Louis Gill
“Pierre Vadeboncoeur
et le respect des opinions des autres”.
Un article publié dans la revue L’Action nationale, Vol. C, nos 5-6, mai-juin 2010, pp. 192-194.
J'ai connu Pierre Vadeboncœur au début des années 1970 lorsqu'il dirigeait le Secrétariat d'action politique de la CSN avec André L'Heureux et Paul Cliche et que je militais dans les instances de la centrale en tant que délégué du Syndicat des professeurs de l'UQAM. Nous défendions lui et moi des points de vue radicalement opposés, en particulier sur la question de l'action politique des travailleurs, et nous avons publiquement croisé le fer au début de 1975 dans les pages du journal indépendantiste Le Jour dirigé par Yves Michaud. Pierre Vadeboncoeur était partisan de l'adhésion des travailleurs au Parti québécois; je soutenais la perspective de la construction d'un parti des travailleurs indépendant.
Si opposés ayons-nous été et si incisifs aient pu être nos échanges sur cette question, Pierre Vadeboncœur n'en a pas moins inconditionnellement défendu mon droit démocratique d'exprimer le point de vue auquel j'adhérais lorsque, quelques mois plus tard, à cause précisément de mon adhésion à ce point de vue, je fus l'objet de discrimination et de censure au Collège canadien des travailleurs, université d'été du Congrès du travail du Canada où j'enseignais un cours d'économie. Chaud partisan de l'adhésion des travailleurs au PQ, le directeur québécois des Métallurgistes unis d'Amérique, Jean Gérin-Lajoie, dans un geste extraordinaire, était en effet intervenu auprès du directeur du Collège, Larry Wagg, pour réclamer qu'on soumette mon enseignement à une évaluation spéciale, invoquant notamment le fait que j'étais en faveur de « la création d'un parti de classe formé exclusivement de travailleurs ». Le dauphin de Gérin-Lajoie et futur président de la FTQ, Clément Godbout, alors coordonnateur régional des Métallos sur la Côte-Nord, avait également « exprimé son inquiétude » auprès du secrétaire général de la FTQ, Fernand Daoust, quant à mon enseignement au Collège canadien des travailleurs.
Face à ce qui était une intervention intolérable en vue d'obtenir mon exclusion du collège pour des raisons politiques, j'avais reçu l'appui naturel de tous mes collègues du collège, des sections francophone et anglophone, qui l'avaient signifié par voie de lettre adressée au président du Congrès du travail du Canada, Joe Morris. Cette lettre, signée par Hélène David, Guy Bourassa, Louis Maheu, Jean-Marc Montagne, Syd Ingerman, Carla Lipsig-Mummé, William Akin, Terry Copp et Robert Keaton, alors en fonction au collège, avait également été signée par Jean-Guy Frenette, Luc Martin, Mario Dumais et Richard Desrosiers, anciens professeurs du collège.
Mais j'avais aussi reçu sans l'avoir sollicité l'appui public fort apprécié de Pierre Vadeboncœur, dans un bref article paru le 12 mai 1976 dans Le Jour. En voici des extraits : « Il est normal qu'au sein de la gauche dans son ensemble, des tenants de tendances différentes discutent et même s'affrontent âprement. On peut par exemple se trouver grandement en désaccord avec certaines opinions professées par M. Gill… Mais qu'est-ce que cette histoire de demander à un professeur de laisser ses opinions à la porte au moment d'entrer en classe, comme si une classe était un lieu où il faut faire comme si l'on avait rien à dire ? M. Gill, d'une part, est marxiste et, d'autre part, il est en faveur de la fondation immédiate d'un parti de travailleurs. On peut ne pas être d'accord avec ces opinions-là. Il reste que ce ne sont pas des opinions anti-ouvrières ou anti-syndicales. Personnellement je déteste le marxisme sectaire, scolaire, étroit et conformiste de M. Gill et je trouve sa stratégie politique et syndicale sans envergure. Les collègues de M. Gill se sont solidarisés avec lui pour sa défense. À mon humble avis, ils ont raison » [1]. Inutile de dire que je ne suis pas d'accord avec la caractérisation que Pierre Vadeboncœur faisait de ce qu'il désignait comme « mon » marxisme. Je lui rends par contre tout l'hommage qui lui revient pour cette prise de position démocratique dans laquelle on retrouve les accents de cette célèbre phrase de Voltaire : « Je déteste ce que vous dites. Je défendrai jusqu'à la mort votre droit de le dire ».
[1] L'article de Pierre Vadeboncoeur dans Le Jour du 12 mai 1976 est illustré d'une caricature qui montre un patient (Jean Gérin-Lajoie ?) sur un lit d'hôpital, et un médecin à son chevet qui dit à un infirmier : « Il souffre d'ennemiantose ».
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