Introduction
Les études féministes existent depuis quelques décennies déjà et leur apport scientifique et politique est indéniable. Ce champ de recherche a notamment permis de remettre en question les conceptions dominantes et sexistes du travail, du politique et de la science, définies à partir de perspectives masculines particulières.
Depuis le début des années 1970, des groupes et des chaires de recherche, des réseaux, des programmes de formation ont été mis sur pied dans l’ensemble des universités québécoises par des chercheures et des militantes féministes voulant transformer en profondeur les savoirs et les institutions sociales. D’emblée interdisciplinaires, les études féministes québécoises sont composées à la fois de professeures et d’étudiantes travaillant conjointement au changement social. Contrairement aux autres provinces canadiennes et aux États-Unis où de nombreux départements d’études des femmes ou d’études féministes voient le jour (Robbins, Luxton, Eichler et Descarries 2008), les féministes universitaires québécoises décident plutôt de se rassembler en groupes de recherche tout en poursuivant les luttes au sein de chacune des disciplines pour y transformer les savoirs et les pratiques. Dès les années 1970, le Groupe interdisciplinaire d’études et de recherches féministes (qui devient en 1990 l’Institut de recherches et d’études féministes) à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et l’Institut Simone-de-Beauvoir à l’Université Concordia regroupent des chercheures féministes qui développent des enseignements et des projets de recherches. Durant la décennie suivante, le Groupe de recherche multidisciplinaire féministe (GREMF) et la Chaire Claire-Bonenfant voient le jour à l’Université Laval, tandis que McGill assiste à la naissance du Centre d’études et de recherches sur les femmes (Descarries 2005).
Le fruit de ces initiatives a permis l’approfondissement des premières hypothèses et des constats formulés par les militantes féministes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’institution universitaire. Les connaissances théoriques et empiriques produites par les chercheures féministes ont contribué de manière évidente à la légitimité des revendications féministes dans la société québécoise. Ensemble, les militantes et les chercheures féministes ont joué un rôle actif et déterminant dans les nombreuses transformations sociales que le Québec a connues depuis les années 1960. Bien que la distance se soit peu à peu accrue entre les universitaires féministes et les militantes des groupes féministes communautaires, comme ailleurs en Occident (Lagrave 1990), certaines structures de collaboration ont été mises en place pour assurer le maintien de ce lien essentiel au renouvellement des savoirs féministes. À l’UQAM, le protocole Relais-Femmes/UQAM joue ce rôle tandis qu’une partie du mandat de la Chaire Claire-Bonenfant est d’entretenir des liens de collaboration avec les groupes de femmes de la région de Québec.
Malgré la puissance généralement sous-estimé de l’impact social et scientifique des études féministes au Québec, celles-ci demeurent fragiles et leur survie n’est pas du tout assurée, surtout dans un contexte de marchandisation de l'éducation où les savoirs non utilitaires et surtout subversifs ont de moins en moins leur place dans l’institution. La reconnaissance scientifique et institutionnelle de la perspective féministe est encore partielle, marginale et menacée (Dagenais 1996-1997). Le renouvellement des corps professoraux dans les universités pourrait, d’autre part, être l’occasion de reculs importants, car les groupes, chaires et instituts existants n’ont pas de pouvoir d’embauche et la mémoire des luttes inachevées qui ont été nécessaires à la mise sur pied des études féministes est peu transmise aux nouvelles professeures susceptibles de se définir comme féministes (Lamoureux 2005).
Le Réseau québécois en études féministes (RéQEF), nouvellement fondé en 2012, a d’ailleurs placé la question de la relève et du renouvellement féministe en milieu universitaire parmi les enjeux majeurs des prochaines années. C’est dans cet esprit que les membres du Réseau liées à l’Université Laval ont décidé d’encourager l’organisation d’un colloque étudiant féministe qui a eu lieu le 27 et 28 avril 2012 et dont le présent ouvrage livre quelques-unes des excellentes contributions qui y ont été présentées.
Le comité organisateur, composé d’étudiantes féministes de l’Université Laval[1], a été surpris de l’enthousiasme soulevé par l’appel de communications lancé à la grandeur du Québec. Toutes les propositions de communications reçues ont été retenues, dans un esprit d’ouverture et de valorisation des recherches féministes étudiantes. Les 35 communications scientifiques présentées se sont tenues sur deux journées et se sont réparties entre les ateliers suivants : travail salarié et travail domestique : regards sociohistoriques ; violences ; militance, colère et révolte féministes ; femmes et mécanismes de régulation institutionnels des inégalités ; santé et subsistance des femmes dans les communautés ; avortement et éducation à la sexualité ; identités sexuelles et transformations des normes de genre ; séduction, sexualités et (non)consentement ; arts et normes de genre ; expériences de la migration des femmes vers le Québec. Un deuxième appel de contributions invitait les étudiantes féministes à soumettre des propositions de créations ou de performances artistiques. Marie-Claude Gingras-Olivier nous a offert un slam féministe intitulé « Une lettre pour Rosi Braidotti, à lire entre queers et féministes », et Caroline Moisan a exposé et présenté des photographies prises lors d’un terrain de recherche anthropologique avec des femmes hébergées dans un centre pour femmes en détresse en Inde. Ces deux œuvres sont intégrées dans le présent ouvrage.
À travers l’ensemble du processus d’organisation de l’événement, une attention particulière a été donnée à la mise en valeur des étudiantes et des chercheures de la relève ainsi que des recherches et des enseignements féministes extérieurs à l’institution universitaire. Le colloque a réussi à mettre en dialogue et à donner la parole à des féministes du milieu universitaire, mais aussi des milieux collégial et communautaire. Dans cet esprit, une table ronde réunissant une professeure-chercheure au département d'histoire de l'Université Laval, Johanne Daigle, une enseignante féministe en milieu collégial, Hélène Nazon, une militante et travailleuse féministe dans le milieu communautaire, Évelyne Dubuc-Dumas et une chargée de cours, professionnelle de recherche et chercheure indépendante en études féministes, Hélène Charron, a permis d'élargir les réflexions sur la transmission des savoirs féministes dans l'enseignement post-secondaire et au-delà. Pendant que cette table-ronde se déroulait, une manifestation féministe dans la ville de Québec, en appui au mouvement de grève étudiante qui en était à son troisième mois de mobilisation, a été l’objet d’abusives arrestations policières. Toutes les personnes présentes au colloque, profondément interpellées par cette situation, se sont alors concertées pour émettre un communiqué de dénonciation, envoyé dans les principaux médias, qui se retrouve également à la fin de cet ouvrage. Le lien entre l’action et la pensée féministe, qui a rendu possibles l’émergence et la pertinence intellectuelle et sociale des études féministes, demeure toujours au cœur du projet des jeunes et moins jeunes féministes présentes ce jour-là.
L’organisation du colloque a également été marquée par d’autres préoccupations visant l’intégration de toutes les personnes, notamment des enfants, l’achat local et la production du moins de déchets possible, ainsi que la mise en valeur des professionnelles de la région de Québec. Un hébergement local chez des féministes de la région a également été organisé pour les participantes venant de l’extérieur de la ville afin de faciliter les rencontres et le réseautage entre militantes et étudiantes féministes et de limiter au maximum les contraintes économiques pesant sur la participation au colloque.
Les communications présentées lors de ce colloque n'étaient pas organisées autour d'une problématique ou d'une perspective féministe particulière. Elles offraient plutôt un bel aperçu de la diversité des réflexions théoriques et empiriques actuelles du champ des études féministes. Le présent volume est organisé de manière thématique, mais certaines postures théoriques se dégagent des différents textes. Nous en dégagerons quatre : la prise en compte de l’agentivité des femmes qui sont objets de recherche et de réflexion, de l’articulation des différentes formes d’inégalités sociales dans la transformation des rapports sociaux de sexe, du caractère situé et partiel des connaissances sur le social et, finalement, la mise en lumière du travail et des expériences des femmes dans les différents espaces sociaux, encore trop souvent invisibilisés.
Un premier ensemble de textes porte précisément sur le travail des femmes, notamment le travail invisible et gratuit de celles-ci, dans une perspective sociohistorique qui articule les rapports de classe, d’âge et de genre. Catherine Charron, d’abord, présente une analyse des circonstances dans lesquelles les femmes s'occupent de la prise en charge des enfants dans la deuxième moitié du XXe siècle, tirée de ses recherches doctorales en histoire qui utilisent la méthode de l’enquête orale. L’auteure montre que les formes rémunérées et nonrémunérées de la garde d’enfants se situent sur un continuum, que l’économie informelle du travail domestique est formée d’échanges inégaux entre les femmes de différents statuts socioéconomiques, et que les hommes continuent à être exonérés de responsabilités domestiques alors que le travail domestique continue d’être coordonné par des femmes et de constituer le cœur de la division sexuelle du travail. Dans tous les cas, elle remarque que le mariage et la maternité sont vus par les participantes interrogées comme étant des moments charnières, car c’est à ce moment que la « norme de la bonne mère », ou le fait de devoir rester disponible en tout temps pour les enfants se concrétise et marque la suite de leurs parcours professionnels.
Le texte d’Éliane Trottier explore certains modes de construction de ces normes de la bonne « féminité » à travers les discours véhiculés dans la page féminine de l’Action catholique concernant le rôle des femmes dans l’effort de guerre lors de la Deuxième Guerre mondiale. Elle dégage deux thèmes récurrents, soit la valorisation du modèle familial traditionnel canadien-français et la critique de la modernité. À l’intérieur de ces thèmes, les positions sont polarisées, surtout entre les âges. En effet, si certaines femmes plus âgées craignent que le travail à l’extérieur du foyer compromette les capacités maternelles et domestiques des jeunes femmes, les femmes plus jeunes y voient des avantages tels que la liberté et le confort. Si certains voient la migration des jeunes femmes venant de la campagne vers la ville pour travailler comme un « sacrifice » en temps de guerre, les jeunes femmes elles-mêmes le voient plutôt comme une quête d’expérience nouvelle, de stabilité financière et d’évitement de l’ennui. Ce texte permet de démontrer l’évolution des identités des femmes lors de la Deuxième Guerre mondiale, et les conflits intergénérationnels s’y rattachant.
Marilyne Brisebois étudie, pour sa part, le lien entre l’essor de la consommation de masse et le travail domestique féminin au XXe siècle, notamment sur le plan du vêtement et de la couture. Elle soutient que l’impact de l’augmentation de la consommation de masse sur le travail domestique est peu documenté, notamment en ce qui concerne le passage de la conception de la couture comme un travail domestique gratuit essentiel en une activité facultative ou de loisir. Ce texte permet de mettre en lumière l’invisibilité du travail domestique tel que la couture, associé à la famille et à la reproduction, ainsi que sa charge symbolique associée au devoir conjugal et à l’amour maternel. Le fait que cette charge symbolique se modifie et s’associe au loisir pour certaines c’est à dire les mieux nanties - permet de mettre en évidence les clivages sociaux qui remettent en question l’étude de « la femme » comme groupe homogène.
Deux textes composent la deuxième section du livre qui porte sur les jeunes femmes, leurs comportements et leurs conceptions des rapports sociaux de sexe. Le premier texte, de Sophie Dubé, Marie-Ève Thibodeau et Francine Lavoie, propose un regard analytique sur la question des comportements sexuels non intimes à l’adolescence. En s’intéressant à la notion de consentement dans le contexte des comportements sexuels non intimes à l’adolescence, les auteures soulèvent deux éléments qui participent à l’approfondissement de la réflexion féministe. D’une part, les motivations qui poussent à adopter des comportements sexuels non intimes à l’adolescence ne seraient pas les mêmes chez les filles et les garçons (bien qu’on retrouve aussi des motivations communes aux deux sexes). D’autre part, les auteures mettent en lumière l’existence d’un « double standard » en ce qui a trait à ce type de comportements. En effet, si les garçons qui ont une aventure sans lendemain (ASL) ou qui prennent part à une activité sociale sexualisée (Acsosex) sont habituellement valorisés, les filles qui adoptent ces comportements sont souvent critiquées, voire méprisées.
De son côté, Catherine Plouffe-Jetté nous plonge dans le monde de la littérature jeunesse destinée aux adolescentes. Son étude des dicos pour filles lui permet de poser un regard critique sur les rapports sociaux de sexe véhiculés par la littérature jeunesse, mais également sur la perception réelle qu’en ont les adolescentes auxquelles elle est destinée. Désireuse de rompre avec la conception d’une « influence directe », Catherine Plouffe-Jetté souligne l’importance de s’intéresser à la manière dont les messages véhiculés dans les dicos pour filles sont encodés puis décodés par les adolescentes elles-mêmes pour tenir compte de l’agentivité des filles et mieux évaluer la marge de manœuvre dont elles disposent devant les normes sexistes qui sont encore très nombreuses.
Une troisième section aborde la question du rapport entre le féminisme et la communauté LGBT. En premier lieu, le texte d’Amélie Charbonneau nous permet de faire une incursion dans la réflexion de la chercheure sur la place qui est donnée aux lesbiennes dans la presse gaie, mais également de partager ses questionnements face aux représentations sociales qui, d’une part, influencent et, d’autre part, découlent de cette presse. Au cœur de cette réflexion et du projet de recherche : les principales concernées. En effet, l’auteure qui se campe dans un positionnement féministe, propose une méthodologie axée sur la théorie de la connaissance située qui, finalement, innove dans la place qu’elle donne aux lesbiennes qui, comme nous le démontre l’auteure, tendent à être marginalisées dans la communauté LGBT. Kevin Lavoie, pour sa part, après avoir réfuté quelques mythes sur la violence conjugale chez les couples d’hommes gais, ouvre une réflexion sur les apports des théories féministes en matière de violence conjugale dans les couples masculins homosexuels. Ce dernier souligne des apports tant en ce qui a trait aux réflexions sur la déconstruction de l’idéologie de complémentarité des sexes que de compréhension des cycles de la violence. Il voit également un potentiel d’affinement des théories féministes concernant la violence conjugale par une meilleure prise en compte des concepts d’hétérosexisme, d’homophobie et de lesbophobie dans une perspective intersectionnelle.
Les violences, exercées ou subies, constituent l’objet de la section suivante de cet ouvrage. Évelyne Dubuc-Dumas dresse un bilan historiographique de la question des violences politiques articulées à celle du genre et dégage trois enjeux particuliers. Tout d’abord, elle observe certaines limites à considérer les histoires personnelles des combattantes dans la mesure où elles cachent les rapports sociaux, structurels et historiques inhérents à cette violence. Ensuite, elle souligne le piège de la reproduction des stéréotypes et des attentes genrées ou même « racialisées » biaisant l’analyse. Puis, elle rappelle l’importance de réfléchir à l’agentivité limitée ou définie par le genre de ces femmes. De ces enjeux, elle tente de tirer des conclusions permettant de penser la violence politique telle qu’on peut la retrouver par exemple dans « une manifestation près de chez vous ». Le texte d’Isabelle Auclair, pour sa part, présente le contexte dans lequel s’insèrent ses recherches doctorales en anthropologie, c’est-à-dire du continuum des violences subies par les femmes en processus de migration de la Colombie vers l’Équateur. Son texte montre la complexité du phénomène de la violence faite aux femmes en contexte de migration qui s’exerce souvent avant le départ, durant le déplacement et même dans le pays d’arrivée. Auclair montre bien comment les différentes formes d’inégalités sociales interagissent dans la production et la transformation de ces violences et comment celles-ci s’inscrivent dans un contexte global.
De leur côté, les textes présentés dans la section intitulée Art, littérature et normes de genre mettent en lumière le double rôle de l’art et de la littérature comme lieux de production ou de remise en question des normes de genre et des rapports sociaux sexués. Dans cette perspective, Geneviève Lafleur critique l’androcentrisme des notions de canon et de génie masculin utilisées en histoire de l’art et ayant contribué à occulter l’importance et la valeur de la production artistique féminine. En s’intéressant à l’apport des femmes à la modernité des arts visuels au Québec, l’auteure nous présente ses réflexions quant aux solutions à mettre de l’avant pour favoriser l’intégration des femmes à l’histoire de l’art. Il ne s’agit pas uniquement d’ajouter leurs œuvres à la trame historique de la discipline artistique au Québec, mais plutôt de démontrer, dans une perspective féministe, que les femmes ont été des agentes actives dans le développement de la modernité artistique québécoise. De leur côté, Jessica Hamel Ackré et Vincent Landry, en analysant respectivement les œuvres de Dorothy Allison et de Béatriz Preciado, soulignent l’importance du processus de création littéraire comme outil pour façonner ou pour transformer son existence en remettant en question les normes sociales (genre, classe, orientation sexuelle, etc.) qui la structurent. Véritable prise de parole publique, les œuvres autobiographiques et autofictionnelles d’Allison et de Preciado deviennent ainsi, pour ces auteures, des lieux de réappropriation de leur corps, d’affirmation de leur vécu et de leur histoire, mais également de contestation du monde patriarcal qui les oppresse. Les analyses de Lafleur, Hamel Ackré et Landry mettent ainsi de l’avant le rôle actif des femmes dans la production artistique et littéraire et la puissance de ces outils de création comme leviers de remise en question des rapports sociaux sexués. Enrichies par l’approche intersectionnelle, leurs analyses, loin de se cantonner à une compréhension binaire des catégories de sexe ou de genre, leur permettent également de voir comment la classe ou encore l’orientation sexuelle structurent l’œuvre et les revendications des artistes étudiées.
Le champ des études féministes, comme les autres champs sociaux, n’est pas homogène. Des tensions et des divisions épistémologiques et politiques le caractérisent et contribuent à la complexité de la pensée féministe actuelle. Certains enjeux suscitent, plus que d’autres, des débats fondamentaux, notamment la question de la laïcité, des marqueurs de la féminité hégémonique et de la prostitution. Les textes abordant ces questions sont l’objet de la dernière section de cet ouvrage. Joëlle Steben-Chabot explore les différents positionnements féministes sur la question de la laïcité et l’organisation du débat autour du symbole du voile islamique. Elle met en évidence le véritable enjeu soulevé par cette question : la nécessité pour les féministes de répondre au sexisme résultant des doctrines religieuses tout en évitant une dénonciation versant dans le racisme et déniant aux femmes portant le voile la même capacité réflexive que celles qui ne le portent pas. Analysant les mémoires envoyés à l’occasion de la consultation publique sur le projet de loi 94 devant encadrer les pratiques d’accommodements raisonnables, et plus particulièrement le port du voile intégral dans les services publics, elle observe deux ensembles de discours féministes. Au-delà de la commune dénonciation du sexisme des grandes religions, certains groupes féministes soutiennent, d’un côté, le projet de loi comme étant une initiative positive en faveur de l’égalité entre les sexes alors que, d’un autre côté, certaines avancent plutôt qu’il s’agit là d’une instrumentalisation de l’idée d’égalité qui se trompe de cible et qui alimente l’idée d’égalité-déjà-là au Québec. Mettant l’accent sur l’importance de contextualiser et de raffiner le regard porté sur les voiles islamiques, Steben-Chabot plaide pour une approche postcoloniale et intersectionnelle de la question qui accorde aux femmes musulmanes une meilleure place dans cette discussion les concernant au premier chef.
Sarah Jacob-Wagner analyse de son côté les débats, à la suite de l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, accusé d’avoir agressé sexuellement Nafissatou Diallo, autour de l’opposition entre le « féminisme à la française » et le « féminisme américain ». À travers l’analyse des textes échangés dans les périodiques français, québécois et américains sur cette question entre des défenseures de la « théorie française de la séduction » et des chercheures et des chercheurs importants en études féministes, Jacob-Wagner montre que le débat n’est pas entre la France et les États-Unis, mais entre des visions opposées de l’égalité et du féminisme. Un premier féminisme représenté par Mona Ozouf, Claude Habib, Philippe Raynaud et Irène Théry insiste sur la complémentarité, la galanterie et défend l’existence d’un « doux commerce » harmonieux entre les sexes en France. Une seconde définition du féminisme défendue notamment par Joan Scott, Elsa Dorlin, Christine Delphy, Geneviève Fraisse et Éric Fassin met de l’avant la structure inégalitaire de genre qui rend les modes stéréotypés de la séduction hétérosexuelle en France empreints de violence et de domination. La prostitution est également un objet de débat houleux dans le féminisme occidental. Ariane Vinet-Bonin adopte une posture abolitionniste sur la question et propose une revue de littérature des principaux obstacles qui se dressent sur la route des femmes qui veulent quitter le milieu de la prostitution. Elle défend que les ressources d’aide qui leur sont spécifiquement destinées sont peu accessibles et peu adaptées à leur situation. Le processus de sortie de la prostitution est un parcours complexe et qui concerne des femmes parmi les plus vulnérabilisées de notre société.
En conclusion, Hélène Charron reprend les réflexions formulées lors de la table-ronde sur les enjeux de la transmission des savoirs et des études féministes. Elle soulève trois éléments centraux : la relégation des recherches féministes au particulier en raison de la faible reconnaissance de leur caractère général et fondamental, le lien nécessaire entre les études féministes et le mouvement féministe hors de l’institution et, enfin, la question de la solidarité entre les féministes universitaires et les autres femmes moins privilégiées qu’elles.
Références
DAGENAIS, Huguette, « L’institutionnalisation des études féministes au Québec », Cahiers du CEDREF, n°6, 1996-1997, p. 35-58.
DESCARRIES, Francine, « Émergence et développement des études féministes au Québec », Labrys/Études féministes, janvier-juillet 2005.
LAGRAVE, Rose-Marie, « Recherches féministes ou recherches sur les femmes ? », Actes de la recherche en sciences sociales, no. 83, p. 27-39.
LAMOUREUX, Diane, « Les Études féministes au Québec : les limites de la transmission institutionnelle », Cahiers du CEDREF, 13, 2005, p. 53-72.
ROBBINS, Wendy et Meg LUXTON, Margrit EICHLER et Francine DESCARRIES, Minds of Our Own. Inventing Feministe Scholarship and Women’s Studies in Canada and Québec, 1966-1976, Waterloo (Ont.), Wilfrid Laurier University Press, 2008.
[1] Le comité d’organisation était composé d’Isabelle Auclair, Marie-Laurence B.-Beaumier, Marilyne Brisebois, Joëlle Steben-Chabot, Catherine Charron, Fatoumata Diallo, Carol-Anne Gauthier, Sarah Jacob-Wagner, Marie-Andrée Lefebvre-Moore et Caroline Roy-Blais. Hélène Charron, adjointe à la titulaire et chercheuse associée à la Chaire Claire-Bonenfant a assuré la coordination de l’événement et Hawo Ann, professionnelle de recherche à la Chaire Claire-Bonenfant a prêté un actif concours à l’organisation de l’événement.
|