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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Léon Dion, Le duel constitutionnel Québec-Canada. (1995)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Léon Dion, Le duel constitutionnel Québec-Canada. Montréal: Les Éditions du Boréal, 1995, 378 pp. Une édition numérique réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean. [Autorisation accordée par Mme Denyse Dion, épouse de M. Léon Dion, le 30 mars 2005, de diffuser toutes les publications de son défun mari dans Les Classiques des sciences sociales.]


[7]

Avant-propos


Le titre du présent livre peut paraître incongru, erroné. Un duel, en effet, c'est un combat singulier, une lutte entre deux adversaires disposant de moyens offensifs et défensifs. Ici, de prime abord tout au moins, le débat constitutionnel oppose onze protagonistes – le gouvernement fédéral et les dix provinces –, parfois davantage.

Il s'agit bien d'un duel. D'un côté, c'est toujours un seul et même héros qui s'escrime : le Québec. De l'autre côté, le gouvernement fédéral est son principal opposant. Les autres – les provinces – lui souhaitent la victoire, lui prêtent main-forte à l'occasion, font des crocs-en-jambe à l'adversaire commun. Parfois, elles prennent la relève et, à plusieurs, le mettent en échec. Les protagonistes s'essoufflent, observent une trêve, reprennent les hostilités, se livrent à des mises en forme solitaires, s'élancent, reculent, feintent, gagnent ou perdent des batailles, mais la victoire, que de part et d'autre ils espèrent, leur a jusqu'ici échappé.

Ce livre rassemble quelques textes choisis parmi ceux qui, depuis le référendum de 1980, saisissent sur le vif les péripéties dont le second référendum, prévu en 1995, marquera un autre épisode [1].

Pourquoi m’être résolu à publier ce livre à ce moment-ci ? Les circonstances ont permis que je sois un observateur privilégié et parfois un acteur dans la trame des événements qui, après quinze ans, aboutit au référendum qui approche. Bien d'autres ont écrit sur la plupart des sujets traités ici et ont souvent fait preuve d'un talent et d'une lucidité remarquables. Nous tirerons tous un immense profit à retracer leurs exposés et à les relire à la lumière des circonstances actuelles. Pour ma part, j'ai procédé suivant ma méthode habituelle dans ce genre particulier de travail que représente un article pour un journal ou un mémoire pour une commission. D'abord, s'informer auprès des sources autorisées, lire les documents pertinents et constituer des dossiers, [8] observer les événements, procéder à l'analyse des situations, porter des jugements critiques, faire des suggestions, proposer des amendements et, enfin, prendre position.

Depuis les années 1950, ma génération a préconisé, avec plus ou moins de succès, des solutions aux problèmes dans plusieurs domaines. Dans celui de la Constitution canadienne, où elle s'est divisée en deux camps opposés, elle a lamentablement échoué.

Je ne fais pas œuvre d'historien. Je suis un intellectuel engagé et mes interventions sur la question constitutionnelle ne visent pas la neutralité. Je n'ai jamais masqué les paramètres qui orientent ma démarche. L'on sait à quelle enseigne je loge. Mes critiques de la Constitution canadienne sont parmi les plus dures qui lui ont été adressées. Mais je n'ai jamais dit « non » au Canada. Je l'ai répété souvent : Le Québec est ma patrie ; le Canada, mon pays. Pareille conjonction de sentiments constitue une équation difficile à résoudre. J'ai conscience de me retrouver parfois, du moins en apparence, en contradiction avec moi-même. On ne se prive pas, de part et d'autre, de me le faire savoir. Mon objectif est de découvrir la formule qui permettrait d'accommoder pour longtemps le Québec au sein du Canada.

Je ne dois rien à personne. L'indépendance d'esprit que j'ai su préserver est le meilleur garant de mon intégrité intellectuelle. On mettra l'agressivité intempestive que parfois je nourris à l'endroit de personnes qui souvent me sont chères sur le compte de mon ardeur à poursuivre un combat que j'estime juste. Les réactions, non moins agressives, de certaines d'entre elles me soulagent d'une bonne partie de mes remords !

Je ne me réclame d'aucune orthodoxie. Même si mes interventions dans le domaine constitutionnel sont le fruit de sérieuses réflexions, je ne suis pas un constitutionnaliste de profession. Ce sont les circonstances et les sollicitations du public qui m'ont conduit graduellement à me concentrer sur ce domaine au détriment, sans aucun doute, d'autres sujets qui relèvent davantage de ma formation et pour lesquels je ressens un attrait plus marqué.

J'ai toujours eu pour but d'être le plus objectif possible afin d'aider mes concitoyens à mieux comprendre les idées et les événements qui les concernent. Certains de mes exposés, sinon plusieurs, ont pu dépasser les bornes d'une salutaire modération. Les intellectuels ne peuvent pas ne pas ressentir de temps à autre le besoin de s'adresser au public qui les nourrit afin qu'ils puissent se consacrer en toute liberté à leur métier. Les idées s'affadissent si elles ne s'inspirent pas en certaines occasions d'un souci d'action. Mais si leur conscience leur dicte d'intervenir, il faut leur concéder le droit de courir [9] le risque de trébucher. Je crois au principe du débat. L'intellectuel ne saurait se dérober sans déchoir à un débat susceptible d'éclairer la population. Mais il ne siérait pas de provoquer le débat pour le simple plaisir de se mettre en valeur. Mon intention ultime est d'exercer une influence auprès du public et, dans certaines circonstances, sur Les décideurs eux-mêmes.

La déception et l'indignation éprouvées à l'occasion des conflits constitutionnels qui éclatent depuis quinze ans transparaissent dans plusieurs de mes propos. Malgré les vexations subies, les incertitudes envahissantes, j'ai toujours cherché à conserver pour moi-même et pour tous ceux à qui je m'adressais le sens des valeurs. J'ai toujours voulu synchroniser la raison et les passions.

Des tentations de « séparatisme », oui, j'en ai éprouvé, j'en éprouve encore et j'ai le sentiment que j'en éprouverai dans l'avenir. À plusieurs reprises, j'ai déclaré que tel ou tel projet de réforme constitutionnelle représentait « la dernière chance » du Canada. Le premier ministre Trudeau, et bien d'autres, ont également tenu de pareils propos. J'ai dit, il y a trente ans, que « l'indépendance politique du Québec ne me faisait pas peur » et je suis toujours dans le même état d'esprit. À certaines reprises, notamment à l'occasion de la commission parlementaire élargie Bélanger-Campeau et de la commission parlementaire conjointe du Sénat et de la Chambre des communes Beaudoin-Edwards, j'ai même affirmé qu'entre le statu quo constitutionnel et l'indépendance du Québec, je choisirais l'indépendance. Je ne tiens plus le même propos. Les circonstances et mon état d'esprit ont bien changé en trois ans.

D'où la technique du « choc » à laquelle j'ai eu souvent recours depuis que j'ai proposé aux membres de la Commission d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme d'intituler leur rapport préliminaire de 1965 : La Crise canadienne. C'est dans cet esprit que j'ai voté Oui au référendum de 1980, que j'ai forgé la formule du « couteau sous la gorge », etc. Je ne suis même pas certain que pareille tactique de dernier recours puisse un jour émouvoir le Canada anglais. Mais je me refuserais à lancer un ultimatum dont j'estimerais que les conséquences entraîneraient l’éclatement du pays.

Pierre Trudeau et René Lévesque ont été les deux personnalités politiques les plus marquantes depuis 1965. Au Canada et au Québec, l'empreinte de leurs idées et de leurs actions fut et reste profonde. Au cours des délibérations suivant mon témoignage à la commission Beaudoin-Edwards, le 30 avril 1991, le député néo-démocrate Lorne Nystrom déclara : « C'est le Québec qui a élu Trudeau. Et probablement qu'encore aujourd'hui on voterait pour [10] Trudeau, cela pour toutes sortes de raisons. Si Lévesque revenait, on voterait encore pour lui massivement. Ces deux hommes représentent pour les Québécois une bonne partie de ce qu'ils voudraient être, de ce qu'ils ne sont pas mais qu'ils voudraient être. » Je partage cette vision.

Jean Chrétien, Daniel Johnson, Jacques Parizeau et Lucien Bouchard sont des épigones de ces deux géants qui vont les télécommander durant les prochains mois, qui seront critiques pour le Canada et le Québec. Cette réalité cause une bonne partie des problèmes que les enjeux du référendum vont poser aux Québécois. Brian Mulroney et Robert Bourassa ont paru, pour un temps, se distancer des sentiers que leurs grands prédécesseurs avaient creusés. Pour le malheur des Canadiens et des Québécois, ils ont lamentablement échoué.

À cinq reprises, les Canadiens ont eu l'occasion de débloquer l'impasse constitutionnelle. En 1965, le premier ministre Pearson se raidit finalement face à un Jean Lesage devenu craintif. En 1979, le premier ministre Trudeau ignore les recommandations du rapport Pepin-Robarts. En 1980, les Québécois refusent d'autoriser leur gouvernement à entreprendre des négociations sur une nouvelle entente avec le Canada qui auraient abouti, en fin de compte, à un fédéralisme renouvelé en profondeur. En 1990, un fâcheux concours de circonstances entraîne le rejet de l'accord du lac Meech de 1987 qui aurait inauguré une trêve bienfaisante. En 1991, les conclusions du rapport Bélanger-Campeau et la loi 150 promettent le lancement d'une fusée éclatante sur le statu quo constitutionnel qui, en 1992, s'anéantit dans le pétard mouillé qu'est le référendum de Charlottetown.

Au printemps, au plus tard à l'automne de 1995, les Québécois devraient être appelés à se prononcer de nouveau par référendum sur la pertinence de la souveraineté du Québec. Nous en sommes donc encore là ! Les dés ne sont pas jetés au moment où je rédige un chapitre sur ce sujet. Je voterai Non. Plusieurs seront déçus et surpris de ce choix. Les critiques, parfois acerbes, que j'ai adressées à la Constitution canadienne, je les maintiens et, le moment venu, je les reformulerai en prenant appui sur les dynamiques sociales du Canada anglais et du Québec de l'horizon 2000, bien différentes de celles de 1960 et de 1980, ainsi que sur le caractère actuel de leurs interactions.

Je sais bien qu'au long des quinze dernières années, mes ardentes tentatives de faire évoluer la Constitution canadienne de façon à accommoder le Québec ont, les unes après les autres, échoué dans une très large mesure. Je ne retire rien des propos que j'ai tenus et que ce livre consigne. Ils sont susceptibles d'inciter nombre d'indécis à finalement favoriser le projet de souveraineté du [11] gouvernement. Je ne m'attristerais pas d'un résultat semblable, même s'il devait aboutir à un résultat opposé à ma propre vision de la conjoncture. Ce que le souhaite, c'est informer d'une façon correcte, non pas convaincre. Je veux informer sur les conditions du duel qui s'amorce dans les balises étroites du même carcan qui entrave les débats constitutionnels Canada-Québec depuis trente ans. Une fois de plus amputé de la dynamique des sociétés concernées, ce débat va tomber dans les ornières juridiques. Que ce soit le Oui ou le Non qui l'emporte au référendum, ce ne sera qu'une autre bataille gagnée ou perdue, ou qu'un match nul, et non la victoire définitive de l'un ou l'autre duelliste. Seule une autre façon de traiter de la question constitutionnelle est susceptible de la dénouer. Les thèmes traités dans ce livre, je les estime, bien sûr, susceptibles de guider les réflexions au cours de la présente campagne référendaire. Plus encore : je suis convaincu qu'ils conserveront toute leur pertinence bien après la tenue du référendum, quelle qu'en soit l'issue.



[1] J'exclus les mémoires présentés devant les commissions parlementaires ou les commissions royales d'enquête qui n'ont pas affecté de façon tangible le débat constitutionnel. J'exclus également les textes ou mémoires redondants. Les médias modifient souvent les titres des textes que je leur expédie. Ici, j'adopte parfois leurs titres, parfois je choisis les miens. Les textes publiés dans cet ouvrage comportent des révisions grammaticales ou de style mineures mais, dans tous les cas, leur substance originelle est préservée.

Quelques textes, non des moindres, sont inédits, y compris, bien entendu, celui qui traite de l'avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec.



Retour au texte de l'auteur: Léon Dion, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mercredi 9 novembre 2011 8:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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