Introduction
Dans un article paru d'abord en 1977, C.B. Macpherson se demande si nous avons besoin d'une grande théorie de l'État (Macpherson 1977, réédité en 1985). Avons-nous besoin d'une théorie qui permette de comprendre les relations les plus globales entre l'État et la société, qui situe en même temps le politique et l'État par rapport aux besoins les plus fondamentaux de l'homme, par rapport à ses aspirations les plus profondes ? Avons-nous besoin d'une théorie qui soit tout à la fois réaliste et normative, apte à engager des analyses concrètes des rapports entre État et société sur la base d'une généreuse et large vision du social et de l'homme ?
Poser la question c'est y répondre, constate C.B. Macpherson. On aurait besoin de pareilles grandes théories parce que nous n'en avons point de complètement satisfaisantes. Dans la tradition libérale démocratique ou la tradition marxiste, des développements intéressants se sont avérés des acquis et Macpherson accorde une grande attention à ceux qui relèvent de la tradition marxiste. Ils lui paraissent mieux expliquer, dans les années 1960 et 1970, les rapports complexes entre État et société capitalistes même s'ils ont du mal à explorer certains traits des plus actuels de nos sociétés, notamment leur pluralisme politique.
Macpherson reproche aussi au marxisme un manque de sensibilité envers les aspirations et les besoins fondamentaux des hommes. Et les unes et les autres lui semblent des composantes essentielles d'une grande théorie de l'État capable de parler adéquatement du politique des sociétés contemporaines. Une approche d'économie politique de l'État étant maintenant mieux maîtrisée, il estime que la voie est ouverte pour des emprunts plus substantiels à la philosophie politique. Cette dernière meublerait la réflexion au sujet des aspirations et besoins fondamentaux de l'homme sur lesquels on pourrait fonder en partie une grande théorie de l'État.
En 1977, ce texte était, à certains égards, prémonitoire : il annonçait et accompagnait des développements à venir, notamment du côté de la philosophie politique. Mais son interrogation fondamentale, pour être encore plus d'actualité, devrait être formulée ainsi : Avons-nous besoin d'une grande théorie réaliste, normative, programmatique, non pas de l'État, mais plus globalement encore du politique ?
Poser la question c'est en effet y répondre. Nous soutiendrons donc ici que nous en avons grandement besoin. Nous le ferons en ayant constamment à l'esprit le champ des pratiques politiques des nouveaux mouvements sociaux comme fondement à nos préoccupations. Sans nier, bien sûr, que d'autres formes et champs de pratiques sociales, et leurs propres facteurs structurels et conjoncturels de développement, seraient aussi plus adéquatement éclairés par pareille grande théorie du politique.
Nous soutiendrons encore que deux grandes interrogations présentées comme autant de défis théoriques et pratiques peuvent conduire à cette grande théorie du politique. Interrogations qui ont un relief particulier du point de vue précisément des pratiques politiques des nouveaux mouvements sociaux. La première mène à examiner le refus du politique qui, selon certains, caractériserait souvent les nouveaux mouvements sociaux. Refus appréhendé de l'État, de sa légitimité et de son fondement politiques, refus appréhendé du politique institutionnel, des institutions du politique.
La deuxième interrogation est relative, elle, aux voies à explorer pour parvenir à l'articulation de deux paradigmes du politique, l'un qui fonde sa légitimité sur l'espace social public-politique, l'autre qui la rattache aux institutions du politique, au politique institutionnel. Il ne faut point, bien sûr, exagérer l'écart entre ces deux paradigmes : à certains égards, ils forment une échelle continue et se recoupent quelque peu. Mais il arrive aussi qu'ils s'opposent chez des analystes qui veulent rendre compte de pratiques politiques spécifiques et des enjeux du pouvoir, notamment du pouvoir politique, au sein de nos sociétés. Les développements des pages qui suivent reprennent ces interrogations qui sont au fondement d'une grande théorie du politique sensible, entre autres, aux liens encore mal maîtrisés entre les pratiques des nouveaux mouvements sociaux et le politique.
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