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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Les nationalismes majoritaires contemporains : identité, mémoire, pouvoir. (2007)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Alain-G. Gagnon, André Lecours et Geneviève Nootens, avec la collaboration de James Bickerton, Angel Castineira, John Coakley, Alain Dieckhoff, Louis Dupont, Enric Fossas, Liah Greenfeld et John Loughlin. Les nationalismes majoritaires contemporains : identité, mémoire, pouvoir. Montréal: Les Éditions Québec Amérique, 2007, 311 pp. Une édition numérique réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean. [L'auteur nous a confirmé le 6 juin 2016 sont autorisation de diffuser ce livre en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales.] [Autorisation accordée par l'auteur, vendredi le 17 mars 2006, de diffuser tous ses travaux.]

Introduction

[19]

Les nationalismes majoritaires contemporains:
identité, mémoire, pouvoir.


INTRODUCTION

Comprendre le nationalisme majoritaire [1]

par André Lecours et Geneviève Nootens


Le nationalisme majoritaire : état des lieux [22]
Dévoiler et conceptualiser le nationalisme majoritaire [26]
Modes d’action et manifestations du nationalisme majoritaire [33]
Présentation des chapitres [40]



Les sociétés démocratiques libérales ont longtemps associé le nationalisme aux minorités et à la résistance à l’État. Le phénomène s’est en effet souvent manifesté avec éclat dans la contestation de l’État central, ce qui a rendu plus visibles les manifestations de ce type de nationalisme. En contrepartie cependant, le nationalisme projeté par l’État central est demeuré relativement occulte, quand il ne s’est pas vu attribuer une légitimité pourtant refusée à ses manifestations minoritaires. Ainsi, le choix d’une langue officielle pour l’espace public, qui est vu comme allant de soi du point de vue des États, voit sa légitimité contestée dans le cas des nations minoritaires. Le patriotisme est souvent identifié à la défense de l’État (quand ce n’est pas à des valeurs universelles) et le nationalisme à sa fragmentation. Le nationalisme minoritaire a fait l’objet de nombreux travaux, au cours des quinze dernières années [2]. L’intérêt pour ce phénomène relève de la volonté d’analyser la résurgence ou la persistance des [20] revendications des nations minoritaires dans un contexte de mondialisation. Il s’inscrit aussi dans l’intention d’en découdre avec le préjugé voulant qu’il s’agisse d’un phénomène rétrograde, à contre-courant de la modernité [3]. Le contexte international contribue également à expliquer cet intérêt. La fin de la guerre froide a entraîné le démantèlement de l’Union soviétique au milieu de revendications nationalistes et ouvert la voie à des conflits majeurs dans les Balkans et le Caucase. Dans les sociétés occidentales, les mouvements nationalistes québécois, écossais, basque, catalan et flamand continuent à se manifester avec vigueur. Ainsi, au cours des dernières années, la Belgique et le Royaume-Uni ont vu leurs structures politiques se [21] modifier à la suite de mobilisations en Flandre et en Écosse [4]. Le statut d’autonomie de la Catalogne a été modifié en 2006 pour inclure, notamment, de plus amples pouvoirs fiscaux et une reconnaissance du fait que ses habitants attribuent à la région un caractère national. Le nationalisme québécois revendique la reconnaissance de la nation québécoise et une refonte du fédéralisme, quand ce n’est pas l’indépendance. En Australie et en Nouvelle-Zélande, comme au Canada, les populations autochtones revendiquent l’autonomie gouvernementale et un meilleur partage des ressources, en invoquant leur existence comme sociétés organisées avant la conquête et la colonisation européennes. En Europe, le développement de régimes de droits de la personne a attiré l’attention sur le sort de certaines minorités [5] ; parallèlement, il y a eu (notamment à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) une prise de conscience du fait que le régime des droits de la personne ne permet pas nécessairement d’intégrer les minorités à la vie étatique [6]. Le politique est par conséquent fortement structuré par ces mouvements qui contestent les termes de leur intégration à l’État central, ce qui fait de ce nationalisme un des vecteurs les plus importants de contestation politique à l’époque contemporaine.

Cependant, comprendre le nationalisme impose de se pencher sur sa face occultée : celle de sa projection par l’État central, consolidé dans un [22] nationalisme que nous qualifierons ici de majoritaire. Nous contestons l’idée que l’association de l’État au nationalisme, dans les sociétés démocratiques développées, a pris fin au tournant du 20e siècle. C’est ce genre de postulat, manifestement erroné, qui empêche l’étude des nationalismes majoritaires. Par exemple, Juan Linz disait en 1992 [7] qu’il ne connaissait personne ayant écrit ou étant en mesure d’écrire un livre sur le nationalisme espagnol [8]. L’objectif du présent ouvrage est précisément de rendre explicites les dimensions normatives, institutionnelles (juridiques, notamment) et culturelles des rapports entre l’État, la nation majoritaire, les nations minoritaires et la diversité culturelle issue de l’immigration. Dans cette introduction, nous entendons essentiellement délimiter le phénomène et en saisir les principales modalités d’action. Dans un premier temps, nous dresserons un bref état des lieux de la recherche sur le nationalisme majoritaire. Dans un second temps, nous tenterons de préciser la nature de ce phénomène. Nous énumérerons par la suite les principaux modes d’action et manifestations de ce nationalisme. Nous présenterons finalement les différentes contributions à cet ouvrage, en précisant leur apport à l’étude du nationalisme majoritaire.

Le nationalisme majoritaire : état des lieux


L’angle analytique privilégiant la référence au nationalisme des groupes majoritaires s’est manifesté dans les travaux des pionniers de la recherche universitaire sur le nationalisme. Dans ses réflexions sur le nationalisme civique et ethnique, par exemple, Hans Kohn a traité des nationalismes allemand, français, néerlandais, etc. [9]. Il est souvent [23] question, dans les travaux appartenant à ce courant, du nationalisme des États dans le contexte des relations interétatiques (internationales). D’autres chercheurs ont plutôt tenté d’expliquer comment les nations (sous-tendues par des États) se sont construites. Karl Deutsch et Ernest Gellner ont développé des arguments fonctionnalistes mettant l’accent sur la nécessité, pour les sociétés modernes, de bénéficier de réseaux denses de « communication sociale » par la diffusion d’une « haute culture » [10]. Pour Deutsch, par exemple, la communauté nationale repose sur l’intensité des interactions entre ses membres. Le niveau de cette communication s’évalue en fonction des taux d’urbanisation, de population active dans les secteurs secondaire et tertiaire, de lecture de la presse, ou encore du nombre d’étudiants, par exemple. Ces indices témoigneraient d’une plus ou moins grande mobilisation sociale.

Ce type de travaux (dits modernistes) met donc l’accent sur la construction des nations par l’État. Ils constituent de ce fait une contribution fondamentale à la compréhension des modes de construction de l’État national, dans la mesure où les auteurs qui s’en réclament insistent sur les modalités d’émergence et de consolidation de certains aspects structurels et institutionnels importants de l’État moderne [11]. Cependant, ce modèle ne fait pas référence à un sentiment national en dehors de ses manifestations institutionnelles (l’État) ou matérielles (moyens de communication, réseau routier...). De plus, il véhicule la conviction que la modernisation entraînera un effacement des particularismes ethniques et l’assimilation des groupes minoritaires par le groupe dominant : la construction de l’État [24] véhiculerait nécessairement la disparition des groupes se proclamant nationaux mais dépourvus d’institutions étatiques [12]. Par conséquent, la nature des relations entre l’État comme structure institutionnelle, d’une part, et les groupes majoritaires et minoritaires, d’autre part, n’est pas véritablement analysée. Autrement dit, les « modernistes » concentrent leur attention sur le processus historique menant à la congruence de l’État et du groupe majoritaire (quand ils ne font pas que présumer de cette congruence). L’une des conséquences de cette approche est que le nationalisme majoritaire n’est plus reconnu en tant que nationalisme après qu’il a réalisé l’intégration d’une part substantielle des populations sur le territoire d’un État. Par le fait même, certains aspects sociologiques et normatifs fondamentaux du nationalisme majoritaire demeurent occultés. Il est par conséquent difficile d’utiliser ces approches pour penser le déploiement par l’État d’un nationalisme qui cherche toujours activement à s’assurer l’allégeance de groupes minoritaires historiques.

Au cours des années 1980, les adversaires des modernistes ont préféré mettre l’accent sur l’évolution socioculturelle, plutôt que politico-institutionnelle, des groupes. Ils se sont concentrés de manière similaire sur la construction des grandes nations et des grands États européens [13]. Cette approche (qualifiée de « pérennialiste » et d’« ethno-symboliste ») s’est employée à montrer la continuité entre la pré-modernité et la modernité quant à l’émergence des nations, selon des modalités inscrites dans la longue durée [14]. Les travaux d’Anthony Smith, d’Eric Kaufmann et de Rogers Brubaker, notamment, s'inscrivent dans cette optique. Smith soutient que les nations [25] se constituent autour d'un noyau ethnique dont l'influence reste longtemps présente [15]. À partir des travaux de Smith, Kaufmann a développé l'idée d'« ethnicité dominante » pour saisir l'influence de groupes majoritaires sur les nationalismes projetés par les États ou les gouvernements régionaux [16]. Malgré la distinction rigide établie par Kaufmann entre le nationalisme et l'ethnicité dominante, cette idée a permis d'exposer les aspects culturels de nationalismes souvent présentés comme « neutres » ou civiques. Kaufmann a ainsi pu montrer, par exemple, l'influence wasp (l'acronyme de White Anglo-Saxon Protestant) sur la construction nationale américaine [17]. Quant à Brubaker, il a développé un concept proche de celui d'ethnicité dominante, soit celui de « nationalisme nationalisant » [18]. Les « nationalismes nationalisants » articulent des demandes faites au nom d'un noyau national défini en termes ethnoculturels et qui se considère le juste propriétaire de l'État [19]. Ainsi, les États de l'Europe centrale et orientale se sont engagés, à la suite du démantèlement de l'Empire soviétique, dans des processus de consolidation nationale au nom d'un noyau national, ces processus étant justifiés par la perception d'une position de faiblesse culturelle, économique ou démographique au sein du pays [20].

Les notions d'ethnicité dominante et de nationalisme nationalisant peuvent contribuer à mieux cerner les phénomènes de nationalisme majoritaire. Elles présentent par contre des limites importantes dans la mesure où elles sont très fortement culturelles. Dans le cas de l'ethnicité dominante, l'identité et les projets politiques qu'elle conditionne sont vus comme fortement déterminés par l'origine [26] ethnique ou, à tout le moins, par une croyance en une origine ethnique commune. Ces concepts ne peuvent donc apporter qu'un éclairage limité sur les nationalismes qui, tout en rejoignant plus fortement les membres du groupe majoritaire, s'érigent néanmoins sur des bases bi ou multiculturelles, ou incorporent des éléments culturels du ou des groupes minoritaires. Le nationalisme canadien contemporain, par exemple, ne saurait être perçu comme la simple extension d'un « noyau ethnique » anglophone protestant. Il s'articule partiellement autour du bilinguisme et du multiculturalisme. De façon similaire, l'identité britannique ne peut pas se comprendre uniquement par son « noyau » anglais puisqu'elle comporte des bases multinationales et l'idée d'union entre entités nationales. Il nous faut donc préciser davantage en quoi consiste le nationalisme majoritaire.

Dévoiler et conceptualiser
le nationalisme majoritaire


Nous avons déjà souligné que l'un des problèmes que pose l'analyse de ce phénomène réside dans le fait qu'il n'est pas toujours clairement identifié comme nationalisme. Il est en vérité doublement occulté. Il est d'abord occulté par le fait que « le renforcement de l'allégeance à l'État est tenu pour l'expression d'un sentiment national légitime, le patriotisme, alors qu'à l'inverse, la contestation de l'État est invariablement disqualifiée comme manifestation d'une force régressive, le nationalisme [21] ». Il est aussi occulté par le fait que l'État est présenté comme le lieu de rapports égalitaires avec, et entre, les citoyens [22]. Quelques remarques s'imposent sur chacun de ces deux aspects.

D'abord, dans les sciences sociales et en philosophie politique, le nationalisme majoritaire s'est parfois perdu dans la distinction artificielle entre patriotisme et nationalisme. L'allégeance à une nation projetée par l'État relèverait du patriotisme plutôt que du [27] nationalisme [23]. Pour Maurizio Viroli par exemple, la distinction cruciale entre patriotisme et nationalisme réside dans le fait que le patriotisme a pour valeur fondamentale la république et sa liberté, alors que le nationalisme a comme valeur fondamentale l'unité spirituelle et culturelle du peuple, exigeant de ce fait une loyauté inconditionnelle [24]. Le patriotisme serait de ce fait plus compatible avec l'universalisme et plus tolérant de la diversité. L'attrait des versions récentes du patriotisme réside précisément dans le fait qu'elles insistent sur la vision d'une communauté postnationale unie par la combinaison de la loyauté envers les principes libéraux universels et des engagements particuliers [25]. Il s'agit là d'une distinction artificielle, cependant, puisque les termes « nationalisme » et « patriotisme » désignent un même phénomène : des sentiments de solidarité pour une communauté généralement territoriale dont l'expression politique est l'acquisition ou le maintien d'un statut politique distinct permettant à cette communauté de déterminer elle-même son destin politique (en d'autres mots, de s'autogouverner). Le patriote, rappelle Margaret Canovan [26], ne défend pas la liberté de n'importe qui mais bien celle de ses concitoyens [27]. Cette vision serait d'autant [28] plus illusoire qu'elle exigerait d'inculquer de toute façon aux citoyens un certain nombre de principes et de valeurs, et qu'elle tiendrait pour acquise l'existence de communautés politiques historiques, exagérant du coup le contraste entre les liens pré-politiques et les relations politiques entre citoyens [28]. En fait, le nationalisme peut être associé tout autant à la contestation de l'État central qu'à sa pérennité. Et qu'il soit exprimé par le moyen de l'État, par des institutions politiques régionales, par des partis politiques ou par des organisations de la société civile, le nationalisme s'inscrit toujours dans une double dynamique d'inclusion et d'exclusion. Le nationalisme suisse, par exemple, opère une différentiation importante entre les droits et privilèges d'individus habitant sur le territoire selon qu'ils sont citoyens ou étrangers [29].

Par ailleurs, la représentation de l'État comme le lieu de rapports égalitaires avec, et entre, les citoyens, ne répond pas nécessairement aux besoins des minorités nationales et nations minoritaires. Rappelons que les politiques de consolidation de l'État peuvent très bien être mises en œuvre aux dépens des minorités nationales sans qu'il y ait pour autant violation des droits individuels au sens strict (par exemple, par la délimitation des unités infra-étatiques de manière à éviter qu'une minorité nationale ne forme une majorité localement) [30]. Kymlicka a ainsi dénoncé le mythe de la neutralité ethnoculturelle, mythe qui présume que l'État est neutre par rapport aux caractéristiques culturelles de ses citoyens. Toutes les démocraties libérales, rappelle-t-il fort justement, ont tenté de diffuser, à un degré ou un autre et comme moyen de consolidation de l'État, la culture sociétale de la majorité. Cette entreprise a comporté la [29] répression ou l'occultation de la diversité ethnoculturelle plutôt que la neutralité bienveillante [31].

Les exemples abondent. Pour n'en rappeler que quelques-uns, citons l'interdiction, dans la France postrévolutionnaire, de certaines langues régionales, notamment dans le système scolaire ; la redéfinition des frontières en Floride au 19e siècle pour placer la majorité locale, hispanique, en situation de minorité ; l'immigration massive dans les territoires historiques de certaines minorités (au Tibet par exemple) [32]. Dans les « sociétés du Nouveau Monde [33] », les conséquences de cette diffusion de la culture majoritaire ont été particulièrement néfastes pour les peuples autochtones, puisqu'elle y fut doublée du mépris de sociétés dotées de traditions et d'institutions politiques anciennes et propres à elles. James Tully a ainsi bien expliqué comment Locke utilisa le contraste entre état de nature et sociétés politiques pour justifier l'appropriation par les Européens des terres américaines et les guerres contre les peuples autochtones [34]. Le mythe de la neutralité ethnoculturelle a ainsi très clairement servi à justifier la distinction présumée entre l'utilisation de la culture pour consolider l'État central et l'utilisation de la culture par les minorités pour contester cet ordre.

Que doit-on déduire de ces remarques pour l'analyse du nationalisme majoritaire ? À un premier niveau, il faut comprendre que la distinction entre nationalisme majoritaire et nationalisme minoritaire n'est pas tellement une différence de nature. Dans la mesure où le nationalisme consiste à faire de la nation un sujet politique et à revendiquer pour elle un degré (variable) d'autodétermination, les [30] nationalismes minoritaire et majoritaire procèdent du même type de revendication politique. De même, pour toute forme de nationalisme, la culture constitue une ressource politique à laquelle les mouvements nationaux recourent, soit pour légitimer l’ordre établi (nationalisme majoritaire), soit pour le contester (nationalisme minoritaire) [35]. Si, comme nous le croyons, tel est bien le cas, deux constats s'imposent : on ne peut pas voir le nationalisme minoritaire comme un phénomène régressif, contraire au mouvement de la modernité, à moins d'en faire autant avec le nationalisme majoritaire ; et le nationalisme n'est pas seulement le fait des mouvements minoritaires, et il n'a pas pris fin, dans les États occidentaux, avec la stabilisation des formes de consolidation au tournant du 20e siècle. Cela ne signifie pas que certaines formes de nationalisme majoritaire ne sont pas plus accommodantes que d'autres. Il faut cependant bien comprendre que le processus de négation de la légitimité des mouvements minoritaires est en fait directement lié à l'importance de l'idée de nation dans la conception moderne de la légitimité politique : puisque cette conception repose sur la communauté des citoyens comprise comme nation, les États existants ont tout avantage à nier aux groupes minoritaires ce statut dont ils bénéficient eux-mêmes et sur lequel repose en principe l'accès à la souveraineté dans le système interétatique contemporain [36]. Ils doivent par conséquent non seulement pouvoir se présenter eux-mêmes comme une telle [31] communauté d'intérêts et de solidarité, mais aussi garder le monopole de ce statut à l'intérieur de leurs frontières.

Cela appelle deux précisions. D'une part, l'une des distinctions fondamentales entre la nationalité et les autres formes de collectivité est l'aspiration à l'autodétermination, vue comme droit inhérent [37]. Les revendications nationalitaires sont fondées sur l'argument que la nation s'est historiquement constituée comme communauté s'autodéterminant, comme un peuple qui veut décider de son avenir comme collectivité [38]. Si l'utilisation des ressources culturelles et politiques sert parfois à consolider l'État, parfois à le contester, dans tous les cas le nationalisme s'articule autour de cette revendication de self-government. Les rapports entre culture et politique dans l'idée moderne de nation sont d'ailleurs beaucoup plus complexes que ne le laisse entendre l'opposition courante entre nation culturelle et nation politique. D'autre part, il est devenu courant d'admettre le caractère construit des nations [39], tout comme le fait qu'elles relèvent de caractéristiques à la fois subjectives et objectives dont le calibrage respectif varie suivant les cas. Cela a contribué à en faire un objet fluide, paradoxalement aisé à repérer et difficile à définir [40]. Les individus ne [32] constituent pas une nation en vertu de similarités personnelles, mais bien parce qu'ils partagent quelque chose qui agit entre eux comme médiation [41]. Les nations sont donc fondamentalement des phénomènes de l'espace public.

Définir le nationalisme majoritaire exige cependant quelques précisions supplémentaires. Le nationalisme majoritaire est celui dont les projets identitaires et de mobilisation sont articulés largement par l'intermédiaire des institutions et organes de l'État central. Il est associé aux politiques de construction nationale (nation-building) mises en œuvre par l'État central pour donner à ses citoyens une langue, une culture ou une identité communes [42]. Il s'articule donc par le moyen de l'État. Le nationalisme majoritaire peut autoriser des représentations plus ou moins souples de la nation, notamment en fonction de la capacité des nations minoritaires de négocier certains traits institutionnels de l'État consolidé. Il n'implique donc pas nécessairement le transfert des attributs culturels du groupe majoritaire à la nation projetée par l'État. Il comporte cependant l'articulation d'une communauté nationale qui a habituellement son centre dans le groupe majoritaire ou les représentations qu'il se[33] donne de l'identité nationale étatique (notamment à travers ses élites). Il rejoint donc principalement et plus fortement les membres de ce groupe. Ces représentations sont évidemment susceptibles de se transformer avec le temps en fonction notamment des modifications dans les rapports de force et les discours dominants. Dans le cas du nationalisme canadien par exemple, mentionnons qu'après 1949 (quand prend fin totalement le recours au Conseil privé de Londres pour les questions juridiques), l'interprétation juridique en matière constitutionnelle apparaît moins favorable aux provinces. De même, le rapatriement de 1981-1982 apparaît toujours aux yeux d'une majorité de Québécois comme un rapatriement unilatéral qui a modifié les règles du jeu constitutionnel.

Modes d'action et manifestations
du nationalisme majoritaire


Les mécanismes de promotion, de reproduction et d'expression du nationalisme majoritaire dans les États occidentaux sont divers. Il est cependant possible de les regrouper au sein de quelques catégories : les systèmes d'éducation ; le service militaire, les guerres et le colonialisme ; les pratiques, traditions et institutions politiques ; l'utilisation de symboles et de mythes. Le nationalisme majoritaire est un phénomène ancré dans l'histoire en ce sens qu'il est relié aux processus de construction et de consolidation étatiques européens et nord-américains des 18e et 19e siècles. Dans ce contexte, il peut être vu en termes de nation-building [43]. Le nationalisme majoritaire se manifeste aussi à l'époque contemporaine, soit dans la continuation d'un effort actif de construire la nation (par exemple, au Canada et en Espagne), soit dans l'affirmation plus routinière de son existence. Le nationalisme majoritaire doit historiquement beaucoup à la mise sur pied de systèmes d'éducation administrés par l'État et dont la fréquentation devint obligatoire. À travers ces systèmes s'est[34] souvent opérée une assimilation linguistique. C'est notamment le cas de la France révolutionnaire et postrévolutionnaire, où l'enseignement en des langues autres que le français demeura largement proscrit jusqu'aux années 1970 pour ne connaître un réel développement qu'au cours des années 1990. Ces systèmes procèdent plus largement à une socialisation de la jeunesse aux normes dominantes, ce qui inclut les considérations identitaires. Ainsi, la réécriture de l'histoire dite « nationale » a permis de projeter des notions (généralement imaginaires) d'homogénéité et d'un passé commun. De ce point de vue, l'établissement en France de l'éducation de masse au cours des années 1870 et l'arrivée plus tardive en Espagne d'un tel système expliquent en partie les différents niveaux d'intégration des populations basques aux identités dominantes [44]. Le contrôle des cursus scolaires en ce qui concerne la langue et l'histoire demeure aujourd'hui une préoccupation majeure pour plusieurs États, exception faite de ceux qui possèdent des structures fédérales plus décentralisées dans le domaine de l'éducation (Belgique, Canada). Chez ces derniers, l'éducation fait moins partie du répertoire d'outils servant à consolider la cohésion nationale (quoiqu'au Canada le gouvernement central cherche à s'assurer une présence et une visibilité au niveau de l'enseignement supérieur).

L'autre grand mécanisme historique de production des identités nationales étatiques fut l'entreprise militaire (guerres, conquêtes, conscription). Le service militaire obligatoire a fortement contribué à former des citoyens membres d'une même communauté nationale. En plus de favoriser la connaissance de la langue dominante, l'armée fait très fortement appel à la notion de solidarité. Elle représente de ce point de vue un microcosme de la nation homogène et unie que l'État veut créer (voir par exemple au chapitre 7 les remarques de Liah Greenfeld, sur ce mécanisme dans la société israélienne). La cristallisation des identités nationales étatiques résulte aussi de la [35] guerre et dans laquelle le rôle de l'altérité dans la formation de la représentation de soi de la nation étatique est radicalisé. Une analyse de la construction des identités britannique et française par exemple peut difficilement ignorer le rôle joué par les conflits entre ces deux États dans la formation de leur identité nationale respective. De plus, les guerres génèrent des pressions très fortes de conformité sociale, au cœur desquelles se situe la solidarité nationale telle que la conçoivent les élites politiques. Ainsi, en Europe occidentale entre 1870 et 1914, la consolidation de l'État comporte « la tentative de fournir un degré de légitimité populaire aux relations de pouvoir cristallisées dans l'État-nation, bien que les modalités précises aient varié selon les cas. Le point commun de ces modalités, cependant, fut l'importance du nationalisme qui, d'idéologie révolutionnaire en partie inspirée par l'idéalisme démocratique, est reformulé comme une idéologie exigeant la loyauté à l'État-nation [45]. » Sur le plan empirique des pratiques de consolidation de l'État, on passe ainsi à une optique plus conservatrice d'adaptation du modèle de citoyenneté afin d'intégrer les classes subordonnées à l'ordre social et de promouvoir leur loyauté à l'État établi. Dans cette optique, « tout fut fait pour entretenir l'image d'un ensemble de citoyens socialement indistincts définis d'abord et avant tout par leur appartenance à une « nation ». Dans ce but, les États tentèrent d'entretenir le sens d'une communauté nationale [46]. »

L'idée que les guerres agissent comme forces formatrices et consolidatrices de l'identité nationale s'observe aussi dans les préoccupations sécuritaires qui marquent la politique américaine depuis septembre 2001. La notion de sécurité nationale montre bien le lien étroit entre l'intégrité de l'État, la protection des citoyens et la nation. Dans une période où la menace semble omniprésente, l'État central [36] prend soudainement beaucoup d'importance dans la vie des citoyens puisqu'il est chargé de leur protection. La nation que l'État projette est mise en valeur mais aussi souvent redéfinie de manière restrictive pour en exclure ceux qui sont perçus comme ayant une loyauté douteuse et présentant un risque (pensons par exemple à certaines dispositions du Patriot Act).

Finalement, la force militaire des États européens a aussi permis le développement des empires coloniaux [47], dont la « splendeur » politique et les opportunités économiques ont souvent séduit les membres des groupes minoritaires. La bourgeoisie écossaise, par exemple, a largement trouvé son compte dans l'Empire britannique. De façon plus large, l'Empire a servi à promouvoir et diffuser l'identité nationale britannique en Écosse. En Espagne, le développement des nationalismes basque et catalan à la fin du 19e siècle, et l'échec du projet de construction nationale espagnole, furent facilités par la fin de la « splendeur » de l'Espagne incarnée par la disparition de l'Empire [48].

Le processus historique de construction étatique a aussi eu pour résultat d'engendrer des conceptions particulières du pouvoir et de l'autorité politique qui se reflètent dans des pratiques politiques et [37] constitutionnelles. L'identité britannique par exemple est bien ancrée dans les institutions politiques ; elle se reconnaît particulièrement dans la monarchie constitutionnelle et la suprématie du Parlement. Cet ensemble constitutionnel est d'ailleurs célébré depuis le 18e siècle comme un modèle de sophistication politique. L'historien Arthur Aughey soutient que « l'importance de cette célébration est qu'elle est devenue un substitut pour l'idéologie décrétée et officielle du nationalisme britannique [49] ». Cette identité articulée par le constitutionnalisme est au centre de l'attitude ambiguë des Britanniques face à une intégration européenne plus poussée. La nation française est pour sa part associée à des valeurs, traditions et institutions politiques (celles du républicanisme) [50] qui tranchent avec le constitutionnalisme britannique par leur caractère formel, uniforme, symétrique et centralisateur. Le nationalisme espagnol contemporain est profondément ancré dans la Constitution de 1978, qui est considérée comme la clé de la nouvelle démocratie espagnole et de la « normalisation » du pays [51]. Au Canada, la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée en 1982, constitue, avec le bilinguisme officiel et le multiculturalisme, l'expression du nationalisme canadien. Enfin aux États-Unis, ce sont la Déclaration d'indépendance et la Constitution qui constituent les paramètres centraux de l'identité politique nationale.

Toutes ces formes d'expression du nationalisme majoritaire ne sont ni statiques, ni exemptes de contradictions. Gérard Bouchard dit de l'État-nation qu'il est un « formidable magma idéologique, hétérogène et contradictoire, né à la confluence de divers courants philosophiques et culturels, capable d'accommoder les traditions et [38] visées collectives les plus variées [52] », et dont les composantes s'articulent les unes aux autres dans des combinaisons variables. Le « montage idéologique » de l’État-nation constituerait ainsi « un exemple extraordinaire de pensée organique qui doit la plupart de ses traits à des compromis, à des assemblages fortuits et inattendus (sinon contre nature), à des symétries illusoires, à des glissements stratégiques, à des incohérences fonctionnelles soutenues par une panoplie de mythes [53] ». Car le nationalisme majoritaire se construit et s'exprime aussi par la production de symboles et l'articulation de narrations [54]. Le nationalisme espagnol, par exemple, se réclame du processus de reconquête de la péninsule ibérique par les monarques catholiques aux dépens des populations maures. Le nationalisme américain est ancré dans sa[39] propre narration mettant en valeur l'unité des premiers colons dans la guerre d'Indépendance ; il dépend aussi très fortement du mythe de la mobilité sociale (voir au chapitre 7 Liah Greenfeld). La force du nationalisme majoritaire est en grande partie dépendante de l'efficacité, sinon du volume, de cette production symbolique. Par exemple, le contraste entre la réussite du projet national en France et son échec en Espagne au tournant du 20e siècle correspond à une situation où l'État français a été beaucoup plus en mesure que l'État espagnol de produire des monuments, des hymnes et des drapeaux pouvant rallier la nation. Ces symboles sont importants puisqu'ils tendent à devenir des marqueurs durables, bien que souvent discrets, de l'identité nationale. Ils correspondent à ce que Michael Billig appelle le nationalisme « banal » [55], qui s'exprime par l'intériorisation quotidienne de référents à la nation qui en viennent à ne plus être remarqués tellement ils sont devenus coutumiers. Le nationalisme banal opère notamment par le biais des pièces d'identité (les passeports par exemple) et d'événements tels que les fêtes nationales et les compétitions sportives internationales, ou encore plus simplement dans les représentations géographiques utilisées par les bulletins télévisés de météorologie [56].

Il faut finalement rappeler qu'au 20e siècle, l'État-providence a fortement contribué à consolider ces représentations de la nation dans beaucoup de pays occidentaux. Le prolongement de la notion de citoyenneté vers les droits sociaux a imbriqué l'identité nationale dans de nouvelles pratiques redistributives liées aux idéaux d'égalité et d'universalisme, redéployant du même coup les composantes de [40] l'identité nationale étatique [57]. Les politiques sociales représentent un terrain fertile pour l'articulation de valeurs et priorités communes ; elles peuvent de ce fait devenir des symboles nationaux fondamentaux. Au Canada par exemple, le système public de santé est souvent présenté par les politiciens fédéraux comme une preuve du caractère distinct de la nation canadienne par rapport à la nation américaine. Le rôle des politiques sociales dans la stimulation de l'allégeance à la nation explique le combat politique pour le contrôle de la protection sociale au sein d'États multinationaux entre politiciens de différents ordres de gouvernement [58].

Présentation des chapitres

Le présent ouvrage est essentiellement structuré autour de deux pôles. Dans la première partie, le lecteur trouvera principalement des travaux de nature analytique et théorique alors que la deuxième partie rassemble des études de cas dont les enseignements pour les pays traversés par la diversité apparaissent fondamentaux.

Le volume débute avec une contribution d'Alain Dieckhoff sur le paradoxe du nationalisme contemporain. Ce paradoxe réside dans le fait que l'effervescence nationaliste des dernières décennies se manifeste dans un contexte de mondialisation qui peut faire paraître anachroniques les revendications particularistes. Dieckhoff remarque que cette position est partagée par plusieurs penseurs libéraux, marxistes et républicains postnationalistes. Il soutient que l'idée [41] selon laquelle la mondialisation marginalisera le nationalisme est erronée. Les processus précédents de modernisation n'ont jamais eu cet effet et les grandes transformations contemporaines semblent au contraire encourager de nouvelles formes de nationalisme, tel le nationalisme à distance des diasporas. En discutant du cas québécois, Dieckhoff montre qu'une convergence de valeurs n'entraîne pas nécessairement une convergence d'identités. Cette distance identitaire entre groupes représente aussi un conflit entre nationalismes, minoritaire et majoritaire, même si la majorité ne se reconnaît typiquement pas comme étant porteuse de nationalisme.

Dans le deuxième chapitre, Àngel Castineira explore comment des identités collectives deviennent nationales et cherche à expliquer les relations entre l'identité nationale et la mémoire collective. L'identité personnelle est un processus évolutif d'identification et de singularisation. Elle est une construction narrative, dynamique et multiple nécessitant une connexion intertemporelle, une capacité d'intégration des expériences et une reconnaissance dialogique. Selon Castineira, l'identité collective se construit comme l'identité personnelle. Le cadre collectif des nations est une réalité aussi abstraite que celle des individus. L'identité collective devient nationale par une mobilisation de la mémoire collective se définissant comme une sélection d'événements ayant influencé le cours de l'histoire d'un groupe. Il existe une composante construite et imaginée dans la mémoire collective. Le sens de l'histoire peut être déplacé, mais l'histoire n'est pas inventée. La mémoire collective donne un sens à des événements ou des lieux historiques d'une communauté. Elle est la gardienne de l'identité, l'outil de justification et l'élément constitutif de la nation. La mémoire collective est nécessaire pour convertir une population en un peuple et faire de ce peuple un sujet collectif autonome. Elle est au centre de l'identité nationale et constamment mise au défi par une atomisation résultant en une fragmentation de la société et une pluralisation des répertoires identitaires.

[42]

Dans le chapitre 3, Louis Dupont illustre jusqu'à quel point la géographie de la modernité et de la nation est complexe – comme l'homme, qui ne peut vivre hors d'un monde signifiant et ordonné. La notion de « vivre ensemble » permet de penser non seulement l'organisation d'une société, mais aussi sa délimitation. Le pluralisme culturel pose un défi aux nations particulières. La transformation rapide de la composition de la population de certains pays n'explique pas à elle seule les difficultés des nations à intégrer, voire assimiler, les minorités culturelles. Des nations existent parce qu'elles ont pu imposer des limites assurant la concorde sociale et l'émergence d'un intérêt général. Aujourd'hui, les groupes majoritaires doivent aménager la pluralité des cultures en négociant avec l'Autre ce qu'hier ils pouvaient imposer. Si le droit à la différence permet à des individus de se distinguer et de faire valoir leurs revendications, le droit à l'indifférence permet de sortir des ghettos, d'être un citoyen. Le droit à l'indifférence rétablit l'équilibre entre identité et citoyenneté, notamment dans les sociétés dont le « vivre ensemble » est qualifié de multiculturel.

La contribution de John Coakley qui clôt la première partie vient enrichir les débats en posant un regard sur la cohabitation des communautés. Il précise que les attitudes de la majorité envers les minorités sont communément catégorisées de façon dichotomique entre une forme inclusive de nationalisme « civique », que l'on retrouverait généralement en Occident, et une forme « ethnique » davantage exclusive, que l'on retrouverait ailleurs. Ce chapitre défend l'argument que la première de ces catégories doit se ramifier : le nationalisme civique peut laisser entendre une ouverture et une attitude accommodante envers les minorités, mais il peut aussi être associé à une profonde intolérance qui exige des minorités qu'elles se conforment à la culture de la majorité. Ainsi, au lieu de ces deux seuls types d'approche, nous devons plutôt en considérer trois : l'incorporation, l'assimilation et l'élimination (ou l'exclusion) des minorités. Ce texte se termine par quelques remarques spéculatives [43] à propos des facteurs associés à l'émergence de l'une ou l'autre de ces approches comme forme dominante dans les attitudes d'une majorité.

La deuxième partie propose des interprétations riches pour les comparativistes en explorant de façon soutenue les cas français, britannique, canadien, états-unien et espagnol. John Loughlin y va d'une comparaison étoffée des nationalismes majoritaires britannique et français en considérant les moments clés qui orienteront les évolutions subséquentes. En Angleterre, la Réforme protestante a jeté les fondations des Églises « nationales » et la Révolution de 1688 a confirmé l'ascension du Parlement de Westminster. En France, la Révolution de 1789 a créé une nouvelle conception de l'organisation politique. Les nationalismes anglais, puis britannique, et français vont s'exprimer de manière radicalement opposée. Le texte trace le contour des principales transformations des États nationaux et des défis qui se posent à eux dans un contexte marqué par la montée de nouveaux acteurs politiques aux niveaux supra et infra-étatiques à l'heure de la construction de la zone européenne.

James Bickerton prend le relais en s'appuyant sur les plus récentes avancées dans le champ des études sur le nationalisme pour déceler au Canada la présence d'un nationalisme canadien enraciné. Les définitions de nation et de nationalisme proposées par Benedict Anderson, ainsi que les concepts de nationalités enchâssées dans les sociétés divisées, sont employés afin de comprendre les récents développements de trois formes distinctes de nationalisme majoritaire au Canada, soit le nationalisme unitaire, le nationalisme multinational et le nationalisme plurinational. L'avènement du fédéralisme de la Charte au Canada et du constitutionnalisme populiste, tout au long des années 1980 et 1990, ont mené, selon l'auteur, au développement de nationalismes de confrontation (canadien, québécois, autochtone) qui ont contribué à définir et à mettre à l'épreuve l'essence, le contenu et les limites du nationalisme majoritaire canadien. Ce chapitre propose un retour sur certaines des critiques qui ont été adressées à ce nationalisme [44] majoritaire et propose un plurinationalisme asymétrique inclusif pouvant à la fois accommoder le groupe national majoritaire et les deux groupes nationaux minoritaires au Canada.

Dans sa contribution sur le nationalisme américain, Liah Greenfeld soutient que « La nature ouverte, fluide et individualiste de la société états-unienne, reflet de sa conscience nationale, refuse d'accorder une importance culturelle aux différences ethniques [...] ». La tolérance de la loyauté ethnique « résiduelle » des immigrants envers leurs origines, dans le cadre du nationalisme civique caractéristique de la société états-unienne, banaliserait en effet l'ethnicité. Elle interprète le multiculturalisme états-unien comme la preuve de la « déculturalisation » de l'ethnicité. À ses yeux, c'est le consensus fondamental sur les valeurs de liberté et d'égalité, bien plus que les politiques de discrimination positive, qui permet la coexistence pacifique des groupes ethniques aux États-Unis.

Le livre s'achève avec une contribution d'Enric Fossas sur le cas espagnol. Après avoir fait le constat que l'Espagne a accompli depuis la transition politique une des expériences de décentralisation les plus importantes et les mieux réussies du 20e siècle, l'auteur remarque que ce pays est parvenu à se transformer d'un État unitaire et centraliste en un système presque fédéral. Toutefois, même s'il est vrai que la Constitution a permis à la Catalogne et au Pays basque de jouir de la période d'autonomie la plus longue de leur histoire et de récupérer certains éléments de leur identité nationale, il est aussi vrai qu'après un quart de siècle d'expérience constitutionnelle, ce sont ces deux communautés qui montrent aujourd'hui leur malaise et qui proposent des projets politiques permettant d'introduire des changements importants à l'ordre constitutionnel. Il faut souligner, toutefois, qu'il s'agit de projets très différents : celui du Pays basque (plan Ibarretxe) ne jouit que du soutien des nationalistes, défend un statut de libre-association avec l'Espagne et se rapproche de celui proposé par les souverainistes québécois au référendum de 1995, alors qu'en Catalogne, toutes les forces politiques du Parlement [45] régional cherchent un accord pour réformer le Statut d'autonomie de la Catalogne sans modifier la Constitution espagnole. L'Espagne vient d'entamer depuis les dernières élections une période de réformes institutionnelles, mais seul un accord politique entre les nationalismes en présence pourra régler la « question nationale » et apporter le succès espéré à l'expérience constitutionnelle en Espagne. Chacune de ces contributions vient jeter un éclairage trop longtemps attendu sur les rapports entre nations majoritaires et minoritaires en explorant à fond les façons dont le noyau national opère et en soupesant les stratégies mises en place par les communautés nationales en situation minoritaire. Il s'agit là d'une contribution essentielle à une meilleure compréhension d'un phénomène encore trop souvent identifié exclusivement à la contestation par les minorités des termes de leur intégration à l'État, contestation longtemps jugée rétrograde et à contre-courant de la modernité. Le nationalisme constitue l'un des phénomènes politiques les plus importants de la modernité. Mais loin d'être l'apanage de minorités rétrogrades et fermées sur elles-mêmes, il fait aussi partie intégrante des politiques et institutions étatiques et des attitudes de la majorité. On ne peut pas faire l'économie de cette vision, si l'on veut comprendre adéquatement les rapports sociaux et politiques contemporains, et penser le « vivre ensemble » aujourd'hui.

[46]



[1] Nous tenons à remercier nos collègues du GRSP pour les discussions que nous avons eues sur la première version de ce chapitre d'introduction.

[2] Soulignons à titre d'exemples les travaux du Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP), qui a produit plusieurs ouvrages collectifs sur les manifestations de ces nationalismes, leurs fondements normatifs et les possibilités d'aménagement qui s'offrent aux autorités étatiques (Alain-G. Gagnon et James Tully (dir.), Multinational Democracies, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 ; Alain-G. Gagnon, Montserrat Guibernau et François Rocher (dir.), The Conditions of Diversity in Multinational Démocraties, Montréal, Institut de recherche en politiques publiques, McGill-Queen's University Press, 2003 ; Pierre Noreau et José Woehrling (dir.), Appartenances, institutions et citoyenneté, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005). Mentionnons aussi les travaux de Michael Keating et John McGarry, qui situent leur analyse du phénomène notamment par rapport à la mondialisation et à la construction de l'Union européenne (Minority Nationalism and the Changing International Order, Oxford, Oxford University Press, 2001). Les nationalismes minoritaires ont aussi fait l'objet d'analyses comparées de la part d'auteurs cherchant à identifier ressemblances et différences (Michael Murphy et Helena Catt, Sub-State nationalism. A Comparative Analysis of lnstitutional Design, Londres, Routledge, 2002 ; Michael Keating, « Nations Without States » dans M. Keating et John McGarry (dir.), Minority Nationalism and the Changing International Order, op. cit.). Il existe une myriade d'études de cas sur le Québec (notamment Michel Seymour, La nation en question, Montréal, L'Hexagone, 1999 ; Gérard Bouchard, Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde, Montréal, Boréal, 2001), l'Écosse (David McCrone, Understanding Scotland. The Sociology of a Nation, Londres, Routledge, 2001), la Catalogne (Kenneth McRoberts, Catalonia. Nation-Building Without a State, Toronto, Oxford University Press, 2001 ; Montserrat Guibernau, Catalan Nationalism, Londres, Routledge, 2004), le Pays basque (Jan Mansvelt Beck, Territory and Terror, Conflicting Nationalisms in the Basque Country, Londres, Routledge, 2005) et la Flandre (Lode Wils, Histoire des nations belges, Ottignies, Quorum 1996).

[3] Voir : Michael Keating, Plurinational Democracy : Stateless Nations in a Post-Sovereign Era, Oxford, Oxford University Press, 2001 ; Michael Keating, « Par-delà la souveraineté. La démocratie plurinationale dans un monde postsouverain », dans Jocelyn Maclure et Alain-G. Gagnon (dir.), Repères en mutation, Montréal, Québec Amérique, collection « Débats », 2001.

[4] Le processus de fédéralisation de la Belgique a été amorcé en 1970 tandis que la « dévolution » au Royaume-Uni remonte à 1999. Dans ce dernier cas, les revendications galloises ont aussi joué un rôle, mais moins important que dans le cas de l'Écosse.

[5] Voir à ce sujet : Michael Keating, « European Intégration and the Nationalities Question », Politics & Society, vol. 32, n° 3, 2004, p. 367-388 ; Stephen Tierney, « Sub-State National Societies and Contemporary Challenges to the Nation-State », International and Comparative Law Quarterly, vol. 54, n° 1, 2005, p. 161-183.

[6] OSCE, Recommandations de Lund. Les États eux-mêmes demeurent cependant réticents à reconnaître les droits collectifs des minorités nationales et nations minoritaires, et à admettre l'existence d'un nationalisme majoritaire. Cela en effet risquerait non seulement d'entacher l'égalité citoyenne mais aussi d'imposer une réflexion sur la nature réelle des rapports de force entre groupes nationaux dans les États.

[7] Il y a une nouvelle littérature sur le nationalisme espagnol. Voir, à titre d'illustration, Xosé-Manoel Núñez, « What is Spanish Nationalism Today ? From Legitimacy Crisis to Unrulfilled Rénovation (1975-2000) », Ethnie and Racial Studies, vol. 24, n° 5, 2001, p. 719-752.

[8] Mary Katherine Flynn, « Constructed Identities and Iberia », Ethnic and Racial Studies, vol. 24, n° 5, 2001, p. 708.

[9] Hans Kohn, The Idea of Nationalism. A Study of its Origins and Background, New York, MacMillan, 1944.

[10] Pour une lecture détaillée, voir : Karl Deutsch, Nationalism and Social Communication : An Inquiry Into the Formation of Nationality, Cambridge, MIT, 1966 ; Ernest Gellner, Nations and Nationalism, Londres, Blackwell, 1983.

[11] Voir : Charles Tilly (dir.), The Formation of National States in Western Europe, Princeton, Princeton University Press, 1975 ; Charles Tilly, Coercion, Capital, and European States, AD 990-1990, Basil, Blackwell, 1990.

[12] Les travaux de Benedict Anderson sont eux aussi fondés sur les processus de communication mais accordent une grande importance au développement des techniques de l'édition et à l'émergence d'un « capitalisme d'imprimerie ». Voir Imagined Communities, Londres, Verso, 1991.

[13] John Armstrong, Nations before Nationalism, Chapel Hill, University of Carolina Press, 1982.

[14] Adrian Hastings, The Construction of Nationhood. Ethnicity, Religion and Nationalisme. Cambridge, Cambridge University Press, 1997.

[15] Anthony D. Smith, The Ethnic Origins of Nations, New York, Blackwell, 1986.

[16] Eric Kaufmann (dir.), Rethinking Ethnicity : Majority Groups and Dominant Minorities, Londres, Routledge, 2004.

[17] Eric Kaufmann, The Rise and Fall of Anglo-America : The Decline of Dominant Ethnicity in America, Cambridge, Harvard University Press, 2004.

[18] Rogers Brubaker, Nationalism Re-Framed : Nationhood and the National Question in the New Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.

[19] Ibid., p. 5.

[20] Idem.

[21] Alain Dieckhoff, La nation dans tous ses États. Les identités nationales en mouvement, Paris, Flammarion, 2000, p. 159.

[22] Ibid., p. 160.

[23] Walker Connor, « The Timelessness of Nations », dans Montserrat Guibernau et John Hutchinson (dir.), History and National Destiny : Ethnosymbolism and its Critics, Londres, Blackwell, 2004, p. 39.

[24] Maurizio Viroli, For Love of Country : An Essay on Patriotism and Nationalism, Oxford, Clarendon Press, 1995, p. 2.

[25] Margaret Canovan, « Patriotism is not Enough », dans Catriona McKinnon et Iain Hampsher-Monk (dir.), The Demands of Citizenship, Londres/New York, Continuum, 2000, p. 281.

[26] Margaret Canovan, Nationhood and Political Theory, Cheltenham, Edward Elgar, 1996, p. 93.

[27] Viroli écrit que « Pour inciter nos compatriotes à s'engager envers la liberté commune de leur peuple, nous devons faire appel aux sentiments de compassion et de solidarité qui sont – quand ils existent – enracinés dans les liens de la langue, de la culture et de l'histoire » (Viroli, op. cit. p. 10 ; traduction libre). Canovan souligne que la version du nationalisme libéral défendue par David Miller (qui fait de l'identité nationale le prérequis indispensable pour soutenir la confiance et la solidarité qu'exige la citoyenneté républicaine) et la conception virolienne du patriotisme sont pratiquement identiques (Canovan, « Patriotism is not enough », op. cit., p. 289).

[28] Margaret Canovan, op. cit., p. 281-287.

[29] Andréas Wimmer utilise le terme « dominant nationhood » pour caractériser les cas de nationalisme étatique où nation, citoyenneté et souveraineté coïncident. Voir Wimmer : « Dominant Ethnicity and Dominant Nationhood », dans Eric Kaufmann (dir.), op. cit., p. 51.

[30] Will Kymlicka et Christina Straehle, « Cosmopolitanism, Nation-States, and Minority Nationalism : A Critical Review of Récent Literature », European Journal of Philosophy, vol. 7, n° 1, 1999, p. 65-88.

[31] Will Kymlicka, « Nation-Building and Minority Rights : Comparing West and East », Journal of Ethnie and Migration Studies, vol. 26, n° 2, 2000, p. 185 ; Cass Sunstein, The Partial Constitution, Cambridge, Harvard University Press, 1993.

[32] Voir : Will Kymlicka, Christina Straehle, op. cit., p. 65-88 ; Claude Hagège, Halte à la mort des langues, Paris, Odile Jacob, 2000 ; Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales, Paris, Seuil, 1999.

[33] Gérard Bouchard, Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde, op. cit.

[34] James Tully, Strange Multiplicity. Constitutionalism in an Age of Diversity, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.

[35] Chaim Gans distingue le nationalisme étatique du nationalisme culturel. Le premier « met l'accent sur la manière dont les cultures nationales peuvent contribuer à la réalisation de valeurs politiques qui ne sont pas dérivées de cultures nationales particulières, ni destinées à protéger ces dernières »(Chaim Gans, The Limits of Nationalism, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 2 ; traduction libre). Le second soutient que « les membres de groupes partageant une histoire et une culture sociétale communes ont un intérêt fondamental, moralement important, à adhérer à leur culture et à la préserver de génération en génération. Cet intérêt justifie la protection par les États » (Gans, op. cit., p. 7 ; traduction libre). Selon Gans, il y a donc une distinction entre le nationalisme étatique et le nationalisme culturel. Nous avons plutôt choisi, pour éclairer des facettes négligées du phénomène du nationalisme majoritaire, de mettre l'accent sur la parenté entre nationalismes majoritaires et nationalismes minoritaires.

[36] Jennifer Jackson Preece, National Minorities and the European Nation-States System, Oxford, Clarendon Press, 1998 ; Yaël Tamir, Libéral Nationalism, Princeton, Princeton University Press, 1993 ; Geneviève Nootens, Désenclaver la démocratie. Des huguenots à la paix des Braves, Montréal, Québec Amérique, collection « Débats », 2004.

[37] Michael Keating, « Par-delà la souveraineté », op. cit., p. 83.

[38] L'idée moderne de nation renvoie en effet à un changement fondamental dans la source de la légitimité politique. Celle-ci, avec l'effritement des sociétés d'Ancien régime, en vient à être située dans le peuple. Cependant, les doctrines modernes de la souveraineté populaire, pour résoudre l'aporie qui se trouve au cœur de la théorie démocratique moderne (le peuple est la source de légitimité mais ne peut résoudre lui-même la question de sa propre légitimité), projettent la souveraineté dans la nation (Bernard Yack, « Popular Sovereignty and Nationalism », Political Theory, vol. 29, n° 4, 2001, p. 517-536). La nation constitue ainsi la base sociale et culturelle de la citoyenneté. Voir : Michael Keating, Plurinational Democracy, op. cit., p. 204.

[39] Depuis une trentaine d'années, les modèles essentialistes de la culture ont fait l'objet de critiques sérieuses. L'idée de nation n'a pas échappé à ce phénomène, associé à un changement paradigmatique, qui fait des groupes des processus symboliques qui émergent et se dissolvent dans des contextes d'action particuliers (Richard Handler, « Is Identity a Useful Cross-Cultural Concept ? », dans J.R. Gillis (dir.), Commémorations. The Politics of National Identity, Princeton, Princeton University Press, 1994, p. 29-30).

[40] Margaret Canovan suggère de définir les nations comme « des communautés politiques expérimentées comme si elles étaient des communautés de parenté, le comme si étant fondamental » (Margaret Canovan, Nationhood and Political Theory, op. cit., p. 59 ; traduction libre). La particularité de l'appartenance nationale résiderait dans trois facteurs. La médiation qu'elle réalise entre différents aspects de l'expérience et entre les membres de la nation constituerait la clé de l'appartenance nationale comme phénomène politique (1). Cette activité de médiation permettrait à la nation d'agir comme réservoir et génératrice de pouvoir politique (2). Enfin, ce faisant, les nations prendraient l'apparence d'un phénomène naturel (3) (Canovan, op. cit., p. 59).

[41] Margaret Canovan, op. cit., p. 71.

[42] Le fait que plusieurs auteurs persistent à utiliser le terme « nation » pour désigner l'État est tout à fait révélateur du phénomène du nationalisme majoritaire.

[43] Shmuel N. Eisenstadt, Stein Rokkan (dir.), Building States and Nations, Londres, Sage, 1973.

[44] Jan Mansvelt Beck, Territory and Terror, op. cit.

[45] Brian Jenkins, Spyros A. Sofos, « Nation and Nationalism in Contemporary Europe : A Theoretical Perspective », dans B. Jenkins et S.A. Sofos (dir.), Nation andldentity in Contemporary Europe, Londres/New York, Routledge, 1996, p. 20.

[46] Idem.

[47] Charles Tilly souligne l'importance de la conquête et de la colonisation dans l'histoire nationale de la France et de la Grande-Bretagne : « En France, les conquêtes militaires étrangères de 1815,1870, 1940 et 1944 ont toutes façonné les institutions démocratiques : celles de 1815 et 1940 en donnant au pays une orientation autoritaire ; celles de 1870 et 1944 en l'orientant finalement vers la citoyenneté démocratique. En Grande-Bretagne, des tentatives non réussies de conquête militaire ont conduit à des modifications majeures du pouvoir national de manière répétée entre 1650 et 1746, tandis que la présence d'un pouvoir militaire étranger influença la transition irlandaise jusqu'en 1916. La colonisation britannique mena à l'établissement d'institutions plus ou moins démocratiques en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Amérique du Nord et (de manière plus incertaine) en Asie du Sud et en Afrique du Sud. Dans les îles britanniques, cependant, la colonisation contribua à dé-démocratiser l'Irlande en installant une minorité protestante « cliente » [de la Grande-Bretagne] dans un pays majoritairement catholique. » (Charles Tilly, Contention and Democracy in Europe, 1650-2000, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 165 ; traduction libre.)

[48] Eric Storm, « The Problems of the Spanish Nation-Building Process around 1900 », National Identifies, vol 6, n° 2, 2004, p. 143-156.

[49] Arthur Aughey, Nationalism, Dévolution and the Challenge to the United Kingdom State, Londres, Pluto, 2001, p. 49.

[50] Dominique Schnapper, La France de la Nation. Sociologie de l’intégration en 1990, Paris, Gallimard, 1991.

[51] Cet accent explicite sur une constitution comme fondement de la nation mène beaucoup d'auteurs à parler, de façon trompeuse à notre avis, de patriotisme constitutionnel plutôt que de nationalisme.

[52] Gérard Bouchard, Raison et contradiction. Le mythe au secours de la pensée, Montréal, Nota Bene, 2003, p. 53-54.

[53] Ibid., p. 56.

[54] La dissémination de ces symboles et narrations se fait en grande partie au moyen des systèmes d'éducation, ainsi que nous l'avons mentionné. L'utilisation de mythes, de héros, de traditions dans le cadre de l'entreprise de construction d'une identité nationale (que ce soit par des minorités ou par une majorité) relève d'une interprétation et d'une « invention » des traditions révélatrice du caractère construit des nations. Mais cela ne signifie pas l'absence de certains traits identitaires déjà présents, dans certains cas, et sur lesquels on a pu tabler. La mémoire et l'identité sont subjectives et sélectives, et leur articulation s'inscrit dans des relations de pouvoir. John R. Gillis remarque par exemple qu'avant le 19e siècle, 1) il n'y a pas de véritable institutionnalisation de la mémoire dans les classes populaires (dont le passé fait tellement partie du présent qu'elles ne sentent pas le besoin de le préserver), et 2) que les mémoires populaires demeurent longtemps très locales. Cela change avec le développement des identités nationales, par exemple dans l'Angleterre du 16e siècle ; ce n'est cependant qu'à la fin du 18e que ce phénomène balaie les classes « populaires ». La « mémoire nationale » est particulière, par rapport aux mémoires populaires prénationales, notamment parce que « La mémoire nationale est partagée par des gens qui ne se sont jamais vus, ni n'ont jamais entendu parler les uns des autres, et qui pourtant considèrent partager une histoire commune » (John R. Gillis, « Memory and Identity : the History of a Relationship », dans J.R. Gillis (dir.), Commémorations, op. cit., p. 7 ; traduction libre). Elles deviennent plus impersonnelles, en même temps qu'elles deviennent plus démocratiques (Gillis, p. 11 ; voir aussi Charles Tilly, Contention and Democracy in Europe, op. cit.)

[55] Michael Billig, Banal Nationalism, Londres, Sage, 1995.

[56] Le nationalisme « banal » n'est donc pas le seul fait du nationalisme majoritaire. Les nationalismes minoritaires, surtout s'ils sont chapeautés par des institutions politiques autonomes, peuvent aussi produire ce type de nationalisme (Voir Kathryn Crameri, « Banal Catalanism », National Identities, vol. 2, n° 2, 2000, p. 145-157). Cependant, les manifestations minoritaires sont plus remarquées et étudiées par les analystes.

[57] Par exemple, Nicola McEwen a montré comment l'État-providence britannique a généré des sentiments d'appartenance en Écosse tandis que Brodie a mis en relief les velléités intégratives des politiques sociales canadiennes. Voir : McEwen, « State Welfare Nationalism : The Territorial Impact of Welfare State Development in Scotland », Régional and Fédéral Studies, vol. 12, n° 1, 2002, p. 66-90, et Janine Brodie, « Citizenship and Solidarity : Reflections on the Canadian Way », Citizenship Studies, vol. 6, n° 4, 2002, p. 377-394.

[58] Daniel Béland et André Lecours, « Social Policy Reform in Canada, the United Kingdom, and Belgium », Comparative Political Studies, vol. 38, n° 6, 2005, p. 676-703.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 27 septembre 2016 11:35
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue,
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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