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Introduction
L'arme nucléaire japonaise est entrée dans l'imaginaire du grand public avec la parution de deux romans à succès. Dans Dette d'Honneur, T. Clancy joue avec la peur du Japon qui s'est emparée d'une Amérique privée d'ennemi par la disparition de l'URSS. Recommençant Pearl Harbor, les Nippons envahissent par surprise des îles Mariannes ; la CIA découvre que Tokyo a construit secrètement des missiles mobiles nucléaires ; un Boeing 747 s'écrase sur le Capitole où sont réunies les deux chambres du Congrès ; heureusement, les missiles sont détruits et le Président américain est sauf. Le second roman à grand tirage est The Roses of Sharon Have Blossomed, paru en 1994 en Corée du Sud. Le titre est celui d'un programme de coopération nucléaire entre les deux Corées au cours d'une guerre contre le Japon ; le nom de code de ce programme est aussi celui d'une comptine exaltant le sentiment national contre la domination coloniale japonaise. Le ressort est ici la crainte d'une renaissance du militarisme japonais et l'inévitable réunification de la Corée. À leur manière, ces deux fictions illustrent certaines questions cruciales que se posent les spécialistes des relations internationales : celle de la redistribution de la puissance après l'effondrement de l'URSS et du destin de l'hégémonie américaine, ou encore celle de savoir si, du fait de la dissuasion nucléaire, le monde est sorti du système westphalien des États, qui acceptait la guerre comme régulation des conflits.
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Le nucléaire virtuel japonais
L'hypothèse d'un retour du Japon à la puissance globale [1] et, partant, de son accès à l'arme nucléaire ne relève pas que de la science fiction. D'éminents auteurs de « l'école réaliste » des relations internationales ont prédit que l'archipel abandonnerait son statut d'« État marchand » et de « puissance civile » et développerait inévitablement un armement atomique. C'est ce que déclarait H. Kahn dès 1970. En 1975, dans Japans Nuclear Option. Political, Technical and Strategic Factors, le politologue d'Atlanta, John Endicott, parvenait à la conclusion que le Japon disposerait dans la décennie suivante d'une industrie nucléaire, balistique, aérospatiale et sous-marine autonome et performante, aisément convertible à des fins et applications militaires [2]. L'auteur estimait que s'il ne passait pas à l'acte, le Japon aurait en tout cas la possibilité d'accéder rapidement à l'armement atomique, cette perspective étant sérieusement envisagée à Tokyo.
Par la suite et à plusieurs reprises, au gré des rapports difficiles entre la Corée du Nord et l'Occident, des officiels nippons ont envoyé des messages « dissuasifs » selon lesquels leur pays ne souhaitait pas fabriquer des armes nucléaires, mais qu'il en avait la capacité et qu'il y procéderait si la situation venait à l'exiger. En 1993, la revue Proliferation Issues expliquait que la STA avait produit un rapport secret établissant que l'archipel avait acquis l'aptitude pour édifier un armement balistico-nucléaire dès le début des années quatre-vingts et que la politique conduite avait pour but de renforcer la position du Japon en tant qu'État potentiellement nucléaire. En janvier 1994, le directeur du JAIF, K. Mori, déclara que son pays disposait du potentiel technique et scientifique nécessaire pour acquérir la bombe ; c'est ce que proclama en juin le Premier ministre Hada. En février, deux experts japonais indépendants, T. Maeda et Kh. Foudzi, confirmèrent les conclusions du ministère de la Défense britannique sur la capacité du Japon à se doter dans les plus brefs délais de l'arme atomique. D'après eux, la stratégie japonaise consistait à disséminer la recherche et la production des composants de l'arme nucléaire dans diverses branches civiles ; cela permettait de garder secrets les préparatifs militaires et [p. 11] de dissimuler les dépenses budgétaires afférentes, qu'il serait impossible de faire approuver par la Diète si elles étaient ouvertement réclamées. Comme exemple de l'efficacité d'une telle approche, les auteurs citent la mise au point par les compagnies pétrolières d'un explosif à double usage pouvant être utilisé comme détonateur de charges nucléaires. Deux rapports américains ont vérifié ce potentiel : une étude du MIT de 1995 sur le programme plutonium japonais montre que l'archipel a la capacité industrielle de produire et d'utiliser le plutonium comme explosif. Une étude de S. Harrison de 1996 [3] sur l'évaluation des capacités atomiques japonaises conclut également que le Japon est un État potentiellement nucléaire. Enfin, les succès de l'aérospatiale, notamment celui de la fusée H2 (lanceur de satellite reconvertible en missile à longue portée dès lors que les ingénieurs japonais maîtrisent les problèmes de retour dans l'atmosphère), et le projet de laser (qui permettrait de déclencher une fusion nucléaire contrôlée, donc une simulation d'explosions sans essais) étayent incontestablement le potentiel nippon.
L'archipel continue pourtant d'être considéré par de nombreux observateurs comme un État non nucléaire, ce qui n'est pas totalement faux au sens juridique du terme. C'est ainsi qu’en 1997, J. Klein a présenté devant le cercle Périclès un bilan des arsenaux nucléaires existants établi à partir des données du SIPRI et de l’ACDA. Dans cette synthèse ouverte, pas une ligne n'est consacrée au Japon, qui ne semble pas ainsi en mesure de jouer un rôle dans les équilibres stratégiques. De même, l'amiral Duval livre, dans la Revue de Défense nationale de janvier 1998, un « état des lieux » de l'arme nucléaire dans le monde, qui ne souffle mot du Japon [4].
Certes, ces études ne traitent que des arsenaux « existants ». En fait là se situe tout le problème. Ne faudrait-il pas estimer que, sans « être-là », l'arme nucléaire japonaise existe « en puissance » et « en influence », même si ses composantes sont délibérément disséminées ? Répondre par l'affirmative à cette question n'est pas sans conséquences. Cela signifie d'abord que le dispositif militaire du Japon, société « ouverte », serait aussi opaque que celui des sociétés fermées dites « du seuil », pour des raisons inverses qui relèveraient, non du secret dont s'entourent [p. 12] des pays en développement pour accéder aux technologies de pointe, mais de l'énigme de la puissance propre à une économie duale. Cela indique ensuite que les classifications à la base de la prorogation du TNP en 1995 et de la signature du TICEN en 1996 ne permettent pas de prendre en considération ce qu'on pourrait appeler la « prolifération par le haut », mais seulement la « prolifération par le bas ». Cela implique enfin que le Japon est une puissance virtuellement nucléaire qui conduit une dissuasion nucléaire virtuelle. Sa politique déclaratoire, qui consiste à rappeler à chaque occasion importante que l'archipel garde ouverte l'option atomique, est un discours de dissuasion.
Les doctrines américaines de la virtualité nucléaire
Le concept de « virtualité » a été repris et développé par M. Mazaar [5] afin de plaider la cause d'une « dissuasion nucléaire sans armes nucléaires ». La fin de la guerre froide ayant eu pour effet de relancer le processus de désarmement, cet auteur cherche une solution à la contradiction inhérente au TNP, entre l'article 2, qui reconnaît le statut de puissances nucléaires aux seuls membres permanents du CSNU, et l'article 6, qui les oblige à procéder au désarmement nucléaire. Les modalités et le calendrier de ce désarmement n'ont certes pas été précisés ; mais l'engagement existe. Il a été renforcé par l'avis de la CIJ du 8 juillet 1996 et les États non nucléaires, dont le Japon, en exigent l'application. Mazaar reprend l'idée formulée par J. Schell dès 1984 [6] d'une abolition des armes atomiques par leur « virtualisation » progressive, sous la forme d'une « weaponless deterrence », d'une dissuasion « en filigrane » ou d'une « recessive deterrence », selon l'expression de J. Singh. La solution proposée consiste à désactiver les armes nucléaires en séparant les ogives et les lanceurs, voire les têtes et les systèmes d'amorçage, et à placer ces différents éléments, qui pouffaient être reconstitués en cas de nécessité, sous contrôle international. On pourrait alors « interdire l'existence de toute arme nucléaire assemblée et prête à l'emploi, pour les placer à l'arrière-plan des relations internationales, sans pour autant abandonner tous leurs bénéfices et sans laisser les grandes puissances à la merci d'un chantage nucléaire ».
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Ces propositions s'inscrivent dans le nouveau courant « abolitionniste » américain, très différent des anciens courants pacifistes, qui est apparu depuis la fin de la guerre froide sous l'impulsion de la nouvelle politique de non-prolifération et de sortie du nucléaire, au profit des BMD, du conventionnel sophistiqué et de la RAM [7]. Ainsi, P. Nitze, auteur du fameux NSC 68 qui avait défini le containment antisoviétique, soutient désormais que, du point de vue des États-Unis, la situation s'est « inversée » et que la dissuasion est mieux servie par des armes conventionnelles de pointe que par les armes nucléaires. En 1992, Les Aspin déclara, dans son article « From Deterrence to Denuking : A New Nuclear Policy for the 1990 », que si les États-Unis avaient l'opportunité de bannir les armes nucléaires, ils devraient le faire. En 1993, devenu secrétaire du DoD, il instruisit la préparation d'une nouvelle posture nucléaire, la Nuclear Posture Review, en complément du Bottom Up Review, dont l'objectif était de marginaliser plutôt que d'éliminer les armes atomiques. Comme l'ont répété de nombreux officiels américains, notamment le général Butler, ancien commandant en chef du Strategic Air Command, la sécurité de l'Amérique serait en effet mieux assurée dans un monde qui reléguerait les armes nucléaires. Cette volonté de marginalisation, afin de valoriser la suprématie conventionnelle US, part du constat du rôle contradictoire des armes en question : d'un côté, le risque de prolifération conduit à éradiquer un type d'armement qui permet ainsi aux Rogue States d'égaliser les rapports stratégiques avec les États-Unis ; d'un autre côté, les armes nucléaires restent considérées comme un facteur de stabilité dans les relations entre grandes puissances et comme une garantie contre toute menace majeure de « grande guerre » dans une époque de transition [8].
La politique américaine a « deux fers au feu » [9]. Le premier se retrouve dans la Quadriennal Defense Review, qui concerne les besoins actuels du Pentagone pour conduire deux conflits régionaux sur le modèle de la guerre du Golfe. Le second est défendu dans le National Defense Panel, beaucoup plus prospectif, qui recommande une réelle transformation de l'appareil militaire américain dans la perspective de la RAM (« révolution dans les affaires militaires »), de l'Information Warfare et du contrôle des [p. [p. 14] réseaux de communications électroniques civils et militaires. Si le premier volet de la politique américaine à court et moyen terme n'abolit pas les armes nucléaires, le second, en revanche, qui vise la maîtrise du « sixième continent » du virtuel, implique la « virtualisation » des armes nucléaires elles-mêmes. La thèse de Mazaar est un des produits des think tanks qui travaillent sur cette logique de marginalisation de l'atome. Elle se présente dans le cadre classique de la recherche du désarmement, tout en répondant aux objections selon lesquelles il n'est pas possible de désinventer l'arme nucléaire. Mais elle doit aussi être comprise comme une tentative d'appliquer la RAM au nucléaire. Elle retient partiellement les analyses de « l'école réaliste », notamment défendues par K. Waltz et S. D. Sagan [10], qui voient dans l'arme atomique un facteur de stabilisation dans un système international anarchique. Mazaar souligne que ces armes « virtualisées » sont en mesure de remplir une fonction de dissuasion. Ce n'est que pour passer à la « défense active » à la guerre que lesdites armes sont inopérantes, jusqu'à ce qu'elles soient réassemblées. Le point faible de la thèse de Mazaar concerne le problème de la capacité de riposte à une première frappe, même si, avec la fin de la guerre froide, ce problème a perdu une grande partie de son intensité. L’auteur propose que cette capacité de seconde frappe, censée assurer en dernière analyse la crédibilité de la dissuasion nucléaire, soit garantie par l'existence de sites disposant de moyens de réassemblage rapide et protégés par des systèmes antimissiles invulnérables à une frappe en premier. Cette solution réputée universalisable ou susceptible d'être retenue par la communauté internationale, donnerait en fait aux seuls États-Unis une capacité de dissuasion nucléaire, car seuls les États-Unis peuvent sérieusement envisager de mettre en place de tels sites de réassemblage et de lancement. Or, ce sont précisément et uniquement les armes nucléaires possédées par les autres États qui peuvent dissuader l'Amérique !
Mazaar voit dans les « arsenaux virtuels » systèmes d'armes non assemblés et non opérationnels, mais existants, dissuasifs et rapidement utilisables une forme réaliste de désarmement vérifiable, crédible et compatible avec la dissuasion élargie. Mais il évoque aussi la perspective inverse en dénonçant le risque d'une [p. 15] « prolifération déguisée ». Précisément, le processus japonais de « virtualisation » du nucléaire ne relève pas du désarmement, mais d'une dynamique de potentialisation et d'élévation à la puissance militaire. « L'arsenal virtuel » nippon apparaît alors comme une forme latente et crédible d'armement à portée dissuasive autonome. Or, la Nuclear Posture Review comporte l'exigence que le Japon ou l'Allemagne ne modifient ni ne souhaitent modifier leur statut d'ENDAN, car une telle ambition militaire condamnerait la logique de marginalisation du nucléaire. Aussi le document note-t-il avec satisfaction que ces deux « puissances civiles » ont réaffirmé leur posture « non nucléaire » dans leurs engagements internationaux, que leur opinion publique demeure fondamentalement hostile à l'acquisition d'armes atomiques, que leur gouvernement continue d'avoir confiance en la dissuasion élargie américaine. Cette façon de voir a ses limites, car elle repose sur la distinction tranchée entre États dotés et États non dotés de l'arme nucléaire, distinction dont la critique est au cœur de cet ouvrage. Si les USA peuvent envisager de « virtualiser » leur arsenal et si, comme tel, ils conservent le pouvoir de dissuader, ne serait-il pas envisageable qu'un État high tech comme le Japon procède de même, en demeurant en deçà de l'assemblage et en contournant par la simulation l'interdiction des essais ? On se trouverait alors devant le paradoxe d'un État non nucléaire, respectueux des obligations internationales, menant activement une politique mondiale de dénucléarisation, et cependant détenteur d'armes nucléaires « virtuelles » lui permettant de mener une dissuasion autonome « virtuelle ».
Le concept de virtualité
Cette hypothèse est d'autant plus plausible qu'elle se fonde sur une tendance générale forte, à savoir le mouvement d'ensemble de virtualisation d'un nombre croissant d'activités. Sous cet angle, la « virtualisation » des armes nucléaires n'est pas en son essence différente de la création d'images virtuelles ou même d'entreprises virtuelles. Le phénomène devient même presque banal. Il bouleverse pourtant le statut des armes, les règles de la [p. 16] stratégie, les notions du contrôle des armements et du désarmement, ainsi que les procédures de coopération entre les États. Pour intéressante qu'elle soit, la virtualité selon Mazaar renvoie au niveau le moins riche et le moins dynamique du concept. La virtualité telle qu'on tente de la saisir, dans ce processus de « prolifération par le haut », signifie l'émergence de formes, de procédures et de systèmes d'action originaux, relevant de la création, de l'invention et de la croissance.
Il faut primo se défaire de l'opposition trompeuse entre virtuel et réel. Dans l'usage courant, « virtuel » veut dire absence d'existence en l'absence de réalisation matérielle. L'étymologie ou les origines philosophiques du mot sont plus justes. « Virtuel » vient du latin virtus, qui signifie « force », « puissance ». Aristote répondait à la question de savoir comment une chose peut être à la fois elle-même et autre chose, tout en n'étant à tel moment qu'une seule chose, en distinguant les couples forme/matière et acte/puissance : une chose est soit matière informée, soit forme matérialisée. C'est dans le passage de la puissance à l'acte que la matière s'informe et que la forme se matérialise. Dans ce premier sens, le virtuel est une « puissance » susceptible d'actualisation.
Secundo, le virtuel ne s'oppose pas au réel mais à l'actuel, virtualité et actualité étant deux manières d'être différentes. Le virtuel n'est pas moins réel que l'actuel. Les armes que Mazaar propose de démonter sont actuelles : elles ont des contours stables et des caractéristiques établies (puissance, portée, précision). Démontées, elles deviennent virtuelles. Mais il s'agit d'un virtuel « pauvre », qui ne contient comme actualisation que le remontage à l'identique en suivant le plan. La virtualité dont on veut parler se caractérise par un potentiel de développement dont il est beaucoup plus difficile de prévoir les modes d'actualisation, l'actualisation d'un potentiel contenant plusieurs possibles.
Tertio, il faut distinguer le virtuel et le possible. Les deux phénomènes ont en commun le fait qu'ils sont latents, qu'ils annoncent un avenir plutôt qu'ils établissent un présent, alors que le réel et l'actuel, eux, sont manifestes et palpables, hic et nunc. Le possible est prédéfini, son mystère ne résidant que dans l'incertitude de son actualisation. Le virtuel, lui, est problématique, car il renvoie à une configuration de tendances et de contraintes, de [p. 17] forces et de finalités, qui se résolvent dans des actualisations pleinement créatrices, car ni prédéfinies, ni programmées.
Quarto, le virtuel se détache de l'ici et maintenant, il existe et pourtant il n'est pas là. Une entreprise « virtuelle » ne réunit pas ses employés entre des murs ; délocalisée, elle remplace la présence physique par la participation à un réseau, le centre de l'entreprise n'étant plus un bâtiment mais un processus de coordination. Du coup, le virtuel, parce que ses éléments sont mobiles et dispersés, tend à se dérober aux normes juridiques, à l'inspection et à la taxation. Les armes virtuelles imaginées par Mazaar existent elles aussi sous forme dispersée, fonctionnellement ou géographiquement ; mais les composantes sont répertoriables, rangées en des lieux précis, et elles ne peuvent être modifiées. Le processus dont on parle n'est pas de même nature, il est par essence rétif à l'identification, au dénombrement, à la vérification et même au soupçon ainsi des détonateurs servant à la prospection pétrolière mais aussi à l'amorçage de bombes. L'inconnu ne réside pas dans l'objet lui même le détonateur , mais dans les effets de son association avec d'autres systèmes combustible et lanceur.
La maîtrise du cycle de l'atome [11] et des technologies aérospatiales, l'accumulation de matériaux fissiles au-delà des besoins énergétiques, les recherches sur le laser, « contiennent » la « puissance » d'un armement nucléaire. Mais la « solution » qui émergera si elle émerge est pleine de mystère. Elle peut prendre la forme de systèmes d'armes connus, ou de systèmes d'armes différents, pour lesquels la qualification de « nucléaires » serait peut-être impropre. Les expérimentations atomiques de nouvelle génération utilisant les lasers sont-elles des « essais nucléaires » ? Il convient de se défaire des concepts habituellement utilisés dans la littérature sur la prolifération nucléaire. Dans les pays « du seuil », il n'est question que de copier, d'imiter, de s'approprier ou d'acheter des armements existants ; il en a été de même pour les puissances nucléaires de facto d'aujourd'hui. On est là dans l'ordre du « possible ». Il est en effet « possible »que l'Irak, l'Iran ou la Corée du Nord parviennent à posséder des engins nucléaires rudimentaires, comme avant eux Israël, l'Inde ou le Pakistan. Il ne règne aucun mystère sur la [p. 18] nature ces armes, leur fabrication est juste entourée d'un peu de secret. Que réserve en revanche la maîtrise japonaise de la fusion nucléaire, de la supraconductivité, des robots, des ordinateurs, des lasers, des missiles ? Quelle potentialisation peut s'opérer entre la maîtrise de ces technologies et les 10 000 milliards de capitaux disponibles au Japon ? Quels éléments politiques sont susceptibles de conduire à leur cristallisation ?
Le retour du Japon à la politique mondiale ?
Pensons à la sortie sur les écrans japonais du film Fierté. L'instant d'un destin, qui a pour héros le général Hideki Tojo, Premier ministre au moment de l'attaque de Pearl Harbor (exécuté en 1948 après avoir été condamné mort par le Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient, équivalent asiatique du Tribunal de Nuremberg) est l'une des expressions les plus spectaculaires d'un vaste débat qui a commencé au Japon sur le retour de l'archipel à la « politique mondiale ». Les commentateurs nippons s'accordent à dire que leur pays est à un tournant de son histoire, comparable à la venue du commandant Perry en 1853 ou à la capitulation de 1945. Depuis l'effondrement concomitant à la disparition de l'URSS du « système de 1955 », qui avait confié jusqu'en 1993 tout le pouvoir politique au PLD, la plupart des leaders japonais ont lancé le même message : le Japon doit se défaire de sa vieille image et jouer un rôle plus décisif dans les affaires du monde, ainsi qu'il convient à un État de sa stature économique. De nombreux auteurs comparent la situation actuelle à celle des USA quand ils furent contraints de s'engager dans la politique mondiale, au début des années quarante, ou bien établissent un parallèle avec le célèbre article de H. Luce paru dans Life en février 1941, dans lequel celui-ci déclarait que le temps était venu pour l'Amérique de jouer un rôle de leadership. Le Japon va-t-il mettre fin à la « doctrine Yoshida », ou primauté de la relation bilatérale avec les États-Unis, ainsi qu'à la « doctrine Fukuda », ou renonciation à la puissance militaire, même si aucun officiel ne remet ouvertement en question l'alliance US ou le « pacifisme constitutionnel » ?
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Le Japon a eu, depuis le dernier quart du XIXe siècle, une histoire originale assez comparable à celle de l'Allemagne. Vieil État-nation, il est en effet le seul pays d'Extrême-Orient dont l'évolution politique décalque sur de nombreux points l'histoire européenne. Quand la révolution industrielle donne une impulsion décisive à la constitution des États nationaux européens et au vaste coup de filet impérialiste dans le monde, le Japon s'engage dans un brutal processus de modernisation exogène et de conquête territoriale. Il réussit à entrer par la force dans le jeu de la lutte pour la puissance, en battant la Chine en 1895, puis la Russie en 1905. La révolution de Meiji s'apparente à ce que Marx appelait une « révolution par en haut », à la Bismarck, faisant l'économie d'un conflit entre la noblesse et le tiers-état. C'est ainsi que l'archipel, qui avait connu à l'instar de l'Europe la féodalité, puis la centralisation monarchique des Tokugawa, s'est transformé en quelques décennies en un État moderne. Les seigneurs restituèrent leurs fiefs à l'État et devinrent hauts fonctionnaires ou officiers. Les ordres furent abolis en 1871 et, l'année suivante, la conscription et la scolarité obligatoire furent adoptées. Devenu un État moderne à l'occidentale, le Japon n'est cependant pas intégré à un système multi-États asiatique, dont la formation, à la différence de l'Europe, est rendue impossible par la présence de l'Empire chinois. Aussi ignore-t-il, comme tous les pays d'Asie orientale, la culture de la balance of power, si caractéristique du monde occidental. Son entrée fracassante dans la politique mondiale, en même temps que celle des États-Unis qui battirent l'Espagne en 1898, n'en signala pas moins que le système européen des États cédait la place à un système planétaire. Comme pour l'Allemagne, cette irruption dans la Weltpolitik et le combat pour l'hégémonie qu'il conduisit dans la première moitié du siècle se soldèrent par une catastrophe : le Japon fut écrasé, atomisé et occupé. Il conserva cependant son intégrité territoriale et son indépendance politique, mais sa souveraineté diplomatique et militaire fut limitée. La stratégie américaine de cooptation anticommuniste des vaincus de 1945 et de protection militaire, ainsi que l'orientation qui consista à traiter le Japon en partenaire plutôt qu'en ennemi battu, ou à tolérer une distribution asymétrique des gains économiques à son profit, ren-[p. 20] dirent cette dépendance acceptable et permirent aux Japonais d'envisager un « retour à la normale ».
Ils donnèrent la priorité à la compétition industrielle et commerciale selon une stratégie néo-mercantiliste, tout en se mettant en position de « suiveurs » des États-Unis (followership), la « menace soviétique » jouant un rôle fonctionnel pour cimenter l'alliance bilatérale. Cette politique n'était pas une « impolitique » [12], car le développement économique est considéré par les élites japonaises comme une lutte pour la puissance, le modèle nippon d'« économie politique » (plus proche de F. List que d'Adam Smith) appliquant à l'économie un raisonnement stratégique et géopolitique [13]. Avec l'Allemagne, le Japon est néanmoins l'exemple d'une ex-puissance militaire devenue puissance civile, à la suite d'une défaite, et qui n'a pas recouvré, malgré son poids économique et technologique, la plénitude de ses prérogatives en matière de défense. La question est donc de savoir si cette situation est provisoire, liée à la conjoncture de l'ordre bipolaire dont on oublie trop souvent qu'il a davantage résulté de l'effondrement de l'Allemagne et du Japon que d'une volonté délibérée de partage du monde ; ou bien si elle procède d'une mutation d'une « civilianisation » du concept et de la réalité de la puissance elle durerait donc au-delà de la disparition des conditions de son apparition ; ou encore si, infirmant les analyses de « l'école réaliste », elle correspond à la thèse de J. Mueller qui estime que l'Allemagne et le Japon sont des exemples significatifs d'une « hollandisation » du monde c'est-à-dire de la sortie volontaire et définitive du jeu de la puissance et du dilemme de la sécurité.
La guerre froide n'est toutefois pas complètement terminée en Extrême-Orient et les conflits y sont persistants. Le retrait d'Asie des deux anciennes superpuissances est un processus parallèle à leur retrait d'Europe, mais il comporte des particularités. De nombreuses séquelles de l'occupation coloniale du Japon, de la seconde guerre mondiale ou du conflit Est/Ouest n'ont toujours pas trouvé de solution. C'est le cas du litige nippo-russe sur les Kouriles, de la confrontation entre les deux Corées ou entre la Chine de Pékin et celle de Taipeh, etc. Trois États importants, la RPC, le Vietnam et la Corée du Nord conti-[p. 21] nuent de se réclamer du communisme. La situation dans la péninsule coréenne est assez similaire à celle qui se présentait en Allemagne avant la réunification, mais elle ne comporte pas les mêmes garanties d'une issue aussi heureuse. Libérée de la rivalité des ex-Grands, l'Asie doit compter avec ses propres conflits, qui ont des racines profondes, aggravées par l'absence d'une culture d'équilibre des puissances ou de sécurité coopérative. Dans l'Asie orientale sinocentrée, le Japon n'a pu ni voulu jouer un rôle de balancier, comme ce fut le cas de l'Angleterre en Europe, où Londres avait renoncé à toute revendication territoriale. Se disputant frontières, îles et ZEE, les États asiatiques en voie d'industrialisation occupent le vide laissé par le retrait des super-puissances, sans disposer de modèle culturel de gestion des interdépendances. Celles-ci sont d'ailleurs faibles au regard de ce que l'on peut constater en Europe. Bien que croissant, le niveau d'intégration régionale reste modeste, et les pays d'Asie ont encore davantage de relations avec le reste du monde qu'entre eux. Le processus de modernisation ayant été inégal et déstabilisant, il en résulte une grande fragmentation. Celle-ci ne s'est pas constituée en « système » comme en Europe et garde donc un caractère « anarchique ».
Outre la conflictualité asiatique, l'autre donnée importante porte sur l'avenir du « double containment ». À la fin des années quarante, les États-Unis ont poursuivi une politique de containment à l'encontre de l'URSS et de la RPC et une politique de constrainment [14] à l'égard de l'Allemagne et du Japon, qu'il s'agissait d'enrôler contre le communisme et de contrôler par le biais de l'OTAN et du MST. L'alliance avec Washington a été imposée à Tokyo. Mais les responsables japonais et la population acceptèrent assez facilement cette tutelle et l'ancrage à l'Occident. De la capitulation de 1945 à la révision du MST en 1960, la question n'en fut pas moins posée de savoir si le Japon devait s'aligner sur l'Amérique et le monde capitaliste, au risque d'être impliqué contre son gré dans un conflit avec les pays communistes, ou bien s'il lui fallait établir des relations plus amicales avec l'URSS et la RPC, faire partie des « non alignés » (le Japon participa à la conférence de Bandung en 1955), voire suivre une voie socialiste. L’alignement du Japon [p. 22] sur l'Occident n'était toutefois pas si exceptionnel, car il renouait avec la politique d'alliance avec la Grande-Bretagne au début du siècle c'est-à-dire avec la tradition « suiviste » de l'alliance avec la plus grande puissance. Il permettait de tourner la page du passé militariste et de conquérir une certaine légitimité internationale, d'ouvrir des espaces au commerce japonais et d'avoir des appuis face à la Russie et au continent asiatique, de couvrir la montée en puissance du Japon et de rassurer les pays voisins sans être obligé de définir les responsabilités japonaises dans les guerres de 1895 à 1945.
L'évolution du système international
La question de savoir si le Japon restera aligné sur l'Ouest et conservera sa position de puissance civile les deux choses étant historiquement mais pas intrinsèquement liées dépend de l'avenir de l'hégémonie américaine et de la recomposition du système international. D'après certains auteurs anglo-saxons, la fin de la guerre froide est moins l'arrêt d'un ordre mondial que la disparition du monde soviétique dans une civilisation occidentale en voie de globalisation dont les États-Unis assureraient le leadership. Samuel Huntington[15], lui, considère que c'est l'opposition des grandes civilisations, en particulier celle de l'Occident face à l'Asie dont le Japon et à l'Islam, qui déterminera la politique mondiale du XXIe siècle. D'autres considèrent que l'« équilibre bipolaire » a cédé la place à un « déséquilibre multipolaire », à un balancement entre l'unipolarité et l'oligopolarité, car si les USA bénéficient d'une supériorité militaire incontestée [16] après leur « victoire froide » sur l'URSS et la guerre du Golfe et la guerre actuelle contre l'IRAK, leur supériorité économique est battue en brèche par le Japon et l'Allemagne [17], la montée de l'Europe et de l'Asie orientale.
Comment les États deviennent-ils des grandes puissances ? Par leurs capacités économiques et militaires, l'influence de leur politique étrangère, leur attraction socioculturelle et idéologique. Les États-Unis tentent ainsi de maintenir leur suprématie dans l'ensemble de la panoplie de la puissance : réformes pour améliorer [p. 23] la productivité et la compétitivité de l'économie américaine ; lutte contre la diffusion des technologies militaires stratégiques ; volonté de définir les règles et pratiques sur le commerce, l'environnement, l'usage de la force ou les Droits de l'homme. Le déplacement de l'équilibre des pouvoirs en cours depuis le tournant des années soixante-dix n'en est pas moins devenu évident. La proposition américaine faite aux vaincus de la seconde guerre mondiale d'un « partenariat dans le leadership », mais aussi le refus japonais de faire des concessions en matière de commerce bilatéral, sont des indications parmi d'autres de cette redistribution de la puissance. Or, l'histoire montre que les périodes de formation d'un nouveau système international sont des moments plus périlleux que les périodes de stabilité hégémonique.
En dépit de la menace réelle résultant de la tension entre deux adversaires surarmés et des conflits locaux conséquents, le système bipolaire aura rétrospectivement été une « longue paix », pour reprendre l'expression de J. L. Gaddis. Il aurait pu certes en être autrement, et on ne saurait interpréter l'histoire à partir du fait accompli, car elle est aussi celle des « possibles » qui ne se sont pas réalisés. Il reste néanmoins que l'une des raisons de la relative stabilité du système international (dans l'hémisphère nord) de 1945 à 1990 s'explique par le fait que le système bipolaire aura été la forme imprévue, non voulue et paradoxale de l'hégémonie américaine. L'instauration de la pax americana mit un terme à la gigantesque lutte pour la succession de la Grande-Bretagne qui avait opposé, depuis le début du siècle et à travers deux guerres mondiales qui n'en font qu'une, l'Amérique d'une part, l'Allemagne et le Japon d'autre part. Après 1945, l'Amérique parvint à imposer son hégémonie à travers un partage du monde en zones d'influences, contradictoirement avec la culture politique américaine. Il en résulta une situation hybride, faite d'un réel affrontement idéologique avec l'URSS et d'une non moins réelle collaboration dans un « partenariat » compétitif et inégal. Stricto sensu, la bipolarité n'a jamais vraiment existé, elle était incomplète, et les deux Grands ne se sont pas trouvés en position de parité, ou seulement tardivement et sur le seul plan des équilibres nucléaires. L’arme atomique aura été pour l'empire soviétique le stade suprême du [p. 24] « militarisme paradoxal », permettant d'égaliser partiellement les rapports avec les USA et de compenser militairement l'infériorité évidente de cette grande « puissance pauvre » [18] qu'était l'URSS. Au plan géoéconomique, il était significatif que le duopole soviéto-américain s'effaçait derrière la triade Amérique du Nord/Europe occidentale/Asie orientale, structurée au plan géomilitaire par l'OTAN d'une part, les accords bilatéraux de sécurité conclus par les États-Unis avec le Japon et les États du Rimland asiatique d'autre part. Cette triade a été transformée par l'élargissement sectoriel et géographique du marché mondial à la suite des dérégulations au Nord et des « ajustements structurels » au Sud , et par les « révolutions capitalistes » à l'Est, qui ont vu l'émergence de la Chine et d'un nouveau rapport nippo-chinois, ainsi que la reconstruction de la Russie et un nouveau rapport germano-russe.
L'effondrement de l'URSS apparaît sans doute comme une victoire du « monde libre » sur le communisme, mais ce n'est là qu'un aspect du problème, car cet effondrement est aussi celui du dispositif par lequel les États-Unis assuraient leur hégémonie. L'Amérique se retrouve apparemment dans une situation d'unipolarité, mais il est vraisemblable qu'elle ne parviendra pas à enrayer l'évolution vers un monde multipolaire, quitte à essayer d'en devenir l'arbitre. Beaucoup ont déclaré que l'ordre « bipolaire » avait cédé la place à un ordre « tripolaire » Amérique/Japon/Allemagne. Mais s'il y a des ensembles économiques régionaux ordonnés autour des trois pôles de puissance américain, japonais et allemand, il n'y a pas d'ensembles de sécurité régionaux exclusifs du fait de la prépondérance militaire des États-Unis dans la sécurité de l'Asie et de l'Europe. De plus, la montée de la Chine ou de la « Grande Chine » (avec Macao, Hong-Kong, Taïwan, voire Singapour et les communautés chinoises d'Asie du Sud-Est) altère cette configuration, la RPC (malgré le caractère assez largement spéculatif du PIB chinois et de ses taux de croissance) menaçant à la fois la troisième place de l'Allemagne dans le monde et la domination du Japon en Asie orientale. Depuis la décennie quatre-vingts, le développement des États asiatiques à la suite du Japon a déstabilisé l'équilibre des puissances, l'Asie orientale devenant l'un des [p. 25] centres de gravité de la richesse mondiale, fait stratégique central non altéré par la crise financière de 1991. À la place du triangle stratégique Moscou/Pékin/Washington, est apparu un nouveau triangle Pékin/Tokyo/Washington, Moscou et Delhi qui se trouve en position d'outsiders. Conséquemment, en raison du différentiel de croissance, des puissances non occidentales et non chrétiennes ont émergé au premier rang de la politique, de la culture et de l'économie mondiale [19].
Le retour du Japon à la puissance militaire ?
Lors de la guerre froide, la stratégie américaine de containment antisoviétique et antichinois, visible et explicite, facilitait et camouflait le constrainment antiallemand et antijaponais. En intégrant l'Allemagne et le Japon dans le réseau économique et militaire qu'ils dominaient et en assumant leur protection, les États-Unis cooptaient les vaincus de 1945 dans la coalition anticommuniste, en même temps qu'ils les contrôlaient et rassuraient leurs voisins. La dissuasion de la menace soviétique ou chinoise et la prévention de l'hégémonie allemande ou japonaise, allaient ensemble ; ces deux aspects étaient coordonnés par la stratégie US de prépondérance et de garantie militaires. Cette stratégie fut systématisée par le TNP, le contrôle de la politique de sécurité de l'Allemagne et du Japon s'accompagnant de l'engagement de non-prolifération. Dans une période (1968-1975) qui vit une première remise en cause du leadership américain (déclin économique par rapport à l'Allemagne et au Japon, déclin militaire par rapport à l'URSS qui accède à la parité stratégique), le TNP visait, primo, à maintenir la dépendance de Bonn et de Tokyo envers les États-Unis, en interdisant aux deux concurrents économiques d'être en position d'égalisation diplomatico-militaire, secundo, à entrer dans une relation de collaboration avec Moscou pour sauvegarder l'oligopole nucléaire et la stabilité des alliances Est/Ouest. Le TNP maintenait ainsi les alliés en état de vulnérabilité face à l'URSS ou à la RPC. Il entérinait l'inégalité issue des statuts de l'ONU entre les vainqueurs de 1945, dont l'URSS et la Chine, [p. 26] et les deux puissances vaincues, Allemagne et Japon, devenus dans la décennie quatre-vingts les deux premiers créanciers et investisseurs mondiaux. Depuis la fin de la guerre froide, la plupart des conditions à l'origine de l'alliance germano- et nippo-américaine ont disparu, mais Washington cherche toujours à éviter le retour de Berlin et de Tokyo au statut de grande puissance militaire, c'est-à-dire nucléaire.
Au lendemain de la guerre du Golfe, le Defense Planning Guidance 1994-1999 de mars 1992 tente de définir les conditions du maintien de l'hégémonie américaine et entend dissuader l'émergence d'« hégémons régionaux » en désignant de nouveaux rivaux, non plus la Russie ou la Chine, mais plutôt l'Allemagne et le Japon. Ainsi s'explique fondamentalement le maintien paradoxal de la garantie militaire US et le renforcement de la politique de non-prolifération. Alors que l'URSS s'est effondrée et que l'Allemagne (au sein de l'Union européenne) comme le Japon pourraient prendre en charge leur sécurité et acquérir leur indépendance militaire, la garantie américaine évite la « renationalisation » des politiques de défense des deux pays en sauvegardant les alliances transocéaniques et la prépondérance militaire des États-Unis.
Cependant, la disparition de l'ordre du containment anticommuniste, la « politisation » rapide des contentieux commerciaux et culturels transatlantiques et transpacifiques, l'avènement d'un monde économiquement « tripolaire », sont susceptibles d'amener de nouvelles relations entre les USA, le Japon et l'Allemagne, qui tous trois se concurrencent pour conquérir le marché chinois et pacifique dans son ensemble. Parallèlement, la prédominance de la logique géoéconomique, c'est-à-dire la compétition des capitalismes différents, et le caractère stratégique accru des conflits commerciaux et technologiques, peuvent engendrer de nouveaux concepts de sécurité et de nouvelles perceptions de la menace. Les ensembles économiques régionaux n'ont certes pas (encore) de pertinence stratégique ; ils n'en concurrencent pas moins les systèmes d'alliances américano-centrés et trans-océaniques issus de la guerre froide. Si l'unipolarité politico-militaire persiste, c'est parce que Washington continue d'étendre son « parapluie » au [p. 27] Japon et à l'Allemagne, et parce que Tokyo et Berlin pensent que les bénéfices du protectorat dépassent ses contraintes [20]. Mais la dimension de sécurité des alliances [21] n'existe plus guère, à moins d'agiter une nouvelle menace chinoise ou russe à laquelle un Japon ou une Allemagne nucléaires pourraient éventuellement répondre, ce qu'interdit le TNP. Demeure surtout la dimension hégémonique, c'est-à-dire la dépendance militaire du Japon et de l'Allemagne. Mais même celle-ci est en voie d'érosion. Japonais et Allemands n'ont guère besoin de la « protection » américaine depuis que l'URSS a disparu, le levier militaire a donc moins d'efficacité. Les relations bilatérales sont complétées par les organisations de sécurité régionales. Le potentiel militaro-industriel du Japon et de l'Allemagne en fait donc des grandes puissances militaires virtuelles.
Le fait essentiel est que l'archipel est en train d'accomplir les derniers pas du retour à la puissance. Les équilibres nucléaires ont masqué la profondeur de l'évolution économique et technologique des rapports de forces. Le Japon n'est déjà plus une « puissance civile ». Certes, il n'a pas encore effectué un retour complet « à la normale ». Les spécialistes des relations internationales s'accordent en général pour dégager quelques critères permettant de caractériser une « grande puissance » : une capacité autonome de dissuasion nucléaire, une capacité autonome de projection des forces, une capacité autonome d'exercice de la violence armée. Selon ces critères, le Japon ne serait pas une « grande puissance ». On observe que les textes qui régissent la politique de l'archipel dans l'après-guerre froide restent prudents : The Modality of the Security and Defense Capability of Japan de 1994, issue de l'Advisory Group on Defense Issue, et le New National Defense Programme Outline de 1995, issu du National Security Council, n'opèrent pas de rupture radicale dans la poursuite de la « défense non offensive » et de l'alliance avec les États-Unis. En même temps, sans aller jusqu'à définir une stratégie de projection des forces autonome, ils mettent l'accent sur les nouvelles responsabilités du pays, sur la mobilité, les transports à longue distance, le renseignement et les communications. Plus globalement, l'image du Japon « nain politique » et « géant économique » doit être abandonnée. Non seulement le Japon a rééquilibré les rapports de force avec les États-Unis, [p. 28] mais il dispose de l'ensemble de la panoplie pour promouvoir ses intérêts de great power. Il n'est pas un État désarmé entre quatre États nucléaires : Amérique, Russie, Chine, Inde. Il est un État-Nation fort, culturellement homogène, proche de deux États-continents déstabilisés ou menacés de balkanisation, dont il est le premier créancier, donateur ou investisseur, et à l'égard desquels il a des options de leadership. Fondant sa puissance globale sur son excellence technologique et sa prépondérance régionale, il propose son propre modèle de développement, lançant un « défi » au modèle occidental.
La puissance signifiant le pouvoir d'affronter l'extrême, autrement dit l'hostilité et la guerre, elle implique la capacité de se défendre en cas de menace, et la capacité de se défendre soi-même. L'archipel possède bel et bien, « virtuellement », cette capacité, bien qu'il continue officiellement de compter sur l'alliance de sécurité US et qu'il continue d'adhérer à sa « Constitution pacifiste ». Il n'est en vérité une « puissance civile » que parce qu'il a soumis l'institution militaire à des restrictions politico-juridiques extraordinaires, parce que son complexe militaro-industriel n'est pas institutionnalisé et parce qu'il refuse de compter sur la force armée pour promouvoir ses intérêts nationaux. Mais il est objectivement une « puissance militaire » du fait du volume, de la qualité et du potentiel de ses forces !
Le discours officiel de dénonciation de l'arme nucléaire et de promotion du désarmement, conformément à l'image de marque d'un « État pacifique » et à la singularité de l'expérience des bombardements atomiques, ne doit pas faire illusion : il s'accompagne à la fois de la reconnaissance de la nécessité de la dissuasion nucléaire qu'elle soit élargie ou autonome , de la maîtrise des processus industriels et filières technologiques susceptibles d'application militaire, d'un ambitieux programme électro-nucléaire d'enrichissement de l'uranium et de retraitement du plutonium, et de l'excellence acquise dans l'ensemble des technologies militaires stratégiques, notamment balistiques et aérospatiales.
Bref, le Japon combine pacifisme antinucléaire et atome militaire virtuel, politique de dénucléarisation et option nucléaire implicite !
[p. 29]
La « grande guerre » demeure-t-elle
à l'horizon de la politique internationale ?
Une question importante doit être soulevée : le risque de guerre interétatique est-il encore à l'ordre du jour entre les grandes puissances ? La théorie du précédent a ses limites. L’« école interdépendantiste » tend à répondre par la négative à la question posée. On ne peut cependant sous-estimer les arguments avancés par la théorie néo-réaliste de la stabilité hégémonique, qui attribue l'absence de guerre entre puissances occidentales à l'impossibilité pour les alliés européens et japonais de défier les États-Unis du fait de l'existence de l'ennemi commun soviétique. Et nombreux sont les tenants de « l'école réaliste » qui s'attendent, comme K. Waltz [22], à ce que davantage d'unités politiques accèdent au statut de grande puissance, avec pour conséquence une recrudescence des risques de conflit entre les États. Les mécanismes de la dissuasion nucléaire garderont-ils leur fonction de prévention de la guerre ? Par ailleurs les faits restent têtus : le conflit de la coalition américano-anglaise contre l'Irak en mars 2003 a montré que sans utiliser d'armes nucléaires tactiques contre d'éventuelles armes de destruction massive, une nouvelle stratégie contre le terrorisme islamiste et ses bases étatiques éventuelles, était susceptible d'exporter une « guerre préventive » conventionnelle.
On sait que dans la stratégie de dissuasion, l'emploi virtuel des armes atomiques s'est substitué à l'emploi « réel ». Ainsi, dans son ouvrage Stratégies nucléaires, L. Poirier distingue la dissuasion, qui est une stratégie de non-guerre ou de non-emploi des forces et la « défense active » qui suivrait l'échec de la dissuasion et se traduirait par l'emploi des forces. Plus que l'objet, c'est « l'image » et « l'imaginaire » de la terreur nucléaire qui se trouvent mobilisés. La virtualité joue de l'effroi devant la « guerre totale ». On n'a sans doute pas suffisamment attaché d'importance à cette condition psychologique et culturelle. J. Mueller a bien montré que si la « grande guerre » s'est éloignée des représentations, c'est en grande partie parce que la « guerre totale » est politiquement dévalorisée la guerre nucléaire, sans victoire possible, ne peut être « une poursuite de [p. 30] la politique par d'autres moyens » et qu'elle ne se situe plus dans l'horizon culturel des pays développés elle est sortie de la culture dominante comme, avant elle, le duel. Cette image de la « destruction mutuelle assurée » est le ressort fondamental de la dissuasion nucléaire, qui doit écarter la probabilité de la guerre. Mais cette image n'est efficace qu'aussi longtemps que la culture de rejet de la « guerre totale » son inacceptabilité demeure elle-même efficace. Il convient de rappeler ici, après F. Iklé, que si le non-emploi des armes nucléaires est, depuis Hiroshima et Nagasaki, une réalité historique incontestable, la dissuasion est en revanche une théorie hypothétique. Ce n'est que par une heureuse rencontre historique et un artifice rhétorique que les deux notions non-emploi et dissuasion se sont télescopées et presque confondues. À tort, car la dissuasion peut fort bien échouer, dès lors que des gouvernements ou des populations seraient prêts à prendre des risques ou à accepter des sacrifices jugés exorbitants à l'Ouest.
La question est particulièrement cruciale en Asie, où trois puissances nucléaires, la Chine, l'Inde et le Pakistan, et trois puissances « du seuil », les deux Corées et Taïwan, sont des États dont la stabilité politique et sociale est loin d'être assurée. Ces États sont en pleine transition de la société agraire à la société industrielle. Ils n'ont pas la même culture de la guerre et de la mort que les États hautement industrialisés. Leur population est jeune et leur croissance démographique encore forte. W. McNeill, dans La Recherche de la Puissance, a montré que le grand conflit de 1914-1945 était, au moins en partie, à mettre en relation avec des transitions de même nature.
Les conceptions stratégiques des dirigeants politiques et militaires de la plupart des États asiatiques sont sans doute plus proches de celles de l'état-major français lors des offensives à outrance de l'été 1914 que des stratèges nucléaires occidentaux d'aujourd'hui.
Si la dissuasion atomique repose sur l'hypothèse qu'un niveau de destruction inacceptable retiendra les protagonistes, il faut reconnaître qu'en Asie l'évaluation de l'inacceptable peut se révéler fort problématique...
[1] Malgré la stagnation économique des années 1990, le palmarès du Japon est éloquent : 7e rang pour la population (2,5% du total mondial), 2e PIB (15% du total mondial), 1er donateur, 1er créancier, 1er investisseur, 1er parc de robots, 3e exportateur (10% du total mondial, juste après la RFA et les USA), 1er ou 2e importateur mondial d'énergie, de matières premières et de produits alimentaires (il importe 700 millions de tonnes et exporte 70 millions de tonnes par an), 2e budget de R/D, 3e budget militaire avec seulement 1% du PNB (45 milliards de dollars), 1er PIB par tête (31 450 dollars, contre 24 750 pour les États-Unis et 23 500 pour l'Allemagne). Selon les sources statistiques, le PIB du Japon équivaut à 60 ou 70% de celui des États-Unis soit autant que ceux de l'Allemagne (2 200 milliards de dollars selon l'OCDE), de la France (1 400) et de l'Italie ou de la Grande-Bretagne réunies (1 100 chacun). Mais la prise en compte de l'état réel des rapports de force pose des problèmes méthodologiques dus à la fluctuation des monnaies (avec un dollar à 72 yens, le PIB japonais dépasserait l'américain pour devenir le premier mondial) ou à leur conversion en PPA, au mode de calcul du PIB ou au caractère problématique du concept même de PIB (qui surévalue les services). La production manufacturière, en particulier de biens d'équipements, demeure le fondement de la puissance économique et monétaire, et de la puissance tout court. Or, le PIB manufacturier du Japon égale celui des États-Unis (environ 1 100 milliards de dollars). L’excédent structurel de la balance commerciale des produits industriels de l'un et le déficit structurel des autres sont à cet égard hautement significatifs. En tête pour l'indice de développement humain de l'ONU, le Japon est encore la nation la plus riche du monde en termes d'actifs détenus à l'étranger, avec un stock de 700 milliards de dollars ; il réalise 30% des transactions des grandes places boursières (États-Unis : 40%, RFA : 10%) et détient 40% de la capitalisation boursière mondiale, soit 2 800 milliards de dollars ; le yen représente 20% de la dette obligataire mondiale (dollar : 45%, mark : 10%), et en Asie la place du yen dans les dettes publiques varie de 25% en Chine, 40% aux Philippines et en Indonésie, 50% en Thaïlande. La crise financière en Asie du Sud-Est pose à cet égard la question de la vulnérabilité du principal bailleur de fonds, les banques japonaises étant lourdement engagées dans la région. Enfin, grâce à sa myriade d'îles, le Japon dispose d'un immense et riche espace maritime, couvrant une vaste portion du Pacifique Nord-Ouest : le plateau continental équivaut à plus d'une fois la surface terrestre (380 000 km2) et la délimitation en ZEE multiplie celle-ci par douze, soit plus de 4,5 millions de km2, si bien que du 50e rang en superficie terrestre, l'archipel arrive au 8e en superficie totale, superficie maîtrisée grâce à l'halieutique, la mer constituant un véritable espace nourricier pour les Japonais (ainsi, d'après certains calculs, il faudrait multiplier les surfaces cultivées par deux pour obtenir l'équivalent des protéines animales fournies par l'océan). Cf. Ph. Pelletier : « La géopolitique surinsulaire du Japon », L. Carroue, « Système productif et puissance. Les enjeux de la mutation japonaise », Hérodote, n° 78-79, 4/1995, p. 20-95, 96-117 ; E. Todd, L'Illusion économique. Essai sur la stagnation des sociétés développées, Paris, Gallimard, 1998, p. 47-59, 97-129.
[2] New York, Londres et Washington, Preager Publishers, 1975, cf. en particulier p. 132-141, 161-165, 168-231, 234-239, avec les hypothèses prévisionnelles sur les programmes nucléaire, militaire, balistique, aérospatiale et SLBM (p. 217-229). Si Israël, l'Inde, le Pakistan ou l'Afrique du Sud ont pu devenir des puissances nucléaires de facto, il est clair que le niveau technologique très supérieur du Japon lui donne la même possibilité.
[3] Japan’s Nuclear Future : The Plutonium Debate and East Asian Security, Washington, Carnegie Endowment for International Peace.
[4] « L'arme nucléaire dans le monde : "état des lieux" », p. 59-77.
[5] « Virtual Nuclear Arsenals », Survival, vol. 37, n° 3, automne 1995, p.7-26 ; Nuclear Weapons in a Transformed World : The Challenge of Virtual Nuclear Arsenals, New York, St Martin's Press, 1997. Cf. aussi A. Cohen, J.-F. Pilat, « Assessing Virtual Nuclear Arsenals » Survival, vol. 40, n° 1, printemps 1998, p. 129-144.
[6] The Abolition, New York, A. Knopf.
[7] Cf. notamment A. Makhijani, K. Yih, « What to Do at Doomsday's End », Washington Post, 29 mars 1992 ; R. Molander, P. Wilson, The nuclear Asymptote : On Containing Nuclear Proliferation, Santa Monica, Rand, 1993 ; P. Gray, Briefing Book on Non-Proliferation of Nuclear Weapons, Washington DC, Council for a Livable World Education Fund, décembre 1993 ; J. Dean, « The Final Stage of Nuclear Arms Control », Washington Quarterly, vol. 17, n° 4, automne 1994, p. 31-52 ; R. A. Manning, Back to the Future : Toward a Post-Nuclear Ethic. The New Logic of Non-Proliferation, Washington DC, The Progressive Foundation, janvier 1994.
[8] Après avoir fabriqué jusqu'à 37 000 armes nucléaires de toutes catégories, les États-Unis ont donc interrompu la production de matières fissiles à usage militaire, renoncé à leurs programmes en développement et entrepris le démantèlement prévu par les traités STARTs avant que ceux-ci n'aient été ratifiés par Moscou. Après exécution de START 2 l'arsenal américain n'en devrait pas moins comprendre, selon la Nuclear Posture Review de septembre 1994, 4450 têtes nucléaires opérationnelles, soit 3500 stratégiques (500 sur Minutema 3, 1700 sur 14 SNLE Trident 2 D 5, 1300 sur 85 avions B52 et B2A) et 950 tactiques (350 navales et 600 aériennes).
[9] Cf. l'analyse pénétrante d'Y. Boyer, in Perspectives stratégiques, n° 37, 1998.
[10] The Spread of Nuclear Weapons : A Debate, New York, W. W. Norton, 1995.
[11] Extraction et concentration du minerai, raffinage et conversion, enrichissement, fabrication du combustible, emploi dans le réacteur, retraitement du combustible usé, stockage des déchets.
[12] Selon l'expression de Julien Freund.
[13] Cf. J. Esmein, « Deux configurations stratégiques au Japon : parts de marché, créneau », Défense nationale, novembre 1986, p. 113-130 ; D. Saby, Guerre et économie. Essai de conceptualisation et de formalisation des rapports entre l'activité guerrière et l'activité économique. Exemple du Japon (thèse), 1984, Université de Paris-Dauphine, Département des Sciences économiques ; le dossier : « Où va le commerce mondial ? », Sciences humaines, n° 57, janvier 1996, p. 14-33, qui traite notamment du concept de « politique commerciale stratégique », en vogue chez les économistes américains.
[14] Expression de G. Segal (« East Asia and the "constrainment" of China », International Security, vol. 20, n° 4, printemps 1996, p. 107-135), qui veut dire « contraindre », c'est-à-dire à la fois « équilibrer », « endiguer » et aussi « intégrer ».
[15] « The Clash of Civilisations », Foreign Affairs, vol. 72, n° 3, été 1993, p. 22-49 ; Le Choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 1997.
[16] Encore qu'on observe un déclin relatif sur le long terme : sous Eisenhower, les forces armées des États-Unis devaient être capables de mener et de gagner simultanément « deux guerres et demi », c'est-à-dire deux « grandes guerres » (contre l'URSS et la RPC) et une « petite » (contre un pays du Tiers-Monde) ; sous Nixon, on passe à « une guerre et demi » ; sous Clinton, il n'est plus question dans la planification stratégique que d'affronter et remporter deux « conflits régionaux », c'est-à-dire deux « petites guerres » selon les critères anciens.
[17] En 1970, le PIB américain représentait deux fois les PIB combinés japonais et allemand ; en 1995, les masses économiques combinées du Japon et de l'Allemagne ont rattrapé, sinon dépassé, celle de l'Amérique, alors même que le poids démographique de cette dernière, comparable à l'ensemble germano-nippon en 1950, lui est supérieur désormais de 25%.
[18] Selon l'expression de G. Sokoloff, La Puissance pauvre. Une histoire de la Russie de 1815 à nos jours, Paris, Fayard, 1993.
[19] S'ensuit-il une « fusion », une « globalisation » ou un « choc » des civilisations ? En tout cas, cette tendance confirme que, dans la longue durée, l'essentiel n'a jamais été le conflit Est/Ouest, mais la dialectique Occident/reste du monde, c'est-à-dire la problématique de « l'occidentalisation » et des résistances et syncrétismes qu'elle entraîne, spécialement en Extrême-Orient. Cf. A. Toynbee, L'Histoire. Les grands mouvements de l'histoire à travers le temps, les civilisations, les religions, Paris, Bruxelles, Elsevier Séquoia, 1972 (1951), préface de Raymond Aron.
[20] On retrouve l'idée selon laquelle le free-riding des alliés, l'Amérique assumant le « fardeau » de la défense, leur aurait permis d'accroître leur puissance économique aux dépens de leur « protecteur ».
[21] On remarque que la notion d'alliance est absente des principaux textes programmatiques de la planification stratégique américaine (notamment la Bottom Up Review) ou de la RAM.
[22] Cf. « The Emerging Structure of International Politics », International Security, vol. 18, automne 1993, p. 44-79.
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