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Introduction
par Robert Comeau et Robert Tremblay
[pp. 13-19.]
Au printemps de l'années 1993, peu après sa nomination au titre de professeur émérite du département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal (UQÀM), nous avons fait part à Stanley Brehaut Ryerson de notre intention de réaliser un ouvrage qui retracerait sa trajectoire militante et son cheminement intellectuel. Il nous signala l'ampleur du défi et nous proposa de travailler d'abord à l'édition de ses essais sur la question nationale au Québec. Cet ouvrage aurait réuni des travaux inédits réalisés durant les trente dernières années. À cette fin, il rédigea une liste de six articles qu'il avait regroupés sous le titre « Connaître l'histoire, comprendre la société. Essais, 1960-1990 ». Il reprenait ainsi l'intitulé du texte soumis lors de sa soutenance de doctorat en 1987, à l'Université Laval. C'est dire la place qu'il voulait voir accorder à la question du Québec. Le présent ouvrage lui consacre d'ailleurs une part importante.
Stanley B. Ryerson, qui a toujours été discret sur ses années de militantisme au sein du Parti communiste canadien, avait autorisé, le 31 mars 1993, le chercheur Claude Pennetier, responsable du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, à consulter et à reproduire le dossier biographique de ses activités communistes entre 1932 [14] et 1956, lequel devait se trouver au Centre de documentation en histoire contemporaine de Moscou. Cette concession nous laisse croire que Stanley consentait enfin à lever le voile sur son passé. Personne n'ayant trouvé ce dossier, nous avons alors décidé de remettre à l'ordre du jour l'élaboration d'un livre sur la vie et l'œuvre du professeur Ryerson pour qui nous avons beaucoup d'estime, de respect et d'admiration.
Cet ouvrage veut lui rendre hommage. Stanley B. Ryerson a été pour nous un collègue avec une expérience unique et une façon singulière d'aborder les problèmes historiques. Cet éminent personnage, qui a enseigné au département d'histoire pendant plus de vingt ans, de 1970 à 1992, qui a été l'instigateur d'un groupe de travail sur l'histoire du mouvement ouvrier politique, nous communiqua son enthousiasme pour la recherche. Il avait une façon bien personnelle de nous initier aux aspects méconnus de notre histoire ouvrière et d'attirer notre attention sur les obscurs et les sans-grade : il apportait souvent une brochure, un programme ouvrier, un livre à partir duquel il pouvait nous entretenir longuement et susciter notre curiosité. Nous n'étions jamais tout à fait certains d'avoir bien saisi toutes les nuances de sa pensée. Parfois il acceptait volontiers de nous parler des militants qu'il avait côtoyés, conservant toujours une certaine retenue sur ses propres activités au sein du Parti. L’ayant quitté sur la pointe des pieds, il était réticent à discourir sur cette longue tranche de sa vie militante de communiste, de 1932 à 1969.
Stanley faisait partie de ces intellectuels érudits qui se passionnaient pour des domaines très étendus de la connaissance, ne se laissant pas confiner dans des champs de spécialisation. Celui qui avait voulu réaliser une histoire du peuple, depuis les origines du Canada jusqu'à nos jours, n'a pu terminer son chantier. The Founding of Canada, qui paraîtra bientôt en français sous le titre Les origines du Canada, des débuts à 1815, et Unequal Union, [15] traduit en 1972 sous le titre Le Capitalisme et la Confédération. Aux sources du conflit Canada-Québec (1760-1873), sont restés sans suite. Il accordait une grande importance à la vulgarisation scientifique. À cet égard, il a participé activement à l'ouvrage collectif sur l'histoire du mouvement ouvrier québécois publié par la CSN et la CEQ. En outre, il a rédigé des centaines d'articles sur des sujets aussi variés que les rébellions de 1837-1838, l'union fédérale de 1867, l'action politique ouvrière, les rapports Canada-Québec, la question des Amérindiens, la montée de l'impérialisme canadien, les débats linguistiques et les enjeux sociaux des nouvelles technologies. Stanley B. Ryerson est également connu à l'étranger grâce à ses nombreuses interventions aux congres internationaux des sciences historiques où ses qualités de polyglotte faisaient merveille - et grâce à ses ouvrages traduits en plusieurs langues.
Nous avons donc souhaité faire connaître aux jeunes générations le plus important historien marxiste du Canada. Malgré ses nombreux ouvrages historiques et ses articles publiés dans des revues comme Marxist Quarterly, New Frontier, National Affairs Monthly, Stanley B. Ryerson est relativement peu connu en dehors des milieux universitaires et de la communauté historienne.
Par le présent ouvrage, nous aimerions faire connaître le cheminement de cet intellectuel engagé et le fondement de ses analyses historiques. Nous voulons que son œuvre et sa vie soient une inspiration. Stanley B. Ryerson a été un pionnier à bien des égards : notamment, il a tenté de réinterpréter l'histoire des peuples fondateurs du Canada. Nous avons voulu mettre en lumière l'importance de son apport à la discipline historique et souligner la place singulière qu'il tient dans l'historiographie canadienne.
Mais au-delà de son œuvre historique, c'est à l'humaniste que nous voulons rendre hommage : car ce qui caractérise cet intellectuel d'envergure, c'est bien cette alliance de l'excellence scientifique et de la responsabilité sociale maintenue tout au long de sa carrière de plus de soixante [16] années. Il a conservé ce profil universitaire de militant et d'historien engagé tout à fait unique jusqu'à la fin de sa carrière. Le professeur Gregory Baum de l'Université McGill soulignait récemment à quel point Stanley B. Ryerson, loin d'être un intellectuel retranché derrière ses livres, est un homme qui a joué un rôle important dans la communauté en matière de défense des droits démocratiques. Il nous apparaissait important que son engagement social soit reconnu. Pendant plus de soixante ans, la recherche, le travail de formation et l'intervention publique ont été l'expression de cet engagement. Sa recherche a toujours été inspirée par les problèmes de la société et les valeurs de justice, de solidarité et de liberté qu'il cherchait à promouvoir.
L’histoire n’a de sens que si elle nous éclaire sur le présent, afin de pouvoir mieux y intervenir. Dans le texte qu’il a soumis pour l'obtention de son doctorat, il est très explicite à ce sujet :
Au plan social, l'histoire répond à des besoins précis : besoins de savoir leur genèse pour comprendre les problèmes actuels, besoins pour les groupes sociaux de prendre conscience de leurs racines et leur identité pour devenir des agents efficaces [1].
Renvoyé du Sir George William's College de Montreal en 1937, exclu du monde universitaire pendant près de trente années à cause de ses convictions politiques, Stanley B. Ryerson a choisi d'adhérer au Parti communiste canadien pour défendre ses idéaux de justice et mener le combat en faveur des luttes ouvrières, sociales et politiques. Au cours des trente dernières années, il s'est consacre à démêler le casse-tête des relations Canada-Québec. Il poursuivit constamment l'objectif d'assumer la défense des droits à l'autodétermination du peuple québécois, tout en luttant pour la défense des droits des femmes et des divers groupes subissant une oppression dans la société capitaliste.
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Les treize articles de ce recueil sont regroupés en quatre sections. La première est consacrée à l’itinéraire militant et intellectuel de Ryerson : ses années de formation, son premier séjour au Québec durant les années 30, ses années torontoises (1943-1969), son rattachement au département d'histoire de l'UQAM (1970-1992) et, finalement, sa nomination comme professeur émérite.
La deuxième section est consacrée à l’analyse de la question nationale au Québec, qu'il élabora tant à l’intérieur du Parti communiste, notamment lors de la crise de 1947 dont il fut partie prenante, qu’après son éloignement du Parti en 1969; cette dernière période est celle ou il approfondit la question des rapports Canada-Québec, comme en témoignent ses nombreuses interventions. Aptes son retour au Québec, Stanley B. Ryerson est confronté aux marxistes-léninistes des années 70, déjà fort actifs à l'UQAM. Jusqu'en 1980, il poursuit la critique de cette nouvelle orthodoxie et prend publiquement la défense du Parti québécois et de son projet de souveraineté-association.
La troisième section aborde une partie de l'œuvre de Stanley B. Ryerson. Jean-Marie Fecteau analyse la vision de la transition au capitalisme contenue dans Capitalisme et Confédération et l'apport nouveau de Ryerson à la connaissance du phénomène de l'industrialisation au Canada, alors que Robert Tremblay s'intéresse à sa perception de l'union politique de 1867 comme processus d'achèvement de la révolution démocratique-bourgeoise. Pour sa part, Herve Fuyet voit dans The Open Society, publié à New York en 1965, une étape décisive dans l'itinéraire de Ryerson et l'expression de désaccords profonds avec les thèses des communistes orthodoxes.
Dans la quatrième section, nous avons tenté de rendre compte de son rayonnement aussi bien sur l'historiographie ouvrière québécoise que sur la nouvelle gauche anglo-canadienne. Nous n'avons malheureusement pu couvrir ici son rôle d'analyste politique de la situation du [18] Québec auprès de la population anglophone ni l'impact de son œuvre à travers les débats historiographiques qu'elle a suscités.
Nous sommes bien conscients que les thèmes abordés dans ce recueil n’englobent pas l'ensemble des sujets analysés par Ryerson. Nous aurions voulu étudier plus à fond son approche de la question amérindienne que l'on retrouve notamment dans The Founding of Canada (1960). Nous aurions pu scruter plus à fond les auteurs qui ont marqué sa conception de l'histoire (Pierre Vilar, E.P. Thompson, Aptheker, etc.), ou les intellectuels, comme André Laurendeau, qui ont nourri sa réflexion sur les rapports Canada-Québec. Nous n’avons pu aborder non plus son rôle à la Commission internationale sur l'histoire des mouvements sociaux où il a été actif durant de longues années.
Nous sommes également conscients que, depuis les travaux de Vivian McCaffry et de Gregory S. Kealey, nous n’avons pas poussé plus loin l'enquête sur le rôle de Stanley à la direction du Parti communiste, en particulier la période entre les événements de Hongrie en 1956 et l'intervention soviétique en Tchécoslovaquie en 1968. Son rôle de correspondant en Europe pour le journal du Kominform nous est assez peu connu. Stanley nous a confié que ses textes n'étaient alors pas toujours retenus par la presse du Parti communiste canadien. Quels furent ses désaccords avec le Parti communiste ? Cette longue période de réflexion sur son engagement au sein du Parti, qui s'accentue durant les années 60 en même temps que se précisent ses idées sur la question nationale au Québec et sur l'absence de démocratie au sein du Parti, mériterait une analyse plus détaillée. De même, son rapport a l'art et au théâtre durant sa jeunesse, à la littérature italienne, à l'apprentissage des langues, tout comme sa critique des économistes libéraux, son aversion pour le marxisme structuraliste d'Althusser, sa contribution aux mouvements pacifistes des années 50, son intérêt pour l'eurocommunisme [19] et l'expérience chilienne d'Allende mériteraient à eux seuls un ouvrage substantiel. Il incombera aux futures générations d'historiens et d'historiennes de faire la lumière sur ces aspects encore méconnus de la vie et de l'œuvre de Stanley Bréhaut Ryerson.
Nous remercions le décanat des études avancées et de la recherche de l'Université du Québec à Montréal pour l'octroi d'une subvention à la recherche. Nous remercions également Michèle Lefebvre du secrétariat du département d'histoire de l’UQAM.
Robert Comeau et Robert Tremblay
[1] Stanley B. RYERSON, « Connaître l'histoire, comprendre la société : un rapport en voie de mutation ? Histoire de cas : une prise de conscience des vecteurs socio-historiques du casse-tête Canada/Québec », texte présenté à l'École des gradués de l'Université Laval pour l'obtention du grade de Philosophie Doctor (Ph.D.), Québec, Université Laval, faculté des lettres, 1987, p. 45.
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