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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Philippe Combessie, Femmes, intégration et prison: analyse des processus d’intégration socioprofessionnelle des femmes sortant de prison en Europe. Women, Integration and Prison: an Analysis of the Processes of Socio-Labor Integration of Women after Prison in Europe. Rapport de l’équipe française sous le direction de Philippe Combessie, Paris: FAIRE, Avril 2005, 124 pp. Six pays participaient à cette recherche financée par la Commission Européenne dans le cadre du 5e PCRD: Allemagne, Espagne, France, Hongrie, Italie, Royaume Uni. FAIRE 48 avenue de l’Amiral Mouchez, F - 75014 Paris (France) [Autorisation accordée par l'auteur le 15 septembre 2006.] Introduction En mer, lorsqu’un bateau sombre et qu’on met les chaloupes à la mer, une règle ancienne commande qu’on sauve « les femmes et les enfants d’abord ! ». Le même type de raisonnement invite à ne pas s’attaquer à plus petit que soi, et à ne jamais frapper une femme, « même avec une fleur ». Depuis l’abolition de la peine de mort, la prison est devenue le plus sévère et le plus violent des dispositifs de coercition légaux dans les pays d’Europe. Comme celui des jeunes, l’emprisonnement des femmes pose un grand nombre de problèmes. En France, où il est actuellement possible d’enfermer en prison des personnes âgées de 13 ans ou plus, des lois et règlements spécifiques encadrent l’enfermement des mineurs, et contribuent à le rendre plus rare, moins long, et davantage contrôlé que celui des justiciables majeurs. Aucune disposition comparable n’existe pour les justiciables de sexe féminin, mais un certain nombre des logiques sociales conduisent nos sociétés à les envoyer beaucoup plus rarement en prison que leurs congénères masculins. Ces phénomènes sont avérés dans tous les pays, et, dans la plupart, comme en France, ils tendent à s’accentuer : les prisons françaises étaient peuplées de 20 % de femmes en 1850, de 4 % en 2005. Qui plus est, à condamnation identique, les femmes, en moyenne, restent moins longtemps en prison que les hommes. La prison est un dispositif paradoxal à plus d’un titre. Sa légitimité, par exemple, est essentiellement assurée par celle des missions qui lui sont confiées dont les résultats sont les plus décevants [1]. D’un autre côté (c’est en fait une conséquence indirecte du paradoxe précédemment décrit) elle est à la fois cachée, méconnue, et très représentée, très médiatisée mais cette médiatisation emprunte des voies qui conduisent à projeter des images tellement divergentes qu’il est difficile de les concilier et d’en avoir une approche sérieuse et rigoureuse [2]. L’enfermement des femmes pousse certains de ces paradoxes à leur paroxysme ; le nombre d’émissions de radio ou de télévision consacrées à l’enfermement des femmes est nettement plus important que leur représentation statistique. Cela dit, la plupart des personnes qui s’émeuvent particulièrement de la situation des femmes détenues ignorent ou occultent leur situation d’extrême minorité. On trouve surtout l’ignorance ou une forme d’occultation passive chez ce qu’il est convenu d’appeler le « grand public ». On trouve davantage d’occultation délibérée de la part de militants engagés dans une logique féministe [3]. Quoi qu’il en soit de ces représentations ou postures de réflexion a priori, l’espace carcéral est un domaine essentiellement masculin, et les femmes qui s’y trouvent sont soumises à des règles de vie mises en place par des hommes et pour des hommes ; on notera toutefois la présence de religieuses pour s’occuper des détenues des prisons françaises. Elle est moins forte qu’autrefois, mais demeure importante dans certains établissements. Dans les rares établissements entièrement dédiés aux femmes, des expériences novatrices sont parfois développées et permettent d’adoucir les conditions de détention. Mais dans les prisons où sont enfermés à la fois hommes et femmes, la séparation très strictement imposée entre les détenus de sexe différent rend particulièrement difficile pour celles-ci l’accès aux équipements collectifs (bibliothèque, salle de spectacle, gymnase, etc.) ; elles sont enfermées dans une aile particulière, en général plus éloignée et parfois plus vétuste. Ainsi, dans cet univers majoritairement masculin, les femmes détenues se voient assigner deux positions différentes : celle de premières bénéficiaires de mesures de clémence et d’aménagement de peine, et celle de laissées pour compte d’un espace lui-même relégué en marge de la société. Entre ces deux réalités, moins antinomiques qu’elles le paraissent, se construisent et se développent l’espace de vie et les marges de manœuvre des femmes incarcérées ainsi que de ceux et celles qui les prennent en charge, à titre professionnel ou bénévole, pendant leur incarcération ou après leur sortie.
Dans un souci d’objectivité, et dans une perspective d’approche globale, tant des problèmes liés aux difficultés d’intégration des populations marginalisées que des questions de construction sociale de la différence des positions assignées dans la société en fonction du genre, l’équipe française a été attentive à toujours mettre en perspective la situation des femmes incarcérées avec celle de leurs congénères masculins, et, dans la mesure du possible, avec celle des personnes qui présentent des profils sociaux semblables mais ne sont pas envoyées en prison. En matière d’analyse des questions de délinquance et de criminalité, l’approche constructiviste nous est parue la plus féconde. Chaque fois que cela a été possible, c’est celle que nous avons privilégiée. Elle permet d’éviter d’assigner à des faits socialement construits des logiques naturalistes. Pour éviter de laisser penser qu’il y a une différence de nature entre un comportement normal et un comportement criminel, pour éviter de partir du postulat que la différence entre homme et femme est exclusivement biologique, l’approche constructiviste vise à comprendre les principes qui construisent les clivages sociaux : entre conduites masculines et conduites féminines, entre comportements acceptables et comportements répréhensibles, etc.
Les citoyens qui réfléchissent à la prison se trouvent confrontés à la question du bien et du mal, du bon et du mauvais côté de la société clivage socialement construit s’il en est ! Lorsqu’on enferme des femmes, cette question prend une dimension plus dramatique, comme l’atteste la surmédiatisation dont elle est l’objet, sans commune mesure avec sa réalité statistique. Autre témoin de cette dimension dramatique : les atroces chantages visant à faire libérer « toutes les femmes incarcérées [en Irak] » organisés en 2004 par des terroristes s’opposant à leurs nouveaux dirigeants portés au pouvoir et soutenus par une coalition armée menée par les USA. C’est peut-être que les rôles impartis aux femmes dans la société, à la fois témoins de confiance entre les lignages qui demeurent masculins , et surtout matrices de l’unité familiale, s’accommodent mal de la place assignée aux détenu(e)s : boucs émissaires sacrifié(e)s au profit d’un raffermissement des liens au sein du groupe social, dont ils ou elles se trouvent, par l’exclusion temporaire entre quatre murs puis par la stigmatisation carcérale, mis(es) à l’écart [4]. Plusieurs chercheurs de l’équipe française avaient participé, en France, à l’enquête sur l’histoire familiale des hommes détenus menée dans le cadre du dernier recensement de l’ensemble de la population française par l’Insee. L’appel d’offre de la Commission européenne s’inscrivait donc comme une recherche complémentaire qui manquait en France. Le plan de ce rapport, en quatre parties, ainsi que les intitulés des chapitres, sont communs pour les six rapports nationaux. Si cela présente quelques inconvénients, en limitant par exemple la visibilité du caractère constructiviste des analyses que nous avons essayé de développer[5], cela présente l’énorme avantage de faciliter la comparaison entre les six différents rapports nationaux qui ont été produits (Allemagne, Espagne, France, Hongrie, Italie, Royaume Uni). Avant le rapport proprement dit, une note méthodologique précise la composition de l’équipe de recherche ainsi que les modalités choisies pour les investigations en France. Cette recherche européenne est dénommée MIP. Il s’agit d’un acronyme erroné. Le titre complet est Women, Integration and Prison : an Analysis of the Processes of Socio-Labor Integration of Women After Prison in Europe [6]. Les initiales des trois premières lettres forment WIP, mais le W, comme parfois dans une calligraphie un peu spéciale, fut transformé en M. Cette erreur a été d’autant plus facilement acceptée et entérinée que l’équipe pilote du projet international est catalane et que le « M » peut correspondre à Mujeres qui signifie Femmes en espagnol. [1] On parvient à peu près à « garder » les personnes envoyées en prison, on parvient beaucoup plus mal à les « réinsérer ». [2] Village de vacances ou hôtel quatre étoiles d’un côté, cul-de-basse-fosse ou camp de concentration de l’autre, cf. Combessie [1998a], p. 146-147. [3] Les rapports de différentes branches du féminisme avec les questions de criminologie ont été analysés de façon précise par Colette Parent [1998]. [4] Philippe Combessie [2004], pp. 231-248. [5] De plus, à la plupart de ces questions, on pourrait répondre oui si on ne retient que tel ou tel aspect… mais non si on ne retient que tel ou tel autre. [6] Femmes, intégration et prison : analyse des processus d’intégration socioprofessionnelle de femmes sortant de prison en Europe.
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