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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Montréal: Le Devoir - 11 juillet 2002.

L'Action démocratique du Québec.
- Un tiers parti en quête de pouvoir. - L'ADQ, sans égard à son orientation socioéconomique, capitalise sur le retour de l'idéologie du changement dans le paysage politique”

par Olivier de Champlain [Étudiant à la maîtrise à l'École des hautes études commerciales] 

Alain-G. Gagnon [Professeur titulaire au département de science politique de l'université McGill et actuellement chercheur principal invité à l'Institut de recherche en politique publique] 

Luc Turgeon [Candidat au doctorat en science politique à l'université de Toronto ]

[Autorisation accordée par le professeur Alain G. Gagnon le 17 mars 2006 de diffuser toutes ses publications.]
Courriel: [email protected]


Les analystes de la scène politique québécoise ont rivalisé d'audace au cours des dernières semaines pour décrire la montée en popularité de l'Action démocratique. Reprenant certains des clichés les plus éculés de l'histoire contemporaine québécoise, on a parlé d'une nouvelle révolution tranquille, d'une ère nouvelle où rien ne sera plus jamais pareil au pays du Québec, voire de l'apparition d'un discours politique inédit sur la scène politique québécoise. 

D'autres analystes sont même allés jusqu'à inscrire la pensée politique et sociale du chef adéquiste dans la riche tradition humaniste québécoise et de ses principaux représentants tels Fernand Dumont, André Laurendeau, Pierre Vadeboncoeur et Jacques Grand'Maison. On est en mesure de douter de la pertinence d'une telle comparaison lorsqu'on constate que l'ADQ propose la mise en place de politiques publiques qui vont fréquemment à l'encontre des réformes que proposent ces grands intellectuels dans leurs écrits. 

Avant l'éminent «grand soir» où le Québec se débarrassera des «vieux partis», les analystes de la société québécoise auraient intérêt à délaisser l'hyperbole. En effet, après tout, il y a actuellement au Québec un phénomène important à disséquer et à mettre en contexte : la montée en popularité d'un tiers parti qui remet en question non seulement le «modèle québécois» de gouvernement et de développement économique mais plus profondément la culture et le discours politique de la période qui a suivi la Révolution tranquille. 

Retour vers le futur ? 

Les défaites du Parti québécois surprennent par leur ampleur dans trois des quatre comtés où des élections partielles se sont tenues en juin dernier. Les pertes par rapport aux élections générales de 1998 se situent dans une fourchette de 24 à 29 % selon les circonscriptions, et même dans le comté de Lac-Saint-Jean, le recul est tout aussi important, se situant à 28 %. Ces résultats surprennent d'autant plus en regard du bilan économique impressionnant du gouvernement. Certes, il y a eu des ratés à Emploi Québec, mais il y a eu d'excellents résultats au chapitre de la création d'emplois dans les secteurs de pointe, une meilleure insertion dans l'économie continentalisée et l'atteinte et le maintien du déficit zéro. 

Quant à elle, la faiblesse du Parti libéral du Québec dans ces comtés à majorité francophone est déstabilisante pour son chef, Jean Charest, et ses lieutenants, qui ont sillonné la province dans tous les sens, rencontré à peu près tous les édiles municipaux, pris le pouls de la population sur des sujets aussi divers que les fusions municipales, la santé, l'éducation et les transports. Qu'à cela ne tienne, l'électorat francophone, et probablement même allophone dans le comté de Vimont, lui a fait la gueule. Les pertes du parti par rapport aux élections provinciales de 1998 sont moins substantielles que pour le PQ mais demeurent inquiétantes puisqu'elles confirment que son déclin se confirme auprès de cet électorat (les pertes fluctuant entre 2 et 10 % selon les comtés). 

Comment expliquer la montée dans les sondages du parti personnalisé par Mario Dumont ? Dans le registre de la psychologie populaire, certains ont affirmé que toutes les mères du Québec auraient souhaité l'avoir pour gendre. On a dit qu'il apportait avec lui un courant d'air frais et qu'il semblait vraiment à l'écoute des citoyens. D'autres ont rapporté que le chef de l'ADQ avait eu l'audace de proposer la fin des escarmouches fédérales-provinciales avec sa proposition de moratoire sur la question constitutionnelle (tout en expliquant le déclin du Parti libéral par son manque de véritable option constitutionnelle !). D'autres en ont fait le porte-étendard de la jeunesse québécoise, bien que ce parti tire profit d'un appui important des baby-boomers que l'on associe habituellement au Parti québécois, et ce, même si ce dernier récolte le plus d'appuis auprès des 18-30 ans. 

Les explications que l'on donne à l'heure actuelle au sujet de la montée de l'ADQ et de ses répercussions potentielles, bien qu'elles ne soient pas à rejeter totalement, gagneraient à s'enrichir d'une perspective historique. En effet, paradoxalement, ce n'est pas une ère nouvelle qu'il s'agit d'expliquer mais un retour en arrière, qui ramène le Québec à un style politique, à une configuration de l'échiquier sociopolitique qui ont beaucoup en commun avec le Québec des années 50. 

Soyons clairs : il ne s'agit pas d'affirmer que Mario Dumont est un nouveau Maurice Duplessis ou que l'ADQ est un clone contemporain de l'Union nationale mais plutôt que ces deux formations politiques auront à des époques différentes su séduire un électorat au demeurant similaire. 

Le programme de l'ADQ, comme celui de l'Union nationale, a un parti pris pour les régions plutôt que pour la métropole (le programme de l'ADQ est pratiquement muet au sujet du développement de Montréal), pour les intérêts des entrepreneurs locaux plutôt que pour les moins nantis, pour la famille comme centre de la vie collective plutôt que pour les groupes d'intérêts socioéconomiques, pour l'initiative individuelle plutôt que pour la solidarité. Au chapitre du discours, l'ADQ ne propose pas tant une nouvelle révolution tranquille qu'une contre-révolution tranquille renouant avec un certain populisme québécois, représenté entre autres dans les années 60 par le Crédit social. Ce parti s'était démarqué en se faisant le défenseur d'une prétendue majorité silencieuse -- aujourd'hui, il s'agit pour l'ADQ de se faire le défenseur de la classe moyenne -- pour dénoncer les groupes particuliers. 

L'expérience ontarienne sous Mike Harris nous apprend cependant que gouverner en fonction de la majorité silencieuse, au nom du «sens commun», est susceptible de provoquer des conflits importants lorsqu'on stigmatise des groupes particuliers, qu'il s'agisse des fonctionnaires, des moins nantis ou des travailleurs syndiqués. 

Les porte-parole de l'ADQ, au nom de la transparence dont ils disent se faire les champions, se doivent d'être explicites à propos de la façon dont le parti entend éviter la polarisation qui a marqué les réformes de l'État en Ontario et actuellement en Colombie-Britannique. 

La force de l'idéologie du changement et le mirage du centre politique 

Les causes du retour à ce discours politique sont complexes. L'ADQ, comme l'Union nationale pour la plus grande partie des années 50, profite paradoxalement d'une conjoncture socioéconomique avantageuse où les citoyens de la classe moyenne sont moins préoccupés par la perte potentielle de leurs emplois et, par conséquent, par la question sociale. Dans cette perspective, un discours insistant sur la baisse des impôts et le désengagement de l'État peut paraître séduisant aux yeux d'une portion significative de l'électorat. 

Si les Québécois ne sont pas nés sociaux-démocrates, il ne sont pas non plus devenus néoconservateurs du jour au lendemain. La plupart des électeurs ne sont pas informés du programme de l'ADQ et, comme l'ont affirmé bon nombre de commentateurs de l'actualité québécoise, ils voient dans la popularité soudaine de l'ADQ un cri de révolte de la classe moyenne. Pourquoi l'ADQ bénéficierait-elle de cet engouement subi ? Après tout, le Parti libéral du Québec propose entre autres, depuis quelques années déjà, un allégement significatif du fardeau fiscal des contribuables. 

Dans la montée de l'ADQ, il y a en fait, malgré la différence des projets, un parallèle direct à établir avec les premières années qui ont suivi la Révolution tranquille. Écrivant dans la foulée des réformes du gouvernement Lesage, le regretté sociologue Marcel Rioux parlait de l'engouement des Québécois de l'époque pour ce qu'il appelait l'idéologie du changement. Fatigués d'être gouvernés par un parti et des personnes qui avaient été au pouvoir pendant plus de 15 ans, ils avaient rejeté le passé pour embrasser les promesses d'un renouveau collectif. 

L'ADQ, sans égard à son orientation socioéconomique, capitalise sur ce retour de cette idéologie du changement dans le paysage politique. Vite, de nouveaux acteurs, et ce, peu importe leurs qualifications, peu importe si le projet qu'ils portent détonne avec le paysage politique. 

Dans ce contexte, l'ADQ profite également d'une erreur majeure de stratégie du Parti québécois et du Parti libéral, stratégie que l'on pourrait qualifier de mirage du centre politique. Ces deux partis qui ont longtemps ignoré l'ADQ ont cru que la meilleure façon de conserver le pouvoir ou encore d'y accéder était de se situer résolument au centre de l'échiquier politique (qu'il soit légèrement à gauche ou à droite) et de tabler sur la crainte des électeurs en ce qui a trait aux changements brusques. 

Le Parti québécois, en voulant plaire à tous, en tentant d'éviter d'être trop souverainiste ou encore trop à gauche, s'est à la fois coupé de sa base électorale et rapproché, aux yeux de nombreux électeurs, des politiques proposées par le Parti libéral. Ce dernier, malgré son bon score lors des élections de 1998, a atténué le caractère plus polémique de son discours, en particulier par rapport à la transformation de l'État-providence. Ce faisant, il ne peut se présenter, pour un certain électorat plus conservateur, comme une véritable solution de rechange au parti gouvernemental. 

Il n'est pas sans intérêt de rappeler les difficultés connues par le Parti progressiste-conservateur sur la scène fédérale. En effet, celui-ci, après avoir obtenu deux mandats majoritaires en 1984 et en 1988, a été pour l'essentiel balayé de la carte électorale. Une fois venu le moment des élections générales de 1993, les Canadiens ont exprimé leur insatisfaction et les militants, quant à eux, ont tourné le dos au PCC, ne se reconnaissant plus dans ce parti qui, en moins d'une décennie, était devenu «un deuxième Parti libéral». Les stratèges du parti ne s'attendaient pas à perdre cette base partisane; or les militants devenus orphelins d'un parti qu'ils avaient contribué à construire de longue date ont simplement quitté le bateau pour jeter leur dévolu sur des partis régionaux. 

Plus que jamais donc, surtout si la question existentielle québécoise ne se pose plus dans les mêmes termes qu'en 1976, il importe pour les Québécois qu'ils se fassent proposer des choix marqués entre les programmes de parti plutôt que de se satisfaire d'emballage différents. Opter pour le centre, ce serait conduire les Québécois dans une impasse politique tout en limitant leurs choix de citoyens. 

Il importe également de faire oeuvre de prudence dans la valorisation de l'idéologie du changement. Fernand Dumont rappelait à quel point l'obsession du changement qu'avait entraînée la Révolution tranquille avait en partie coupé les Québécois de leur passé et mené à certaines réformes sans doute nécessaires mais parfois animées d'un radicalisme qui créait des innovations aux effets malencontreux (on pense entre autres à certains dérapages dans la réforme de l'éducation). 

Au cours des 40 dernières années, les Québécois, malgré certains problèmes avec lesquels toutes les sociétés occidentales sont aux prises, ont construit un système de protection sociale qui fait l'envie de bon nombre de citoyens du reste du Canada et du monde occidental. Il y a là un héritage séculier et progressiste qui peut sans doute être repensé ou encore réaménagé en fonction de nouvelles circonstances socioéconomiques mais qui ne mérite certainement pas d'être balayé simplement pour essayer de «nouvelles façons de faire» qui, dans d'autres provinces ou d'autres États, ont eu des conséquences dévastatrices sur le tissu social.

Retour au texte de l'auteure: Diane Lamoureux, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 18 mars 2006 7:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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