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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La famille: une institution sociale en mutation.” (2003)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Christine Corbeil et Francine Descarries [respectivement professeure à l'École de travail social de l’UQÀM, d’une part, et sociologue, département de sociologie, UQÀM, directrice de l'Alliance de recherche IREF/Relais-femmes, d’autre part], “La famille: une institution sociale en mutation.” Un article publié dans la revue Nouvelles pratiques sociales, vol. 16, no 1, 2003, pp. 16-26. Dossier intitulé : “Familles en mutation”. [Autorisation accordée par Mme Descarries le 24 juillet 2006.]

Introduction

Le Québec partage avec le reste de l’Occident des conditions sociales et économiques de développement qui ont entraîné au cours des récentes décennies une transformation profonde des valeurs, des normes et des structures familiales. Les caractéristiques de cette évolution et les facteurs qui en sont à l’origine sont largement documentées (Dandurand, 1988, 1992 ; CSF, 1991 ; CQF, 1996, 2001 ; Piché et Le Bourdais, 2003). Parmi les plus fréquemment évoquées, on retrouve la baisse de la nuptialité et la multiplication des types d’unions – mariage, union civile, union de fait –, la croissance des naissances hors mariage et de l’instabilité conjugale, la diversification des formes de familles – biparentale, monoparentale, recomposée, homoparentale, adoptive – et, enfin, l’accessibilité à la contraception, à l’interruption volontaire de la grossesse et la baisse de la natalité, qui instaure le modèle de la famille à un ou deux enfants. Causes et effets s’ajoutent à ces réalités démographiques : la dissociation normative et concrète qui s’installe progressivement entre vie de couple et vie familiale, entre sexualité et procréation et entre engendrement et filiation, ainsi que le recentrement de la famille autour de l’enfant et de sa fonction relationnelle. La famille n’est plus dorénavant soumise aux aléas du « destin », mais s’inscrit davantage dans une série d’actes délibérés d’où émane certes une architecture familiale complexe caractérisée par la pluralité des modèles de conjugalité, de parentalité et de filiation, mais également « une meilleure maîtrise de la vie adulte » (Dandurand, 2001 : 89). 

De même, dans la foulée de la participation massive des femmes au marché du travail, et ce même lorsqu’elles sont mères et responsables de jeunes enfants, le modèle conjugal dominant du mari-pourvoyeur et de l’épouse-ménagère perd son hégémonie. Celui-ci laisse progressivement place à l’expression de nouveaux modes de parentalité (Le Gall et Bettahar, 2001) et favorise un élargissement du territoire de la paternité (Dulac, 1999, 1993 ; Marcil-Gratton, Lebourdais et Juby, 2003). Parallèlement, bien que la famille continue à occuper une place prépondérante dans la trajectoire de vie des femmes québécoises, elle ne représente plus pour autant leur unique lieu d’accomplissement personnel et social. Cela dit, il demeure que la majorité des familles hétérosexuelles, malgré des changements notables, se présentent aujourd’hui sous les traits d’une organisation sociale façonnée par un rapport asymétrique et inégal entre hommes et femmes, particulièrement en ce qui concerne le partage des responsabilités et des tâches dans la prise en charge des enfants (Corbeil et Descarries, 1997 ; Descarries et Corbeil, 2002). 

Nulle part ailleurs en Occident, comme le soulignait Patrick Festy (1985), le changement des comportements familiaux et reproductifs des individus n’a été vécu de façon aussi spectaculaire. Pour bien saisir le sens et la portée de ces transformations dans les modèles de vie familiale, il faut les mettre en parallèle avec l’évolution de la société québécoise. En effet, celle-ci a longtemps été marquée par ses traditions religieuses et juridiques. À l’aube des années 1960, l’Église catholique détenait encore un réseau d’influence considérable et réussissait, à travers ses rituels, ses enseignements et sa présence quotidienne à maintenir une éthique familiale et matrimoniale conservatrice en plus d’un encadrement rigide des relations conjugales et parentales : pas de sexualité hors mariage et sans projet d’enfant, pas de rupture d’union, soumission des femmes et des enfants à l’autorité paternelle. Aussi, ce n’est que tardivement, par rapport à d’autres régions occidentales, soit vers la fin des années 1960, que les transformations des comportements familiaux et reproductifs des Québécois et des Québécoises prennent effet, au moment même où apparaît la première vague du féminisme contemporain et sa remise en question des rapports d’autorité et de la division sexuelle du travail induits par la famille patriarcale. 

Évidemment, ces bouleversements s’inscrivent dans la foulée des processus de laïcisation, de sécularisation et de modernisation qui marquent profondément l’évolution globale de la société québécoise au cours de cette décennie. L’Église perd son autorité morale et politique aux mains de l’État qui, soutenu par une économie en expansion et la montée d’un mouvement de contestation sociopolitique, s’empresse de libéraliser les lois et de rajeunir les institutions. À contrario des anciennes dispositions du Code civil, qui niaient toute autonomie aux femmes mariées et sanctionnaient leur entière dépendance à l’égard du mari, un nouveau code de la famille est adopté en 1964, lequel fait disparaître les notions d’incapacité juridique de la femme mariée et de toute-puissance de l’homme. Au cours des années 1970, l’expression État-providence s’impose dans la foulée des interventions croissantes de l’État dans les domaines social (éducation, santé, services sociaux), économique (programmes d’assistance et d’assurance sociale pour les mères nécessiteuses, les personnes âgées, les malades), politique et familial. Par la suite, d’importantes dispositions du code civil et du droit familial seront modifiées. De la refonte du droit de la famille en 1977, qui remplace la notion d’autorité paternelle par celle d’autorité parentale à la promulgation, en juin 2002, de la Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, qui reconnaît une existence juridique à l’union de personnes de même sexe et à la filiation homoparentale, il est possible de mesurer l’importance des conséquences. L’évocation de l’évolution des taux de nuptialité, de rupture d’union et de fécondité est une autre façon de rendre compte du sens et de l’ampleur des transformations qui sont au coeur des modifications du paysage familial québécois.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 4 février 2007 11:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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