Avant-propos
Dès que je pris connaissance du Livre beige du Parti libéral du Québec intitulé Une nouvelle fédération canadienne, je crois maintenant avoir su immédiatement que je dirais « oui » lors du référendum. Il me fallut toutefois un certain temps avant de me l'admettre ouvertement à moi-même. Quand je me mis à chercher dans mes écrits et mes souvenirs dans le but de découvrir le fil rouge qui me permettrait de me retrouver, j'avoue que je cherchais les arguments susceptibles de contredire mon premier mouvement de déception plutôt que de le confirmer.
En outre, quand je m'attaquai à l'analyse du Livre beige je pensais bien que, comme à l'accoutumée, mon rôle s'arrêterait avec la critique du document. Ce sont les réactions très vives à mes commentaires parmi le public et parmi les hommes politiques qui me firent prendre conscience que, cette fois-ci, je ne pouvais m'arrêter là et que mon engagement personnel devait aller jusqu'à faire connaître publiquement mon choix.
Je sais bien que le chef du Parti libéral du Québec souhaiterait que d'ici au lendemain du référendum le Livre beige soit enterré. Lors du colloque sur « Le choix », organisé par des étudiants en sciences sociales de l'Université Laval au début de mars, on a pu constater jusqu'à quel point Claude Ryan se refusait à confronter l'option constitutionnelle de son parti avec celle du Parti québécois. Les Québécois ne sont pas tenus d'accepter sa stratégie référendaire et, heureusement, en très grand nombre ils s'y refusent et continuent de comparer les deux orientations constitutionnelles, de les placer dans la balance afin de les aider à faire leur choix final.
C'est pour être en accord avec moi-même que je me suis résolu à rédiger sous le titre « Le choix » un essai qui termine cet ouvrage et dans lequel je suis fidèlement le cours de ma démarche intérieure et je m'oblige à dire tout haut ce que je ne peux en conscience conserver pour moi-même.
Le cheminement que je viens d'accomplir fut pour moi beaucoup plus pénible que je ne l'avais escompté au départ. Il me fit, en effet, me rendre compte jusqu'à quel point, dans le déroulement du processus référendaire et plus encore dans l'impulsion qu'il importe aujourd'hui de donner à tout le processus de changement constitutionnel et politique, je n'avais pas confiance aux partis politiques, eux qui pourtant monopolisent virtuellement tout le débat en cours.
J'ai cru que de nombreux Québécois, quelle que soit par ailleurs leur propre orientation, pourraient tirer un certain profit en prenant conscience du fruit de mes réflexions sur l'enjeu du référendum et, au-delà de celui-ci, sur l'avenir politique du Québec et du Canada. Qu'on soit fédéraliste ou souverainiste, membre ou sympathisant d'un parti ou indépendant, il est peut-être utile de se voir confronter avec une perspective de l'enjeu qui ne s'inspire pas de la ligne des partis et de leurs stratégies.
Contrairement aux orientations aujourd'hui prédominantes, ce ne sont pas vers les échafaudages constitutionnels ni vers le choix d'un régime politique particulier que vont d'abord mes préoccupations. Il est légitime d'être fédéraliste ou souverainiste. Mais tous devraient bien voir que c'est en fonction d'un projet concret de société pour le Québec et pour le Canada que la révision constitutionnelle doit être envisagée et non pas l'inverse, comme les protagonistes partisans paraissent souvent le croire.
Certes, c'est bien légitimement que les partis s'impliquent dans le débat référendaire et qu'ils font de la propagande en faveur de leurs propres orientations constitutionnelles. Ce qui est anormal, c'est qu'ils aient investi tout le forum public et que la société - individus et collectivités particulières - paraît se satisfaire d'un rôle de spectateur ou tout au plus d'arbitre.
Par-delà les partis politiques et leurs stratégies, je m'adresse ici directement aux Québécois en tant que citoyens et membres de l'un ou de l'autre des regroupements particuliers qui constituent l'ossature de la société. Certes, c'est à eux qu'il revient de choisir. Ils doivent le faire non pas aveuglément en fonction de sollicitations partisanes, mais entièrement pour eux-mêmes et pour le projet de société qu'ils estiment coïncider le mieux avec leurs aspirations et leurs besoins réels.
Les cadres actuels de la société québécoise, pour des raisons qui tiennent en bonne partie à l'évolution rapide au cours des deux dernières décennies, sont très fragiles et, sous une pression le moindrement plus forte qu'elle ne l'est aujourd'hui, ils risquent d'éclater. C'est là une raison supplémentaire pour les individus et les collectivités particulières de se reprendre en main et de ne pas céder aux appels des partis qui voudraient, dans la poursuite de leurs visées électoralistes et de leurs desseins politiques doctrinaires, les dresser les uns contre les autres. La grande majorité des Québécois s'est refusée jusqu'ici à entendre les appels passionnés de certains leaders politiques qui, érigeant en principes premiers et absolus leurs préférences constitutionnelles et politiques et leur conception de la liberté, sèment l'intolérance dans leurs propos et leurs actions. Mais s'ils ne prennent pas très bientôt pleinement conscience du caractère immoral de certaines pressions partisanes dont ils sont l'objet, il se pourrait bien que l'esprit d'intolérance finisse par triompher et que les Québécois, en devenant des frères ennemis, perdent complètement la capacité de faire un choix constitutionnel et politique accordant harmonieusement le coeur et la tête.
C'est dans le dessein de maintenir la concorde dans la passionnante recherche par les Québécois d'un avenir politique meilleur pour eux-mêmes et pour le Canada que j'ai rédigé l'essai qui termine le présent ouvrage et que j'ai rassemblé des textes écrits depuis deux ou trois ans sur la question politique et constitutionnelle. Ces textes sont tous le produit d'un même mouvement de pensée que l'essai prolonge et conduit à son terme logique. Mon objectif sera pleinement atteint si ceux qui lisent ce livre s'en trouvent plus rassurés quant à leur propre orientation, quelle qu'elle soit, de même que parfaitement pacifiés avec eux-mêmes, leur entourage et leur société d'appartenance.
Plusieurs des chapitres de cet ouvrage ont d'abord été publiés dans Le Devoir. Je m'en voudrais de ne pas remercier ce quotidien de même que son rédacteur en chef, Michel Roy, pour le statut si privilégié qu'ils continuent à me réserver à titre sans doute de collaborateur constant de ce grand et unique journal depuis plus de deux décennies .
L. D.
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