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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Raymond Lemieux et É.-Martin Meunier [Groupe de recherche en sciences de la religion, Université Laval], “Du religieux en émergence.” Un article publié dans la revue Sociologie et sociétés, vol. XXV, no 1, printemps 1993, pp. 125-151. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 28 août 2006.] Introduction Nouveaux mouvements religieux, nouvelles spiritualités, nouvelles croyances, Nouvel Âge, néo-catéchuménat, néo-pentecôtisme, nouvelle naissance (to be born again), renouveaux charismatiques : s'il est une facette paradoxale du monde religieux contemporain, c'est bien cette conscience d'être habité par l'émergence de multiples nouveautés. Dans un étrange renversement, alors même que les formes traditionnelles du religieux ont perdu la maîtrise des règles sociales communes, alors que l'intelligence occidentale, dans ses approches philosophiques et scientifiques, fait de l'histoire politique de la religion celle d'un désenchantement (Gauchet, 1985), le discours religieux, quant à lui, reformule son catéchisme en termes d'émergences, prétendant tourner le dos aux impasses de la culture de masse pour passer de l'obscurité à la lumière, invitant à une humanité nouvelle. Devant cette profusion de nouveautés, certains sont amenés à parler de « retour » du religieux, de réenchantement du monde, voire de la « revanche de Dieu » (Keppel, 1991), affirmant la pérennité d'un ordre spirituel du monde qui ne peut qu'être opposée à la nécessité historique de la sécularisation. La pensée contemporaine concernant la religion est ainsi amenée à osciller entre deux lectures de l'histoire reposant sur des postulats antagonistes. Chacune de ces lectures donne lieu à des dénégations symptomatiques : refus du poids culturel de la sécularisation d'une part, effacement de l'importance effective du religieux dans la culture, d'autre part [1]. Il va sans dire que l'une peut être aussi impérialiste que l'autre. Que signifient, dès lors, les émergences religieuses qu'on peut observer dans le monde contemporain ? Le concept d'émergence est-il un outil d'analyse adéquat, à l'égard de ces phénomènes, ou bien une simple bannière de ralliement ? Peut-on l'utiliser en évitant de s'engager dans des herméneutiques incertaines concernant la vie et la mort du religieux ? Le discours scientifique peut-il éviter d'être piégé par un tel concept, comme il l'est par bien d'autres signifiants à valence polémique utilisés par les discours religieux en adjuvants de leur production de sens plutôt que comme outils critiques de cette production ? Une émergence n'a de sens qu'en référence à l'horizon d'où elle se produit. C'est pourquoi, compte tenu des questions qui viennent d'être posées, l'objectif premier de ce texte ne sera pas de décrire des émergences religieuses contemporaines, mais de tenter plutôt d'en repenser le cadre d'analyse. Pour les descriptions nécessaires, nous renvoyons aux travaux produits au cours des quinze dernières années, certains avec grande distinction tant sur le plan théorique que sur le plan empirique [2]. Loin de contester la nécessité d'en poursuivre la production - l'observation n'en est pas épuisée et, comme l'a énoncé Marx, la critique de la religion est toujours à refaire [3] -, nous tenterons plutôt d'en intégrer le questionnement dans un cadre d'analyse plus large, celui-là même qui nous est ouvert par le développement contemporain de la recherche et qui concerne une économie générale du religieux et de ses productions, dans le monde contemporain. Nous faisons l'hypothèse que, dans cette économie générale, les émergences religieuses ne sont pas des épiphénomènes - les lapsus calami d'une société séculière ayant mal refoulé ses origines -, mais des dimensions structurelles dont les formes concrètes sont intégrées et produites par la modernité. Nous procéderons en deux temps. En premier lieu, nous résumerons très rapidement certaines positions de recherche qui nous paraissent porter les jalons d'une phénoménologie contemporaine du religieux, pour tâcher d'en saisir les enjeux les plus importants. En second lieu, nous nous attarderons à la logique et à la dynamique sociales sous-entendues par ces phénomènes et par les régulations dont ils sont tributaires. Nous aborderons alors le champ religieux non pour lui-même, mais pour ce qu'il peut nous apprendre de la société globale, ce qui nous nous amènera à l'interpréter non plus comme un ensemble d'écarts ou d'actes manqués par rapport aux régulations sociales dominantes, mais comme une réalité s'inscrivant au cœur même de ces régulations. [1] Les comptes rendus de la recherche dirigée par Jacques Grand'Maison dans la région de Saint-Jérôme, actuellement en voie de publication, traduisent bien cette oscillation qui est le lot des interprètes contemporains du religieux. Dans le premier volume (GRAND'MAISON, 1992) tout en prenant soin de se démarquer des positions extrêmes, on en exprime les deux pôles. D'une part, lit-on, « nous n'allons pas assister au déclin du religieux comme le prétend Bourdieu, mais, au contraire, à un surenvahissement. Ce religieux sauvage est l'expression avant tout d'une pauvreté de la subjectivité contemporaine. La difficulté de s'intérioriser faute d'objets mentaux structurants conduit des jeunes et des adultes à se tourner vers ceux qui se présentent comme des références de l'irrationnel » (p. 120). D'autre part, il ne faut pas ignorer la « vague historique montante depuis trois siècles en Occident, où un nombre grandissant de gens ont décidé de vivre leur pleine humanité sans religion, sans croyances ». Le texte synthétise alors ce qui pourrait être le dilemme de bien des chercheurs : « Hier, une certaine idéologie de la sécularisation occultait la permanence du religieux ; aujourd'hui l'idéologie de la croyance en tout et partout tombe dans le piège inverse » (p. 152, les italiques sont dans le texte original). [2] Parmi les auteurs qui se sont adonnés à ce type de production au cours des dernières années signalons BERGERON (1982), BOUCHARD et al (1991), CHAGNON (1979 ; 1984 ; 1985), CÔTÉ (1988), ROULEAU et ZYLBERBERG (1984), TURCOTTE (1982 ; 1984 ; 1988 ; 1991), ZYLBERBERG (1984 ; 1985 ; 1986 ; 1990), ZYLBERBERG et CÔTÉ (1990), ZYLBERBERG et MONTMINY (1980 ; 1981 ; 1982), sans compter la série de fascicules publiée par le Centre d'information sur les nouvelles religions (C.I.N.R.) de Montréal. [3] Voir les thèses de Feuerbach.
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