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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
La sociologie des classes sociales au Québec de Léon Gérin à nos jours (1984) Introduction
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de la professeure Nicole Laurin-Frenette, La sociologie des classes sociales au Québec de Léon Gérin à nos jours . Un article publié dans Continuité et rupture. Les sciences sociales au Québec (2 tomes). Textes réunis par Georges-Henri Lévesque, Guy Rocher, Jacques Henripin et al., éditeurs. Tome II, chapitre XXXI, pp. 531-556. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1984, tome II [pp. 311-670]. [Autorisation accordée par lauteur, sociologue et professeure au département de sociologie de lUniversité de Montréal, le 14 janvier 2003.]
Introduction
Cette solidarité qui tantôt prend le visage de l'amour et tantôt celui de la colère, nous ne tenterons jamais d'en cerner le visage... Mais il fallait dire, une fois seulement, qu'elle est inséparable de nos travaux.
Fernand Dumont et Jean-Charles Falardeau, « Pour la recherche sociographique au Canada français », Recherches sociographiques, vol. 1, no 1, 1960.
On écrivait au milieu du siècle, «réflexions sur nos classes sociales», et bien qu'il ne soit plus d'usage d'employer à l'endroit des classes l'adjectif possessif du nous, fût-il national, sociologique ou familial, elles demeurent nôtres par l'interprétation que nous en donnons (1). L'existence de la société québécoise en tant qu'objet d'interprétation, est le postulat le plus implicite et le plus évident pourtant de notre sociologie. Sans doute peut-on en dire autant de la sociologie française, américaine et autre, mais nulle part plus qu'ici la construction de son objet par la sociologie n'exige foi plus aveugle en son discours ni ne représente condition plus fragile de ce discours. Le nous de la sociologie qui s'approprie ainsi sa société, sa culture et ses classes, est la charnière de deux autres nous: le nous national qui s'affirme dans l'universalité de l'institution centrale - l'Église, l'État - et le nous familial formé dans l'intimité des voisinages et de la parenté. Le nous de la sociologie se dégage de l'un et de l'autre par la théorie. Cela ne tient pas au formalisme ou à l'objectivité des théories mais au fait qu'elles sont empruntées de l'étranger. Cette extériorité du discours sociologique sur la société rend possible la distance, c'est-à-dire l'invention et la critique. Cependant, ce discours reste envoûté, il ne s'échappe pas du cercle où se rejoignent et s'opposent la communauté familiale et l'unité nationale, figures ici du même et de l'autre du social. La sociologie fournit un aliment indispensable à cette dialectique de la famille et de la nation. La sociologie des classes, en particulier, est captivée par le passé et par la bourgeoisie, sujets respectifs de l'histoire et de l'économie. Chaque génération de sociologues est séparée, par le langage, des précédentes générations. En effet, le vocabulaire, l'orthographe et la syntaxe de la sociologie se renouvellent périodiquement. En revanche, la démarche - la nature des questions et le sens de l'interprétation - se ressemble fidèlement. Évoquant ses débuts de chercheur dans la période de l'après-guerre, Jean-Charles Falardeau écrit: «J'éprouvais le senti-ment d'être une sorte de pionnier: sentiment récurrent de génération en génération dans l'histoire des «intellectuels canadiens-français» (2). Chacun pourrait, quel que soit son âge, prendre à son compte cette réflexion. De Léon Gérin à Gilles Bourque, en passant par Jean-Charles Falardeau et Fernand Dumont, pour n'indiquer provisoirement que des repères symboliques, personne n'allume son flambeau à celui des prédécesseurs mais à quelque invisible flamme originelle. La gerbe d'étincelles que chacun soulève en passant éclaire pourtant un chemin qui semble toujours déjà tracé. Par la voie de paradoxes qui résistent à l'explication, peut-être la répétition du même est-elle une condition de sa transformation? La sociologie des classes au Québec serait ainsi matière à un récit semblable à certaines sonates qui commencent et s'achèvent sur la même note, créant l'illusion d'un retour que la dérive du mouvement a rendu impossible entre-temps. Récit qu'on ne peut raconter mais qu'on pourrait entendre dans la résonance de quelques évocations. Si on se souvient bien, cela commence avec Étienne Parent, Léon Gérin, Errol Bouchette et Esdras Minville, regroupement symbolique puisqu'ils ne sont pas exactement contemporains (3). La science sociale québécoise amorce un échange avec le passé; elle tente de l'arracher au présent d'une paisible mais inquiétante pérennité et d'en faire la garantie, fût-elle négative, d'un futur. Des titres, comme Aux sources de notre histoire et L'avenir de notre bourgeoisie, révèlent presque tout de l'obsession intellectuelle de ces générations. L'itinéraire de Gérin est exemplaire aussi bien de la démarche du sociologue de son époque que de celle, à bien des égards, de nombreux chercheurs qui le suivront. Dans l'histoire de la Nouvelle-France, Gérin ne s'intéresse ni aux événements ni aux personnages, mais aux classes fondatrices de la nation: les paysans, les marchands, le clergé, les gentilshommes. De ces derniers, en particulier, il recherche la physionomie sociale, l'intérêt et l'idéologie dirait-on aujourd'hui. Ses travaux historiques analysent les conditions du mode de vie et de l'organisation sociale que ces classes inaugurent. Elles sont ainsi le berceau des «types» dont Gérin entreprendra l'étude dans ses monographies des familles paysannes. Il n'est pas facile de lire les «habitants» de Gérin sans céder à la nostalgie du paradis perdu, l'enfance nationale et celle de chacun. Car l'étude descriptive des classes tient, chez Gérin, du roman familial et longtemps, dans la sociologie québécoise, jusqu'à Tremblay et Fortin et jusqu'à Marie Letellier, le procédé en sera conservé (4). Le paysan de Saint-Irénée ou d'ailleurs, c'est le grand-père de la campagne, les longues vacances de l'été. Avec l'oncle bûcheron dans un plan du décor, la cousine reli-gieuse aperçue de profil et les bandes d'enfants qui courent dans les prairies, les herbes au bord du fleuve. Gérin appartenait à l'école française de la science sociale inspirée par Le Play; il en partageait la philosophie, la méthode, la théorie et ce sont les concepts de Le Play, adaptés par Demolins et de Tourville, en particulier, qu'il réitère dans ses enquêtes et ses observations. Pas intégralement toutefois. Une sorte d'alchimie autochtone dissout déjà la problématique importée dans des acides de son cru. Bien d'autres fois après Gérin, des accidents de voyage surviendront à la théorie. Gérin, lui, va constater que les modèles familiaux de Le Play sont insuffisants et simplistes; il s'efforcera alors d'y greffer quelques contradictions de chez nous. En effet, pourquoi la famille-souche d'orientation communautaire ne pourrait-elle s'épanouir dans une société urbanisée? Pourquoi pas une bourgeoisie enracinée dans le milieu rural, alliant l'audace dans les affaires avec le respect de la tradition? Cette bourgeoisie des fantasmes de Gérin est semblable à celle de Bouchette, de Minville et d'autres contemporains. Elle réalise la quadrature du cercle de la famille et de la nation. L'inquiétude de son absence ou de sa fragilité trahit l'inclination idéologique des intellectuels laïques du temps. Elle témoigne aussi d'une première variante de la sociologie québécoise engagée ou, si on veut, politisée. Car à chacune des étapes politiques qui recoupent son développement, celle-ci aura tendance à représenter moins la caution technique et scientifique de qui détiendrait le pouvoir que la foi rationnelle et temporelle de qui devrait y aspirer. En ce sens, l'histoire donne raison au père Lévesque lorsqu'il affirme la possibilité de marier avec profit saint Thomas et la sociologie (5). Notre sociologie est thomiste, avant le père Lévesque et encore aujourd'hui.
Notes: (1) L'expression est empruntée d'un article de Jean-Charles Falardeau, «Réflexions sur nos classes sociales», Nouvelle Revue canadienne, vol. 1, no 3, 1951. On pourrait la retrouver ailleurs. (2) Jean-Charles Falardeau, «Itinéraire sociologique», Recherches sociographiques, vol. XV, no 2-3, 1974, p. 224. (3) On peut signaler, parmi d'autres, les ouvrages suivants: d'Étienne Parent, «Considérations sur la condition des classes laborieuses», Étienne Parent, 1802-1874, Montréal, Éditions La Presse, 1975. De Léon Gérin, Aux sources de notre histoire; les Conditions économiques et sociales de la colonisation en Nouvelle-France, Montréal, Fides, 1946; le Type économique et social des Canadiens, Montréal, Fides, 1948, (2e éd.). De Errol Bouchette, «Les débuts d'une industrie et notre classe bourgeoise», Transactions of the Royal Society of Canada, VI, 3, 1912; «Un mot de la question sociale», Revue canadienne, 48, 1905. De Esdras Minville, l'Avenir de notre bourgeoisie, Montréal, Fides, 1949. (4) On pense ici aux travaux de Gérald Fortin et de Louis-Marie Tremblay sur les travailleurs agricoles et forestiers dont on discutera plus loin. Aussi à la recherche anthropologique de Marie Letellier sur une famille montréalaise de milieu populaire: On n'est pas des trous-de-cul, Montréal, Parti Pris, 1971. (5) «Prenant les oeuvres de saint Thomas comme base de mon enseignement, je trouvais un immense intérêt à les compléter, à les revivifier par l'apport merveilleusement riche des sciences sociales et à inventer, à partir de cet ensemble, des solutions valables pour les problèmes de «notre temps» québécois et canadien.» Georges-Henri Lévesque, «Itinéraire sociologique», Recherches sociographiques, vol. XV, no 2-3, 1974, p. 207.
Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 12 septembre 2004 14:20 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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