Préface
Claude Corbo *
Il m'est agréable de saluer la publication des actes du colloque sur André Laurendeau, tenu à l'Université du Québec à Montréal les 17, 18 et 19 mars 1989. Ce colloque est le troisième d'une série de colloques annuels offerts par l'UQAM, qui traitent des leaders politiques du Québec contemporain. La trentaine de communications auxquelles donne lieu ce colloque permet à des universitaires, des chercheurs et chercheuses, amis et amies, parents de même que les collaborateurs et collaboratrices d'André Laurendeau de faire mieux connaître et de comprendre cet homme, dont la personnalité a joué un rôle décisif dans l'histoire contemporaine du Québec.
Cet ouvrage est particulièrement intéressant à deux points de vue. D'une part, les actes du colloque nous révèlent la richesse de ce personnage politique et la complexité de son action. Des années 30 à son décès prématuré, en 1968, Laurendeau agit comme un témoin et un acteur profondément engagé dans notre devenir collectif. Au cours de ces trois décennies, il sait déployer son talent parmi les nombreuses sphères de la vie, souvent mutuellement exclusives aux yeux d'autres personnalités importantes. Son engagement politique est des plus actif. Longtemps, il exerce l'exigeante discipline quotidienne du journalisme, tandis que sa plume le mène également à l'écriture dramatique. C'est avec brio qu'il exploite ce moyen de communication relativement nouveau qu'est la télévision au cours des années 50. Il cultive l'art musical avec une passion durable et vivifiante. À travers cette activité multiforme, Laurendeau s'affirme avant tout sous la belle figure de l'intellectuel engagé.
Intellectuel engagé, Laurendeau l'est tout au long de sa vie, faisant preuve à la fois d'une détermination courageuse dans l'action et d'une volonté de lucidité sans complaisance. Pour lui, le combat politique s'exerce sous l'impulsion d'une analyse serrée et critique des conjonctures et des forces en présence. Jamais il ne trivialise l'action politique, et toujours il mobilise ses énergies en faveur du progrès collectif. La sérénité qui se dégage de sa critique politique s'accompagne d'un attachement profond au sort de la société québécoise. Son dernier engagement, comme coprésident de la Commission royale d'enquête sur le [viii] bilinguisme et le biculturalisme, est pour lui l'occasion d'un questionnement déchirant. Mais, malgré les difficiles questions soulevées, il sait sauvegarder sa volonté d'agir avec une lucidité sans failles. Eût-il vécu plus longtemps, que sa réflexion aurait été soumise à des tensions plus importantes; mais rien ne nous autorise à croire qu'il aurait failli à la tâche. Pendant les années 50 et 60, Laurendeau suit non seulement le développement de la société québécoise, mais il s'emploie à le rendre intelligible à ses contemporains. En toute générosité, André Laurendeau se met au service du Québec, et la publication de ces actes le confirme de façon claire et durable.
Ce troisième colloque illustre, d'autre part, la fécondité de la formule qu'inspire cet événement annuel, tenu sous la responsabilité scientifique des départements d'histoire, de science politique, de sociologie et de communication de l'UQAM. Comme l'ont démontré les précédents colloques, consacrés à Georges-Emile Lapalme (1987) et Jean Lesage (1988), le colloque Laurendeau suscite d'abord des témoignages qui, autrement, auraient sombrés dans l'oubli. L'élément central de ces colloques appelle la réunion non seulement d'universitaires et de chercheurs et chercheuses, mais aussi de témoins, de collaborateurs et collaboratrices et d'adversaires d'André Laurendeau. Celui-ci tend à susciter des échanges très riches et permet d'approfondir la complexité du devenir social. Pour bâtir l'histoire jamais achevée du Québec contemporain, tous les témoignages sont nécessaires. Et ces témoignages, s'ils nous interpellent aujourd'hui, seront disponibles pour ceux et celles qui, dans l'avenir, auront le désir de questionner à nouveau les moments majeurs de l'évolution de la société québécoise. Par ailleurs, loin de viser la constitution d'un quelconque panthéon, ces colloques enrichissent l'analyse historique et sociologique en faisant appel au facteur humain. Dans le cheminement des sociétés, les forces sociales jouent un rôle déterminant. Mais il n'y a pas que les forces sociales, il y a aussi des personnes qui interviennent et qui influent sur les données objectives ou qui les rendent davantage intelligibles par les groupes en présence, et ce, au point de les modifier. L'évolution d'une société ne s'explique que par l'interaction des données objectives et de l'intervention de l'action des groupes mais aussi des personnes qui la composent. Par l'examen de l'action de certaines personnalités marquantes, les colloques annuels de l'UQAM amènent une fine compréhension du Québec contemporain. Et, souvent, les débats qui agitent une génération vont rejoindre ceux de la génération suivante, précisément lorsque se fait entendre la voix de certains leaders. Les colloques annuels de l'UQAM sur les leaders politiques du Québec contemporain se veulent également renouvelés et ouverts sur le devenir du Québec d'aujourd'hui.
[ix]
S'il vivait aujourd'hui, André Laurendeau aurait assurément poursuivi sa généreuse contribution d'intellectuel engagé au sein de nos actuels débats.
* Claude CORBO est recteur à l'Université du Québec à Montréal.
|