[51]
Alain-G. Gagnon et François Rocher
“Nationalisme libéral
et construction multinationale :
la représentation de la « nation »
dans la dynamique Québec-Canada.” *
in revue International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d'études canadiennes 16, Fall/Automne 1997, pp. 51-68.
- Résumé / Abstract [51]
-
- Du nationalisme et de la modernité [52]
- Le cas canadien : de la quête d'uniformité [55]
- De l'absence de reconnaissance et de continuité [59]
- Pour un État multinational [60]
-
- Conclusion [63]
- Notes [64]
- Bibliographie [66]
Résumé
Cet article examine le rapport qui existe entre l'acceptation de la diversité culturelle et économique et la stabilité politique. Nous soutenons que le Canada aurait tout à gagner à redécouvrir le fait qu'il s'agit d'une fédération qui, dès sa création, a tenté de concilier l'existence de nations au sein d'une entité politique plus large. Nous examinons la dynamique Québec/Canada en nous demandant d'abord de quelle manière peut-on conjuguer le nationalisme et la modernité ? Par la suite, nous voyons comment le projet politique mis de l'avant par l'État fédéral canadien a cherché à oblitérer la diversité profonde qui caractérise l'espace socio-politique canadien. Cette réalité grève les relations entre les différentes composantes nationales et nous avançons que seule une politique de reconnaissance peut lever cette hypothèque. Finalement, nous soutenons que la transformation du Canada en un État multinational constitue l'une des voies à suivre pour atténuer l'état de crise politique permanente qui le caractérise et qui lui permet de s'inscrire dans la modernité.
Abstract
This article examines how cultural and économie diversity relate to political stability. We argue that Canada has every advantage in rediscovering the fact that the country is a federation which endeavoured from its inception to reconcile the existence of different national groups within a broader political entity. We will first examine the Québec/Canada dynamic by investigating how nationalism can combine with modernity. We will then explore how the political plan devised by the Canadian federal government tried to obliterate the profound diversity that characterizes the Canadian social and political landscape. This reality mortgages the relationships among the various national components and, in our view, nothing short of apolicy of récognition can remedy this situation. Lastly, we maintain that Canada's transformation into a multinational state is one possible means of alleviating the country 's state of perpétuai political crisis and ushering it into modernity.
Les problèmes de coexistence entre les différentes entités nationales rencontrés dans les Balkans ou au Proche- et Moyen-Orient aussi bien que dans les démocraties libérales comme l'Espagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, la France et le Canada, pour ne nommer que celles-là, appellent une réflexion plus poussée sur les conditions qui permettent la mise en place d'un espace où les délibérations politiques peuvent être respectueuses de la diversité (Fishkin, [52] 1991). Ainsi, les notions de pluralisme culturel, de diversité et de nationalisme libéral constituent des outils conceptuels nécessaires à une gestion pacifique des conflits dans les démocraties modernes. L'adoption d'une telle approche analytique permet de réévaluer l'avenir de l'État-nation et de saisir les implications politiques de la constante ascension de courants d'homogénéisation que l'on y retrouve.
Cet article vise à remettre en question l'argument d'Ernest Gellner selon lequel l'uniformité linguistique et culturelle est essentielle au bon fonctionnement de l'État moderne (Gellner, 1981 : 140-141). On peut au contraire soutenir que le Canada, à l'instar des pays qui rencontrent le même type de défi, n'a pas besoin d'uniformité culturelle ou de pratiques économiques homogénéisantes pour garantir sa stabilité politique. Ce sont plutôt ces tendances qui exacerbent les tensions entre les différentes entités nationales et qui peuvent les pousser jusqu'au point de rupture. Dans cette perspective, le Canada aurait tout à gagner à redécouvrir un aspect constitutif central mais trop souvent oublié ou négligé, à savoir qu'il s'agit d'une fédération qui, dès sa création, a tenté de concilier l'existence de nations au sein d'une entité politique plus large [1]. Il s'agira donc d'examiner la dynamique Québec/Canada en se demandant d'abord de quelle manière on peut conjuguer nationalisme et modernité. Par la suite, nous verrons comment le projet politique mis de l'avant par l’État fédéral canadien a cherché à oblitérer la diversité profonde qui caractérise l'espace sociopolitique canadien. Cette réalité grève les relations entre les différentes composantes nationales, et nous avançons que seule une politique de reconnaissance peut lever cette hypothèque. Finalement, nous soutenons que la transformation du Canada en un État multinational, à la fois dans l'idée que certains intellectuels et qu'un grand nombre de leaders politiques s'en font et dans son mode de fonctionnement, constitue l'une des voies à suivre pour atténuer l'état de crise politique permanente qui le caractérise et qui lui permet de s'inscrire dans la modernité.
Du nationalisme et de la modernité
Le nationalisme est devenu la façon par laquelle s'expriment le plus souvent les revendications d'autonomie politique et d'autodétermination dans le monde moderne. Il est significatif que, sur des territoires aussi différents que le Canada et l'Asie de l'Est, par exemple, le nationalisme ait incarné au même moment la lutte contre une vision dominatrice de l'État imposée par des institutions centrales et une tentative de mise en place de pratiques démocratiques (Calhoun, 1993) [2].
Alors que l'on aurait pu croire que la modernisation politique, sociale et économique du Québec, ayant pris son essor au cours de la Révolution tranquille dans les années 1960, entraînerait une atténuation du sentiment d'identification particulariste fondé sur la nation, il n'en fut rien [3]. Les réformes étatiques adoptées depuis lors ont plutôt contribué à modifier le discours nationaliste et à lui donner un nouvel essor marqué notamment par son adaptation aux principes du libéralisme démocratique. Sur plusieurs questions, le Québec est souvent perçu comme un chef de file dans plusieurs parties du pays. L'adoption par l'Assemblée nationale du Québec de la Charte québécoise [53] des droits et libertés de la personne, en 1975, en constitue un bon exemple. La Charte canadienne des droits et libertés de 1982 reprend de larges pans de la charte québécoise (Gagnon, 1994). Il faut cependant noter que la Charte canadienne s'inscrit dans la poursuite du processus d'homogénéisation qui caractérise le Canada des trente dernières années, notamment au chapitre fort litigieux de l'aménagement linguistique partout au Canada, et qui a conduit à la mobilisation de forces politiques au Québec.
L'expression dominante du nationalisme au Québec est moderne dans son essence, puisque les principales revendications de droits politiques reposent à la fois sur son existence en tant que nation et sur des pratiques et traditions démocratiques bien ancrées (Latouche, 1993 ; Balthazar, 1993). Ainsi, l'approche particulariste qui fonde le discours nationaliste n'est pas incompatible avec son inscription dans des valeurs universelles. Les multiples crises existentielles qu'a traversées le Canada proviennent d'une incompréhension de cette dynamique. Au nom des valeurs universelles, les pratiques fédérales au Canada ont cherché à nier, sinon éradiquer, toute référence au particularisme québécois. Là se trouve la source du problème.
Pour trouver la solution de l'énigme canadienne ou du moins, pour tenter de la saisir il faut absolument dénouer les concepts de nation et d'État-nation. Le concept d'État se rattache à une entité politique et juridique mieux connue sous le nom de « pays ». Le concept de nation, en revanche, représente une entité socioculturelle dont les frontières ne correspondent pas toujours aux frontières étatiques. Selon Walker Connor, une telle confusion dans les termes proviendrait du fait que les termes État et nation aient été utilisés de manière interchangeable pour désigner l'expression État-nation. Or, cette dernière expression montrait bien qu'il existait une différence de nature entre les composantes « étatiques » et « nationales ». Elle visait à décrire une situation où une nation pouvait compter sur son propre État. La distinction originale s'est graduellement évaporée, ne laissant place qu'à l'acception État-nation qui désigne sans distinction tous les États (Connor, 1994 : 94-95). Pour sa part, Hugh Seton-Watson a clairement établi la distinction entre nation et État : il soutient qu'on ne devrait pas assimiler la notion d'État au concept de nation, étant donné qu'il est clair que l'État correspond à une entité politique juridique, alors que la nation est une communauté politique liée par un sentiment de mise en commun et d'identité [4].
La distinction ci-dessus est celle que l'on peut faire entre une nation politique et une nation culturelle, distinction dérivée de la taxonomie de Friedrich Meinecke, où l'on parle de Kulturnation et de Staatsnation [5]. Dans une nation politique, nationalité et citoyenneté sont synonymes, alors que dans la nation culturelle, l'État (ou toute autre institution politique) est jugé non nécessaire, voire non pertinent. La France ou les États-Unis sont des exemples idéaux de nations politiques, alors que la distinction entre nation et État est floue au point qu'on peut souvent dire qu'il y a convergence totale. L'Italie « fédérale » et plusieurs contrées d'Europe centrale et de l'Est constituent à l'inverse des exemples typiques de la pérennité des nations dites culturelles. La nation, à la source du nationalisme, découle avant tout d'un vouloir vivre collectif, d'un [54] sentiment d'identité et du consentement de tous. Comme le proposait Ernest Renan :
- Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. [...] L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. [...] L'existence d'une nation est [...] un plébiscite de tous les jours. (1882 : 26)
Par ailleurs, pour Peter Alters, le nationalisme libéral, ou « nationalisme du Risorgimento », doit être perçu essentiellement comme un mouvement de protestation qui s'oppose à un système marqué par une domination politique réelle, à un État qui détruit les traditions de la nation et en empêche le développement. Parce que liberté individuelle et indépendance nationale sont étroitement imbriquées, l'accent est mis sur le droit aussi bien de la nation que de chacun de ses membres d'en appeler au principe du développement autonome (Alters, 1989 : 29). Dans cette perspective, il est possible de conjuguer le nationalisme libéral et les valeurs humaines d'égalité, de fraternité et de liberté.
Le concept de nationalisme du Risorgimento, ou de nationalisme libéral, a refait son entrée dans le domaine politique. Par exemple, Yael Tamir, s'inspirant des travaux de Herder et de Mazzini, développe une vision selon laquelle autonomie personnelle et appartenance à une communauté sont des alliées naturelles. De tels « concepts sont ici perçus comme des idées complémentaires plutôt qu'opposées, ce qui impliquerait qu'un individu ne peut exister libre de tout contexte, mais que tous peuvent être libres à l'intérieur d'un même contexte. » (1993 : 14)
En somme, le nationalisme s'inscrivant dans la tradition libérale constitue indubitablement un phénomène moderne [6] et un outil qui peut servir aux communautés politiques désireuses d'établir des relations justes. Au Canada anglais, les concepts de nation et d'État/État-nation sont employés de façon interchangeable, fondus l'un dans l'autre pour décrire une même réalité politique. Cette fusion serait un signe de modernité : elle serait une prémisse des fondations d'une nouvelle identité canadienne supérieure à celle de ses parties, dont le Québec mais aussi les nations autochtones, et qui n'en tiendrait pas compte (Dumont, 1995 : 31-48). Evidemment, le nationalisme Canadian est une réalité éminemment complexe que l'on ne saurait réduire à la seule adhésion à un patriotisme de type constitutionnel, ce dernier ayant lui aussi produit ses propres contradictions (Rocher et Smith, 1997). Néanmoins, force est de constater que les politiques introduites par le gouvernement fédéral à compter de la fin des années 1960 (bilinguisme, multiculturalisme, protection constitutionnelle des droits individuels) et qui s'inscrivaient dans le processus inachevé de nation-building, ont eu pour effet d'atténuer la pertinence des principes du fédéralisme dans le mode d'identification des citoyens. L'attachement au Canada est réel mais en même temps il subsume les autres allégeances de plus en plus multiples, contradictoires et politisées, allégeances qui n'ont peu ou pas d'ancrage territorial. Cela étant, les références aux [55] principes mêmes du fédéralisme, compris comme un modèle de gestion de la différence fondé sur la coopération des ordres de gouvernement mais aussi sur le respect de l'autonomie de chacun dans les champs qui sont les leurs, deviennent de moins en moins pertinentes. Complètement à l'opposé, on trouve une vaste majorité de Québécois, qui tendent à promouvoir une vision d'eux-mêmes très différente, tirée d'une part de l'héritage girondin et, d'autre part, d'influences nationalistes libérales qui s'implantent rapidement et sont même devenues une partie intégrante du discours politique dominant.
Le cas canadien :
de la quête d'uniformité
À la suite de l'échec de l'Accord du lac Meech, le gouvernement du Québec mettait sur pied la Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec (Gagnon et Latouche, 1991 ; Rocher, 1992a). Le problème fondamental qui affecte le fédéralisme canadien fut résumé en peu de mots par les rédacteurs du rapport de cette commission :
- En théorie, l'uni on fédérale canadienne aurait pu toujours évoluer sur le plan constitutionnel et politique en respectant à la fois les aspirations des Québécoises et Québécois et celles des autres Canadiennes et Canadiens. En pratique, la conception générale du Canada et du régime fédéral qui prédomine aujourd'hui apparaît rigide et nettement orientée vers la recherche de l'uniformité et la négation des différences. Le renouvellement de la fédération canadienne, dans la reconnaissance et le respect des différences et des besoins du Québec, passerait nécessairement par une remise en cause en profondeur de l'ordre des choses au Canada. (1990 : 54)
L'échec de la reconnaissance du Québec comme société distincte constitue un rejet de la « diversité profonde » ou, si l'on préfère, d'un communitarisme libéral du type défini par le philosophe politique Charles Taylor. Selon ce dernier, l'adoption d'un modèle uniforme menace la survie du Canada. Il invite plutôt à « explorer l'univers de la diversité profonde » au sein duquel serait reconnue et acceptée une pluralité de modes d'appartenance [7]. En effet, le problème principal tient moins dans le fait que le Canada n'ait pas été « profitable » au Québec d'un point de vue strictement comptable (transferts de paiements, péréquation, présence des Québécois francophones dans la fonction publique fédérale, etc.), bien que sur cette question les interprétations varient (Rocher, 1992b), mais plutôt du fait que le Canada ait continuellement refusé d'entériner la thèse selon laquelle le Canada était constitué de nations fondatrices dont la composante minoritaire devrait disposer de moyens lui permettant d'assurer son avenir social, économique et culturel en des termes qui pourraient différer de ceux du reste du Canada. Afin de contrer le nationalisme québécois, le gouvernement fédéral a plutôt cherché à imposer un patriotisme canadien peu sensible aux différences. Le modèle de la diversité profonde implique au contraire l'acceptation d'une citoyenneté multiforme qui permet la coexistence de sentiments d'appartenance se situant à mi-chemin entre l'individu et l'État (au niveau de la Kulturnation ), au lieu d'exiger un sentiment d'appartenance exclusif à l'endroit du régime politique confondu avec ce que plusieurs appellent la « nation canadienne » (la Staatsnation). En ce sens, le modèle de la Communauté européenne nous enseigne que plus de [56] libertés ont été accordées aux sociétés régionales auparavant menacées par le modèle jacobin qui inspirait la vision dominante des États dits nationaux.
L'évaluation de Taylor ouvre un espace de possibilités politiques fort prometteur et remet en question la vi si on homogénéisante du concept de nation qui a conduit à la rupture de nombreux pays d'Europe centrale et de l'Est. Taylor offre aux Canadiens une autre option que le fédéralisme uniforme, une option qui exige la reconnaissance d'autrui. D'une certaine façon, c'est pour cela que la notion de « société distincte » a vraiment valeur de symbole pour une majorité de québécois ; et l'impossibilité (sinon le refus) du reste du Canada d'accepter que cette notion soit intégrée à la Constitution a créé un véritable sentiment de rejet chez eux.
Selon Taylor, la politique de la reconnaissance (de la diversité profonde) est essentielle pour les sociétés pluralistes modernes, puisqu'elle identifie avec justesse le désir de conserver la différence culturelle entre les communautés politiques en tant que réalité fondamentale. Cette approche de la politique contribue à atténuer l'impact du « libéralisme procédural » selon lequel tous les citoyens doivent disposer des mêmes droits et, ce faisant, dénie aux pouvoirs publics l'autorité d'agir au nom d'objectifs collectifs qui auraient pour effet de limiter la capacité des individus de décider ce qui est adéquat pour eux. Il émet une sérieuse mise en garde à l'endroit des libéralistes procéduraux dans la mesure où « l'ensemble censément neutre de principes imperméables aux différences de la politique de la dignité égale reflète en fait une culture hégémonique. Finalement, seules les cultures minoritaires ou étouffées sont forcées de prendre une forme autre. Conséquence : la société censément juste et aveugle devant les différences est non seulement inhumaine (parce qu'elle réprime les identités), mais aussi subtilement et inconsciemment très discriminatoire elle-même. » (Taylor, 1992b : 43)
Il est important de reconnaître que l'État ne peut prétendre à la neutralité culturelle [8]. C'est en ayant cela à l'esprit que l'on peut conférer un rôle légitime à la politique de la reconnaissance proposée par Taylor dans la société moderne. Taylor se porte à la défense du caractère distinct du Québec en tant que moyen de préservation et de promotion de son patrimoine culturel [9].
La préservation d'une langue ou d'une culture (découlant de la définition d'un bien qui ne peut être obtenu qu'en groupe et qui nécessite de ce fait une intervention politique) peut être considérée comme un bien public et être promue par l'État. L'enjeu en est la survie culturelle et les moyens qui doivent être mis en place afin d'atteindre cet objectif. Cela ne signifie pas que les libertés fondamentales individuelles soient mises de côté, mais tout simplement qu'elles doivent être mises en juxtaposition avec la nécessité de préserver la communauté au sein de laquelle elles peuvent s'exprimer.
À première vue, le fédéralisme constitue le type de régime politique qui convient le mieux à la reconnaissance de la diversité. Le Canada n'a-t-il pas adopté une forme fédérative justement pour répondre aux aspirations du Québec et des provinces maritimes qui voulaient préserver leur identité et leur héritage alors que plusieurs souhaitaient l'adoption d'un État unitaire ? Dans cette perspective, il peut sembler paradoxal que les nationalistes québécois [57] s'opposent aux principes du fédéralisme. Or, dans le débat actuel, c'est moins le fédéralisme comme principe qui est contesté que les formes que ce dernier a pris dans le contexte politique canadien. Ce qui est en jeu, c'est la place du fédéralisme dans le présent débat sur le libéralisme. Le libéralisme de procédure, dominant au Canada, tend à nier les formes territoriales du fédéralisme, alors que le concept de libéralisme communautaire se prête beaucoup mieux au fédéralisme. Selon Michel Seymour, « les idées libérales de justice et d'égalité pour tous les individus ne peuvent être mises en place sans un souci réel des communautés nationales » (Seymour, 1993 : 30).
De son côté, James Tully émet une mise en garde importante et note qu'il existe un courant non négligeable dans le libéralisme qui tend à minimiser la nécessité de reconnaître la diversité culturelle (Ignatieff, 1993). Tully est d'avis que cet état de fait constitue l'une des forces les plus destructrices de la modernité, une force qui doit être rapidement identifiée et contrée. Rappelons que c'est au nom de la modernité que l'on a justifié les campagnes de colonisation de l'Amérique du Nord, ainsi que le génocide des peuples autochtones qui en a découlé. En outre, alors que des mouvements nationalistes continuent d'émerger partout dans le monde, cette émergence est souvent due aux efforts de « nationalistes civiques » en vue d'intégrer la communauté politique minoritaire dans un État-nation donné [10].
La notion de modernité a trop souvent servi à justifier les tentatives d'éradication des différences culturelles et d'imposition d'un modèle uniforme de gouvernement à tous les citoyens résidant sur un territoire donné. Tully soutient alors que les initiatives visant à réformer la constitution canadienne sans le consentement du Québec et des nations autochtones sont à la fois un déni de l'esprit fédéral et une menace pour l'existence et le développement futur des pratiques démocratiques canadiennes (Tully, 1995a : B-l). Sur un ton plus prescriptif, on pourrait affirmer que, dans la mesure où le monde occidental aspire à atténuer les conflits politiques, il devrait se montrer plus sensible au pluralisme culturel profond (Tully, 1994). À l'encontre du discours des libéralistes procéduraux, aucune vision de la société n'est neutre. Il est essential alors de reconnaître le caractère multinational du Canada dans la mesure où cette reconnaissance contribuerait à concilier les différences à l'intérieur du Canada. Défendre la diversité profonde, c'est en même temps reconnaître la nature multinationale du Canada.
On souligne également que le droit est une création culturelle, que l'action gouvernementale est façonnée par le contexte culturel et que la culture joue un rôle fondamental dans l'interprétation juridique [11]. Webber, quant à lui, soutient que le fédéralisme implique que les régimes juridiques diffèrent d'une province à l'autre. Conséquemment, le principe d'égalité est compatible avec « l'existence de lois différentes s'appliquant à des individus différents » (1993 : 225 ; voir aussi Burelle, 1993). Ainsi, de l'existence même du fédéralisme découle une application territorialement différenciée des lois qui relèvent des législations provinciales, ces dernières répondant à des besoins définis par les membres des collectivités provinciales. En somme, les principes du fédéralisme vont à l'encontre d'une acception unidimensionnelle des droits individuels. Toutefois, on ne saurait sous-estimer l'effet niveleur qu'a eu [58] l'enchâssement de la Charte des droits et libertés dans la Constitution canadienne en 1982. À cet égard, Tully rappelait récemment que :
- lorsque l'Assemblée nationale du Québec tente de préserver et de développer le Québec en tant que société moderne et majoritairement francophone, elle s'aperçoit que sa souveraineté traditionnelle dans ce domaine est limitée par une charte qui conditionne la formulation et la justification de toute sa législation, mais aussi une charte dont toute reconnaissance du caractère distinct du Québec est complètement exclue. La Charte a donc pour effet d'assimiler le Québec dans une culture nationale pancanadienne, tout juste ce que la constitution de 1867, selon Lord Watson, avait pour objectif d'empêcher. Dans cette perspective, on peut dire que la Charte est « impériale » , en ce sens même qui a toujours été employé pour justifier l'indépendance. (1995 : 8)
De ce point de vue, l'objection principale du Québec devant la Charte canadienne est que celle-ci a modifié substantiellement, et sans son consentement, le régime linguistique adopté par le Québec en 1977 la Charte de la langue française s'attaquant ainsi au cœur de la stratégie qui visait à assurer la pérennité du français en Amérique du Nord. Mais il y a plus. La Charte canadienne est insuffisamment pluraliste et ne reconnaît pas le caractère multinational du Canada. On y retrouve la protection (bien qu'imparfaite parce que sujette à la clause dérogatoire) des droits fondamentaux ainsi que la reconnaissance de certains droits associés à des catégories d'individus particuliers (comme les femmes, les Autochtones, les minorités ethnoculturelles). Mais la logique qui informe la Charte s'inspire pour l'essentiel du libéralisme procédural et individualiste. Pour la plupart des Québécois, il y a un équilibre à maintenir entre les droits individuels et les droits des communautés nationales qui constituent un pays fédéré, droits sur lesquels la Charte demeure silencieuse (Burelle, 1995a ; Seymour, 1995). Pour ces Québécois, lorsque la Constitution canadienne a été rapatriée de la Grande-Bretagne en 1982, un lien de confiance a été rompu (Laforest, 1993 ; Gagnon et Laforest, 1993), et ce rapatriement marque une césure avec les pratiques constitutionnelles antérieures : le reste du Canada embrassant alors « une sorte d'impérialisme constitutionnel, forçant ainsi les Québécois à s'engager à contrecœur sur les traces des sécessionnistes américains de 1776 » (Tully, 1995b : 12) [12].
Les tentatives visant à réduire les Québécois au statut de minorité comme les autres au Canada ne réussissent qu'à nier le fait que le Québec est l'un des principaux piliers sur lesquels a été érigé le Canada dans l'entente constitutionnelle de 1867. Au cours des ans, les politiciens d'Ottawa ont violé l'esprit de l'entente initiale en mettant en œuvre des politiques qui s'inspiraient d'une vision « uniformisatrice » et centralisatrice. Contrairement à ce que ces politiciens présumaient, ils n'avaient pas le mandat de changer unilatéralement ce qui avait été décidé à l'origine par les parties à l'entente. Tully fait remarquer que « les lois confédératives n'ont pas mis fin à la culture juridique et politique établie de longue date dans les colonies et ainsi imposé une culture juridique et politique uniforme, mais ont plutôt reconnu et laissé continuer les cultures constitutionnelles [existantes] à l'intérieur d'une fédération diversifiée dans [59] laquelle chacune des provinces donnait son assentiment. » (Tully, 1994 : 84-85). C'est dire que l'adoption de la Charte en 1982 peut être considéré comme un acte anticonstitutionnel de discontinuité et d'assimilation. En conséquence, Tully soutient que le meilleur moyen de contrer cet impérialisme (Said, 1993 ; Tomlinson, 1991), et sans doute aussi l'homogénéité et l'exclusion, est de maintenir et respecter trois conventions essentielles à toute vie politique : la reconnaissance mutuelle, la continuité et le consentement.
Les implications de l'application de ces trois principes sont multiples. Pour John A. Hall, « la nature d'un régime politique compte : historiquement, le nationalisme implique que l'on se sépare d'une polité autoritaire » (1993 : 11) [13]. Hall avance qu'un traitement plus libéral du nationalisme devrait améliorer la cohésion de la polité et atténuer le radicalisme, à travers un phénomène comparable à la façon dont certains segments de la classe ouvrière adoptent une attitude pacificatrice et collaboratrice (1993 : 17). Quant à la dynamique Québec-Canada, on ne peut parler de politique autoritaire, mais assurément de politique dominatrice.
Il faut souligner qu'il existe peu de cas de sécession d'États démocratiques libéraux, sans doute parce qu'il continue d'y exister une « voix » . John Hall indique que « le fait que le besoin d'avoir des États centralisés et unitaires diminue fait en sorte qu'il est possible de permettre la conclusion d'ententes de fédération et de co-association capables d'apaiser le mécontentement » (1993 : 19). Au Canada, en revanche, un mouvement graduel vers le centralisme et l'uniformité semble avoir fermé cette avenue [14].
De l'absence de reconnaissance et de continuité
La politique constitutionnelle souligne comme nul autre domaine à quel point les croyances sont manipulées par les leaders politiques et servent d'instruments politiques destinés à obtenir réparation pour les injustices, humiliations et trahisons du passé.
Ce sentiment d'avoir été traité injustement et de ne pas être reconnu a émergé durant les discussions qui ont entouré l'Accord du lac Meech et au cours desquelles le gouvernement du Québec avait demandé, entre autres choses, que le Québec soit reconnu comme une « société distincte » dans la constitution canadienne, en considération de ses caractéristiques propres. Ces éléments réfèrent à sa culture politique, sa tradition de droit civil, sa culture économique et sa langue française. Celles-ci furent d'ailleurs plus étroitement définies plus tard dans l'Accord de Charlottetown : une majorité d'expression française, une culture unique et une tradition de droit civil. Une telle reconnaissance était devenue inévitable à la suite du rapatriement de la Constitution en 1982, de l'enchâssement de la Charte des droits et libertés et de l'enchâssement d'une formule d'amendement qui permettait un grand nombre de modifications à la loi constitutionnelle, dont notamment celles reliées à la division des pouvoirs, avec le seul consentement de sept provinces sur dix, pour peu qu'elles constituent plus de 50 p. 100 de la population canadienne. C'est donc dire que le Québec n'obtenait pas un droit de veto sur des questions centrales qui pourtant le touchaient et se voyait imposer le statut de province semblable à toutes les autres. Aucun de ces éléments de la Loi constitutionnelle de 1982 n'avait reçu [60] l'assentiment de l'Assemblée nationale du Québec. En fait, tant le Parti québécois (militant en faveur de la souveraineté du Québec) que le Parti libéral du Québec (cherchant une modification en profondeur du mode de fonctionnement du fédéralisme canadien) ont presque unanimement condamné cette décision.
Un bon nombre de Québécois éprouvent un profond sentiment de trahison et aucune solution satisfaisante susceptible d'atténuer leurs frustrations ne s'est à ce jour concrétisée. La question nationale constitue toujours un vecteur de crise politique au Canada. Au-delà de la gestion des relations fédérales-provinciales, qui sont d'ailleurs sources de tensions depuis toujours (Simeon et Robinson, 1990), la problématique identitaire ne peut être évacuée du dilemme dans lequel se trouve le Canada. À cet égard, J. Berger rappelle que « [l]es mouvements indépendantistes expriment toujours des revendications économiques et territoriales, mais leur première réclamation est d'ordre spirituel. [...] Tous les nationalismes sont au fond préoccupés par les noms, l'invention la plus immatérielle et la plus originale de l'être humain. C'est pour cela qu'ils [les peuples de la périphérie] insistent pour que leur identité soit reconnue et insistent sur leur pérennité leurs liens avec leurs morts et leurs enfants à venir [15]. » En effet, alors que les Québécois avaient compris que l’arrangement fédéral devait être compris comme un pacte entre deux « nations », le reste du Canada évoluait dans une direction différente, se montrant peu enclin à subordonner le patriotisme canadien universaliste à un nationalisme québécois particulariste. L'échec, sinon le rejet définitif de la vision dualiste, a mis fin aux espoirs de reconnaissance de la nation québécoise par le reste du Canada et des implications politiques qui en découleraient. Dans ce contexte, les voies d'avenir sont peu nombreuses : ou les Québécois acceptent le statut qui leur est imposé de l'extérieur par le reste du Canada, ou ils cherchent à se constituer en État-nation, ou ils revendiquent encore une reconnaissance formelle et explicite au sein d'un fédéralisme canadien davantage ouvert et respectueux à l'endroit de la diversité.
La reconnaissance présume la continuité, un argument souventes fois répété dans les études récentes du nationalisme (Anderson, 1983 ; Taylor, 1992b ; Dumont, 1995). Par exemple, Yael Tamir affirme que « [l]e nationalisme est une théorie de la prééminence de l'appartenance nationale-culturelle et de la continuité historique, et une théorie de l'importance de percevoir sa vie présente et son développement futur comme une expérience à partager avec autrui » (Tamir, 1993 : 79). L'idée de continuité historique est au centre de l'existence du nationalisme. En ce sens, le nationalisme peut être abordé aussi bien en tant que processus social de mobilisation qu'en tant qu'expression moderne de l'identité légitimant des revendications politiques non satisfaites par les groupes dominants.
Pour un État multinational
Avec l'avènement de la modernité, les concepts de nation et de nationalisme n'ont pas perdu leur pertinence. En fait, on a employé le mot « nation » pour appuyer la revendication du statut de nation et pour défendre la légitimité de [61] communautés nationales existantes ou « imaginées » (Brubaker, 1992 ; Noirel, 1991).
Lord Acton a apporté une contribution significative à l'avancement d'une théorie moderne du multinationalisme dans son étude fondamentale de la « nationalité ». Après avoir mis en juxtaposition les valeurs inhérentes à une théorie de l'unité et à une théorie de la liberté, Lord Acton conclut que celle-là conduit au despotisme et à la révolution, alors que celle-ci aboutit à l'autogouvernement. Il affirme ensuite que « la présence de nations différentes dans une même souveraineté [...] permet de se garantir contre l'asservissement qui se développe à l'enseigne d'une autorité unique, en équilibrant les intérêts, en multipliant les associations, et en donnant au sujet la retenue et l'appui d'une opinion conjointe. [...] La liberté entraîne la diversité, et la diversité protège la liberté en fournissant les moyens de l'organiser. » (Acton, 1949 : 185) L'influence de Lord Acton sur l'ancien premier ministre Pierre Trudeau, importante au début, s'est estompée avec les années. Même si Lord Acton a dénoncé le nationalisme étroit et l'homogénéité nationale, les États multinationaux lui semblaient cependant la meilleure garantie de liberté. Pour Acton, « un État qui s'affaire à neutraliser, à absorber ou à expulser [les peuples et nationalités différentes] détruit sa propre vitalité ; il manque à un État qui ne les inclut pas la base principale de l'autogouvernement » (Acton, 1949 :193).
Pierre Elliott Trudeau n'aurait pu mieux comprendre et davantage se rapprocher de la position philosophique de Lord Acton que lorsqu'il soutenait qu'il fallait dissocier les concepts d'État et de nation, et faire du Canada une société véritablement pluraliste et multinationale. Cet objectif fut néanmoins mis de côté lorsqu'il prit les rênes de l'État canadien. Il préféra plutôt maintenir et entretenir la confusion qu'il avait auparavant jugée improductive en dépit du fait qu'il avait déjà compris qu'au Canada, « il y a deux groupes ethniques et linguistiques principaux ; chacun est fort, trop bien enraciné dans son passé et trop bien soutenu par sa culture pour arriver à écarter l'autre » (Trudeau, 1962 : 53). Cela n'eut que peu d'influence, en revanche, sur la façon dont il a tenté de régler l'interminable crise constitutionnelle canadienne en cherchant à imposer un nouveau nationalisme aux antipodes de la reconnaissance du principe de diversité (Gagnon et Rocher, 1992 ; McRoberts, 1997).
Au cours des vingt dernières années, on a commencé à employer de plus en plus à Ottawa (la capitale fédérale) des expressions comme « projet national canadien », « réseau national de radio-télévision », « communauté nationale », « partis politiques nationaux », « unité nationale », « gouvernement national » ou « intérêt national ». Certains ne voient laque la traduction française du terme national (comme dans national interest ou national community) qui réfère de manière indifférenciée au pays et aux individus qui le constituent. Mais on peut y voir plus qu'une dérive sémantique. Cette façon de concevoir la réalité culturelle, sociale et politique laisse entendre que toute vision véritablement fédérale du pays est destinée à l'érosion et que l'expression d'une diversité culturelle profonde est découragée.
Le fait que les concepts d'État et de nation soient utilisés différemment par les Québécois et les Canadiens anglais dénote des divergences profondes entre eux, divergences entretenues par des projets et programmes politiques [62] distincts. Ainsi, les idéologues et politiciens québécois tendent à qualifier leur propre communauté politique de nation, alors que leurs vis-à-vis canadiens-anglais demeurent sourds à tout désir de reconnaissance des entités multinationales du Canada qui réclament un rôle plus important d'un État canadien agissant au nom d'une nation canadienne unique, indivisible et créée de toute pièce [16]. Dommage que Lord Acton n'ait pas mieux été entendu lorsqu'il disait que « [l]e plus grand adversaire des droits de la nationalité est la théorie moderne de la nationalité. En assimilant État et nation, elle réduit à la portion congrue toutes les autres nationalités existant à l'intérieur des mêmes frontières. Cette théorie ne peut admettre qu'elles soient égales à la nation dominante parce que l'État cesserait alors d'être national. » (Acton, 1949 : 192-193)
L'idée de l'établissement d'un État multinational au Canada a commencé à faire son chemin. Récemment, le politologue canadien Philip Resnick en arrivait à la conclusion selon laquelle « plus nous serons prêts à épouser la diversité sociologique dans notre compréhension de la nationalité, plus nous serons susceptibles de faire des progrès dans la résolution des conflits engendrés par les différences nationales ». L'argument principal de Resnick se résume ainsi : « tant que nous présumerons qu'il y a une nation canadienne unique, créée en 1867 et dont Québécois et Autochtones font partie intégrante, il y aura relativement peu de place à la discussion » (1994 : 7 ; voir aussi Meisel, 1995 : 341-346). Un tel revirement de situation contribuerait certainement à accommoder [17] les Québécois et les nations autochtones au sein de la structure fédérale canadienne et pourrait constituer un modèle de pluralisme culturel susceptible d'être imité par d'autres sociétés profondément diversifiées à travers le monde. On peut bien sûr s'interroger sur les modalités politiques particulières qui nous permettraient d'atteindre un tel objectif. Il y a bien sûr le contentieux constitutionnel qu'il faudra bien régler un jour et qui comprend notamment la reconnaissance formelle du caractère distinct du Québec et l'octroi d'un droit de veto pour ce qui est des modifications futures. Il s'agit pourtant moins de modifier les institutions politiques qui nous gouvernent que de changer l'état d'esprit de ceux qui se présentent comme les défenseurs du fédéralisme canadien en les incitant à réfléchir et à remettre en question leur approche unitaire qui informe leur action. Dans un tel contexte, les discussions entourant des thèmes comme l'asymétrie, la reconnaissance du caractère distinct du Québec, qui ne soit pas que symbolique mais qui produirait des conséquences politiques concrètes, et la reconnaissance du droit inhérent des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale, prendraient une direction nouvelle.
Actuellement, bon nombre d'intellectuels québécois et, jusqu'à un certain point, le gouvernement du Québec voir notamment son avant-projet de loi sur la souveraineté (Québec, 1994 ; Turp, 1995 ; Québec, 1995) proposent une idée de la nation politique fondée sur le pluralisme culturel et le nationalisme libéral comme solution à l'impasse actuelle (Groupe de réflexion sur les institutions et la citoyenneté, 1994 ; Gagnon et Laforest, 1993 ; Lenihan et al., 1994). En ce sens, ils prennent leur distance par rapport à un discours fondé sur le ressentiment à l'endroit de tout ce qui pourrait être étrange au noyau principal de la communauté d'appartenance. Cela étant dit, il faut néanmoins [63] reconnaître que le discours nationaliste est d'abord véhiculé par des francophones québécois et ne trouve qu'un écho très marginal au sein de la communauté anglophone, dont les principaux porte-parole ne cessent de décrier ses fondements ethno-linguistes pour mieux les dénoncer et s'y opposer [18]. Pour lever cette ambiguïté, il importe de distinguer le nationalisme véhiculé par les Québécois, qu'on ne peut dissocier de ses fondements ethnoculturel s (qui se résumaient il n'y a pas si longtemps au fait des Canadiens français catholiques), du projet national que ces derniers mettent de l'avant. En ce sens, s'il est vrai de dire que ce nationalisme véhicule des préoccupations liées à la survie et à l'épanouissement de la langue française, il n'est pas que culturel et linguistique. Le nationalisme met aussi de l'avant un projet qui interpelle tous les Québécois, quels que soient leur langue et leur origine ethnique. Il renvoie à un sens d'appartenance, à la constitution d'une communauté politique qui dépasse les intérêts immédiats des seuls francophones, ou en d'autres termes, à l'insertion dans une histoire particulière forcément marquée par la présence d'un groupe linguistique et culturel bien défini. Le projet national moderne est pluraliste en ce qu'il cherche à constituer une société québécoise qui reconnaîtrait les différences et les divergences reliées à l'ethnicité, aux régionalismes et aux classes sociales. C'est pour cette raison que le nationalisme n'est pas uniquement alimenté par des questions relatives au statut du français. Cette idée rejette les modèles fondés sur l'ethnicité et s'appuie sur une vision inclusive, séculière et multipolaire de la nation dans laquelle toutes les communautés minoritaires et nationales (en ce qui concerne plus spécifiquement les Autochtones) sont invitées à construire l'État naissant et à converger dans l'établissement du français comme langue de la culture politique commune et comme fondement d'une identité communautaire.
Les traits dominants du projet nationaliste québécois s'articulent d'abord autour des exigences et obligations civiques plutôt qu'autour des aspirations ethniques [19]. Une telle interprétation est compatible avec celle de Craig Calhoun, pour qui « le nationalisme n'est pas simplement une revendication de similitude ethnique, mais plutôt une revendication selon laquelle certaines similitudes devraient constituer la façon dont se définit la communauté politique. Voilà pourquoi le nationalisme a besoin de frontières, au contraire de l'ethnicité prémoderne » (Calhoun, 1993 : 229). Il en découle l'importance d'une définition de la nation qui s'appuie sur les principes de l'inclusion et de la pratique de la démocratie libérale.
Conclusion
Il est temps, dans les pays occidentaux développés, de dissocier les concepts de nation (communautés/identités politiques) et de citoyenneté. Comme nous le rappelle Philip Resnick, il y a intersection, mais pas identité absolue, entre l'État politique et les communautés/identités nationales (1994 : 6). C'est pourquoi un régime fédéral, qui se veut autre chose qu'un État unitaire décentralisé, doit accepter que la citoyenneté soit fonctionnelle et que les aménagements politiques puissent différer au sein de ses différentes composantes nationales sans pour autant se sentir menacé dans son intégrité. Mais c'est le défaut de reconnaître des communautés politiques en tant que [64] « nations » qui entraîne des conflits politiques et conduit celles-ci à rechercher et assurer leur statut d'État-nation. La modernité demande la diversité culturelle et invite les acteurs politiques et sociaux à encourager le respect de l'hétérogénéité au sein même des États, non seulement d'un État à l'autre. Ainsi, John Breuilly développe un argument important lorsqu'il affirme que :
- le nationalisme a peu à voir avec l'existence ou la non-existence d'une nation [...]. Sous l'empire des Habsbourg ou sous l'Empire britannique, il y avait des circonstances qui faisaient que le nationalisme était la forme la plus appropriée que pouvait prendre l'opposition politique. Les élites et les groupes sociaux à qui l'on niait leurs droits politiques éprouvaient le besoin de s'approprier le pouvoir étatique, et l'idéologie nationaliste ne semblait pas seulement promouvoir une opposition efficace, mais aussi refléter la nature même du conflit, en s'appuyant sur certaines caractéristiques culturelles ou traditions institutionnelles. (1994 : 397)
Les expressions récentes du nationalisme québécois ne pourraient pas constituer un meilleur exemple d'un tel déni, à la suite de l'imposition en 1982 d'un ordre constitutionnel canadien sans l'accord du peuple québécois ou de l'Assemblée nationale du Québec. La plupart des porte-parole canadiens-anglais ne voient pas la nécessité de rétablir la continuité et ne reconnaissent généralement même pas le besoin de maintenir un dialogue entre le passé et le présent ni de faire accepter aux Québécois l'État canadien qui émerge actuellement. Les Canadiens anglais estiment que cet effort n'engendrerait que de nouvelles confrontations politiques et réactiverait des points de discorde déjà résolus en leur faveur [20]. Plutôt que de faire face à la réalité, les leaders canadiens-anglais préfèrent maintenir le cap et ignorer que cela pourrait conduire à la sécession du Québec, ou demeurer insensibles à cette possibilité.
Le fait que le Québec existait avant l'établissement de l'État territorial connu sous le nom de Canada légitime les revendications politiques québécoises dans la sphère publique et justifie moralement la sécession [21]. En un mot, c'est parce que les institutions dominantes du Canada ne reflètent pas la divergence qui existe dans les revendications de nature culturelle, historique et politique que nous nous retrouvons aujourd'hui à nouveau dans une impasse.
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* Nous tenons à remercier les évaluateurs désignés par la Revue pour leurs commentaires d'une version antérieure du présent article. Les auteurs ont écrit cet article dans le cadre des travaux du Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales financé par le Fonds FCAR (ER-2523).
[1] Pour un point de vue similaire, voir Tully (1994) et, pour une analyse plus poussée des politiques publiques durant les années Trudeau et Mulroney, voir Forbes (1993). Pour une évaluation générale des pratiques fédérales, voir Gjidara (1991).
[2] Sur le Japon, voir White et al. (1990).
[3] Le cas de l'intégration des régions périphériques de la Grande-Bretagne dans le marché britannique vaut la peine d'être mentionné puisque c'est ce phénomène qui a conduit à la mobilisation politique au pays de Galles et en Ecosse, voir Hechter (1975) ; Nairn (1977). Nairn avance que le nationalisme doit être conceptualisé en tant que variable indépendante capable de « faire sortir l'État de ses charnières » (89).
[4] Seton-Waton définit le concept d'État comme : « une organisation juridique et politique ayant le pouvoir d'exiger obéissance et loyauté de la part de ses citoyens » alors que le terme « nation » est utilisé pour désigner « une communauté de gens dont les membres sont unis par un sentiment de solidarité, une culture commune, une conscience nationale » (1977 : 1).
[5] Voir une discussion de la contribution de Meinecke dans Alters (1989 : 14-15).
[6] Pour une contribution importante sur le nationalisme en tant que phénomène moderne, voir Rupnick (1995).
[7] Pour Taylor, la diversité de premier niveau implique la reconnaissance d'un Canada composé de plusieurs cultures qui adhèrent à la fédération canadienne de manière similaire, alors que la diversité de second niveau, ou diversité profonde, fait référence aux façons différentes d'appartenir ou de s'identifier à un pays (Taylor, 1993 : 94-95 ; 1992a : 211-214).
[8] Pour une application au cas de la minorité arabe en Israël, voir Sa'di (1995) et pour une application au cas canadien, voir Webber (1993).
[9] L'analyse de Taylor diffère en partie de celle de Kymlicka (1989) qui ne donne aucune justification correspondante pour la promotion des communautés culturelles. Taylor soutient que l'approche de Kymlicka contribue à venir en aide à celles-ci, mais que la tendance à demeurer fidèle à l'illusion de la neutralité libérale pourrait leur être fatale à long terme. Voir les chapitres 5 et 6 de D. Lenihan, G. Robertson et R. Tassé (1994).
[10] Contestant l'argument avancé par, entre autres, Michael Ignatieff et William Pfaff, selon lequel le nationalisme ethnique conduit au conflit nationaliste, Kymlicka soutient que « le conflit nationaliste est souvent causé par des tentatives d'incorporer par la force des minorités nationales » (Kymlicka, 1995 : 132). Exposé à la situation canadienne, Kymlicka est bien placé pour avancer cet argument.
[11] Voir par exemple l'étude de Sunstein (1993) dans laquelle il soutient que la pratique du droit n'est ni neutre ni naturelle, mais qu'elle est en fait chargée de valeurs. Son étude de plusieurs politiques publiques, dont la discrimination positive, la pornographie, la discrimination fondée sur le sexe et les subventions gouvernementales, nous force à revoir certaines idées reçues et nous invite à considérer la politique constitutionnelle comme un formidable exercice de démocratie de délibération.
[12] Tully avance aussi que cet impérialisme constitutionnel s'appuie sur la tromperie d'arrangements politiques antérieurs et est maintenu par la menace de la force, ce qui conduira inévitablement à davantage de confrontation et de désunion (1995b : 20).
[13] L'auteur traite dans cet article de la célèbre distinction faite par Albert Hirschman entre la sortie, la voix et la loyauté. En deux mots, lorsqu'une communauté politique a une voix, elle est moins encline à sortir d'un système politique.
[14] André Burelle, ancien haut fonctionnaire au Bureau des relations fédérales-provinciales, en est arrivé à cette conclusion après avoir travaillé pour le système fédéral canadien et l'avoir appuyé (1995a et 1995b).
[15] J. Berger, tel qu'il est cité dans Teich et Porter (1993 : xx).
[16] Pour une analyse des nationalismes au Canada, voir Jenson (1994) et Burgess (1995).
[17] Pour une contribution originale sur la notion d'accommodement et son utilité dans les sociétés fédérées, voir Latouche (1995).
[18] Un exemple éloquent de ce phénomène se trouve dans les propos de William Johnson selon qui « l’objectif du nationalisme québécois actuel est, tout comme ce fut le cas dans les années soixante, la création d'un État ethnique au Québec » (1994 : 389).
[19] Plusieurs leaders autochtones, dont Mary Ellen Turpel, Ovide Mercredi et Matthew Coon-Come, soutiennent que le Québec ne peut exercer son droit à l'autodétermination parce qu' il ne constitue pas un peuple. Pour exercer un tel droit, disent-ils, le Québec devrait mettre en œuvre une politique raciste et présenter des revendications nationalistes exclusives. Pour une interprétation similaire de ce point de vue autochtone, voir Whitaker (1995), pour qui : « [c]e qui est important et qu'on oublie dans cette objection légaliste est le fait que l'affirmation par le Québec d'un droit à l'autodétermination nationale a été formulée en termes démocratiques, libéraux et inclusifs. Avec des garanties de protection des droits des minorités, la volonté de la majorité sur le territoire actuel du Québec, exprimée démocratiquement par référendum, de faire la souveraineté est légitime. » (212)
[20] Cela rappelle une citation fort intéressante de Petr Pithart : « L'a-nationalisme de la nation dominante (par opposition au nationalisme de la nation dominée) peut ne pas être toujours aussi innocent et impuissant qu'il n'aime à le croire ou à le faire croire, et cela parce qu'il peut laisser les autres agir à sa place, ceux qui, plus faibles, se sentent obligés de pratiquer l'auto-défense. L'a-nationalisme tchèque qui, se sentant supérieur, fustige la ferveur nationale slovaque, est loin d'être une attitude désintéressée. Il s'agirait plutôt d'une mutation temporaire du nationalisme, autrement dit d'un nationalisme implicite propre à la nation dominante. » (1993 : 209)
[21] Le philosophe politique James Tully dénonce la situation actuelle au Canada lorsqu'il souligne que « le constitutionnalisme impérial, fondé sur la tromperie des années 80 et sur les menaces de recours à la force des années 90, est la cause principale de la désunion du Canada. Les paroles et gestes choquants des fédéralistes du "put up or shut up" ont donné aux sécessionnistes leurs principales justifications [...]. Les Québécois n'ont aucun intérêt à demeurer dans une fédération unie par la tromperie et la force. » (1995b : 20)
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