“Legault et l’immigration,
un coup d’épée dans l’eau.”
«Le premier ministre François Legault et le ministre Simon Jolin-Barrette défendent une certaine vision de la cohésion sociale axée sur la «"convergence culturelle"», écrit l'autrice.
Micheline Labelle
Anthropologue et professeure émérite au Département de sociologie de l’UQAM
In Le Devoir, édition du vendredi, 3 juin 2022, page A7 Idées
https://www.ledevoir.com/opinion/idees/718530/idees-legault-et-l-immigration-un-coup-d-epee-dans-l-eau
Les documents qui définissent les politiques d’immigration et d’intégration du Québec s’accumulent dans les archives du ministère responsable depuis des lustres. Ces archives sont une mine d’or. Sans compter les travaux réalisés par l’ancien Conseil des relations interculturelles, aboli par les libéraux.
Or, à entendre le discours des représentants de la Coalition avenir Québec (CAQ), on a l’impression que le « capital politique » accumulé depuis des décennies stagne sur les tablettes ministérielles et qu’on n’a rien appris, ou qu’on a tout oublié. Il en va de même d’ailleurs d’un autre domaine, soit la réflexion accumulée sur la lutte contre le racisme. Qu’il s’agisse de la promotion du type de nationalisme à défendre depuis le début de la Révolution tranquille, de politiques d’immigration et d’intégration élaborées sur la base de données multifactorielles et pas seulement économicistes, ou encore des défis posés par les pouvoirs fédéraux dans ces domaines, on fait face actuellement à un vide abyssal.
Et l’on se confine à discuter de seuils difficiles à fixer partout dans le monde tant il n’y a pas, sur cette question, de réponse mathématique absolue. Même si la chose est à considérer, trop de facteurs politiques, culturels et sociaux sont en jeu pour qu’on puisse lui conférer une véritable validité.
Prétendre que rapatrier des pouvoirs en réunification familiale remédierait à la possible « louisianisation du Québec » est un simple effet de figure de style, et est très maladroit
|
Or, à l’écoute du discours du premier ministre prononcé lors du congrès de la CAQ, ce 28 mai, cette impression de carence en matière de vision globale du problème de l’immigration s’est encore raffermie. Quelques raisons sont à considérer.
D’abord, on ne sauvera pas la nation québécoise en s’attaquant à la seule gestion rapatriée de la réunification familiale, la proportion étant très faible comparativement aux autres catégories d’immigration. Rappelons que, si le Québec a la maîtrise du volume et de la sélection de l’immigration indépendante et des réfugiés, elle doit s’en remettre au fédéral en matière d’admission, d’interdiction de territoire, de demandes d’asile, de regroupement familial, d’immigration temporaire et de citoyenneté, sans oublier la question des frontières.
Or, ce qui compte en ce moment, ce sont les entrées incontrôlées des demandeurs d’asile et surtout les permis temporaires de travail. De nombreux analystes ont montré que, dans ce dernier cas, les travailleurs temporaires qui ont acquis le droit de résidence permanente peuvent envoyer aisément leurs enfants dans les écoles anglaises et échapper ainsi à la loi 101.
Ensuite, le premier ministre François Legault et le ministre Simon Jolin-Barrette défendent une certaine vision de la cohésion sociale axée sur la « convergence culturelle ». Or, s’il y a une notion qui date des années 1970 et qui a été critiquée de toutes parts, en particulier par les amateurs habituels du Quebec bashing, c’est bien celle-là. Légitime en son temps, elle témoignait des débuts de l’affirmation québécoise en matière d’immigration internationale. Mais on ne peut pas imaginer aujourd’hui la France, l’Allemagne ou les États-Unis tenter d’inciter l’immigration en faisant valoir la « convergence culturelle ».
Du point de vue anthropologique, on peut difficilement miser ses cartes sur ce terrain délicat, alors que l’on sait très bien que ce n’est pas « naturellement » que l’on converge vers les valeurs des uns et des autres, la conflictualité faisant partie de la démocratie. Trop de discours sur les nécessités du dialogue interculturel nous l’ont rappelé, sans parler des véritables conflits de valeurs sous-jacents aux débats en cours sur la Loi de la laïcité de l’État (Loi 21) ou sur la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (Loi 96).
Sur tous ces aspects complexes, évoqués plus haut, le fédéral refusera de céder quoi que ce soit. Prétendre que rapatrier des pouvoirs en réunification familiale remédierait à la possible « louisianisation du Québec » est un simple effet de figure de style, et est très maladroit. Le fédéral a plusieurs atouts. Il refusera que les pouvoirs actuels en matière d’immigration lui échappent. Le fédéral a une politique de multiculturalisme que tous les gouvernements du Québec ont rejetée dans le passé, mais dont plusieurs se réclament encore aujourd’hui, y compris au Québec.
Et le fédéral accorde la citoyenneté avec panache et serment d’allégeance à Elizabeth II, reine du Canada. Or, au-delà du simple passeport, le Québec ne pourra jamais promouvoir la citoyenneté au sens large du terme (égalité des droits et des devoirs, participation politique à la chose publique, sentiment d’appartenance), de façon non ambiguë et gagnante, lié qu’il est comme province au sein de la fédération canadienne.
D’autant plus que le nationalisme de la CAQ se rapproche malheureusement d’un nationalisme de survivance, et non du seul type de nationalisme politique que défendent les Irlandais, les Écossais ou les Catalans, soit ceux qui aspirent à leur indépendance, avec l’appui d’une majorité de citoyens de diverses origines et de divers horizons. Ce qui fut le cas chez nous autour de la période du référendum de 1995 et ce qui reviendra probablement un jour.
|