Avertissement

C'est pour répondre à la demande de nombreux amis que je me résous à publier un livre qui est porté par la témérité de vouloir comprendre Haïti. Les événements des quinze dernières années semblent montrer avec éclat que la tâche de comprendre Haïti s'avère une tâche sans fin comme le mythe de Sisyphe. A la vérité, il me fallait m'expliquer à nouveau sur cette impossible transition démocratique. Cet ouvrage se veut le témoignage d'un parcours, car les textes rassemblés ici sont pour la plupart écrits entre 1990 et 2000 et prétendent justement offrir au lecteur la possibilité de revisiter les différentes péripéties d'un pays en proie à une crise culturelle profonde due à la problématique du droit et de la démocratie.

D'aucuns ont cru que cette problématique a été imposée ou serait venue du dehors. Or tout conspire à prouver plutôt que la population, toutes couches sociales confondues, aspirait à une société qui fonctionne selon des règles universalisables. Une société qui donc souhaite sortir de la condition esclavagiste et qui réclame la reconnaissance de l'égalité formelle de tous les individus. Il s'agit dorénavant de penser les difficultés et les impasses en dehors des illusions que font miroiter les commencements. Nous voulons dire qu'il y a bien depuis 1986 ce qu'on peut appeler avec Habermas « un potentiel de libertés déchaînées » {Droit et démocratie, p. 10), mais l'État de droit se trouve dans une phase si précaire et si faible encore qu'il est incapable de les accueillir. Ce n'est point cependant qu'on soit en Haïti dans une société archaïque, mais tout se passe plutôt [8] comme si la société se révélait une mixture d'archaïque et de moderne, avec la capacité de recourir à l'un ou à l'autre de ces aspects selon la conjoncture. Chacun des thèmes abordés dans ce livre demande un renouvellement de la réflexion sur l'État autour de la question complexe de la justice, alors que jusqu'ici les recherches autant que les pratiques politiques demeuraient fascinées par le problème du sous-développement économique, des inégalités sociales ou de manière encore plus sommaire par le vieux schéma de l'impérialisme.

On ne trouvera pas de recettes dans cet ouvrage, chaque partie prétend soulever des interrogations et appeler à des discussions. Nous avons dû pour cela supprimer dans certains textes les passages trop proches de l'actualité pour porter le lecteur à se focaliser sur les problèmes structurels. Nous reconnaissons bien que nos approches sont partielles, mais il nous importe avant tout de montrer comment la crise que traverse le pays depuis quinze ans frappe chaque secteur qu'il s'agisse de la justice en tout premier lieu, de l'économique, de l'administration, de la culture ou des systèmes religieux. Certains chapitres ont été publiés dans des revues ou des ouvrages collectifs inaccessibles ; revus et corrigés, ils sont repris ici dans la mesure où ils apportent un éclairage sur la crise et rendent compte de mon propre cheminement personnel.

Nous aimerions dire notre dette envers des amis avec qui nous avons discuté des problèmes soulevés dans cet ouvrage. J'ai été amené à revenir sur ces textes non point d'abord pour compléter ou corriger l'essai de Comprendre Haïti paru il y a déjà une dizaine d'années, mais pour maintenir un front de discussion et de dialogue sur les transformations actuelles dans un pays du Sud aussi singulier qu'Haïti dans la Caraïbe sous l'angle des rapports entre politique, culture et religions dans le contexte de la mondialisation.

L.H.