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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le Devoir, Montréal, édition du mercredi, 7 février 2007, page A7- idées.

Pourquoi Les Hérouxvillois ont-ils besoin de dire au monde ce que nous sommes ?

par Danic Parenteau,
Professeur École d'études politiques Université d'Ottawa.

Courriels:
[email protected] ou [email protected]

Texte reproduit dans Les Classiques des sciences sociales avec l’autorisation formelle de l’auteur accordée samedi, le 7 février 2007

La question est simple: pourquoi à Hérouxville et pas ailleurs ? Plusieurs explications sont possibles. Mais il me semble qu'une certaine réponse est à trouver dans le fait que, contrairement au Canada, le libéralisme n'a jamais totalement réussi à s'imposer au Québec. À tout le moins existe-t-il aujourd'hui sous une forme bâtarde, comme un mélange de libéralisme et de républicanisme (ce qui ne renvoie pas ici à un régime politique particulier mais plutôt à une manière de concevoir la société). 

Au fondement du libéralisme repose l'idée selon laquelle la société n'est rien de plus qu'une association d'individus libres à la poursuite de leurs propres intérêts. Selon le libéralisme, toute société, et, par extension, l'État comme principal agent et garant de cette dernière, n'a pour but que d'assurer la protection des vies et des propriétés de ses membres, et ce, précisément afin que ceux-ci puissent poursuivre individuellement leurs propres fins, suivant leurs propres intérêts. 

Dans cette société, libre à chacun de faire ce que bon lui semble, aussi longtemps qu'il ne brime point la liberté de ses voisins. Aussi, selon le libéralisme, la société apparaîtra toujours comme n'ayant aucune fin en soi, à part celle qui consiste à laisser à chacun faire ce que bon lui semble. 

Une société libérale ne présente donc jamais de contenu positif, rien qui permette de reconnaître en elle une identité propre. Tout au plus peut-elle s'organiser autour de l'octroi de «droits et de libertés» à tous et chacun, ce dont témoigne, par exemple, l'adoption par le Canada en 1982 de la Charte des droits et libertés. Cette charte symbolise la consécration ultime de cette conception libérale du monde. 

Républicanisme et affirmation de soi 

Ce que les Hérouxvillois ont fait en rédigeant ce code de normes, c'est de présenter ce qui constitue à leurs yeux le contenu positif de la société québécoise, car c'est bien de la société québécoise dans son ensemble qu'il est question. Ces élus municipaux ont par là affirmé ceci : « Voici ce que nous sommes ! » 

C'est certes maladroit -- qui ne savait pas encore qu'il était interdit de lapider les femmes chez nous ? --, on peut assurément s'opposer à telle ou telle « norme » qu'édicte ce document et on peut souligner qu'il ne revient pas à un conseil municipal de définir ce qu'est la société québécoise, mais les Hérouxvillois ont ainsi dit tout haut ce que bon nombre de Québécois pensent tout bas: le Québec existe comme société, avec son identité propre. Le Québec, c'est plus que la simple addition des intérêts particuliers des gens qui l'habitent ; il possède un contenu positif qu'il faut non seulement affirmer mais surtout protéger face à ceux qui ne le reconnaîtraient point. 

Une telle affirmation est impossible dans une société strictement libérale puisque, dans cette conception du monde, la société n'a pas d'identité propre. 

Attitudes devant les accommodements 

On sait que ce qui a servi d'élément déclencheur à la publication d'un tel document est la question des récents débats entourant les accommodements raisonnables, qui sont à l'origine une expression juridique d'inspiration libérale qui en est venue à nommer, d'une manière négative, le fait de «s'incliner» devant certaines demandes des nouveaux venus qui souhaiteraient se soustraire à certaines règles ou pratiques inscrites au registre de la culture québécoise. 

S'il n'y a qu'au Québec qu'un tel débat est possible puisque, en effet, cette question n'a assurément pas la même teneur au Canada qu'au sein de la population anglophone de Montréal, cela tient précisément au fait que le libéralisme n'est jamais totalement parvenu à s'implanter au Québec, suivant qu'il existe ici une certaine forme de républicanisme. Cela se voit dans le fait que les Québécois, à la différence des Canadiens, se montrent généralement plus réticents à « accommoder » les membres des minorités. Aux yeux du libéralisme, cette réticence peut assurément apparaître comme portant la marque d'une intolérance, voire d'une xénophobie. 

Si les Québécois remettent en question l'idée voulant qu'il faille être accommodant avec certaines personnes, ce n'est donc pas tant qu'ils sont foncièrement intolérants, xénophobes, voire racistes (il y en a bien sûr qui le sont, comme partout ailleurs, dans toutes les sociétés) mais bien parce que, pour eux, cela ne peut être autrement perçu que comme une confrontation entre ce qu'ils sont et savent être (le contenu positif de la société québécoise) et ce que les nouveaux arrivants veulent continuer à être ici au Québec. 

Une telle confrontation est précisément impossible dans une société libérale, à défaut pour la société d'avoir une identité propre. Si la question représente un enjeu capital au Québec, cela tient précisément au fait qu'il s'agit ici d'une certaine remise en question de ce que nous sommes. 

Ainsi, la publication d'un tel document par les élus de cette municipalité mauricienne ne tient donc pas d'un simple nationalisme (bien que ce geste puisse contribuer à ce mouvement) ou de relents d'un catholicisme obscurantiste, dont les campagnes québécoises, à la différence des villes, ne se seraient jamais totalement débarrassées, encore moins d'un racisme primaire ou d'une xénophobie, mais bien d'une conception non libérale du monde, soit d'une certaine conception bien républicaine.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 14 août 2008 11:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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