Le drame spirituel des adolescents.
Profils sociaux et religieux

PRÉSENTATION DU PROJET

Au cours des années 1950, une équipe de chercheurs de l'Université Laval, sous la direction de Fernand Dumont et de Yves Martin, menait la première recherche régionale en Amérique du Nord. C'est le diocèse de Saint-Jérôme qui leur avait commandé cette enquête. Entre autres objectifs, il s'agissait de bien cerner les diverses régions du diocèse dans leurs propres caractéristiques historiques, sociales, économiques, culturelles et religieuses.

La diversité régionale du diocèse correspondait aux différents types régionaux de base au Québec. D'où un intérêt pour cette recherche qui débordait le seul monde religieux.

L'Église locale, soucieuse de servir son milieu humain d'implantation, n'a pas voulu se réserver ces précieuses informations... d'autant moins qu'il s'agissait d'une première recherche-action appelant les contributions des forces vives du milieu et des agents de transformation. Bien sûr, il y avait d'autres objectifs, par exemple : celui de mieux articuler la mission spirituelle de l’Église et sa mission sociale, et cela en respectant les autonomies légitimes de part et d'autre.

Ce souci socio-pastoral va rester aussi vivace au cours des décennies qui vont suivre. Les profonds changements de tous [10] ordres qui se sont produits durant cette période d'effervescence nous ont amenés à un nouveau contexte historique, social et religieux. Nous nous retrouvons dans une situation autrement plus complexe que celle de la première recherche des années 1950 : individus, groupes, leaderships, institutions ne savent plus trop ce qui leur arrive. On retrouve la même perplexité au plan religieux.

Une fois de plus le diocèse de Saint-Jérôme, en collaboration avec des chercheurs de l'Université de Montréal, a entrepris une nouvelle recherche. Celle-ci a pour objectif de mieux connaître les orientations culturelles, sociales et religieuses de la population du diocèse dans ses diverses régions, ses différents milieux sociaux, ses différents groupes d'âge. L'autre volet de cette recherche-action porte sur le renouvellement des pratiques pastorales, éducatives et sociales.

Dans ce premier dossier nous livrons les résultats sur la situation actuelle d'un premier groupe d'âge : les adolescents. Ce dossier est le premier d'un bloc de quatre études selon la variable âge : 12-19 ans, 20-29, 30-49, 50 et plus. Nous y tentons de cerner les divers profils socio-religieux dans chacun de ces groupes d'âge. Les données recueillies au cours des trois dernières années se prêteront à d'autres analyses selon les variables : milieux sociaux, sexes, scolarité, etc.

Nous avons privilégié une méthode de recherche qualitative d'entrevues individuelles et de groupe échantillonnées. On trouvera dans le prochain rapport général l'explication de la méthodologie et des outils que nous avons utilisés. Pour ne pas alourdir ce dossier, nous nous limitons ici aux indicateurs essentiels.

Nous nous sommes inspirés de la méthodologie de chercheurs du Centre national de la recherche scientifique : J. Donegani, G. Lescanne, G. Michelat et M. Simon, E. Poulat...

Dans une enquête quantitative, comme dans un sondage d'opinion, on s'efforce de rassembler un échantillon représentatif. Il est en quelque sorte un modèle réduit de la population qu'on veut analyser et on y retrouve les différent groupes sociaux dans le même pourcentage que dans la population. En [11] revanche, dans une enquête qualitative comme la nôtre, seul un petit nombre de personnes est interrogé. Cet échantillon n'est pas représentatif au sens statistique. Mais on fait l'hypothèse que chaque individu est porteur de la culture et des sous-cultures auxquelles il appartient et qu'il en est, à sa manière, représentatif. L'important est donc de choisir les individus les plus différents possible.

Pour constituer cet échantillon on utilise les mêmes variables qui sont utilisées pour les enquêtes quantitatives : âge, sexe, habitat, catégorie socioprofessionnelle et région. Ce sont en effet des indicateurs qui ont fait leurs preuves, indicateurs d'appartenance à des groupes sociaux où les systèmes de représentations et les phénomènes d'apprentissage social sont différents.

Mais on détermine aussi un deuxième type de variables, dites variables stratégiques, en fonction de l'étude et des objectifs poursuivis. Ces dernières variables que nous allons identifier un peu plus loin ne tiennent pas de la démarche classique où l'on établit d'abord un cadre théorique et des hypothèses de travail avec des indicateurs-variables posés comme a priori. Ici, c'est dans le processus même de recherche que se dégagent les variables, les problématiques et les hypothèses de travail : en l'occurrence, les indicateurs fournis par les interviewes eux-mêmes dans leur récit de vie.

Trois variables de base s'en sont dégagées : leur condition séculière de vie, leur expérience religieuse, leurs rapports plus spécifiques à la tradition chrétienne. Nous ne voulons pas entrer ici dans une longue réflexion théorique sur ces trois variables et leurs interrelations. C'est du dedans même du cheminement du dossier qu'elles vont être précisées.

- On trouvera en annexe les schémas d'entrevues et les types d'analyse que nous avons privilégiés.

- Nous avons fait 92 entrevues individuelles et 34 entrevues de groupe, dans six régions des Basses-Laurentides au nord de Montréal, dans quatre milieux sociaux : classes bourgeoise, moyenne, populaire-ouvrière, prolétaire.

[12]

- Une soixantaine de personnes de divers secteurs sociaux et pastoraux ont contribué à la réalisation des entrevues et à leur analyse. Plusieurs font leur mémoire de maîtrise ou leur thèse de doctorat dans le cadre de cette recherche. Une équipe interdisciplinaire de la Faculté de théologie de l'Université de Montréal accompagne toutes les étapes du processus de cette recherche-action-formation.

- En plus des quatre dossiers de travail annoncés plus haut, il y aura un autre dossier sur le volet des pratiques, un rapport général sur l'ensemble des résultats de la recherche et, bien sûr, des mémoires et des thèses de doctorat qui vont fouiller plus avant des champs spécifiques d'analyse. Nous songeons aussi à des études de nos données selon d'autres variables, en particulier celle des milieux sociaux. Une équipe de professeurs de l'université fera une étude multidisciplinaire plus poussée de l'ensemble des données et des analyses de l'ensemble de cette expérience.

Le projet comporte aussi une phase de deux ans pour établir des stratégies d'intervention et un renouvellement des pratiques avec les gens concernés sur le terrain.

Ce premier dossier n'a rien d'exhaustif. On ne peut prétendre connaître une population avec une seule recherche, une seule analyse. Nous avons eu le souci pédagogique d'une entrée progressive dans l'intelligence des résultats, en passant du plus simple au plus complexe. C'est un dossier de travail pour ceux et celles qui s'intéressent à cette catégorie de la population. Dossier qui se prête à des enrichissements, à des correctifs, à des dépassements. Nous avons intitulé ce premier rapport de recherche Le drame spirituel des adolescents - Profils sociaux et religieux. Les sondages récents sur les adolescents nous disent qu'ils sont beaux, fins, bien dans leur peau, peu inquiets face à l'avenir. Bref, « pas problème ». Les « enfants du divorce » seraient même plus forts, plus aguerris que les autres. Bien sûr, il y a les suicides d'adolescents, la drogue, la violence de certaines bandes de jeunes, mais il ne [13] s'agirait là que de phénomènes marginaux. On oublie qu'il y a 40 pour cent de décrocheurs scolaires, ce qui représente près de la moitié des adolescents. Ce problème effarant n'est que la pointe de l'iceberg. Plus nous avons avancé dans cette recherche auprès des adolescents, plus nous nous sommes rendu compte de leur situation dramatique jusque dans ses profondeurs humaines, morales et spirituelles.

Au cours de ces trois années nous avons entendu bien des choses bouleversantes qui sont consignées dans ce dossier. À partir des messages des adolescents eux-mêmes nous voulons montrer comment toute la société et ses diverses institutions, comment tous et chacun nous sommes concernés.

Au nom de l'équipe,
Jacques Grand'Maison