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Les nationalismes majoritaires contemporains:
identité, mémoire, pouvoir.
Avant-propos
Le nationalisme a été abordé de diverses façons depuis le 18e siècle. Phénomène libérateur au moment de l’apparition des premiers États-nations et du printemps des peuples, le nationalisme a subséquemment été vu comme progressiste, réactionnaire, conservateur ou libéral. On le reconnaîtra assez facilement, les frontières du nationalisme ne sont pas toujours bien définies. Sommes-nous en présence d’un mouvement social, d’un phénomène de construction historique, d’une lutte des classes, d’un phénomène de décolonisation ou d’une idéologie politique ? Le sens à donner au nationalisme et à ses manifestations a varié selon les périodes et les contextes. Aujourd’hui, dans les pays de démocratie libérale, le nationalisme gagne à être étudié sous l’angle des rapports de force entre communautés et de leur lien à l’État. Aussi peut-on parler du nationalisme majoritaire au Canada, en Espagne et en France et du nationalisme minoritaire en Catalogne, en Écosse et au Québec. Les protagonistes du nationalisme majoritaire se drapent le plus souvent dans un discours empreint de patriotisme pour défendre les États-nations déjà constitués et pour s’opposer à toutes les autres expressions nationales. Les défenseurs du nationalisme minoritaire remettent en question l’existence même des États établis en ce que ces derniers ne les reconnaissent pas comme des nations culturelles et sociologiques pleinement constituées. Les uns et les autres s’alimentent mutuellement, tout en cherchant à penser leurs projets de construction nationale sur des bases universelles, inspirées par les valeurs humanistes héritées de la période des Lumières.
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Depuis plus d’une décennie, les membres du Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP) tentent de mieux comprendre les conditions qui animent les rapports entre nations au sein des États occidentaux contemporains. Inscrits dans une démarche pluridisciplinaire inspirée par le droit, la philosophie et la science politique, plusieurs ouvrages scientifiques ont été produits à ce jour par les membres du GRSP. Mentionnons tout d’abord les efforts de théorisation faits du côté de l’avènement de la multination en vue de répondre aux besoins des communautés nationales évoluant au sein d’États-nations et profondément différenciées sur le plan sociétal. Parmi ces travaux, mentionnons, en 2001, Multinational Democracies et, en 2003, The Conditions of Diversity in Multinational Democracies [1]. D’autres efforts importants ont été faits au chapitre de la construction identitaire par les communautés nationales en présence. À titre d’illustration, notons Récits identitaires. Le Québec à l’épreuve du pluralisme en 2000, suivi en 2001 par Repères en mutation. Identité et citoyenneté dans le Québec contemporain [2]. À ces études, il faut ajouter des analyses en profondeur concernant les tenants et les aboutissants des transformations de la démocratie dans les États traversés par la diversité profonde. Deux ouvrages ressortent de l’ensemble des études réalisées ; il s’agit en l’occurrence de Strange Multiplicity. Constitutionalism in an Age of Diversity et de Désenclaver la démocratie. Des huguenots à la paix des Braves [3]. Inspirés par une démarche de [15] philosophie politique, ces travaux ont grandement bénéficié de l’apport des juristes qui sont venus explorer à fond les tentatives d’uniformisation des normes de la part des instances politiques centrales, comme en témoigne Appartenances, institutions et citoyenneté [4]. En outre, les membres de l’équipe ont souventes fois comparé les cas catalan, écossais et québécois afin de mieux cerner les questions touchant la représentation politique, la citoyenneté fédérale et la diversité profonde. Relevons ici les divers livres des membres qui ont participé au GRSP depuis 1994 : Pour la liberté d’une société distincte [5] (2004), Basque Nationalism [6] (2007), Au-delà de la nation unificatrice. Plaidoyer pour un fédéralisme multinational [7] (2007).
Le présent projet s’inscrit en continuité avec ceux qui ont été mentionnés ci-dessus, tout en s’en distinguant par sa volonté d’approfondir la compréhension des liens entre le nationalisme majoritaire et le nationalisme minoritaire. Les analyses rassemblées dans cet ouvrage jettent un éclairage tout à fait novateur sur les fondements du nationalisme majoritaire en explorant simultanément les questions identitaires, les lieux de mémoire et les rapports de force en présence au sein des États traversés par la diversité profonde. Y participent nos collègues américain, britannique, canadien, français et espagnols qui ont dédié une partie importante de leurs travaux universitaires à l’étude du nationalisme majoritaire dans leur propre pays ainsi qu’aux expériences de nationalisme(s) minoritaire(s) qui en ont résulté. Les analyses qui nous sont offertes par James Bickerton, Àngel [16] Castineira, Alain Dieckhoff, Louis Dupont, Enric Fossas, Liah Greenfeld, John Loughlin et par mes collègues André Lecours et Geneviève Nootens sont à la fois pénétrantes et sans complaisance devant les pouvoirs établis. Nous souhaitons remercier vivement tous les auteurs d’avoir accepté de présenter leurs travaux devant public et de les avoir révisés en tenant compte des commentaires exprimés lors de ces forums.
L’apport scientifique de nos collègues du GRSP à la présente initiative doit être souligné de façon particulière puisque chacun d’eux a été invité à commenter les textes et à vérifier la traduction des textes pour les éditions française et anglaise. Mille mercis à André Lecours (Université Concordia), Jocelyn Maclure (Université Laval), Pierre Noreau et José Woehrling (Université de Montréal), Geneviève Nootens (Université du Québec à Chicoutimi), François Rocher (Université d’Ottawa) et James Tully (Université de Victoria) pour leur appui à la réalisation du présent projet.
Soulignons que les travaux du GRSP bénéficient depuis le milieu des années 1990 de l’appui financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSHC) et du Fonds québécois de recherches sur la société et la culture (FQRSC, auparavant Fonds de chercheurs et aide à la recherche). Nos remerciements vont à ces deux organismes subventionnaires et, dans le cas du présent projet, à la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes (CREQC) qui a prêté son concours à l’organisation de la série de conférences publiques qui ont précédé la rédaction de ce livre. Nous en profitons aussi pour remercier la Délégation du Québec à Paris, la Délégation du Québec à Londres, le Consulat d’Espagne au Canada et l’Association internationale d’études québécoises (AIEQ) pour leur appui financier lors de la tenue des événements publics.
En outre, nos remerciements vont à Jacques Hérivault qui agissait alors comme coordonnateur des activités à la CREQC ainsi qu’au personnel et aux étudiants des cycles avancés rattachés à la [17] CREQC, dont Olivier De Champlain, Raffaele Iacovino et Charles-Antoine Sévigny qui nous ont épaulés tout au long de la préparation de ce livre. Des remerciements tout à fait spéciaux sont adressés à Jean-Pierre Couture, doctorant au département de science politique de l’Université du Québec à Montréal, à qui nous devons la traduction des textes de John Coakley et de James Bickerton ainsi qu’à Luc Fortin, doctorant au département de science politique de l’Université de Montréal, pour son aide à la traduction du texte de Liah Greenfeld. Enfin, nos remerciements vont aussi à Anne-Marie Villeneuve et à Claude Frappier, de la maison d’édition Québec Amérique, qui nous ont accompagnés à chaque étape de la préparation du présent ouvrage, avec un professionnalisme constant.
Alain-G. Gagnon,
Coordonnateur,
Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales
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[1] Alain-G. Gagnon et James Tully (dir.), Multinational Democracies, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 ; Alain-G. Gagnon, Montserrat Guibernau, François Rocher (dir.), The Conditions of Diversity in Multinational Democracies, Montréal, Institut de recherche en politiques publiques/McGill-Queen's University Press, 2003.
[2] Jocelyn Maclure, Récits identitaires. Le Québec à l’épreuve du pluralisme, Montréal, Québec Amérique, collection « Débats », 2000 ; Jocelyn Maclure et Alain-G. Gagnon (dir.), Repères en mutation. Identité et citoyenneté dans le Québec contemporain, Montréal, Québec Amérique, collection « Débats », 2001.
[3] James Tully, Strange Multiplicity. Constitutionalism in an Age of Diversity, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; Geneviève Nootens, Désenclaver la démocratie. Des huguenots à la paix des Braves, Montréal, Québec Amérique, collection « Débats », 2004.
[4] Pierre Noreau et José Woehrling (dir.), Appartenances, institutions et citoyenneté, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005.
[5] Guy Laforest, Pour la liberté d'une société distincte. Parcours d'un intellectuel engagé, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 2004. Avant de franchir la frontière qui sépare le politique de la politique en février 2000 en se joignant à l'Action démocratique du Québec (ADQ), Guy Laforest participait activement aux travaux du GRSP où il a su faire valoir les idées sous-tendant le libéralisme communautaire et le nationalisme libéral.
[6] André Lecours, Basque Nationalism, Reno, University of Nevada Press, 2007.
[7] Alain-G. Gagnon, Au-delà de la nation unificatrice. Plaidoyer pour un fédéralisme multinational (à paraître, Institut d'Estudis Autonomies, Barcelone).
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