Paul R. Bélanger et Benoît Lévesque
Sociologues, professeurs, département de sociologie, UQÀM.
“La modernité par les particularismes.
Le modèle québécois de développement économique”. *
Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Françoise-Romaine Ouellette et Claude Bariteau, Entre tradition et universalisme. Colloque 1993 de l’ACSALF, pp. 79-96. Québec : l’Institut québécois de recherche sur la culture, 1994, 574 pp.
- Introduction
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- 1. Les deux thèses: la tradition comme retard et la tradition comme ressort
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- • la tradition comme retard (Taylor)
- • la tradition comme ressort de la modernisation (Aktouf et alii)
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- 2. Une brève critique des deux thèses
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- • le modèle théorique
- • La dynamique québécoise de modernisation de l'économie
- • Le modèle québécois d'entreprises: deux configurations
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- Conclusion
- Bibliographie
Introduction
Les recherches et réflexions actuelles sur la relance de l'économie recoupent presqu'entièrement celles sur le renouvellement des formes d'entreprises puisque la question est alors de savoir quels sont les facteurs d'excellence qui permettent de soutenir la concurrence dans un environnement instable et de contribuer à la solidarité sociale des citoyens. En effet, comme les facteurs d'excellence reposent sociologiquement aussi bien sur les modes de coordination des ressources humaines et des technologies que sur les relations ouvrières-patronales, la question débouche rapidement sur le repérage des diverses modalités et de leurs combinaisons et donc sur l'identification de trajectoires nationales en émergence ou de modèles nationaux (Boyer, 1986; Messine, 1989: Sabel et Piore,1989). Les recherches québécoises n'échappent pas à cette tendance, d'autant plus que la distinction, la spécificité ou la différence constituent l'objet plus ou moins explicite de toute réflexion sociologique au Québec (Bourque, 1989; Breton, 1989).
Il est intéressant de noter à cet égard qu'à trente ans de distance, le même modèle dit québécois explique à la fois le retard des entrepreneurs québécois et leur succès. En effet, la tradition est invoquée par Norman W. Taylor en 1961 pour expliquer le peu de succès des industriels canadiens-français, elle l'est à nouveau par Omar Aktouf, Renée Bédard et Alain Chanlat (1992) pour cette fois rendre compte du dynamisme spectaculaire des entrepreneurs québécois. Ces derniers auteurs n'hésitent pas à parler de "l'émergence d'un mode de gestion propre au Québec dont l'originalité est de s'enraciner dans la culture traditionnelle et de s'inscrire dans l'évolution des valeurs du monde occidental" (Aktouf, Bédard, Chanlat, 1992: 83). Comment expliquer ce retour des théories sur la tradition? Sont-elles capables d'expliquer la réalité québécoise d'hier et d'aujourd'hui? Avant d'esquisser des hypothèses de réponse à ces questions, il est nécessaire de se rappeler les deux thèses en présence, en particulier celle de Norman W.Taylor enfouie peut-être délibérément dans nos mémoires.
1. Les deux thèses: la tradition comme retard
et la tradition comme ressort
• la tradition comme retard (Taylor)
Taylor constate la faible participation des Canadiens français à la direction des entreprises manufacturières et la faible taille des entreprises qu'ils dirigent. Il critique la thèse géo-économique de Faucher et Lamontagne (1953) et se propose de montrer que la culture est le facteur le plus significatif du comportement économique des Canadiens français, culture dont les traits ont été forgés par des générations de vie paysanne. Voici les principaux traits relevés par Taylor.
1) Le statut attribué aux affaires comme profession est peu élevé, ce qui explique que les chefs d'entreprises proviennent des couches sociales peu élevées et peu instruites.
2) La direction des entreprises a un caractère familial. La responsabilité de l'entrepreneur est d'abord envers sa famille et la sécurité de celle-ci de sorte que ses politiques économiques sont généralement conservatrices, elles visent non pas la croissance et le risque mais le bien-être de la famille et le moins de soucis possible; s'il y a des surplus ou des profits, ils sont investis dans les obligations du gouvernement, l'immobilier et les résidences de prestige. La croissance n'est commandée que par les responsabilités familiales, comme le nombre d'enfants ou de parents immédiats. Autant de comportements considérés irrationnels dans la logique capitaliste anglo-saxonne.
3) Les entrepreneurs sont individualistes, mais d'un individualisme particulier. L'individualisme du credo américain conduit à l'atomisation de la société et de l'économie et à l'universalisme, à la réussite dans n'importe quelle sphère de la société. L'individualisme des Canadiens français est d'abord recherche de l'indépendance, d'où la préférence pour la pratique professionnelle autonome, le refus de prêts bancaires par crainte de pressions externes ou d'associés imposés par les institutions bancaires, le contrôle personnel de tous les aspects de l'entreprise et le refus de la délégation de pouvoir. Cet individualisme, selon Taylor, correspond à une attitude négative envers la croissance.
4) Les relations personnelles investissent les relations d'affaires. Les aptitudes des individus ne sont pas jugées selon des critères objectifs, comme la formation ou l'expérience, mais selon les relations familiales ou personnelles. Les promotions sont accordées selon que l'individu appartient à une bonne famille, et une mise à pied ne sera pas envisagée si l'individu doit subvenir aux besoins de sa famille. Les relations avec les employés sont paternalistes, des considérations personnelles dominent donc les choix des patrons canadiens-français.
5) Le chef d'entreprise se préoccupe peu de l'évolution des marchés et de la recherche de nouveaux marchés. Il a peu d'ambition et ne s'ajuste pas aux besoins de la clientèle.
Taylor en conclut que ces traits représentent l'influence de modes traditionnels hérités du passé: affaires liées à la famille, crainte du risque et de mettre la famille à la gêne, pas de différenciation entre propriété et administration, contrôle personnel et exclusif des affaires pour maintenir l'indépendance. Cette culture est spécifique de la petite entreprise, inefficace, incohérente et irrationnelle du point de vue économique.
Le conflit entre cette échelle des valeurs et celle du milieu nord-américain se manifeste dans les relations avec les fournisseurs, les concurrents et les clients. Les entrepreneurs canadiens-français ressentent un malaise, ils admirent l'esprit de décision des entrepreneurs canadiens-anglais et ne réussissent pas à se défaire de leur complexe d'infériorité. "Nous n'avons pas les affaires dans le sang", disent certains d'entre eux (Taylor, 1961: 68). Ils n'ont pas confiance en eux au point d'investir leurs propres capitaux dans des entreprises dirigées par des anglophones; et ils reconnaissent que leur propre milieu, les détaillants par exemple, considère leurs marchandises a priori inférieures à celles de leurs concurrents anglophones.
Enfin, en accord avec Everett C. Hugues (s.d.), Norman W Taylor concluait que l'entrepreneur Canadiens français était manifestement en retard puisqu'il était complètement à la remorque de l'entrepreneur anglo-saxon pour les innovations technologiques et que son économie était "basée essentiellement sur un capitalisme du type dix-huitième siècle". Comparativement au chef d'entreprise canadien-anglais, "le Canadien français, écrit-il, se rattache à un univers économique différent du monde des affaires spécifiquement nord-américain."(Taylor, 1961: 149-150). On aura facilement reconnu le modèle évolutionniste d'analyse de la société qui doit passer nécessairement de la tradition à la modernité, celle-ci étant identifiée au modèle anglo-américain (Parsons, 1951) [1].
• la tradition comme ressort de la modernisation
(Aktouf et alii)
Pour Aktouf et ses collègues, ce sont également les mêmes facteurs, tradition et culture, qui sont invoqués pour rendre compte cette fois de l'audace des entrepreneurs québécois, de leur conquête des marchés, de leur fierté, de leur succès et de la confiance qu'ils manifestent dans leurs entreprises. Ce modèle a été élaboré en grande partie à partir de l'étude de l'entreprise québécoise Cascades devenue multinationale au cours des dernières années (Aktouf et Chrétien, 1989).
En effet, pour ces auteurs, le secret de Cascades réside dans sa manière de traiter le personnel et non dans les recettes tayloriennes (Aktouf, Bédard, Chanlat, 1992:93). Ainsi, dans cette entreprise, les signes manifestes de la rationalité du management classique sont absents: il n'y a ni organigramme, ni statuts officiels distinctifs, une hiérarchie réduite et peu de surveillance. En revanche, les travailleurs font montre d'autodiscipline, d'autonomie dans la répartition des tâches et d'engagement envers les objectifs de productivité.
Cette organisation est fondée sur des relations directes et informelles entre tous les employés y compris la haute direction, les frères Lemaire. Les informations sur l'entreprise sont accessibles à tous, la transparence prédomine. Le principe de la "porte ouverte" encourage à rencontrer la haute direction quelqu'en soit le motif. L'importance accordée aux opinions des travailleurs entretient un climat de confiance, de complicité, de convivialité.
La direction partage les profits avec les employés dont les salaires et les avantages sociaux sont par ailleurs parmi les plus élevés dans l'industrie. De plus, elle aide les employés à l'achat d'actions de l'entreprise. D'ailleurs le profit n'est pas considéré comme la seule finalité de l'entreprise. La direction soutient qu'elle préfère couper dans les profits plutôt que d'effectuer des mises à pied.
Par ailleurs, les relations sociales occupent une place prépondérante dans l'entreprise. Les travailleurs peuvent avoir recours à l'outillage, à des matériaux, aux véhicules pour des fins personnelles. L'entreprise participe à l'organisation d'activités sociales et sportives. Bref tout est mis en place pour soutenir un esprit de grande famille, une identification à l'entreprise.
Selon cette analyse, le mode de gestion de Cascades tire ses antécédents dans la tradition rurale, l'influence de l'Église catholique et l'héritage de Duplessis. La tradition rurale donne l'égalitarisme, la convivialité, le partage et l'entraide; l'Église, la primauté des valeurs spirituelles; et Duplessis, l'ouverture aux multinationales. À l'éthique protestante fondée sur l'individualisme, la rationalité et le devoir, les auteurs opposent une éthique féodalo-catholique, un mode de domination féodal-charismatique qu'ils associent à la communauté rurale-domestique, à l'oikos. Ce n'est pas la rationalité, ni l'individualisme, ni le calcul des prix qui déterminent les comportements et les relations entre les membres de l'entreprise; les relations ont au contraire un caractère familial, personnalisé, paternaliste et protecteur; les dirigeants ne commandent pas, ils associent; la richesse n'est pas une finalité individualiste, elle est recherchée pour le bien de la communauté.
Les traits dégagés de l'analyse de Cascades sont généralisés à toute la société québécoise (Aktouf, Bédard, Chanlat, 1992). Les représentations collectives des québécois correspondraient à une éthique catholique et à une domination charismatique; l'origine modeste des Lemaire atteste de leur identification à la culture québécoise; leur succès foudroyant est associé à la montée toute récente de la bourgeoisie québécoise.
On serait donc en présence d'une éthique catholique, dont les traits remontent à la ruralité, constituée d'une homogénéité culturelle, d'une communauté de points de vue, d'une absence de division en classes tranchées, d'une mobilité sociale, de dirigeants qui se conduisent en bons pères de famille et non avec arrogance et supériorité. Cette éthique, selon les auteurs, serait non seulement compatible avec la logique du marché, le progrès, la modernité et la justice sociale mais elle en constituerait le ressort, contrairement à ce qu'affirment les partisans du modèle traditionnel-moderne (Norman W. Taylor, 1961).
2. Une brève critique des deux thèses
Les deux thèses découvrent des traits semblables dans le mode de gestion interne et dans les relations entre les dirigeants et les employés: l'entreprise "québécoise" est une grande famille, une communauté. Cependant, les industriels canadiens-français de Norman W.Taylor ont le complexe du colonisé et visent la sécurité et la transmission d'un héritage alors que les Lemaire sont agressifs, conquièrent de nouveaux marchés, transforment une petite entreprise en grande multinationale
Trois questions sont appelées par ces textes: l'une théorique concernant le mode d'analyse, l'autre historique renvoie à l'interprétation de la Révolution tranquille et à l'entrée du Québec dans la modernité; enfin une troisième question concerne la représentativité de Cascades comme modèle québécois d'entreprise.
• le modèle théorique
Les deux interprétations, la thèse moderniste et libérale (Taylor) et la thèse souverainiste et nationaliste [2] (Aktouf), s'inspirent d'une problématique culturaliste commune: elles expliquent le modèle québécois par les représentations collectives, les idéologies ou mieux par la culture nationale. Ces deux thèses se renvoient l'une à l'autre malgré leurs différences.
La thèse moderniste et libérale soutient que l'infériorisation des Canadiens français s'explique par le manque d'esprit du capitalisme, même chez sa bourgeoisie capitaliste elle-même. Cette thèse s'inspire directement de celle de Weber sur l'esprit du capitalisme et l'éthique protestante (Weber,1964). Pour entrer dans la modernité, selon cette thèse, il faut dépasser les particularismes et les traditions, les relations affectives et les considérations personnelles, de même que l'attachement à la famille. Il faut s'inspirer des principes de la raison qui se manifestent entre autres par la poursuite de son intérêt individuel sur le marché, par la performance, l'universalisme technique et scientifique, l'efficacité instrumentale. Ces idées, ces conceptions, les industriels canadiens-français ne les ont pas, contrairement aux entrepreneurs anglo-saxons, et en conséquence ne peuvent réussir. Ils n'ont pas l'esprit d'entreprise mais l'esprit familial de sorte qu'ils resteront cantonnés dans de petites entreprises et le marché local. Bref, "ils n'avaient l'esprit qu'ils auraient dû avoir" (Bourque et Légaré, 1979:20). Cet esprit passéiste est de toute façon appelé à disparaître car l'évolution vers la modernité est incontournable. Et sans une bourgeoisie capitaliste, moteur de l'histoire, une société ne peut se développer.
La thèse souverainiste et nationaliste, celle d'Aktouf, est tout heureuse de pouvoir annoncer qu'enfin les Canadiens français ont trouvé leur bourgeoisie. À la faveur de la Révolution tranquille et à l'aide de l'État, une bourgeoisie nationale s'est constituée, mais heureusement pas selon les principes annoncés par les modernistes libéraux comme étant le passage obligé à la modernité. Elle s'est fondée non pas sur la domination rationnelle-légale et le calcul rationnel, mais sur la domination charismatique et le partage, l'entraide et la convivialité, donc sur les traits de la tradition, sur l'héritage paysan et communautaire (Ségal, 1987:55). L'identité culturelle moderne est faite d'une vision partagée, d'une homogénéité culturelle, d'une absence de division forte de classes, de dirigeants sans sentiment de supériorité, familiers et bons pères de famille.
Comme le souligne Touraine en critiquant la thèse culturaliste sur le Japon, cette thèse a incontestablement le "mérite de démontrer l'insuffisance d'explications purement économiques et techniques" et "les limites d'une analyse purement libérale et rationaliste de la croissance" (Touraine, 1984: 8-9). Il y a donc des processus d'industrialisation et de changement social différents selon les sociétés, il n'y a pas un one best way anglo-saxon qui mène à la croissance; il y a plutôt des modèles de société comme on l'a rappelé au début à propos des trajectoires nationales.
Mais les deux thèses "se situent dans le même champ épistémologique et s'alimentent l'une l'autre dans leur opposition. Au coeur de l'analyse, on trouve un groupe homogène, dont la cohésion n'est jamais remise en question. La stratification sociale, quand elle est admise, sinon souhaitée, n'est pensée qu'à travers le prisme de l'unicité du groupe" (Bourque et Légaré, 1979: 20-21). La bourgeoisie canadienne-française est faible, soutient Taylor parce qu'elle "subit encore, de façon très marquée, l'influence des modes traditionnels de comportement" (Taylor, 1961) et notamment le lien entre les affaires et la vie familiale. La bourgeoisie est forte, soutiennent Aktouf, Bédard et Chanlat parce qu'elle s'inspire de la tradition. "L'émergence de ce qu'on peut dorénavant appeler "le mode de gestion à la québécoise" n'est pas le fruit d'une génération spontanée. Il trouve ses antécédents dans la tradition rurale, dans l'influence de l'Église catholique et dans l'héritage laissé par Duplessis, entre le début des années 1940 et la fin des années 1950. Même si la société canadienne-française s'est urbanisée il y a déjà quelques décennies, elle reste encore profondément marquée par plusieurs siècles de vie centrée sur la communauté villageoise". En somme, poursuivent-ils, les "racines (de la philosophie Cascades) plongent dans les valeurs du monde rural, de la féodalité et du catholicisme..." (Aktouf, Bédard, Chanlat, 1992: 92-93).
Ainsi le groupe, la communauté, l'homogénéité priment sur l'individu, les différences et la division en classes. S'il y a une classe bourgeoise, elle se différencie très peu du peuple, elle appartient à la nation. Elle n'exploite pas, elle est généreuse, protectrice, père de famille. Pour faire ainsi ressortir l'homogénéité, il est nécessaire de faire le détour par les valeurs, la culture partagée, le consensus. Par définition, toute analyse culturaliste repose sur le consensus, les traits culturels partagés. Dans ce sens, c'est un discours idéologique et légitimateur plutôt qu'explicatif puisqu'il fait l'impasse aussi bien sur la structure sociale de la société québécoise que sur les conflits qui traversent cette société.
En termes plus théoriques, disons que le culturalisme conduit à représenter une société comme la mise en forme, l'organisation sociale d'orientations culturelles, en éliminant les conflits de classes et les conflits politiques (Touraine 1973:289). Précisément, dans le cas de l'entreprise Cascades et de ses dirigeants présentés comme le symbole de la bourgeoisie québécoise, il n'est jamais question de système politique, de relations patronales-syndicales, de système institutionnel, comme si encore une fois il y avait passage direct des valeurs à une organisation sociale, à des modes de coordination et de relations sans la médiation du système politique. En somme la société se réduirait à n'être qu'une organisation, sans conflits de classes ni conflits politiques. Cette image ne correspond-elle pas à celle qu'aime à donner la bourgeoisie, les dirigeants, c'est-à-dire une représentation de la société comme communauté dont ils sont les interprètes et les guides?
En somme l'approche culturaliste est nettement insuffisante aussi bien pour expliquer l'infériorité économique des Canadiens français et la faiblesse de leur bourgeoisie que pour rendre compte du dynamisme de la bourgeoisie québécoise actuelle. Pour éviter tout malentendu, cette critique du culturalisme exige quelques commentaires.
En premier lieu, notre critique du culturalisme ne doit pas être interprétée comme une négation de l'importance de la culture et un plaidoyer pour une analyse exclusivement économique. La critique du culturalisme par l'économisme ne fournit pas d'instruments théoriques nouveaux pour faire avancer l'analyse. En nous inspirant de travaux de Lipietz (1989) et de Touraine (1973), nous avons tenté d'élaborer une problématique susceptible de sortir de l'impasse dans lequel nous enferment aussi bien le culturalisme que l'économisme. Cette problématique tente de prendre en charge aussi bien l'économie que la culture mais en accordant la première place aux rapports sociaux. Rappelons à grands traits les principaux éléments de cette problématique que nous avons présentée ailleurs (Bélanger et Lévesque, 1991 et 1992).
Selon cette problématique, la société est conçue comme une articulation hiérarchisée de trois dimensions ou systèmes d'action:
- les rapports sociaux (classes et mouvement sociaux),
- les formes institutionnelles ( compromis institutionnalisés),
- l'organisation sociale (coordination et modes de gestion).
Les rapports sociaux sont au centre de l'analyse et commandent les institutions qui elles-mêmes édictent les règles organisationnelles. Les rapports sociaux sont le cadre des luttes sociales. Les groupes sociaux, classes ou mouvements, "quelle que soit l'ampleur de leur divergence de leurs intérêts et de l'inégalité de leurs conditions, ces groupes, pendant de larges périodes de temps, constituent une nation où les rapports se perpétuent sans contestation majeure. On appelle bloc social un système de rapports de domination, d'alliances, et de concessions entre différents groupes sociaux (dominants et subordonnés), et un bloc social est hégémonique quand il fait reconnaître de façon plus ou moins coercitive son dispositif comme conforme à l'intérêt de la grande majorité d'un "Territoire" (Leborgne et Lipietz, 1989 et 1992). Ainsi les parties prenantes au bloc à travers leurs luttes développent un consensus dont les éléments sont tout autant constitués d'orientations culturelles que d'intérêts matériels. Ces orientations culturelles, ce sont les valeurs, la culture. Elles ne sont donc pas le produit de la tradition, elles sont produites socialement comme représentations de la société par les luttes des forces sociales en présence, y compris les groupes dominés. Les orientations culturelles ne sont jamais celles de la bourgeoisie exclusivement, mais un compromis afin qu'elles puissent entraîner un consentement actif ou passif, une certaine adhésion. Pour cette raison, consensus ici ne signifie pas homogénéité et absence de différentiation; il signifie toujours un enjeu susceptible d'interprétations différentes par les groupes sociaux, un compromis favorisant des alliances et des concessions.
À titre d'exemple, l'alliance de la bourgeoisie, des ingénieurs et des intellectuels modernistes a imposé au monde occidental sa conception du progrès comme progrès technique et scientifique ainsi que comme progrès social par la participation à la croissance. Personne ne pouvait s'opposer au progrès, mais tous n'étaient pas d'accord avec les formes qu'il prenait. Bref l'étude de la culture ne peut négliger, comme c'est le cas le plus souvent, les conditions de sa production à travers les rapports sociaux. Il y a culture mais nous sommes à cent lieues de la communauté homogène. Il y a culture, toujours spécifique, et ce d'autant plus qu'elle est constituée par un bloc hégémonique régional où se pose la question nationale, où l'oppression nationale est forte et engendre des luttes.
En deuxième lieu, nous devons reconnaître qu'Aktouf, Bédard et Chanlat ont raison de souligner que l'on peut entrer dans la modernité par d'autres modes que l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme. Cette reconnaissance est en cohérence avec de ce que nous venons de dire sur la culture et les rapports sociaux. De plus, comme nous l'avons dit plus haut, cette idée est sous-jacente à la problématique des trajectoires nationales et des modèles nationaux de développement. Comme le souligne Touraine, on a longtemps cru "que l'universalisme de la raison remplacerait de plus en plus les particularismes sociaux, culturels et nationaux... (Cette idée) est renversée et débordée par une réalité historique dans laquelle c'est avec du vieux que se fait le neuf, par le particularisme qu'on marche à l'universalisme ou qu'on lui résiste, alors que tant d'esprits ont cru que la modernité était le passage du particularisme à l'universalisme et de la croyance à la raison...C'est dans cette dissociation parfois limitée, parfois extrême, de la modernité et des acteurs de la société en modernisation que réside la crise de l'idéologie classique de la modernité qui reposait sur l'affirmation de leur correspondance parfaite" (Touraine, 1992: 164). La modernité a donc été associée directement à un mode de modernisation: le modèle anglo-occidental. Tous les autres étaient définis comme des capitalismes tardifs, mais qui, justement ne tarderaient pas à délaisser les idées et les modes d'organisation passéistes. La crise de la modernité et la diversité des modes de développement obligent à dissocier modernité et modernisation. Si la modernité représente l'universalisme, la modernisation, elle, "suit des voies et mobilise des ressources toujours particulières, nationales ou locales" ( Ibid). C'est donc par l'alliance de l'universalisme et de particularismes qu'on peut le mieux identifier les modèles de développement.
Dans les termes de la théorie de la régulation (Boyer, Lipietz et alii), on dirait que le modèle fordiste longtemps considéré comme le one best way, l'unique modèle voué à la diffusion universelle, est entré en crise à la fois de l'intérieur, par la remise en question de ses compromis, et de l'extérieur par l'émergence de nouvelles formes de demandes sociales. La recherche de nouveaux modèles de développement passe par une diversité de trajectoires nationales ou régionales qui mobilisent des ressources spécifiques (technologiques, humaines ou organisationnelles), et élaborent de nouveaux compromis particuliers ou singuliers correspondant à la spécificité des forces sociales en présence (Bélanger et Lévesque, 1991a).
• La dynamique québécoise
de modernisation de l'économie
Si l'on admet, avec Aktouf, l'entrée dans la modernité par les particularismes, et si par ailleurs l'approche culturaliste nous paraît insuffisante pour en rendre compte, comment alors expliquer le dynamisme et la réussite des entreprises québécoises, comment caractériser le modèle québécois de développement et plus spécifiquement les modèles d'entreprises? Cette question est très vaste et exige une réponse en deux étapes: d'abord une histoire du mode d'industrialisation, ensuite l'articulation des formes d'entreprises.
On ne peut ici faire l'histoire de l'époque récente de l'industrialisation du Québec. Avec plusieurs auteurs (Bélanger et Fournier, 1987; Bourque et Légaré,1979; Niosi, 1986; McRobert et Posgate, 1983), insisterons toutefois sur le rôle de l'État et la présence du syndicalisme pour montrer que l'originalité du développement économique du Québec tient à ce qu'il a été l'oeuvre volontaire d'une élite dirigeante sous l'égide du pouvoir politique. Trois forces principales se sont alliées pour réorganiser le capital francophone non monopoliste et l'ensemble de l'économie: les sociétés d'État (industrielles et financières), le capital privé et les caisses populaires via le Mouvement Desjardins. L'État a joué un rôle central dans la mise en rapport du capital industriel francophone non monopoliste, dont le marché était surtout local, et dont l'accès au capital financier anglophone était limité pour des raisons de faible rentabilité ou de luttes de pouvoir entre groupes ethniques; mise en rapport donc d'un capital industriel avec un capital financier qu'il a lui-même contribué à organiser [3].
Simultanément à ces changements de la structure économique, les appareils d'État ont été transformés; les mouvements sociaux ont imposé un rythme rapide à ces transformations en même temps que des concessions sur le Code du travail et sur les formes des services publics. La question nationale a cimenté les alliances favorisant ces transformations et la volonté de développement national, au point où les centrales syndicales, par exemple, siègent sur le conseil d'administration de la Caisse de dépôt et de placement ou de la CSST. La loi 101 a renforcé un climat ou un environnement favorable à la montée de la bourgeoisie francophone. Le départ d'environ 170,000 anglophones et de 100 à 120 compagnies ou sièges sociaux dirigés par des anglophones (entre 1976 et l'adoption de la loi 101) ont favorisé aussi la montée des francophones dans les postes de direction et de cadres (W. D. Taylor, 1988: 12; Fraser, 1987).
Ce mode d'industrialisation est bien différent du modèle universaliste et rationaliste, de celui des États-Unis, par exemple, où le développement est considéré comme le résultat exclusif des forces du marché et de la capacité de conquérir des débouchés extérieurs. Au Québec, dès la Révolution tranquille, le développement a été considéré comme un objectif collectif, comme le résultat de la mobilisation de ressources sociales et culturelles, comme une volonté à la fois de conquérir une place dans le marché nord-américain et de conserver son identité nationale. Cela ne veut pas dire que la tendance libérale ait disparu; elle a toujours été présente, elle l'est encore aujourd'hui. Les hésitations qui caractérisent les politiques économiques du gouvernement Bourassa (voir le plan Johnson et la politique des grappes de Tremblay) laisse bien voir que les tendances libérale et volontariste se retrouvent à l'intérieur d'un même parti comme le parti libéral. Cependant, ce qu'il nous apparaît important de retenir, c'est que la dynamique québécoise est colorée voire spécifiée par la présence, la lutte et les politiques de la tendance volontariste pour soutenir les initiatives du capital privé et initier des politiques d'épargne et d'investissement.
Ce sont là les particularismes québécois. Bien sûr il y a une identité culturelle, le complexe d'infériorité et le repli sur la famille relevés par Taylor se sont transformés en confiance et ouverture, mais ce ne sont pas là des héritages de la tradition mais des créations du réseau complexe d'institutions publiques et privées, de relations et d'alliances entre les forces sociales. Que ce réseau soit "tricoté serré", soit, mais pourquoi l'identifier à la communauté imaginaire et imaginée du village d'autrefois si ce n'est pour masquer à la fois les luttes entre fractions des classes dominantes ainsi que les conflits dans les relations patronales-syndicales.
Pendant la première période de ce développement, les syndicats ont souscrit à ces objectifs de modernisation, entre autres en participant à certains conseils d'administration et comités paritaires. Comme on l'a dit plus haut, le bloc social au pouvoir, les élites dirigeantes se sont appuyés sur les ressources nationales-régionales et ont développé un modèle de développement qui rencontrait les aspirations économiques des travailleurs québécois (ouvriers et salariés) de même que les aspirations socio-culturelles. Le slogan "Maître chez nous" symbolisait bien la convergence de ces aspirations. Mais les syndicats ont aussi cherché à obtenir des concessions, c'est-à-dire à étendre les avantages du fordisme, entendu au sens large, à l'ensemble de la population, par l'élargissement des services publics et l'accès à la syndicalisation des travailleurs du public. Le syndicalisme au Québec est devenu le plus puissant en Amérique du Nord.
À partir des années 1970, c'est-à-dire de la crise, les syndicats ont radicalisé leurs positions et attaqué la bourgeoisie quelle qu'elle soit. La conjonction de ce radicalisme et de la montée des nouveaux mouvements sociaux a donné lieu aux larges mobilisations de 1972. Puis devant les demandes de plus en plus pressantes du patronat, les syndicats ont été obligés de se replier sur la défense des acquis. Ils ont adopté des politiques défensives en riposte aux attaques contre les salaires, les nouveaux statuts d'emploi, la fermeture des usines, comme d'ailleurs partout dans le monde occidental industrialisé (Boyer, 1986) La tendance volontariste réaffirmée par l'élection du Parti Québécois a réussi à susciter ou ressusciter des objectifs de coopération d'une part par des concessions comme la Loi anti-scab et d'autre part par des Sommets économiques réunissant tous les partenaires sociaux afin de trouver des moyens de sortie de crise et de mobilisation des énergies collectives (Boucher, 1992).
• Le modèle québécois d'entreprises:
deux configurations
Le modèle québécois de développement s'est donc constitué par un réseau complexe d'institutions coopératives, étatiques et privées, de même que par une insertion des syndicats dans la définition des politiques. C'est notre National Policy fondé sur le maillage des entreprises et une stratégie d'ouverture des syndicats (Fagot, 1990). Il nous faut maintenant examiner comment ce modèle (ou cette configuration de rapports sociaux) s'est traduit dans les modèles d'entreprises, comment les nouveaux industriels ont cherché à organiser leurs entreprises. Si les caractéristiques indiquées ci-haut sont exactes, on peut dire d'ores et déjà que deux modèles se dessinent: l'un que l'on peut associer à l'entreprise Cascades et l'autre à des entreprises se caractérisant par le renouvellement des relations patronales-syndicales. Dans le premier cas, il s'agit d'un type d'entreprise sans doute associé au Québec Inc par certaines formes de maillage (Cascades a profité des politiques fiscales de l'État, comme les RÉA) mais qui s'est élaboré sans la présence des syndicats en misant sur des relations personnelles et individualisées dans l'entreprise, et donc une direction charismatique voire paternaliste. Dans le deuxième cas, comme nous le verrons maintenant, il s'agit d'un modèle de modernisation qui repose sur la négociation, le partenariat avec les syndicats et sur une codification plus poussée de la participation.
À partir du début des années 1980, les syndicats quoique avec des accents différents adoptent des politiques offensives sans doute inspirées par les expériences du modèle volontariste de développement. Ainsi, alors que la FTQ lance son Fonds de solidarité et que la CSN revoit sa politique sur l'organisation du travail, des Sommets économiques et le Forum sur l'emploi réunissent patrons et syndicats pour trouver des politiques de sortie de crise. Plutôt que de se laisser imposer le concession bargaining, comme aux États-Unis, les syndicats québécois suggèrent et défendent des contre-propositions, acceptent contre garanties et avantages (ex. la sécurité d'emploi) de modifier leurs pratiques de négociation et de s'impliquer dans les programmes de travail en équipes ou de qualité totale. Il faudrait ici sans doute donner beaucoup d'exemples pour lever les doutes sur le caractère progressiste de ces nouvelles formes d'entreprises. Pensons aux nouveaux contrats de travail et aux nouvelles formes d'organisation du travail bien publicisés et quelque fois bien documentés dans des entreprises comme Atlas Steel, GM-Boisbriand, ou Alcan (Lapointe, 1991 et 1992). On objectera que ce ne sont pas là des entreprises typiques du dynamisme des entrepreneurs québécois, mais il ne faut pas oublier que souvent ce sont les travailleurs et leurs syndicats qui sont à la source, par leurs contre-propositions, d'initiatives originales et typiquement québécoises dans ces entreprises. GM n'a pas imposé à Boisbriand le modèle NUMMI de Freemont en Californie (Huard, 1991). De plus, il existe aussi des entreprises à propriété francophone bien connues comme Shermag (Bagaoui, 1993), Domtar, ou Tembec, où des formes nouvelles d'entreprises se dessinent. Les principaux traits de ces nouvelles formes d'entreprises sont les suivants:
- des relations patronales-syndicales centrées sur la flexibilité et la coopération, sans exclure le conflit; les contrats de travail prévoient une forte participation des travailleurs au système de décision de l'entreprise par l'entremise de comités paritaires portant sur les changements technologiques, la formation professionnelle, la mutation du personnel, etc.;
- la coordination du travail est faiblement hiérarchisée, les formes autoritaires de commandement font place à des réunions analogues à celles des cercles de qualité, et le contremaître est souvent remplacé par un chef d'équipe; la communication est établie entre les différents paliers de la hiérarchie;
- le travail en équipes a remplacé l'addition de postes parcellisés, la multiplicité des définitions strictes de postes de travail fait place à des classifications plus larges; les équipes acquièrent une plus grande autonomie dans la répartition des tâches et l'amélioration des procédés de production;
- une plus grande implication des travailleurs dans la qualité et la productivité.
De ce point de vue, les particularismes québécois et notamment la différence avec le modèle américain et ontarien, résident à la fois dans la mobilisation des ressources humaines, techniques, financières, organisationnelles et sociales sous l'égide de l'État (pour entrer dans la modernité) et dans la présence d'un syndicalisme offensif, ouvert à de nouvelles formes de coopération. Bien sûr coexiste le modèle tiré de l'expérience Cascades: entreprise familiale, somme de petites entreprises pour constituer une multinationale, direction paternaliste et charismatique, relations personnalisées, absence de syndicat, partage des profits, semblable en cela au modèle californien bien décrit par Messine (1987: 79-98). Mais, ce modèle Cascades, il faudrait l'expliquer autrement que par une éthique héritée de la tradition et du catholicisme.
De plus, le modèle Cascades ne saurait être érigé en idéal-type exclusif du modèle québécois. D'une part il est ancré dans des régions et des localités bien particulières, il repose sur des individus aux qualités indéniablement exceptionnelles, il renvoie à des innovations et un créneau de marché exigeant une forte coopération dans la production, enfin la direction semble avoir de la difficulté à reproduire son propre modèle en dehors de son lieu de naissance. D'autre part la réalité québécoise, toute conviviale soit-elle, se définit au moins en partie par la présence forte et combative d'un syndicalisme puissant, qui pousse à l'institutionnalisation des relations sociales, à l'élaboration de règles du jeu négociées sinon à la participation aux décisions. Ne serait-ce que pour cette dernière raison, le modèle Cascades ne saurait se généraliser à l'échelle du Québec. A l'heure actuelle, on peut avancer que le partenariat décrit mieux la réalité québécoise que le paternalisme. De même, s'il faut caractériser l'identité québécoise, elle se laisse mieux saisir par le volontarisme de certaines élites dirigeantes et l'ouverture à la coopération des syndicats que par l'éthique catholique.
Conclusion
Si l'on voulait résumer notre propos, on pourrait dire:
• les particularismes québécois, la tradition et la culture ont été identifiés (par Taylor d'un côté et Aktouf et alii de l'autre) comme les facteurs pouvant rendre compte aussi bien du retard manifeste des entrepreneurs québécois (canadiens-français) au début des années 1960 que de leur succès et de leur dynamisme qu'atteste bien la formule Québec Inc du début des années 1980.
• ces deux thèses culturalistes se situent dans le même champ épistémologique, à savoir une société définie par la communauté, l'homogénéité culturelle, une absence ou une faible division sociale du travail, des relations sociales empreintes d'affectivité, d'entraide, d'égalité et de justice, l'importance de la famille et des valeurs spirituelles;
• ces deux thèses signalent une réalité, observent des faits incontestables, mais leur problématique culturaliste ne permet pas de les expliquer, en particulier parce qu'ils ne tiennent pas compte des rapports sociaux particuliers aux sociétés capitalistes et à l'oppression nationale;
• Aktouf et ses collègues ont cependant raison de relever qu'une société peut entrer dans la modernité par les particularismes et ils contribuent ainsi à détruire le mythe occidental du one best way rationaliste et du fordisme voué à la diffusion universelle, mythe affaibli déjà par la crise économique, sociale et culturelle des années 1970;
• les particularismes québécois ne sauraient être réduits à des traits hérités de la tradition puisqu'ils sont construits à travers les luttes pour un développement volontariste qui inscrit le Québec dans le marché nord-américain en mobilisant les ressources sociales et culturelles de la société; ce modèle de développement a entre autres entraîné l'émergence et la croissance d'un réseau de relations entre les forces coopératives, les entreprises étatiques et le capital privé en particulier francophone et non monopoliste;
• les particularismes tiennent aussi à la présence d'une force syndicale puissante qui d'une part a souscrit et contribué au projet de développement et d'autre part a imposé des concessions et les conditions de sa participation quelques fois au moyen de luttes et de conflits manifestant sa grande capacité de mobilisation;
• depuis les années 1980, le partenariat entre les différent types de capitaux tend à s'étendre aux relations patronales-syndicales dans une recherche de voies de sortie de crise, ce qui donne lieu à de nouveaux modèles d'entreprises dont les deux traits principaux sont d'une part des contrats collectifs négociés où les travailleurs sont inclus dans le système de prise de décision, c'est-à-dire dans le système politique de l'entreprise, et d'autre part des formes flexibles et qualifiantes d'organisation du travail;
• le modèle Cascades coexiste mais ne peut prétendre à la généralisation en raison de la forte institutionnalisation des relations économiques et sociales au Québec, tant entre les différents types d'entreprises qu'entre le patronat et syndicalisme.
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* Communication présentée au Congrès de l'ACFAS dans le cadre de l'ACSALF en mai 1993 à l'Université du Québec à Rimouski.
[1] Talcott Parsons (1951: 58-67) a systématisé cette opposition entre tradition et modernité par les fameux dilemmes de l'orientation de l'action (les "Pattern-Alternatives of Value-Orientation": particularisme-universalisme, affectivité-neutralité affective, statut transmis-statut acquis (être-performance), diffusion-spécificité (expressif-instrumental). .
[2] Nous empruntons l'épithète de souverainiste à Bourque et Légaré qu'ils attribuent à la thèse de Brunet dans leur analyse de l'historiographie traditionnelle. Brunet soutient qu'il existait une bourgeoisie en Nouvelle-France mais qu'elle a été décapitée par la Conquête et remplacée par une bourgeoisie anglophone. La nation canadienne française , dépourvue de bourgeoisie ne peut se donner les appareils nécessaires au développement du capitalisme et doit se replier sur l'agriculture. L'école libérale soutient qu'il n'y avait pas de bourgeoisie en Nouvelle -France, que l'absence de bourgeoisie explique l'infériorité, mais que cette absence résulte non pas de la Conquête mais du manque d'imagination et d'esprit du capitalisme. Bourque et Légaré, Le Québec. La question nationale, Paris Maspero, 1979, p. 18-20.
[3] Soulignons, pour mémoire que dès le début des années 70 un Comité interministériel recommande une politique économique de mutation structurelle axée sur l'aide à l'innovation technologique. Comité interministériel sur les investissements étrangers, Le Cadre et les Moyens d'une politique québécoise concernant les investissements étrangers, Gouvernement du Québec, 1974. Ces orientations stratégiques seront confirmées par la politique économique du gouvernement du parti québécois (Gouvernement du Québec,1979).
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