprendre, du chef d’entreprise aux ouvriers et aux employés. En outre, l’insertion dans le travail moderne exige une vision d’ensemble de la société dans laquelle se déroulent le processus de production, les relations économiques, les échanges sociaux de toute espèce. N’oublions pas encore que ce qu’on appelle le secteur tertiaire, [233] c’est-à-dire tout ce qui n’est pas production agricole ou industrielle, et dont la part est croissante dans le processus de production, requiert beaucoup plus une intelligence générale des rapports sociaux qu’une formation spécialisée. Mais cela est vrai du travail industriel lui-même ; l’outil d’autrefois prolongeait la main, la machine d’aujourd’hui prolonge nos signes, prolonge notre langage. Enfin l’insertion dans la cité exige une aptitude à juger, saisir les ensembles, par conséquent, une culture non encyclopédique, un sens des structures et des analogies. Si la démocratie est le régime dans lequel le plus grand nombre d’hommes est appelé à participer à la discussion et à la décision, la démocratie aussi est le fruit de la culture générale.

Enfin, au niveau même des savoirs les plus avancés, la culture apparaît comme une aptitude à se mouvoir à des niveaux différents. À cet égard je distinguerai, avec un des maîtres de la prospective d’aujourd’hui, entre une culture encyclopédique, qui n’est qu’une simple accumulation de savoirs, une culture qu’on peut appeler structurale et qui concerne la maîtrise des véhicules culturels, langues, mathématiques, et tout ce qui peut prendre le caractère de code ou de grille à utilisations multiples ; l’homme cultivé est celui qui dispose de ces structures pour en user dans les situations les plus diverses de l’existence, à la façon d’une raison polyvalente, qui assure une mobilité de l’esprit comparable à ce que nous appelions tout à l’heure la mobilité dans le travail ; à cet égard, la culture structurale est vraiment un anti-encyclopédisme. Au-dessus de cette culture encyclopédique et de cette culture structurale, on peut enfin parler d’une culture analogique, d’une aptitude à saisir les ensembles, les lignes de convergence, les échanges au plus haut niveau entre les disciplines à la pointe de leur développement ; c’est là que se fait la conquête des domaines supérieurs de l’intelligence et de la sensibilité : l’aptitude à comprendre qu’il s’agit de la même chose (fiiez Picasso et dans la théorie des ensembles.

À toutes ces raisons, tirées d’abord de la nature du travail moderne, puis de la nature du savoir avancé, s’ajoutent deux grandes motivations dont nous commençons seulement à découvrir l’importance. Il s’agit d’abord du loisir ; il faudra de plus en plus comprendre la culture comme une éducation non seulement au travail mais au loisir. Préparer les hommes au loisir deviendra une des missions de toute éducation véritable. Le loisir, en effet, n’est pas seulement une activité privée, c’est une fonction sociale qui, à ce titre, est organisée comme les autres fonctions sociales ; l’homme peut y être repris (et est effectivement repris) par le même monde standardisé des machines et des produits tout fabriqués. Or le domaine du loisir est en même temps celui des [234] choix multiples offerts à des moyens monétaires de plus en plus considérables, une fois satisfaits les besoins primaires de consommation utilitaire ; cette partie mobile des budgets des ménages devient une source de placements aléatoires et extrêmement mobiles offerts à la variété de nos désirs et de nos goûts ; nous avons là un domaine d’éducation absolument nouveau et spécifique. La culture au niveau des loisirs consiste dans une aptitude à déplacer et à reporter la satisfaction des biens immédiats sur les biens médiats créés par le langage et en général sur les objets culturels appartenant au monde des signes et des symboles, c’est-à-dire sur des objets qui sont eux-mêmes la cristallisation d’une culture antérieure ; c’est en ce sens qu’il y a des niveaux de loisir, comme il y a des niveaux de travail.

À ce motif relativement neuf du loisir j’ajoute un autre motif moins connu et que nous sommes à peine en train de découvrir ; c’est celui que l’on peut placer très généralement sous le titre de l’éducation permanente.

Pour une part, c’est un aspect de la mobilité professionnelle ; on connaît déjà le recyclage des ingénieurs, des médecins et d’un certain nombre de catégories professionnelles dépendant de savoirs et de techniques à transformation rapide ; mais le problème est beaucoup plus général : un enseignement universitaire terminé avant trente ans ne peut plus suffire à équiper un homme jusqu’à la fin de son activité professionnelle. Dans les trente ans de son efficacité professionnelle, le paysage scientifique, technologique et culturel de son activité va changer plusieurs fois ; c’est pourquoi l’éducation devra s’adresser de plus en plus à des adultes qu’il faudra remettre périodiquement dans le mouvement des connaissances et des techniques.

Mais l’éducation permanente n’est pas seulement un problème professionnel. Il ne faudrait pas l’identifier avec un recyclage généralisé des professions, bien que ce recyclage doive être étendu à des professions qu’il n’a pas encore touchées, comme la profession enseignante précisément. Sous le titre « éducation permanente », il s’agit de quelque chose de plus important ; il s’agit de l’adaptation continue de tous les hommes à une société à croissance rapide. Ce qu’on appelait autrefois crise, c’est-à-dire changement brusque de la société, devient un état chronique ; nous appartenons à des sociétés en mouvement et qui se pensent en mouvement alors que les sociétés anciennes se pensaient sous le signe de la stabilité. Le grand problème sera celui de la maîtrise du changement ; la régularité de la croissance économique n’est qu’un aspect de cette problématique ; l’éducation permanente, c’est d’abord et principalement la conquête d’une adaptation au changement tout au long de la vie. Gruson, directeur de l’Institut [235] national de la Statistique et des Études économiques en France, écrit ceci : « La diffusion de la haute culture littéraire, artistique, scientifique, technique doit être entendue comme une diffusion faite à de grandes masses, à la limite, à la totalité de la population ; et cet objectif est évidemment fondamental pour deux raisons : parce que les objectifs de développement des loisirs, qui sont logiquement liés à la hausse des niveaux de vie, posent avant tout des problèmes culturels. Mais, deuxièmement, parce que les collectivités de la fin du vingtième siècle sont engagées dans une aventure technico-scientifique qui doit être vécue consciemment et activement par le plus grand nombre possible de ses membres et non seulement par une petite élite entraînant de grandes masses passives... La diffusion de la culture n’est pas une tâche annexe de l’université ; ce sera au contraire à l’avenir une tâche absolument fondamentale. Il faut bien dire que les collectivités de l’avenir seront rapidement et consciemment évolutives ; leurs perspectives d’évolution resteront dans une large mesure aléatoires et par conséquent angoissantes ; les hommes ne pourront donc vivre qu’à condition d’être capables d’adaptation d’une part et, d’autre part, d’avoir une idée solide de la signification de leur existence. La diffusion d’une culture sera donc nécessaire à la fois pour répondre aux exigences d’une vie économique rapidement mouvante et pour donner quelque solidité à l’équilibre psychologique et social de la collectivité. » Ce texte remarquable montre bien qu’il ne s’agit pas seulement de réapprendre aux individus quatre ou cinq métiers successifs au cours de leur vie, mais de leur donner une structure psychique adaptée au mouvement.

Je pousserai même plus loin cette idée d’éducation permanente en la rattachant aux problèmes plus vastes des âges de la vie. Nous entrons maintenant dans une période où la composition en âge de sociétés va changer assez considérablement. Le nombre des gens âgés sera proportionnellement très grand et la signification de la vieillesse sera de plus en plus un problème social et politique. Apprendre à vieillir, c’est une chose aussi importante qu’apprendre à s’adapter ; et les deux problèmes sont liés, car la vie humaine s’allonge au moment même où les changements se font plus rapides et où par conséquent on est menacé d’être déclassé beaucoup plus vite et d’être expulsé par la communauté active par défaut d’adaptation ; chacun sait la difficulté que rencontre un homme de quarante ans pour retrouver une situation. Dès lors l’adaptation que nous caractérisions plus haut comme mobilité professionnelle, puis comme maîtrise des changements sociologiques, psychologiques et culturels, concerne plus fondamentalement l’équilibre biopsychosocial des communautés modernes.

[236]

Du même coup notre définition initiale éclate : ce n’est pas seulement à la jeunesse que l’éducation s’applique, mais à tous les âges. Nous pouvons même entrevoir l’époque où on ne pourra plus mettre sur les épaules de la jeunesse la charge du savoir ; l’accès aux savoirs et aux savoir-faire devra être étalé sur une période de vie beaucoup plus longue, peut-être même sur toute la vie. Nous vivons encore sur cette idée que l’université s’adresse aux jeunes gens, que l’on y reste seulement pour y enseigner ou y faire de la recherche ; après l’école, le métier ; après le métier, la retraite, la mort sociale. Dans un avenir plus proche que nous ne le pensons, l’université devra adopter une perspective toute différente : accepter de donner une formation moindre à la jeunesse, lancer dans les métiers des hommes porteurs d’un équipement plus léger et continuer la formation du travailleur, du citoyen et de l’homme tout au long de la vie. Il n’est pas impensable que cette manière toute différente d’aborder la question de l’éducation contribue, pour une part non négligeable, à résoudre le problème de la vieillesse. À cet égard le problème de la jeunesse et celui de la vieillesse se recouvrent. Décharger la jeunesse du poids excessif des études saura aussi aider les hommes à bien vieillir.

Néanmoins, je me cantonnerai ici dans les problèmes de la jeunesse, c’est-à-dire dans le court terme de la prospective universitaire, quitte à laisser voir les horizons pas très lointains de l'université future.

Telles étant les perspectives de l’éducation dans les sociétés modernes, dans les sociétés industrielles avancées, quelle prospective pouvons-nous dessiner dans ce cadre pour l’université, pour l’enseignement supérieur ?

LES TÂCHES NOUVELLES DE L'UNIVERSITÉ

Nos universités, à travers le monde, subissent actuellement une pression gigantesque, qui est d’abord la pression du nombre, mais qui, à travers ces questions de quantité, met à l’épreuve l’image traditionnelle de l’université, lui impose des tâches nouvelles, requiert une nouvelle formulation de la fonction enseignante et appelle de nouveaux rapports entre enseignants et enseignés.

Je voudrais dire d’abord quelques mots concernant les problèmes de nombre, mais sans m’y attarder ; on sait qu'aujourd’hui, en France, le nombre des étudiants entrant à l’université est égal à celui des élèves entrant dans l’école secondaire il y a cinquante ans. Cela signifie que l’enseignement supérieur va revêtir la [237] même fonction sociale qu’autrefois l’enseignement secondaire ; cela donne une idée de la dimension du phénomène. Il faut dire d’abord que cette demande en éducation supérieure est non seulement légitime, mais inéluctable. Elle résulte de l’élévation du niveau culturel moyen ; elle exprime aussi le besoin énorme des sociétés modernes en cadres supérieurs et moyens ; enfin elle représente une nouvelle image sociale de la réussite : passer par l’université, c’est aujourd’hui le signe de l’appartenance aux couches dirigeantes de la société.

Mais si le phénomène est inéluctable et légitime dans son fond, le problème est certainement de le régler. Mais comment ? Il faut avouer qu’ici la prospective économique est peu éclairante : nous ne pouvons pas actuellement dresser un tableau exact des besoins professionnels de la société dans vingt ans, c’est-à-dire à l’âge où l’étudiant que nous recevons aujourd’hui atteindra son efficacité optimale. Mais si ce tableau de la vie professionnelle de la nation ne peut être projeté avec quelque exactitude dans l’avenir, il en résulte que nous ne pouvons pas régler ce problème du nombre à partir des besoins ; ces besoins sont ceux d’une société relativement inconnue. Nous devons donc nous régler non sur les besoins futurs, mais sur la demande actuelle. Il en résulte que nous devons préparer les individus en fonction de la mobilité professionnelle, donc de la culture générale, sans nous laisser trop rigoureusement déterminer par l’aspect professionnel, par la formation au métier. Certes, il est plus facile de doubler le nombre des étudiants en quinze ou vingt ans que de doubler le nombre des professeurs : il y a ici un aspect de rigidité sociale dont le législateur doit tenir compte : la capacité d’absorption du corps enseignant croît moins vite que la demande sociale en enseignement supérieur. Néanmoins, il faut être résolument hostile à l’idée de numerus clausus dans l'enseignement supérieur si l’on voulait satisfaire à la fois à la justice et à l’exigence de limitation numérique. Cela ne serait pas possible dans une démocratie libérale, mais dans un régime politique extrêmement autoritaire, étant donné qu’actuellement ce sont les classes dirigeantes qui sont le mieux représentées dans l’université. Si l’on voulait limiter numériquement l’accès à l’université, il faudrait renverser le rapport entre classes sociales dans l’université, c’est-à-dire empêcher la moitié des enfants de la bourgeoisie d’entrer à l’université pour prendre ceux qui n’y sont pas. Or je ne vois pas qu’une société libérale soit capable de procéder à ce renversement. Si elle n’en est pas capable, alors il faut assumer un certain nombre d’inconvénients, en particulier une certaine sélection par l’échec. Nous ne sommes pas capables actuellement d’imaginer une machine universitaire réglée sur les besoins futurs de la société et exerçant à la fois une justice sociale exacte [238] dans son recrutement. Je crois que ces deux raisons jointes plaident amplement pour l’ouverture maximale de l’université.

Mais ces problèmes de nombre se reflètent dans des problèmes qualitatifs qui m’intéressent davantage. En ce qui concerne d’abord les tâches de l’université, nous assistons à l’éclatement de l’image traditionnelle de l’université, issue d’une part du Moyen Âge et d’autre part de la grande université allemande du dix-neuvième siècle ; celle-ci était alors un monde limité et clos, où le cours magistral transmettait un savoir à la pointe de sa création à une élite très choisie, destinée à être elle-même créatrice de culture. Aujourd’hui, des tâches très nombreuses sont imposées à l’université ; déjà, vers 1930, un directeur général de l’enseignement supérieur en France disait que l’université devait assurer trois tâches : la formation des cadres supérieurs de la nation, la formation des chercheurs, la diffusion de la haute culture. Cette définition large ne tient déjà plus. Si nous admettons que l’université occupe dans la nation la place qu’occupait le secondaire il y a un demi-siècle, il lui incombe aujourd’hui de former non seulement les cadres supérieurs de la nation, mais aussi ses cadres moyens, dont la charge est moins d’inventer que d’encadrer et d’exécuter. En outre, à l’idée de formation, il faut ajouter celle de perfectionnement continu et bientôt, sans doute, celle de l’éducation des adultes. De là l’enchevêtrement des tâches auxquelles l’université doit désormais faire face : l’éducation supérieure, c’est maintenant tout ce qui se fait entre le secondaire et la vie professionnelle, la formation terminale de ceux qui s’arrêtent à mi-course, l’initiation à la recherche de ceux qui se disposent à parcourir l’étape suivante : or ces entreprises sont en réalité fort divergentes et relèvent de pédagogies tout à fait différentes. Ce dont nous souffrons dans nos universités actuelles, c’est précisément du mélange des publics et du mélange des motivations de nos étudiants.

La première riposte est la diversification des filières à l’intérieur d’une même institution. Ainsi, en France, nous sommes à la recherche d’une différenciation très importante entre un technique supérieur et un enseignement supérieur proprement dit ; à vrai dire, l’idée est en avance sur les réalisations : on ignore encore comment les maîtres de cet enseignement parallèle seront formés, quels titres seront décernés et quel cours des études sera donné. Néanmoins, on peut être certain que, d’une manière ou d’une autre, toutes les universités auront à résoudre cette contradiction : comment, dans la même institution, donner un enseignement supérieur de masse et dégager une tête qualifiée pour la recherche ?

Diversifier les filières, mais aussi diversifier les niveaux. Il va nous falloir faire marcher ensemble des cycles courts et des [239] cycles longs, en se souvenant qu’un cycle court n’est pas la fraction d’un cycle long, mais une entité complète. Il faut même dire, en brisant l’image, qu’un cycle court n’est pas moins long qu’un cycle long : cela veut dire qu’on y apprend moins de choses dans le même temps, moins de choses, mais d’une autre façon : tout cela implique des pédagogies différentes.

Diversifier d’autre part les options : nos universités deviendront de plus en plus, toute révérence gardée, des auberges où le menu à la carte devra remplacer le plat du jour. C’est dire qu’il nous faudra permettre des combinaisons de plus en plus nombreuses, ce qui n’est pas facile dans une université de masse ; car, plus une institution est vaste, plus la rigidité est grande, et plus il est difficile d’y ménager des choix multiples, des permutations et des passerelles ; c’est pourtant sur cette souplesse des passages que se jouera l’efficacité, le rendement de la machine universitaire.

Dans certains pays, on le sait, on s’est orienté dès le début vers une solution qui est socialement efficace, mais très dangereuse pour notre idée de l’université : on y diversifie non seulement les niveaux d’enseignement, mais les établissements eux-mêmes ; c’est le cas aux États-Unis où il est possible de suivre le cours d’une école secondaire de niveau inférieur, de continuer dans un petit collège, puis dans une petite université, et d’accéder par cette voie à un métier moyen ; l’économie psychologique est évidente : on se dispense de cette sélection par l’échec qui est la plaie des universités européennes. Par contre, une université très centralisée comme l’université française ne se prête guère à cette dislocation des niveaux universitaires : la centralisation implique une conception égalitaire de la réussite, encore consolidée par le régime des concours nationaux qui mettent périodiquement à égalité de chances les candidats aux divers grades universitaires ; dans un tel système, où l’égalité des institutions est poursuivie avec une volonté farouche, seule la diversification interne des filières et des cycles peut remédier à la rigidité de l’institution. Par exemple, on peut offrir aux étudiants des niveaux de réussite différents : à côté des programmes normaux, des programmes d’honneur qui proposeraient aux étudiants avancés un niveau de réussite supérieur les qualifiant pour le cycle suivant ou pour la recherche ; cette voie est à explorer, elle consiste à diversifier nos diplômes d’une façon beaucoup plus complexe et articulée.

Bref, il s’agit de résoudre la contradiction qui est aujourd’hui celle de l’université moderne : édifier une institution de masse, une sorte de service public rendu au grand nombre, d’autre part sélectionner une tête par une sorte de distillation fractionnée et l’entraîner à la recherche, afin que l’université reste le foyer de l’innovation.

[240]

Ce problème est nouveau. Dans l’université allemande du siècle dernier, l’universitaire était un chercheur qui faisait ses livres en faisant ses cours ; les étudiants en entendaient un fragment et ainsi ils voyaient un homme en train de chercher ; aucun problème d’initiation de masse, de diffusion d’un savoir acquis ne les retardait. Notre problème est différent : il nous faut à la fois travailler avec les meilleurs au niveau de la culture qui se fait et diffuser au plus grand nombre la culture acquise. Autrement dit, il nous faut un instrument capable de donner une formation de base et une initiation à la recherche, de donner une formation professionnelle et d’introduire à la recherche.

Deuxième incidence du changement de taille des universités : elle concerne la fonction enseignante. Il faut l’avouer, celle-ci s’est profondément transformée : d’une sorte de cléricature, de sacerdoce, elle devient un métier captivant, exact et plus proche des usagers. Ce changement de fonction appelle un changement de mentalité, surtout dans la vieille Europe, où le professeur était un personnage volontiers distant : c’est maintenant un chef d’équipe et un entraîneur d’hommes. Or, cette transformation ne va pas sans difficulté ; la même contradiction qui affecte l’institution affecte aussi la profession enseignante. L’enseignement — mot affreux ! — mais qui traduit bien le changement sociologique, l’enseignement moderne lui aussi se sent déchiré entre la recherche, qui demande solitude et loisir, et les tâches quotidiennes qui se multiplient autour de l’enseignement. Il ne s’agit pas seulement de faire un cours, il faut encore mettre en mouvement une équipe d’assistants, coordonner les travaux pratiques dans des groupes limités. Et pourtant, c’est la recherche qui est notre vocation, notre but principal ; car seule la recherche charrie le dynamisme, la souplesse et l’adaptation. Il nous faut trouver un équilibre nouveau entre la recherche et des besognes administratives et pratiques de plus en plus nombreuses. Nous ne pouvons plus nous désintéresser de l’efficacité de notre métier : qu’est-ce que devient notre cours ? Qu’est-ce qui se passe de notre enseignement ? La confection de notre cours ne saurait épuiser, et de loin, notre souci.

Je voudrais souligner deux points particuliers qui sont devenus deux points critiques de la fonction enseignante : quel sera le sort du cours magistral ? Et, d’autre part, que deviendront nos examens ? Ces deux questions sont devenues une source de malaise, de mécontentement, voire une occasion de conflits entre le corps enseignant et la masse des étudiants, qu’elle soit ou non organisée en associations ou en syndicats. C’est pourquoi cette question ne doit pas être dissimulée, traitée clandestinement, mais abordée ouvertement : il est certain que le fameux cours magistral est très contesté, et, à certains égards, frappé de désuétude. Ce qui ne [241] veut pas dire qu’il doit mourir. En tant qu’enseignement oral, il est absolument irremplaçable ; mais la question est maintenant de lui trouver sa juste place dans la panoplie de nos interventions. Le remettre à sa place, c’est le coordonner avec les aspects nouveaux de l’enseignement : travaux pratiques, groupes spontanés d’études, contributions collectives ou individuelles des étudiants au travail commun. Ces compléments indispensables changeront nécessairement la physionomie de notre enseignement ; il faudra que le professeur descende de son piédestal, qu’il soit davantage exposé aux questions, à la critique, et qu’il s’intègre dans le travail commun. Cela peut être fait de multiples façons : en particulier, il peut être intéressant d’incorporer au développement du cours des contributions d’étudiants préparées en groupe sous la conduite d’assistants ou d’étudiants avancés. On peut aussi introduire toutes les sept ou huit leçons des discussions périodiques, qui seraient une occasion de questionner et de mettre en question l’enseignement magistral.

Pour ma part, je résumerai ainsi la querelle autour du cours magistral. Il faut dire non au cours magistral dans la mesure où il reste un monologue sans insertion dans un cours d’études digne de ce nom. Tout cours magistral qui n’est pas répercuté dans des travaux pratiques est perdu. Non au monologue professoral ; non à l’élève magnétophone et à l’élève esclave ; non au cours magistral qui protège maîtres et étudiants des dangers de la réflexion, de la discussion, de la comparaison, de la question. Mais ce que nous cherchons tous, au-delà de cette condamnation, c’est de restituer une utilité au cours magistral, un intérêt, une spécialité.

Il y a le cours qui ouvre : c’est un modèle d’enquête et de réflexion, c’est un instrument d’information méthodologique. Il y a le cours qui jalonne : il met au point les aspects particuliers de questions qu’il ne prétend pas épuiser ; il est didactique et non érudit. Il y a le cours qui rassemble : il exprime la maîtrise d’un auteur dans le domaine où il excelle. En tout cela, la parole écrite ne saurait se substituer à la parole tout court ; l’écriture et la parole ont des vertus distinctes ; la parole est évocatrice et l’écriture précise. La question est alors de prolonger le cours, de le répercuter par le moyen de travaux pratiques qui tantôt le précèdent, tantôt le suivent.

C’est ici que les questions de méthode et de procédés touchent à quelque chose de plus fondamental : à une question de mentalité. Le grand sociologue allemand Max Weber disait en 1919 : « La tâche primordiale d’un professeur est d’apprendre à ses élèves à reconnaître qu’il y a des faits inconfortables ; j’entends par là des faits qui sont désagréables à l’opinion personnelle de l’individu. En effet, il existe des faits extrêmement désagréables pour [242] chaque opinion, y compris la mienne. Je crois qu’un professeur qui oblige ses élèves à s’habituer à ce genre de choses accomplit plus qu’une œuvre intellectuelle. Je n’hésite pas à prononcer le mot d’œuvre morale, bien que cette expression puisse paraître trop pathétique pour désigner une évidence aussi banale. » Nous touchons ici à la révolution intérieure à laquelle nous, les enseignants, nous sommes invités : c’est le nœud de toute pédagogie de l’enseignement supérieur.

Quelques mots maintenant au sujet des examens, second point crucial de notre institution. Notre système universitaire, en tout cas dans beaucoup d’universités européennes, est un système très coûteux psychologiquement par la place qu’il donne à l’échec ; le même traumatisme qui altère gravement l’équilibre psychique des étudiants, empoisonne d’autre part les rapports entre enseignants et enseignés. Il est inéluctable qu’une institution qui aboutit à plus de cinquante pour cent d’échecs, comme c’est le cas des facultés scientifiques en France, développe une cruauté en quelque sorte institutionnelle, à laquelle on doit mettre fin. Il est inéluctable que le professeur, qui finalement détient la sanction, apparaisse comme un juge plutôt que connue un maître et que l’étudiant soit à ses yeux un prévenu, un inculpé, plutôt qu’un disciple. Aucune institution ne devrait accepter de fonctionner avec un aussi mauvais rendement. Qu’est-ce qu’une usine qui gâcherait la moitié de ses pièces ? Certes, nous ne pouvons imaginer une institution qui n’éliminerait personne : parmi nos étudiants, il en est qui se sont fourvoyés ou qui ont pris une mauvaise orientation ; de plus, dans une société libérale, dans une société où les déplacements professionnels sont libres, c’est la sanction des erreurs qui rectifie les mauvais choix ; enfin, pour la raison que j’ai dite précédemment, l’absence de prévision des besoins sociaux à long terme fait que l’on doit se régler sur la demande actuelle et non sur la demande future ; dès lors, l’échec garde une fonction résiduelle d’orientation. Néanmoins, l’examen doit viser moins à pénaliser un individu qu’à corriger une mauvaise orientation. La véritable fonction de l’examen, me semble-t-il, doit être de contrôler le travail, d’orienter vers des choix ultérieurs, de sélectionner pour les cycles supérieurs. Chaque fois qu’on ferme une porte, on doit en ouvrir une autre.

Cette réflexion sur la fonction enseignante nous a insensiblement conduit vers le problème épineux des rapports entre enseignants et enseignés, entre professeurs et étudiants. Nous l’avons rencontré de biais par la question du cours magistral et des examens ; je veux maintenant l’aborder de front, sans faux-fuyant. Mon pronostic à cet égard est assez sombre : les tensions qui existent déjà se feront sentir de plus en plus dans les années à venir, [243] et cela indépendamment des régimes institutionnels de nos universités ; la crise a des raisons de fond qui mettent en question l’équilibre entier du système universitaire.

Je crois que la relation de génération en génération, qui est toujours difficile, et même de plus en plus difficile dans les sociétés modernes, atteint dans l’université son point extrême de virulence. Et cela pour des raisons que je dirai structurales. Dans les meilleures conditions de dialogue avec les étudiants, il est inévitable que le professeur revendique une autorité qui tient au fait qu’il sait, qu’il connaît ce qu’il est chargé de transmettre ; cette conviction l’incline à une conception unilatérale du rapport d’enseignement. Or, dans le même temps, l’étudiant est un adulte qui prend conscience de son existence personnelle et de son existence sociale : l’adolescence tend aujourd’hui à s’installer tout à fait à part du monde des adultes. Elle rêve de responsabilités qu’elle ne peut pas porter. D’autre part, le temps de l’adolescence s’allonge beaucoup en raison du fait que les relations entre les parents et les enfants sont souvent distendues ; la scolarité croissante permet de plus en plus, à des enfants de niveau très modeste, de faire des études secondaires ou supérieures qui les écartent de leurs parents. La durée de l’adolescence s’allonge aussi vers le haut, car les études sont beaucoup plus longues et les hommes, prenant leur retraite et mourant plus tard, conservent leur poste plus longtemps. La relation entre générations souffre donc d’une distorsion fondamentale dans l’université.

Le désir d’être traité en adulte correspond exactement au moment de la plus grande dépendance intellectuelle. Le conflit est inévitable entre la dépendance intellectuelle dans l’enseignement et la volonté d'indépendance sociale, qui est une découverte relativement récente du monde de l’adolescence et plus spécialement du monde étudiant. Tel est le paradoxe, la contradiction à résoudre : comment introduire la plus grande réciprocité possible dans une relation essentiellement inégalitaire ? La volonté d’égalité et le besoin de participation du monde étudiant sont absolument légitimes, valables et sains ; mais il faut les intégrer à la relation faiblement réciproque de l’homo studens et de l’homo docens.

Or, ce rapport, difficile en lui-même, est encore aggravé par ce que l’on peut appeler la massification de nos institutions, surtout dans les universités très nombreuses de l’Europe et de l’Ouest des États-Unis ; la massification a précisément comme effet de distendre au maximum ce rapport. Elle développe chez le professeur un réflexe de dignité offensée, d’aristocratie blessée, voire des réflexes de défense et de fuite, qui l’amèneront à renforcer son autorité, à mettre son cours à l’abri de la discussion et de la critique. En face de lui, l’étudiant va élever des revendications qui tendront [244] à introduire dans l’enseignement des automatismes à rentabilité immédiate, aux dépens de la culture structurale et analogique dont je parlais auparavant. Il est certain que bien des revendications d’étudiants, en particulier en France, tendent purement et simplement à une secondarisation de l’enseignement supérieur. À la limite, les enseignants seraient transformés en machines à faire des polycopies, auxquelles ils ajouteraient quelques gloses marginales, devant des groupes d’étudiants qui les convoqueraient. Il est évident que ces deux tendances, à la défense agressive du corps enseignant et à l’attaque insolente du corps étudiant, représentent la caricature de ce que nous avons appelé autrefois l’universitas magistrorum discipulorumque. Le réflexe de défense de l’étudiant et celui du professeur vont donc, me semble-t-il, aggraver dans les années qui viennent cette contradiction profonde, que j’appelais tout à l’heure structurale, entre la dépendance intellectuelle et la volonté d’indépendance sociale, en y ajoutant la frustration créée par l’absence de participation intellectuelle et affective.

Un assistant à la Sorbonne écrivait récemment ceci : « Comment rétablir l’équilibre et le dialogue, comment faire participer les étudiants d’une manière qui ne soit ni paternaliste, ni illusoire ? car si au malaise de ces contradictions, on n’oppose pas des contrepoids institutionnels et des compensations psychologiques réelles, on s’achemine vers une grave crise de l’université qui dépasserait largement la crise actuelle de pénurie de maîtres et de locaux. On assisterait à une tension entre un monde enseignant qui se sentirait mis en cause dans sa fonction magistrale et un monde étudiant qui se jugerait brimé et infantilisé. »

Me permettrez-vous quelques suggestions ? Je vous prie de les bien prendre, car je n’ai aucun goût pour faire de la démagogie dans une université étrangère : ce que je dis ici, je le dis dans mon université : il faudra certainement mettre au point des mécanismes de participation des étudiants à la vie des facultés, à la fois sur le plan institutionnel et sur le plan intellectuel.

Sur le plan institutionnel, il faut, avec prudence mais avec fermeté, et avec la volonté de réussir, introduire des représentants des étudiants, dans les commissions d’abord, puis peu à peu dans les conseils universitaires. Il est un grand nombre de questions sur lesquelles les étudiants sont parfaitement compétents ; leur avis mérite d’être écouté lorsqu’il s’agit du choix des programmes, de l’organisation des travaux pratiques et des cours ; en outre, à l’occasion de ces rencontres organiques, ils seraient mis au courant des intentions et des points de vue des professeurs, lesquels cesseraient de leur paraître clandestins ou arbitraires. La création des organes consultatifs et législatifs de cette communauté [245] des maîtres et des disciples doit devenir, dans un avenir plus proche que lointain, un de nos soucis majeurs.

Mais les solutions institutionnelles ne sont rien sans des réformes sur le plan proprement intellectuel ; un certain nombre de pratiques dont je parlais tout à l’heure prennent leur sens ici, comme instrument de communication et d’échange entre la génération enseignante et la génération enseignée. Dès qu’un cours peut être repris dans un groupe de travail où le professeur n’est plus l’enseignant mais l’égal des autres dans la discussion, dès que l’on peut mettre sur pied des leçons de méthode où les principes mêmes du cours sont mis en cause, il s’institue un aller et retour, une véritable réciprocité de pensée entre enseignants et enseignés.

En résumé, la relation enseignant-enseigné est foncièrement inégalitaire et toute la pédagogie de l’enseignement supérieur consiste, à mon sens, à incorporer le maximum de réciprocité dans cette situation fondamentalement asymétrique. Au fond, notre problème est de donner un sens à la définition dont nous sommes partis : « L’éducation est l’ensemble des rapports entre la jeunesse et la société des adultes ». Or, il faut bien le dire, la pédagogie des jeunes adultes reste à inventer. Peut-être aussi celle des enseignants...

Mais je m’adresse pour terminer à mes collègues plutôt qu’aux étudiants et je leur dis ceci : notre chance, à nous adultes enseignants, notre chance autant que notre honneur, c’est d’avoir un métier qui nous met constamment en contact avec la jeunesse et sa revendication. Oui, heureux sommes-nous, nous qui vieillissons tous les ans d’une année, de vivre avec des jeunes gens et des jeunes filles qui gardent toujours le même âge !

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Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 15 septembre 2021 18:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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