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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Maurice Cusson, Croissance et décroissance du crime (1990)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Maurice Cusson, [professeur et chercheur, Université de Montréal], Croissance et décroissance du crime. Paris: Les Presses Universitaires de France, 1990, 170 pp. Collection “sociologies”. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure à la retraite de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi, Ville de Saguenay.

Introduction

Depuis bientôt trente ans, la criminalité évolue de manière assez singulière dans les pays occidentaux. En effet, vers la fin des années cinquante, les courbes du crime entament un mouvement ascendant qui devait aller s'accélérant et se poursuivre sans relâche durant au moins quinze ans. La cadence de la progression se ralentit après 1975, mais il faut attendre les années quatre-vingt pour que les courbes commencent à pointer vers le bas. S'agissait-il simplement d'une vague de vols qui est maintenant en train de refluer ? On pourrait le croire quand on sait jusqu’à quel point les délits contre la propriété dominent de leur masse les statistiques de la criminalité. Mais, exactement au même moment, on voit croître puis plafonner les homicides, les toxicomanies et les suicides d'adolescents. Le problème ne saurait donc être réduit à une épidémie de chapardages.

La dimension occidentale du phénomène est tout à fait frappante. De part et d'autre de l'Atlantique, en France, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Canada et ailleurs, on note la même croissance accélérée des vols, de la violence et des conduites autodestructrices puis, à peu près à la même époque, la même amorce d'une décroissance. Les exceptions existent, bien sûr. En Suisse, par exemple, les termes qui caractériseraient le mieux la situation de la criminalité jusqu'en 1970 seraient : calme plat.

Néanmoins, le parallélisme des courbes que l'on constate dans plusieurs pays différents et la simultanéité du phénomène nous font soupçonner qu'il s'est passé quelque chose dans notre aire de civilisation au chapitre du crime et de la déviance. On ne saurait taxer d'invraisemblable l'hypothèse qu'un faisceau de causes liées à l'évolution commune des pays occidentaux pourrait bien être à l'origine de ces mouvements la criminalité.

Mais d'abord, que valent les statistiques de la criminalité ?. Elles ont subi un tel barrage de critiques que leur mauvaise réputation n'est plus à faire. Il y a quinze ans, de nombreux criminologues en étaient venus à penser que ces statistiques ne font que refléter l'activité de la police et des tribunaux. Depuis, on s'est ravisé. L'opinion qui prévaut actuellement chez les spécialistes est que ces chiffres peuvent apporter d'utiles indications sur la réalité du crime à la condition de les analyser avec circonspection, rigueur et honnêteté.

Le problème de la criminalité n'intéresse pas seulement les criminologues. Magistrats, policiers, hommes politiques et journalistes y sont sensibles. Et, à en juger par les débats passionnés qu'il déclenche dans les cafés et dans les salons, il semble bien que le grand public s'y intéresse aussi. Malheureusement on en reste trop souvent aux clichés et aux affirmations gratuites. Le cadre intellectuel à l'intérieur duquel évolue le débat est, la plupart du temps, d'une pauvreté navrante. On a tendance à limiter le problème à un contexte national donné. Les Français, les Canadiens, les Américains en parlent comme s'il s'agissait d'une question exclusivement française, canadienne ou américaine.

Dans les pays francophones, les criminologues ont été singulièrement absents de ce débat. Leurs travaux, leurs analyses et leurs concepts sont largement ignorés, non seulement du public cultivé, mais aussi des pénalistes et de nombreux responsables des politiques criminelles. L'influence qu'exercent les économistes sur les débats qui relèvent de leur compétence est sans commune mesure avec celle des criminologues dans le domaine qui est le leur. Et pourtant la criminologie a des réponses à offrir, même si elle est loin d'avoir atteint le niveau de développement de la science économique. Nous avons en main plusieurs analyses nationales des mouvements de la criminalité depuis la dernière guerre mondiale. Pour rendre compte de certaines tendances observées, les criminologues ont proposé des explications ingénieuses et convaincantes. Malheureusement, le tableau d'ensemble fait défaut. On a donné la primauté à la description, négligeant l'activité théorique. Nos connaissances sont dispersées et inorganisées. La plupart des analyses de la criminalité se contentent d'accumuler les tableaux, les cartes et les graphiques. Les auteurs en restent prudemment aux constats, quelquefois ils risquent un commentaire ad hoc et ils battent promptement en retraite quand vient le moment de proposer une explication articulée. Il en sort des rapports indigestes qui s'empilent les uns sur les autres sans qu'il s'en dégage de vision d'ensemble.

Par contre, à l'échelle de l'analyse des actions individuelles, les criminologues construisent peu à peu un savoir cumulatif. Des théories bien étayées par les faits nous permettent de rendre compte des différences entre délinquants et non-délinquants, du rôle de la famille et de l'école dans le développement de la délinquance et du processus de prise de décision qui conduit à l'acte criminel. Mais, curieusement, ces connaissances sont fort peu utilisées dans l'explication des fluctuations de la criminalité. Il manque à notre discipline les passerelles qui nous feraient passer des phénomènes microscopiques aux phénomènes macroscopiques. Tout récemment, Gassin (1988, p. 492) le soulignait : « Cette question des relations entre le crime et la criminalité ne paraît pas avoir jusqu'à présent retenu systématiquement l'attention des criminologues. » Cet aveu est de taille pour quiconque souscrit au principe cardinal de l'individualisme méthodologique selon lequel « expliquer un phénomène, c'est dans tous les cas le ramener aux actions individuelles qui le composent » (Boudon et Bourricaud, 1982, p. 1). Ceci voudrait dire que tant que le passage du crime à la criminalité n'aura pas été rendu intelligible, nous n'aurons pas de théorie de la criminalité.

Dans cet ouvrage, je me propose de faire converger nos connaissances sur le crime pour faire la lumière sur les fluctuations de la criminalité dans les pays occidentaux depuis 1960. Il s'agira de savoir comment il se fait que le nombre des crimes et délits s'est mis à croître à vive allure à partir de 1960 et pourquoi cette croissance a été freinée au cours des années quatre-vingt. Pour éviter les généralisations hâtives, on gardera à l’esprit tout au long de cet exercice que le Japon et la Suisse, deux démocraties développées, ont connu des évolutions qui n'ont rien à voir avec celles de la plupart des pays occidentaux.

Si on accepte que la compréhension des mouvements de la criminalité passé par la connaissance des mécanismes qui sont à l'œuvre dans l'acte individuel, un aller-retour constant de la micro- à la macrocriminologie s'impose. C'est pourquoi le texte sera ponctué de brefs bilans des connaissances sur le délinquant et son acte nécessaires à la saisie de l'un ou l'autre aspect du phénomène global. Une fois identifiés les processus dont on a fait la preuve qu'ils sont opératoires à l'échelle individuelle, on remontera de proche en proche à des niveaux d'agrégation plus élevés. De cette manière, pourrons-nous passer progressivement des crimes considérés comme des actions individuelles à la criminalité qui, après tout, n'est que la somme de ces crimes.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 12 février 2006 14:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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