Note sur la présente édition
La réalisation d’une telle édition est le fruit d’un travail complexe dont il convient de préciser la nature, ce qu’on oublie trop souvent de faire dans ce genre de textes, dont le lecteur ignore le travail de (re)construction auquel il a fallu procéder aussi bien que les écarts et variantes avec le manuscrit original.
L’orthographe
L’orthographe est essentiellement celle du texte initial y compris en ce qui concerne les noms propres, mais il arrive assez souvent que la graphie de ceux-ci ne soit pas/plus celle que l’on trouve aujourd’hui. Ce fait a au moins deux raisons : d’une part Hervé de Tocqueville pouvait ignorer la graphie d’un nom qu’il évoquait oralement ; il évoque les poteries et faïences de M. Utschneider, Monsieur de Saint-Cric au lieu de Utzschneider et Saint-Cricq.
Des différences comparables correspondent parfois à la modification qu’a subie l’orthographe d’un nom propre pendant les années écoulées, et ce d’autant plus que celle-ci n’était pas toujours absolument fixée. Alexis de Tocqueville évoquant Le Marois, son adversaire politique dans la circonscription de Valognes utilise quatre graphies différentes, le même nom est écrit en un mot ou en deux, avec un « r » et avec deux ! Par conséquent nous avons retenu dans les notes de bas de page et dans les notices biographiques l’orthographe communément retenue aujourd’hui.
Au moment où Hervé de Tocqueville écrit ses Mémoires, l’Académie a fait en 1835 une réforme de l’orthographe ainsi les pluriels antérieurement en « ans », les « enfans » devraient s’écrire dorénavant « enfants » mais comme souvent en pareil cas, Hervé conserve la graphie antérieure qu’il a toujours utilisée ; de même il écrit « sistème » pour système ; nous avons choisi de donner à ces mots leur graphie actuelle, rien ne justifiant ici le maintien d’un archaïsme.
Les majuscules
Ici le problème posé est plus important et il faut préciser l’usage particulier qu’Hervé de Tocqueville fait des majuscules et les choix que nous avons opérés en n’oubliant pas qu’ils sont liés à l’enseignement reçu de l’abbé Lesueur et à la pratique des codes du temps, mais pas seulement ; en outre il convient de ne pas oublier qu’Hervé dicte son texte à, au moins, trois scripteurs successifs qui ont des habitudes un peu différentes, mais c’est encore plus vrai concernant la ponctuation.
Comme l’abbé Lesueur Hervé de Tocqueville ne met pas de majuscule après un point. L’emploi de celles-ci est étroitement lié à une pratique idéologique et de caste. Tous les personnages de la hiérarchie nobiliaire ont droit à la majuscule : le Roi, le Dauphin et la Dauphine, les Princes et Ducs, Barons et Marquis. Par respect pour le texte de l’auteur nous avons conservé l’essentiel de ces graphies. Tous les grades militaires sont également écrits avec une majuscule à l’initiale. En revanche la Providence/providence est écrite tantôt avec ou sans majuscule sans tenir compte véritablement de la charge sémantique du mot. En revanche dans ce qui constitue notre texte, les notes de bas de page et les références biographiques, par exemple, nous avons rétabli la graphie normalisée actuelle. Enfin, concernant les institutions et les corps administratifs et militaires, nous avons également choisi d’utiliser les majuscules ou non selon les usages actuels ; le lecteur le vérifiera facilement concernant la Garde Nationale / garde nationale, le Gouvernement / gouvernement, le Ministère / ministère, le Conseil Général / conseil général…
La ponctuation
La ponctuation est toujours un élément problématique, d’autant plus complexe ici que les pratiques du temps ne sont pas identiques à celles d’aujourd’hui, notablement fluctuantes elles aussi, selon que l’on privilégie la fluidité et le sens global du texte ou son émiettement soulignant et séparant les éléments temporels, affectifs, ou les remarques de l’auteur. En outre rappelons que trois scripteurs se sont succédé qui n’ont pas exactement les mêmes façons de procéder. Nous avons donc choisi de procéder à un arbitrage privilégiant tantôt les formes actuelles d’une ponctuation sans trop de morcellement, tantôt la ponctuation initiale parce qu’elle devait être privilégiée comme correspondant au mieux aux intentions de l’auteur afin d’éviter une forme de réécriture ou de traduction.
Suppressions, parenthèses, ajouts, variantes, mots oubliés.
La première chose qui surprend, qui choque quand on entreprend la lecture des trois cahiers qui constituent les Mémoires d’Hervé de Tocqueville, surtout après avoir lu les fragments publiés, notamment dans la revue Commentaire, c’est que nous avons affaire à deux textes différents. Le texte partiel et fragmentaire (un tiers environ du texte global) dont une partie a été publiée dans Commentaire n’est pas celui d’Hervé de Tocqueville mais une réécriture de son fils Édouard ; mais en outre, le plus frappant est la suppression de certains passages très importants. Mais, sur ce point, il ne faut pas accuser Édouard comme on pourrait le penser initialement ; en procédant à une lecture attentive du texte, des corrections et remarques marginales rédigées par Hervé, on constate que c’est lui qui, à la relecture, a rayé des passages entiers concernant des faits intimes et très personnels relatifs aux membres de la famille ou à des proches qui n’avaient pas à être divulgués à des étrangers. Le fait le plus important étant le passage où Hervé découvre le surlendemain de son mariage les troubles nerveux graves dont Louise souffrira toute sa vie et dont il a été affligé par contrecoup dans sa vie personnelle et professionnelle. Ces faits étaient connus des proches et si Hervé choisit de les rayer du manuscrit c’est parce qu’ils n’ont pas à figurer dans une édition du texte des Mémoires à laquelle il songeait manifestement.
Nous avons rétabli ces passages mais nous les avons placés entre crochets pour l’information du lecteur. [….]
À l’inverse, les parenthèses (…) qui sont dans le texte figurent bien dans le manuscrit initial. Les ajouts et variantes sont inclus dans le texte ou placés dans une note en bas de page selon les cas en procédant de la façon la plus pertinente ou la plus judicieuse dans chaque cas.
Lorsqu’un mot a été oublié nous l’avons réintroduit entre tirets : - xxx -.
Nous avons donc choisi d’obéir à un double impératif : offrir au lecteur un texte directement lisible dans une forme actuelle tout en faisant apparaître les éléments caractéristiques du texte initial.
Éléments biographiques
Plus de deux cents personnages différents sont cités dans le texte, la plupart ignorés de la majorité des lecteurs. Nous avons donc choisi de procéder en deux temps : à la première occurrence d’un personnage nous avons mis en bas de page une note très restreinte contenant le nom, en rétablissant l’orthographe habituellement reconnue quand elle diffère de celle d’Hervé de Tocqueville, les prénoms et éventuellement le titre du personnage, l’année de sa naissance et de sa mort. À la fin du texte nous avons donné une esquisse biographique, plus ou moins longue permettant de situer le personnage dans son temps, son milieu et sa famille. Celle-ci n’a pour fonction que de donner une première indication et de situer éventuellement le personnage dans sa parentèle et dans son temps. Nus avons laissé au lecteur curieux le soin de poursuivre ses investigations. En revanche il n’entre pas dans l’objectif d’un tel ouvrage de donner une notice biographique des personnages historiques de premier plan : Louis XVIII et Charles X, ni de Talleyrand ou Fouché, ni de Napoléon ou du maréchal Ney...
Titres et sous-titres
Le texte est long et complexe, il s’étend sur une période historique de 70 ans et au-delà, de la naissance d’Hervé de Tocqueville à 1840, plus de 200 personnages y figurent qui traversent cette période troublée, il était donc nécessaire d’adjoindre au texte initial des titre correspondant aux différentes périodes évoquées successivement dans les Mémoires mais également d’indiquer les éléments qui en forment la trame. Alexis de Tocqueville procède ainsi dans la première Démocratie reprenant la présentation de Montesquieu dans l’Esprit des Lois. J’ai donc considéré que reprendre la présentation qu’ils avaient utilisée avant moi ne pouvait pas nuire à mon propos; pour eux comme pour moi les indices placés là à l’intention du lecteur servent de repères qu’il leur convient de choisir ou de laisser sur le bord du chemin.
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