Alain MASSOT
sociologue et professeur agrégé,
retraité du Département des fondements et pratiques en éducation,
Université Laval
“Sous les miradors.”
Québec, 13 avril 2024. Chicoutimi : Les Classiques des sciences sociales, 20 avril 2024.
Au tournant des années soixante-dix, sous le nouveau gouvernement Trudeau, se posait la question de la consommation de cannabis au Canada. Un vent de liberté soufflait sur la Colline parlementaire. Devant la méconnaissance scientifique des effets de cette consommation, alors illicite, et ses implications juridiques, le gouvernement créa La commission Ledain sur l’usage des drogues à des fins non médicales.
Pour mener à bien les études scientifiques de la commission, la Ferme expérimentale du gouvernement cultiva du cannabis dans l’une de ses parcelles. Il se trouve que cette ferme expérimentale de quelque 400 hectares se situe dans la banlieue de la capitale nationale, Ottawa. Des copains informés de cette culture planifièrent une razzia un soir d’été. Une triple haie de conifères la rendait invisible de l’extérieur et des miradors étaient élevés aux quatre coins du champ. Ce soir-là, dans l’obscurité la plus totale, les vigiles semblaient absents. Nous nous précipitâmes au travers cette haie touffue pour remplir quelques sacs de poubelle de ce précieux butin; ni vus, ni connus !
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Dans leur dernier rapport de 1973, les recommandations de la commission incluaient l’abrogation de l’interdiction de la simple possession de cannabis et de la culture à des fins personnelles. Et sur le plan juridique, la décriminalisation graduelle de l’usage des drogues à des fins non-médicales. Enfin, la commission voulait que l’on mette l’accent sur le traitement et la surveillance médicaux pour les personnes ayant une dépendance aux opiacés plutôt que sur les sanctions pénales.
Émettant une opinion minoritaire, la criminologue Marie-Andrée Bertrand, membre de la commission, a recommandé une distribution légale du cannabis, qu’il soit retiré de la loi sur les stupéfiants et que les provinces mettent en place des contrôles sur la possession et la culture de cette substance, similaires à ceux qui régissent la consommation d’alcool.
La position de Marie-Andrée Bertrand reposait sur un principe anti-prohibitionniste :
« le droit pénal n’est pas le bon outil pour s’attaquer aux problèmes d’abus des substances ». La répression dans cette guerre de la drogue est pire que le mal causé par la drogue, affirmait-elle. (Diane Brunet, 2014)
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Cinquante plus tard, la Loi canadienne sur le cannabis et la Loi encadrant le cannabis dans la province du Québec de 2018 s’aligne sur la position minoritaire de la professeure Marie-Andrée Bertrand.
Pourtant, la guerre de la drogue est toujours aussi virulente et la consommation des opiacés de synthèse fait des ravages particulièremet chez les jeunes. (Case, Anne et Angus Deaton, 2021)
Nous sommes loin de la dystopie du Meilleur des mondes, publié en 1934, d’Aldous Huxley, où le commun des mortels naît écervelé pour vivre dans un espace subliminal sous l’emprise du Soma, la drogue du bonheur pour tous.
Références
Brunet, Diane, 2014, Marie-Andrée Bertrand, Criminologue, (1925-2011). Un article publié dans Femmes savantes, femmes de sciences, Tome I, chapitre 12. Les Classiques des sciences sociales. [En ligne] Consulté le 21 avril 2024.
Case, Anne et Angus Deaton, 2021, Deaths of despair and the future of Capitalism, Morts de désespoir. L’avanir du capitalisme, P.U.F., 421 p.
Huxley, Aldous, Le meilleur des Mondes, 1932.
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