[223]
Paul R. BÉLANGER et Louis MAHEU
“Pratique politique
étudiante au Québec.”
[pp. 223 -257.]
- Ce texte fut rédigé à partir d'un travail commun réalisé par Paul R. Bélanger, François Béland, Michel Doré et Louis Maheu et qui donna lieu à une communication au Congrès mondial de sociologie tenu à Varna en 1970. Le texte tel que présenté ici, s'éloignant largement du premier travail qui l'a rendu possible, ne saurait être imputé qu'à ses auteurs qui remercient par ailleurs François Béland et Michel Doré dont les efforts ont contribué à leur travail.
Ce texte est extrait de Recherches sociographiques ; vol. 13, n° 3, sept.-déc. 1972, pp. 308-342.
La mobilisation politique des populations étudiantes n'est pas eu soi un phénomène vraiment contemporain. Certaines études ont déjà établi que des groupes étudiants ont participé à des mouvements politiques à diverses époques de l'histoire. [1] Par contre, la pratique politique étudiante, ces dernières années, s'est amplifiée en même temps qu'elle se caractérisait par des traits plus spécifiques et particuliers à cette population. Aussi a-t-on vu croître, en sociologie, un intérêt nouveau pour l'analyse de ces phénomènes. Les études consacrées à ce sujet se multiplient de même que les schémas d'analyse se diversifient.
Pour l'étude de la pratique politique étudiante québécoise contemporaine, nous avons, pour notre part, opté pour une grille d'analyse qui n'enferme pas l'étudiant, comme agent politique, dans le système d'enseignement supérieur. Sa mobilisation politique ne nous semble pas, au premier chef, être fonction de sous-cultures étudiantes plus ou moins contestataires et typiques des milieux universitaires ou des seules difficultés de fonctionnement des systèmes universitaires. Encore moins sommes-nous portés à penser que la marginalité sociale de la jeunesse étudiante est un facteur déterminant de politisation : « camper hors de la nation » ou de la société n'est pas de nature à susciter la mobilisation politique.
Au contraire, notre analyse ne produit une définition de l'étudiant comme agent politique qu'au moyen de déterminations structurelles qui conditionnent, provoquent et organisent la pratique politique étudiante qui vise elle-même à modifier le cadre sociétal où elle émerge.
[224]
Au nombre des principales caractéristiques de la période des années '60 dans l'histoire du Québec, il nous faut retenir la politisation des problèmes de fonctionnement de l'appareil scolaire québécois : les rapports entretenus par cet appareil avec d'autres structures de la société, le système de production économique par exemple, devenaient l'enjeu de luttes et de rapports politiques. L'État et les diverses couches sociales qui appuyaient ses politiques d'intervention auprès de l'appareil scolaire rencontraient l'hostilité et l'opposition plus ou moins soutenues d'autres couches sociales qui appréciaient différemment les politiques de l'État en ce domaine.
Avec l'adoption du bill 60 qui créait, en 1963, le ministère de l'Éducation du Québec, le parti au pouvoir imposa une restructuration de l'appareil scolaire qui impliquait une responsabilité plus nette et ferme accordée à l'État et la mise en place d'organes officiels de consultation, comme le Conseil supérieur de l'Éducation, où l'Église était loin de conserver une fonction prépondérante. [2] Le législateur devait même consulter, au moment de la formation du premier Conseil supérieur de l'Éducation, de multiples associations qui n'avaient pu auparavant s'imposer comme interlocuteurs dans un secteur contrôlé par l'Église. Parmi celles-ci, notons les associations d'enseignants ; les associations d'administrateurs dans le domaine scolaire ; les associations de parents et parents-maîtres ; les associations syndicales ; et diverses associations d'affaires. Puis finalement, le législateur dut consentir, après que des représentations eurent été faites dans ce sens, à prendre aussi l'avis d'associations étudiantes et d'associations de professeurs et d'administrateurs universitaires. [3]
On a pu également observer, dans le processus de régionalisation de commissions scolaires, que même au niveau local et régional, les agents qui contrôlaient traditionnellement l'appareil scolaire pouvaient voir leur position sociale remise en cause. [4] Bref, la politisation des problèmes d'éducation a modifié les rapports de force entre les divers groupes sociaux qui se préoccupaient des politiques d'intervention de l'État auprès de l'appareil scolaire.
L'État devait aussi se lancer, au cours des années '60, dans des transformations importantes des structures académiques et du contenu des programmes d'enseignement. Ces mutations de structures et de programmes d'études visaient essentiellement à reprendre le retard que connaissait le Québec, par rapport aux principales provinces canadiennes, et notamment l'Ontario et la Colombie britannique, dans le développement de son appareil scolaire. On attribuait à ce retard les problèmes de développement économique du Québec qui se manifestaient par un revenu moyen inférieur à celui des provinces canadiennes riches et par une productivité industrielle, en général, plus faible. La main-d'œuvre québécoise ne présentait pas des standards de qualification très élevés, ni des niveaux d'instruction jugés satisfaisants. [5]
[225]
Aussi, l'intervention de l'État auprès de l'appareil scolaire québécois avait-elle un sens bien précis : elle concernait la préparation et la modernisation d'une main-d'œuvre professionnelle au moyen de transformations apportées aux structures et au contenu de l'enseignement. Afin d'assurer une plus grande adaptation de l'appareil scolaire aux exigences de développement de la société, l'État misait essentiellement sur le « capital humain » et le perfectionnement des « ressources humaines » comme facteur de production.
Ainsi cette intervention s'est accompagnée d'une augmentation considérable des investissements en éducation. Les dépenses totales d'enseignement au Québec qui étaient, à la fin des années '50, de l'ordre de $300,000,000, passaient en 1963 à $719,319,000 ; elles ont donc plus que doublé sur une période de cinq ans. [6] Les dépenses du ministère de l'Éducation sont passées de près de $200,000,000 en 1960-61 à près de $710,000,000 en 1967-68, puis à $1,100,114,000 en 1970-71 ; sur une période de dix ans, ces dépenses ont été multipliées à peu près par dix. Ces hausses représentent des taux d'augmentation annuelle qui sont légèrement supérieurs à l'augmentation annuelle des dépenses du gouvernement du Québec ; [7] ainsi, la proportion du budget total consacrée à l'enseignement est passée de 23% en 1959 à 32% en 1964, puis à 34.7% en 1969.
Il faut encore souligner que cette intervention de l'État auprès de l'appareil scolaire s'est accompagné d'un discours idéologique de circonstance. L'État, au moyen de slogans tels « Qui s'instruit s'enrichit », devait expliquer à la population combien l'éducation était le moyen par excellence de la promotion collective de la communauté canadienne-française. Le Québec était invité à joindre les sociétés industrielles avancées qui valorisaient, comme politique de croissance et de progrès, le développement et le perfectionnement continus des « ressources humaines ». [8]
I. L'ÉTAT ET L'APPAREIL SCOLAIRE
Trouver une explication à l'emprise que l'État, en tant qu'appareil central de la région politique d'une structure sociale globale, exerce sur l'appareil scolaire, suppose que l'on se donne quelques hypothèses de travail sur la fonction de l'État au sein d'une structure sociale. De telles hypothèses permettront de produire une interprétation des mutations subies par l'appareil scolaire dans les années '60 et des visées de l'État en regard d'une politique québécoise de perfectionnement et de développement des « ressources humaines ».
Des travaux récents, et entre autres ceux de R. Miliband, N. Poulantzas et A. Touraine, [9] suggèrent que la région politique d'une structure sociale est celle où s'élabore et se cristallise la cohésion, à un moment donné, d'une structure sociale en situation. Cette cohésion qui, par définition, est constamment à reprendre, est fonction du travail spécifique de l'État qui assure la gestion des principales contradictions de toute structure sociale et des rapports de force qu'elle englobe. Ces contradictions origine essentiellement des positions différentielles occupées par les classes ou couches sociales au sein du système de production puis dans les autres régions de la structure sociale. Comment les diverses classes et couches sociales parviendront-elles à influencer les politiques étatiques de manière à assurer la défense et la promotion de leurs intérêts sociaux ?
Ainsi revient-il à l'État, au sein de la région politique d'une structure sociale donnée, d'assurer et d'organiser, au moyen de ses multiples fonctions de législateur, de planificateur, de dirigeant politique, de définiteur de situation, la cohésion de la structure sociale. Il ne peut exécuter ce travail que dans la mesure où son ancrage dans la structure sociale, loin d'être marqué au coin de la neutralité, est fonction des rapports de conflit et d'alliance existant entre les diverses forces sociales de cette structure. Ainsi l'État est-il finalement entre les mains de forces ou couches sociales qui maintiennent des rapports particuliers avec la classe sociale dominante d'une structure sociale donnée. Cette dernière ne doit pas nécessairement activer elle-même les divers appareils de l'État pour qu'il émette et développe des politiques utiles au maintien et au renforcement de sa position sociale. Elle se fait le plus souvent l'allié d'un personnel politique, technocratique puis bureaucratique, dont l'autorité et le pouvoir sont fonction des liens qu'il maintient avec les forces sociales dominantes.
Pour les fins de notre démonstration, nous avons mis délibérément l'accent sur le processus par lequel l'État manifestait sa volonté d'intervention auprès de l'appareil scolaire québécois. Mais, [227] on ne saurait guère nier que ce processus s'inscrivait dans un contexte politique plus large où l'État était au centre de rapports socio-politiques qui opposaient et liaient tout à la fois la bourgeoisie industrielle et financière et la petite bourgeoisie canadienne-française. On peut rappeler à cet égard que la « Révolution tranquille » et les années qui la suivirent ont vu l'émergence d'un vaste programme de modernisation économique, administrative et culturelle. En plus d'une réforme complète de l'appareil scolaire, l'État imposait la nationalisation des trusts producteurs d'électricité ; la création de régies d'État pour assurer une meilleure gestion financière, stimuler la production économique, aider à la diversification et à l'augmentation des activités industrielles ; la rationalisation de l'administration publique ; la formation d'organismes-conseils voués à susciter le développement économique. Enfin ces dernières années, l'État s'attaquait au domaine du bien-être social et de la santé par une politique de planification des ressources investies dans ce secteur et de l'utilisation des divers services mis à la disposition de la population. Bref, tout au cours de la période qui nous retient, le bloc au pouvoir devait faire appel à divers appareils d'État, de manière à stimuler le développement économique du Québec.
Nous avons déjà souligné, comme l'indiquaient d'ailleurs la Commission Parent et le discours idéologique des dirigeants politiques, que la réforme de l'appareil scolaire visait essentiellement, d'une part, à préparer et moderniser la main-d'œuvre professionnelle dont avait besoin le Québec et, d'autre part, à perfectionner et rationaliser le fonctionnement des institutions qui doivent assurer la promotion de la main-d'œuvre. Nous pouvons émettre maintenant l'hypothèse que cette opération, au même titre que plusieurs des politiques de l'État au cours des dernières années, était finalement commandée par l'emprise de la bourgeoisie industrielle et financière sur l'État et par les pressions qu'exerçait sur ce dernier une clientèle politique plus large formée de forces sociales en voie de mobilité socio-politique ascendante au sein de la structure sociale québécoise. En effet, en premier lieu, les politiques de l'État qui assurent une meilleure préparation et qualification de larges fractions de la main-d'œuvre professionnelle profitent d'abord essentiellement à la bourgeoisie industrielle et financière. Cette dernière est située de telle façon au sein d'une structure sociale, qu'elle commande en quelque sorte les politiques de l'État qui visent à parfaire la formation des forces productives. La productivité améliorée de ces dernières et les progrès de la technologie au niveau de l'utilisation des machines et du traitement des matériaux lui permette de maintenir et de renforcer sa position sociale dans la mesure où elle met en œuvre les procès de production.
Il faut remarquer, en second lieu, que si la bourgeoisie industrielle et financière profite de politiques sociales qui ne peuvent qu'assurer l'amélioration de la productivité d'une main-d'œuvre plus [228] spécialisée, l'État peut d'autant plus développer de telles politiques que celles-ci obtiennent simultanément l'appui de sa clientèle socio-politique plus large et des couches sociales qui se servent de ces politiques pour la promotion de leurs intérêts. Dans la région politique d'une structure sociale donnée où l'État est soumis au jeu politique des systèmes parlementaires, il faut que le groupe social qui contrôle cet appareil maintienne sa position socio-politique au moyen de politiques qui lui assurent la fidélité d'une large clientèle sociale. Sa gestion des principales contradictions d'une société ne peut échapper aux pressions qu'exercent des couches sociales en mobilité socio-politique ; ainsi, au Québec, les couches sociales plus urbanisées et scolarisées que le processus de développement économique fait émerger manifestent-elles des demandes sociales et politiques conformes à leur recherche d'une mobilité aussi bien occupationnelle que sociale.
En ce sens, on peut dire que la bourgeoisie industrielle et financière qui, grâce à sa position socio-économique dominante, influence les politiques de l'État peut être, conjoncturellement, l'allié objectif des couches sociales qui cherchent aussi à se servir des politiques étatiques en vue d'assurer leur mobilité sociale ascendante. Ces relations fonctionnelles momentanées d'alliance objective n'excluent pas tout affrontement dans la mesure même où la mobilité socio-politique de certaines couches de population peut mener ces dernières à s'opposer aux goulots d'étranglement que les intérêts de la bourgeoisie industrielle et d'affaire pourraient opposer à leur mobilité. De telles conjonctures de rapports socio-politiques peuvent alors provoquer des rapprochements entre forces sociales en mobilité socio-politique ascendante et forces sociales opposées aux politiques de l'État.
Il nous faut encore ajouter que les couches sociales en mobilité socio-politique se caractérisent souvent par une utilisation accrue de la qualification professionnelle pour pénétrer dans le monde de la production industrielle ou pour accéder à des postes au sein d'appareils d'État modernisés, tels la santé et le bien-être social, le système scolaire, les organismes de planification économique et sociale. Ces couches sociales particulières de professionnels salariés constituent ce qu'on appelle la nouvelle petite-bourgeoisie. Divers moments de la conjoncture des rapports de force les montreraient tantôt objectivement alliées à la bourgeoisie industrielle et financière, tantôt liguées avec les forces sociales d'opposition. En effet, la nouvelle petite-bourgeoisie doit tenir compte de l'ensemble des forces sociales qui peuvent conditionner au premier chef ses visées de mobilité socio-politique. D'autre part, particulièrement sensible aux idéologies de valorisation du progrès économique, de la croissance, de la productivité et de ses prérequis, elle cherche à marchander, aussi bien qu'à imposer, ses appuis et son pouvoir politiques et à [229] utiliser des canaux de mobilité qui lui permettront de manifester son influence socio-politique. Pour ce faire, elle aura fréquemment recours à l'appareil scolaire et à l'ensemble du réseau institutionnel étatique dont elle saura profiter à sa manière.
Bref, nos hypothèses nous amènent à affirmer que les politiques d'intervention de l'État auprès de l'appareil scolaire profitent et à la bourgeoisie industrielle et financière, dont la position sociale s'accommode bien de politiques qui améliorent le rendement d'un système économique de production, et aux couches sociales dites néo-petites-bourgeoises qui cherchent, au moyen de politiques sociales qu'elles peuvent plus ou moins proposer ou imposer à l'État, à se servir du réseau institutionnel étatique comme instrument de mobilité socio-économique.
II. PRESSIONS DE LA DEMANDE SOCIALE
SUR L'APPAREIL SCOLAIRE
L'appareil scolaire québécois, depuis le début des années '50 mais plus particulièrement encore depuis le début des années '60, a connu une progression graduelle de ses effectifs répartis en plusieurs secteurs, quoique l'intensité de ces augmentations de population a considérablement varié d'un secteur à l'autre. Les classes maternelles, par exemple, ont connu une évolution très sensible de leurs effectifs, à compter surtout des années '56-57, de sorte qu'en l'espace d'environ dix ans, ces effectifs ont été multipliés par huit. [10]
Le niveau secondaire de l'appareil scolaire présente lui, une progression soutenue de ses effectifs depuis surtout la fin des années '50. Le taux de pénétration de la population âgée de treize à seize ans dans ce secteur est caractérisé par des bonds remarquables de sorte que de 38.3% qu'il était en 1951-52, il passe à 61% en 1959-60 pour se hisser à 96% en 1967-68. Ce secteur atteindra donc son niveau de saturation au cours des premières années de l'actuelle décennie. Quant au secteur pré-universitaire, on y observe une progression des effectifs qui voit passer le taux de pénétration, de la population âgée de dix-huit à vingt et un ans, de 3.8% en 1951-52 à 12.5% en 1967-68 ; en nombre absolu, les effectifs passent de 10,200 à 55,900 individus. Quant au secteur proprement universitaire de l'appareil scolaire, on y relève aussi une forte augmentation de sa clientèle : on y dénombre 20,700 étudiants en 1951-52 qui représentent, pour la population de dix-huit à vingt-quatre ans, un taux de pénétration de 4.4% ; puis, en 1961-62, 43,200 étudiants pour un taux de 7.9% ; finalement, en 1967-68, les effectifs atteignent 82,600 étudiants qui hissent le taux de pénétration à 11.3%. En nombre absolu évidemment le secteur du pré-baccalauréat [230] s'avère le plus important ; le secteur post-baccalauréat, avec des effectifs moindres, connaît une plus forte progression. La clientèle de ce dernier secteur est multipliée par un peu plus de six de 1951-52 à 1967-68, avec une augmentation plus sensible à compter de 1961-62 et 1962-63 ; la clientèle du secteur pré-baccalauréat, pendant la même période, est elle-même multipliée par un peu moins de quatre.
Une telle consommation d'éducation devait se manifester par une série de répercussions sur la réussite sociale des diverses couches sociales composant la collectivité québécoise. Quoique nous n'ayons pas de données qui rendraient compte de la mobilité sociale collective canadienne-française pour toute la période de 1960-70, on peut faire appel à une étude qui présente succinctement certains mouvements de population spécifiques aux Canadiens français entre 1954 et 1964. [11]
L'étude de Dofny montre que, de 1954 à 1964, les Canadiens français pratiquent une percée dans les strates socio-occupationnelles non manuelles, qui exigent une certaine qualification professionnelle, et quittent les postes de manœuvres qu'ils occupaient fréquemment. Les Canadiens anglais, quant à eux, pénétraient aussi davantage dans les strates non-manuelles tout en quittant surtout des postes d'employés des services.
- Origine sociale
de certaines catégories d'étudiants
Quoique l'ensemble des tendances que nous avons observées au niveau de la consommation accrue en éducation de 1951-52 à 1967-68 n'avaient pas encore, en 1964, complètement informé la mobilité sociale des Canadiens français, il reste que l'on peut estimer que l'entrée plus massive de ces derniers dans les strates socio-occupationnelles non manuelles fut aidée par une scolarisation accrue de cette population. Aussi, la nette progression de la mobilité sociale ascendante de 1954 à 1964 permet-elle de mieux éclairer les variations, d'une strate socio-économique de population à une autre, de leur pénétration dans les divers paliers de l'appareil scolaire. Cette pénétration différente d'une strate à une autre est mesurée par l'origine socio-économique des étudiants qui fréquentent l'appareil scolaire. [12] L'examen de quelques séries de données nous fournira des points de repère permettant de comparer la position relative de telle strate socio-économique dans la population active en général et dans la clientèle globale de tel ou tel secteur de l'appareil scolaire.
Avant d'examiner l'origine socio-économique des étudiants du niveau universitaire, on peut retenir quelques informations synthétiques d'études portant sur l'origine socio-économique des étudiants du secteur pré-universitaire. [13] Malgré quelques difficultés relatives aux différences de populations étudiantes couvertes dans ces analyses [231] et aux variations de strates socio-occupationnelles retenues dans les échelles utilisées, il ressort de ces études que le secteur pré-universitaire de l'appareil scolaire semble particulièrement accessible aux étudiants dont le père exerce un travail qui le situe dans les catégories socio-occupationnelles moyennes. Par ailleurs, les étudiants dont les pères ont une profession caractéristique des strates socio-occupationnelles inférieures sont en général sous-représentés dans ce secteur de l'appareil scolaire, quoique l'intensité de cette sous-représentation, peut varier d'une étude à l'autre. Quant aux strates socio-occupationnelles supérieures, elles ne souffrent pas de sous-représentation dans ce secteur de l'appareil scolaire. Il semble donc que l'accessibilité au secteur pré-universitaire soit un mécanisme de mobilité sociale utile d'abord aux étudiants issus des strates socio-occupationnelles moyennes.
Pour ce qui est des étudiants de niveau universitaire, nous disposons de quelques études qui ont dégagé certaines tendances relatives à leur origine socio-économique. [14]
Si l'on examine d'abord l'évolution comparée, pour une période qui va de 1950 à 1964, de la pénétration, à l'Université McGill et de Montréal, de diverses couches de population, on constate qu'à l'Université de Montréal les strates socio-occupationnelles supérieures et moyennes, d'après les résultats de recherche obtenus par Michèle Paquette, [15] sont demeurées à peu près stationnaires et quelque peu sur-représentées par rapport à leur position respective au sein de la population active globale. À l'Université McGill, par ailleurs, les mêmes catégories sociales progressaient régulièrement et occupaient des positions relatives plus élevées que celles qu'elles détenaient dans la population active globale. Cette tendance est encore plus manifeste, à McGill, pour les strates socio-occupationnelles moyennes, quoique la progression des strates supérieures ne peut être négligée. Par contre, les strates socio-occupationnelles inférieures connaissent, à McGill même, une augmentation fort lente de leur taux de pénétration. Tendance fort différente à l'Université de Montréal où les strates socio-occupationnelles inférieures sont de loin celles qui enregistrent la hausse la plus forte de tous les taux de pénétration dans le secteur universitaire pour cette période qui va de 1950 à 1964. La recherche de C. Gousse, [16] entreprise par C.R.O.P., confirme en partie ces résultats en présentant, pour 1969, une structure de répartition des populations étudiantes à l'Université de Montréal qui s'harmonise bien avec les tendances déjà observées.
L'étude de J. Brazeau et al. [17] permet de caractériser la clientèle sociale de l'Université de Montréal par rapport aux clientèles sociales des autres universités francophones retenues. [18] Elle amène ainsi à dégager quelques traits significatifs du fonctionnement des universités francophones québécoises. Dans un tel contexte, l'Université [232] de Montréal présente une structure de population étudiante où les strates socio-occupationnelles supérieures sont proportionnellement plus représentées qu'ailleurs : cette proportion, en 1961, était aussi supérieure à la position sociale relative de ces groupes dans la structure globale de la population active. Si les strates socio-occupationnelles moyennes obtiennent une égale représentation au sein des populations étudiantes des trois universités, il n'en va pas ainsi pour les strates inférieures. Ces dernières sont beaucoup plus concentrées à l'Université de Sherbrooke qu'aux universités Laval et de Montréal. Il se peut que l'emplacement géographique de cette institution soit le facteur explicatif d'une telle caractéristique dans la mesure où les élites francophones québécoises sont davantage regroupées à Québec et Montréal.
On peut dégager de ces études que le secteur universitaire de l'appareil scolaire québécois s'avère, pour l'ensemble de la population étudiante francophone répartie dans toute la province, une courroie de mobilité sociale fort importante pour les étudiants issus des strates socio-occupationnelles inférieures et moyennes-inférieures. Quels que soient les décalages de scolarité ou de persévérance scolaire que l'on peut noter entre les populations actives et scolaires ontariennes et québécoises, il faut retenir que ces dernières, au sein de leur collectivité nationale, profitent, à des degrés divers, d'une mobilité sociale à laquelle donne accès une pénétration, plus audacieuse au cours des dernières années, des divers secteurs de l'appareil scolaire. [19]
En résumé, il nous faut retenir que l'appareil scolaire québécois, y compris le secteur de l'enseignement supérieur, sert de canal de mobilité sociale ascendante pour bon nombre de ceux qui s'y inscrivent. La pression de la demande sociale sur l'appareil scolaire, surtout à compter des années '60, devait rendre encore plus manifeste ce mouvement de population. Dès lors constatons-nous le bien-fondé de notre hypothèse : le Québec des années '60 voyait émerger, de façon plus nette et massive, une nouvelle petite-bourgeoisie relativement modernisante qui savait tirer profit des politiques de l'État qui lui rendaient accessible une meilleure qualification professionnelle et une promotion sociale certaine. Par ailleurs, ce phénomène général d'expansion devait s'accommoder simultanément de certaines restrictions : les diverses strates socio-occupationnelles et spécialisations professionnelles n'étaient pas accessibles à toutes les classes sociales ou groupes ethniques. En ce sens, même si l'appareil scolaire permettait une mobilité sociale inter-générationnelle, ce mouvement n'effaçait pas toutes les inégalités sociales ou ethniques dans la mesure où les groupes sociaux ou ethniques du Québec ne voyaient pas leur situation sociale vraiment en cause. Les groupes conservaient et maintenaient leur position sociale particulière.
[233]
TABLEAU 1
Occupation du père d'étudiants de niveau universitaire, selon diverses études. (en %)
Occupation
du père
|
Source
|
Paquette (1950-1964)
|
Brazeau (1961)
|
Gousse (1964)
|
Montréal
|
McGill
|
Laval
|
Montréal
|
Sherbrooke
|
Total
|
Montréal
|
1950
|
1955
|
1960
|
1964
|
1950
|
1955
|
1960
|
1964
|
Professionnel
|
15.4
|
9.7
|
10.1
|
14.6
|
11.3
|
25.7
|
20.5
|
15.6
|
8
|
13
|
5
|
10
|
13.5
|
Gérance et administration (1)
|
3.9
|
6.5
|
5.0
|
6.3
|
3.6
|
10.5
|
13.2
|
14.3
|
6
|
9
|
5
|
7
|
8.5
|
Semi-professionnel
|
1.5
|
2.6
|
3.2
|
4.7
|
1.5
|
3.1
|
4.6
|
7.2
|
2
|
2
|
2
|
2
|
2.2
|
Petite administration et petit commerce
|
28.7
|
29.9
|
28.9
|
27.2
|
16,9
|
27.8
|
37.7
|
41.8
|
27
|
24
|
24
|
25
|
22.1
|
Collet blanc (2)
|
5.4
|
9.0
|
8.7
|
6.7
|
3.6
|
3.1
|
7.3
|
10.1
|
11
|
10
|
10
|
9
|
9.9
|
Ouvrier spécialisé
|
13.0
|
9.7
|
18.3
|
16.9
|
3.1
|
9.4
|
8.2
|
7.6
|
18
|
19
|
19
|
19
|
20.6
|
Ouvrier semi-spécialisé
|
3.9
|
6.5
|
4.6
|
7.5
|
0.5
|
2.6
|
1.8
|
0.8
|
5
|
5
|
5
|
5
|
7.9
|
Manœuvre (3)
|
3.1
|
5.8
|
6.4
|
9.1
|
0.5
|
1.6
|
2.3
|
0.4
|
8
|
5
|
5
|
7
|
6.5
|
Cultivateur
|
4.6
|
5.9
|
8.3
|
5.1
|
2.1
|
4.7
|
3.6
|
2.1
|
12
|
9
|
9
|
11
|
0.9
|
Inconnue
|
20.8
|
14.3
|
6.4
|
2.0
|
56.9
|
11.5
|
0.9
|
0
|
|
|
|
|
|
1. « Propriétaires », dans l'étude de Gousse.
2. « Employés de bureau », dans l'étude de Paquette.
3. « Journaliers », dans l'étude de Paquette. Sources :
Sources : M. Paquette, op. cit.
J. Brazeau et alii, op. cit.
C. Gousse, op. cit.
[234]
TABLEAU 2
Structure occupationnelle masculine du Québec, selon diverses mesures. (en %)
Blishen (1961)
|
Recensement (1961)
|
Dofny (1964)
|
Professionnels et cadres supérieurs
|
|
Professions libérales et techniciens
|
|
Professions libérales et haute administration
|
|
Propriétaires et gérants de grosse entreprise
|
|
Administrateurs
|
|
Semi-professionnels et cadres moyens
|
|
Techniciens, propriétaires, gérants de moyenne entreprise, représentants de commerce
|
|
Employés de bureau, vendeurs, employés des services
|
|
Cols blancs
|
|
Agents de maîtrise, propriétaires et gérants de petites entreprises, opérateurs, ouvriers spécialisés, personnel de bureau
|
|
Employés des transports et communications
|
|
Services personnels et publics
|
|
Ouvriers semi-spécialisés
|
|
Ouvriers qualifiés
|
|
Ouvriers spécialisés et semi-spécialisés
|
|
Journaliers, manœuvres
|
|
Manœuvres
|
|
Manœuvres
|
|
|
|
Agriculteurs
|
|
Fermiers
|
|
|
|
Autres travailleurs du primaire
|
|
|
|
|
|
Non-déclarés
|
|
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Sources : B.R. Blishen, « A socio-economic Index for occupations in Canada »,
Revue canadienne de sociologie et d'anthropologie, IV, 1, février 1967, p. 52.
Recensement du Canada, 1961.
J. Dofny et M. Garon-Audy, op. cit
III. L'ÉTUDIANT
COMME AGENT POLITIQUE
Bien loin de n'assurer que la qualification professionnelle de la force productive, l'enseignement supérieur, au sein de structures sociales contemporaines, s'est de plus en plus consacré à la production scientifique et aussi quelquefois technologique. La production scientifique acquiert de plus en plus par ailleurs une fonction de moyen de production au sein des systèmes de production où la connaissance apporte une contribution déterminante. [20] Que l'enseignement supérieur ou l'université soit touché par de telles fonctions attribuées à la connaissance, est visible au niveau de nombreux éléments structurels qui caractérisent alors le rendement de ce secteur de l'appareil scolaire : importance relative de la recherche ; développement de laboratoires ou de structures plus restreintes de production de connaissances ; croissance d'un personnel spécialisé en recherche au sein de l'université, etc. Nous émettons cependant l'hypothèse que le secteur francophone de l'enseignement supérieur québécois est moins caractérisé par ce type de fonctions que par sa propension à produire surtout de la qualification professionnelle. Il prépare une main-d'œuvre spécialisée pour divers appareils économiques et étatiques en même temps qu'il assure le renouvellement des professions libérales traditionnelles. [21]
Les caractéristiques du fonctionnement du secteur francophone du système d'enseignement supérieur québécois impliquent que l'étudiant ne sera pas défini par sa place de nouveau technicien ou producteur scientifique au sein du procès de production de la connaissance scientifique et technologique et par ses rapports avec les patrons et les clients de cette production. Le secteur francophone de l'enseignement supérieur québécois n'est pas fortement engagé dans des activités de recherche et dans la production de diplômés de grade supérieur. Il ne véhicule donc pas d'incitation structurelle à une action politique étudiante qui serait fonction des activités de production scientifique et des rapports sociaux entre agents qui l'assurent. Il nous semble qu'un schéma d'analyse qui placerait ces éléments au centre de sa démonstration ne pourrait rendre compte de façon satisfaisante de la pratique politique étudiante au Québec. L'étudiant québécois, en général, est davantage défini par la position socio-économique qu'il occupe au moment où il pénètre dans le système d'enseignement supérieur. La qualification professionnelle qu'il retire de ce système lui permettra ensuite d'accéder à une mobilité sociale inter-générationnelle ascendante.
Ajoutons encore que cette détermination structurelle, issue du fonctionnement du système d'enseignement supérieur québécois, est d'autant plus conséquente qu'elle est appuyée et développée par des tendances structurelles que nous avons déjà notées. On sait que l'État, par sa politique de modernisation de l'appareil scolaire, rendait [236] plus accessible ce canal de mobilité sociale, en même temps que certaines couches sociales, par une demande accrue en éducation, exerçaient des pressions sur lui pour que ses politiques soient le plus possible conformes à la promotion et à la défense de leurs intérêts sociaux.
Cette combinaison de facteurs est particulière à une structure sociale donnée à un moment de son histoire. Un tel syndrome de déterminations structurelles nous apparaît posséder, pour les formes spécifiques de manifestations politiques étudiantes dont nous voulons rendre compte, des capacités heuristiques certaines qui permettent de signifier cette pratique politique.
L'étudiant québécois est un agent social qui est en voie d'acquisition d'un statut socio-occupationnel qui le situera au sein de la nouvelle petite-bourgeoisie, couche sociale qui compte avec la spécialisation professionnelle comme source de promotion et de mobilité sociales. Cet agent social possède, en général, une formation professionnelle, plutôt de premier cycle, obtenue de secteurs académiques soit professionnels (Commerce Affaires, Droit, Santé) ; soit fondamentalistes mais sans être des sciences pures (Lettres, Sciences sociales) ; soit encore appliqués dans la mesure où il aurait pu acquérir une formation issue de domaines d'études des sciences sociales appliquées. Il se présente sur un marché du travail qui n'est pas sans poser de problèmes de sorte qu'il s'oriente plus fréquemment vers la pratique professionnelle privée ou la fonction publique que vers l'entreprise privée.
Définis par les places qu'ils vont occuper dans les rapports de production, les étudiants ne forment pas une catégorie autonome en tant qu'étudiants, ils sont des agents en voie de qualification. Cette détermination structurelle des étudiants universitaires québécois entraîne, sur le plan politique, des pratiques proches de celles des couches dans lesquelles ils vont s'introduire. Ces couches, étant donné la faiblesse au Québec d'une bourgeoisie économique francophone, sont, globalement, celles de la nouvelle petite-bourgeoisie. C'est donc par rapport aux positions politiques de cette nouvelle petite-bourgeoisie qu'il faut analyser le rôle politique des étudiants universitaires québécois francophones.
Nous avons dit plus haut que la dite « révolution tranquille » se caractérisait par la prise de pouvoir de la bourgeoisie industrielle et financière appuyée par la nouvelle petite-bourgeoisie qui profitait des avantages de la modernisation entreprise. C'est en relation avec cette conjoncture politique qu'il faut examiner l'histoire récente du mouvement étudiant québécois et plus directement la place politique des étudiants dans les rapports socio-politiques québécois dans la période allant de 1955 à 1970. La mise en relief de leur position découle de l'importance de la réforme du système d'éducation ou [237] de l'appareil scolaire dans l'ensemble des mesures de modernisation, et de la nature même des mutations politiques observées ; des étudiants ont été fortement impliqués comme force sociale et leur intervention politique a souvent été considérée comme essentielle dans le rapport de forces.
Dans notre analyse de la pratique politique étudiante, trois ensembles d'éléments seront retenus : les interventions des syndicats ou associations d'étudiants, celles de groupes de militants sans caractère représentatif, enfin les attitudes politiques des étudiants telles que mesurées par des sondages. Les rivalités politiques entre groupes à l'intérieur même des associations ne seront considérées que si elles sont liées de quelque façon à la position des étudiants dans le jeu politique global.
IV. L'ACTION POLITIQUE DES ÉTUDIANTS,
1956-1967
Jusqu'au début des années 1950, les étudiants avaient tendance à se définir eux-mêmes comme des privilégiés et, pour toute manifestation, à entretenir le folklore étudiant carabin. Mais, vers la fin des années '50, activés par des militants, les étudiants se mobilisent davantage politiquement. En 1956, les diverses associations étudiantes réclament une augmentation des ressources financières pour l'enseignement supérieur, une plus forte accessibilité à l'éducation pour les diverses couches de la population, et un développement plus rationnel des politiques étatiques en matière d'éducation. En même temps, elles entreprennent une série d'actions pour mobiliser les étudiants, alerter l'opinion publique et faire pression sur le gouvernement : une marche d'étudiants sur le Parlement en 1956 ; des communiqués de presse et des mémoires au gouvernement ; une grève générale des étudiants universitaires au printemps de 1958 suivie d'un siège de plusieurs semaines par trois étudiants des bureaux du Premier Ministre pour obtenir qu'il rencontre les dirigeants étudiants.
Le gouvernement refusait toujours de discuter avec les étudiants et c'est maintenant sur la place publique que les étudiants portent le problème. Durant l'été 1958, les associations étudiantes organisent, avec les trois étudiants qui avaient occupé les bureaux du Premier Ministre, des assemblées populaires dans diverses parties du Québec pour renseigner « le peuple sur les graves et épineux problèmes de notre système d'enseignement ». Plusieurs professeurs des universités Laval et de Montréal participent à cette campagne de sensibilisation, ainsi que des militants syndicaux qui organisent des assemblées populaires. [22]
[238]
Ce n'est qu'en décembre 1958 que le Premier Ministre accepte de rencontrer les présidents des associations universitaires étudiantes. Les étudiants voient dans ce geste une reconnaissance de leurs associations, mais les commentaires de M. Duplessis à la lecture du mémoire ne laissent planer aucun doute : « C'est pas de vos affaires... Vous êtes à l'université pour travailler, pas pour tout régenter. Laissez le gouvernement se charger du reste. » À l'intention des journalistes M. Duplessis déclare : « Je leur demanderais de souligner qu'il n'a jamais été question de discuter avec les étudiants les problèmes intéressant les universités et le gouvernement. » [23]
Les associations étudiantes continuent à rédiger mémoires et études et, à l'instar d'autres groupes sociaux, réclament la formation d'une Commission royale d'enquête sur l'éducation.
Ainsi, autour des problèmes de l'enseignement se cristallisait une opposition de plus en plus forte au pouvoir politique de la petite-bourgeoisie traditionnelle. La collusion d'une Église qui maintenait une éducation basée sur l'humanisme traditionnel [24] et d'un gouvernement indifférent aux problèmes de l'enseignement était dénoncée par les étudiants. Et leurs interventions en faveur de la réforme scolaire recevaient l'appui de larges secteurs de la population, en particulier des centrales syndicales ouvrières. [25] Objectivement, les étudiants constituaient alors une force politique alliée à celle qui appuyait le parti Libéral dont le programme faisait une large place à la réforme de l'enseignement et à la participation étudiante. [26]
L'avènement d'un nouveau bloc au pouvoir dirigé par le parti Libéral en 1960 représente pour les étudiants sinon la victoire, du moins la possibilité de voir se réaliser l'essentiel de leurs revendications. La nouvelle petite-bourgeoisie avait appuyé le parti Libéral dont le programme de modernisation économique, administrative et culturelle devait favoriser la mobilité sociale. Les étudiants ont en effet accordé leur support politique à la plupart des initiatives du nouveau régime.
- a) Le syndicalisme étudiant
et la réforme scolaire
Toutefois, c'est dans le processus de réforme de l'appareil scolaire que l'intervention politique des étudiants a été la plus importante ; c'est aussi dans ce domaine que leur contribution a été le plus souvent sollicitée : les étudiants ont en effet désigné des représentants officiels au sein d'organismes gouvernementaux. Cette mobilisation politique, ajoutée à cette nouvelle fonction d'interlocuteur, exigeaient un renforcement de leurs associations et la transformation de leur idéologie : le syndicalisme étudiant s'est alors constitué pour [239] satisfaire les exigences de cette nouvelle conjoncture politique. Jusque-là les associations d'étudiants n'étaient pas fédérées et seuls les étudiants universitaires étaient membres d'une fédération canadienne.
Ce sont les journalistes étudiants qui ont pris l'initiative de la syndicalisation et du regroupement. La P.E.N., [27] après une réunion avec les leaders étudiants, déclare en août 1962 que les journalistes étudiants « s'entendent sur la nécessité de structures qui permettront à la collectivité étudiante une participation institutionnalisée à la vie intellectuelle, sociale et politique du Québec, et décident d'activer l'évolution du milieu en ce sens ». [28] Dès lors, de novembre 1962 à mai 1963, un vaste mouvement de regroupement d'associations étudiantes gagne pratiquement tous les secteurs d'enseignement au Québec : enseignement spécialisé et technique, collèges classiques, écoles d'infirmières, écoles normales. Ce mouvement conduira à la fondation, en novembre 1964, de l'Union Générale des Étudiants du Québec (U.G.E.Q.) et, par le fait même, au retrait des étudiants universitaires francophones de la fédération canadienne (F.N.E.U.C). La nouvelle union, définie comme le syndicat étudiant non-confessionnel, démocratique et libre des étudiants québécois, explicite la nouvelle idéologie étudiante. Le corporatisme associé au statut privilégié de l'étudiant, au folklore et à la non-responsabilité fait place au syndicalisme qui définit l'étudiant comme un jeune travailleur intellectuel ; dès lors, l'U.G.E.Q. exige de l'étudiant une prise de conscience de ses responsabilités sociales et politiques et revendique pour lui la participation aux affaires étudiantes. [29] La démocratisation de l'éducation par la disparition des frais de scolarité et la création de nouvelles institutions publiques, ainsi que la participation des étudiants, demeureront les principaux axes de revendication de l'U.G.E.Q.
Les mois précédant immédiatement la formation de la centrale syndicale ont permis aux étudiants de manifester leur appui non équivoque aux projets de réforme scolaire du bloc au pouvoir, par exemple au projet de régionalisation scolaire (Opération 55) qui par ailleurs suscitait une forte opposition au niveau local [30]. Mais la mobilisation politique des étudiants fut plus importante encore lors des luttes politiques et idéologiques entourant la création du Ministère de l'éducation. Les multiples associations contrôlées par les notables locaux et le clergé s'opposent farouchement à l'étatisation tandis que celles représentant les ouvriers syndiqués, les bourgeois et la nouvelle petite-bourgeoisie l'approuvent tout aussi fortement. [31] Les associations d'étudiants sont intervenues à plusieurs reprises et ont été parmi les plus actives et « les plus ferventes à appuyer le bill 60 ». [32] L'appui apporté par les étudiants aux politiques gouvernementales et leur organisation en syndicats représentatifs leur ont permis d'être consultés sur les affaires étudiantes. [240] En particulier, ils sont invités par le gouvernement à siéger sur des comités conjoints d'études ou de consultation concernant surtout l'accessibilité aux études et l'action sociale étudiante. Malgré les tensions suscitées par les conflits entre fonctionnaires et étudiants et le refus des étudiants d'être solidaires des politiques gouvernementales, les étudiants n'en exigeaient pas moins d'être consultés. [33] Ils ont en effet siégé sur au moins cinq comités conjoints formés entre 1963 et 1965 ; on verra plus loin pourquoi aucun ne subsistait en 1968.
- b) Les syndicats locaux
Au niveau des institutions d'enseignement, les associations ou syndicats revendiquent une amélioration des services aux étudiants, une rationalisation de la gestion administrative et financière et surtout la participation des étudiants aux décisions. En 1963, l'A.G.E.L. demande que le principe de la cogestion soit reconnu. À l'Université de Montréal, l'A.G.E.U.M. siège déjà sur un comité conjoint étudiants-professeurs-administrateurs ; ils y voyaient une reconnaissance officielle de leurs association et de leur droit à se prononcer sur les politiques de l'université. Et à l'occasion de l'étude par le gouvernement de la nouvelle charte de l'Université de Montréal, elle engage la lutte pour la co-gestion à tous les niveaux de la hiérarchie ; elle demande que l'université soit non-confessionnelle et publique, et qu'elle soit reconnue comme étant une communauté de professeurs et d'étudiants. Les centrales syndicales ouvrières appuient les objectifs de l'A.G.E.U.M. ; aucune concession importante cependant n'est faite aux étudiants, le gouvernement ayant accepté le projet de charte soumis par les administrateurs de l'Université. Mais à cette même occasion, l'A.G.E.U.M. demande à l'État de planifier l'enseignement supérieur tout en respectant l'opinion des membres de la communauté universitaire.
Que ce soit par leurs manifestations, leurs campagnes de mobilisation, les prises de positions des leaders officiels ou leur participation à des organismes consultatifs gouvernementaux, les étudiants ont donc constitué, comme mouvement politique, un support aux forces politiques modernisantes constituées principalement de la bourgeoisie industrielle et financière et de la nouvelle petite-bourgeoisie des salariés, des administrations et des bureaucraties. Sans qu'il faille confondre tendance dominante décelée par les pratiques mobilisatrices et majorité exprimée par des sondages d'opinions, la même constatation s'impose si l'on examine les attitudes politiques des étudiants à partir de quelques sondages. En 1963, l'idée de l'indépendance du Québec était, sinon relativement nouvelle, du moins propagée par des mouvements politiques récents. Les étudiants se prononcent contre dans une proportion de 53% tandis que 25 % se disent favorables. [34] Les jeunes, eux, d'après un sondage [241] réalisé en 1964, indiquent qu'ils voteraient pour le Parti Libéral dans une proportion de 59.4%, pour l'Union Nationale, 17.6% et pour le R.I.N., 8.7%. [35] De même, le Parti Libéral reçoit le plus d'intentions de vote, en mars 1967, parmi les étudiants de toutes les facultés d'un échantillon à l'Université de Montréal. [36] En somme, ces divers résultats de sondages indiquent bien que le Parti Libéral est alors le principal porte-parole politique des étudiants.
La tendance politique dominante dans le milieu étudiant repérée au niveau de l'action syndicale et politique n'a pu apparaître avec autant de visibilité qu'à la faveur de la conjoncture politique de la « révolution tranquille ». En tant que partie de la nouvelle petite-bourgeoisie, les étudiants favorisent cette intervention de l'État québécois et ses effets sur la modernisation des appareils et l'ouverture de canaux de mobilité socio-économique. Cette politique a effectivement servi les intérêts de la nouvelle petite-bourgeoisie ; nous avons noté plus haut les mouvements de mobilité, ajoutons qu'entre 1960 et 1968 les catégories occupationnelles dont la croissance du revenu a été le plus élevée sont les instituteurs et les professeurs, les employés d'institutions, les employés provinciaux et les professions libérales. [37] Les traits caractéristiques de la tendance politique dominante parmi les étudiants peuvent être ainsi résumés : intense mobilisation politique, alliance avec les forces politiques modernisantes, support à l'intervention de l'État.
V. LES ANNÉES 67-70 :
LE FRACTIONNEMENT
Le repérage d'une tendance politique dominante ne signifie pas que la pratique politique étudiante est homogène. D'une part, la tendance dominante recouvre des groupes aux intérêts divers mais momentanément alliés. D'autre part, elle coexiste avec d'autres forces qui, pour avoir moins de visibilité politique, n'en sont pas moins importantes. Ainsi, au Québec, en dehors de la tendance politique dominante précédemment identifiée, existaient des forces indépendantistes et des groupes qui cherchaient à développer des alliances avec la classe ouvrière. Mais ce n'est qu'à partir de 1967 [38] que ces deux tendances se consolident et manifestent ainsi de profondes divisions au sein du milieu étudiant qui auront pour conséquence la disparition des organisations syndicales étudiantes. Ce fractionnement du mouvement étudiant, pas plus que la tendance dominante de la période précédente, ne peut être expliqué par le seul jeu politique interne au milieu étudiant ou aux institutions d'enseignement ; il faut faire intervenir la position politique de la nouvelle petite bourgeoisie. En effet, l'emprise croissante de la bourgeoisie au sein de la coalition politique apparue au début des années '60 [242] fait éclater le bloc au pouvoir en même temps qu'elle prépare la voie à des affrontements entre le capital et le travail et à une politisation de la classe ouvrière.
- a) La tendance « nationaliste »
Si la coalition entre la bourgeoisie et la nouvelle petite-bourgeoisie a pu permettre la modernisation de certains secteurs économiques, administratifs et culturels, elle n'a pu éliminer tous les obstacles à la mobilité des professionnels qualifiés francophones. D'abord la structure économique du Québec fournit toujours, comparativement à celle de l'Ontario, peu d'emplois hautement qualifiés : l'industrie lourde est faible, la recherche et le développement sont réalisés dans les entreprises-mères, et les emplois qualifiés, on l'a vu, sont assurés surtout par des anglophones. La loi 63 sur la langue d'enseignement maintient cette inégalité. Enfin, les entreprises d'État créées sous la révolution tranquille ont été limitées à des activités complémentaires et non concurrentielles des entreprises possédées par les anglophones, de sorte que leur développement a été relativement lent.
Ces éléments de structure contribuent à la consolidation d'un mouvement politique qui prône l'indépendance du Québec pour récupérer les pouvoirs de l'État fédéral et les administrations correspondantes, ainsi que certains leviers économiques aux mains de la bourgeoisie anglo-canadienne. Ce mouvement politique sera de plus canalisé par le Parti Québécois qui absorbera les différents groupes indépendantistes déjà existants, en particulier le R.I.N.
Sur le plan plus spécifique de l'appareil scolaire, la réforme des débuts de cette période n'a pas atteint le niveau universitaire ; le réseau des institutions anglophones ouvert aux immigrants a été maintenu ; les revendications étudiantes de participation et de gratuité scolaire ont échoué. C'est par rapport à ce contexte structurel et conjoncturel que doivent être situées les principales manifestations étudiantes et les politiques des organisations syndicales étudiantes.
En effet, la réforme du système d'enseignement est encore l'objet des principales interventions politiques des étudiants. À l'automne 1968 une crise secoue les C.E.G.E.P. : les étudiants occupent les locaux de quinze des vingt-trois C.E.G.E.P. et l'enseignement sera paralysé pendant environ deux semaines. Le mouvement d'occupation eut un impact considérable car il survenait peu après les événements de mai en France, et des étudiants de quelques facultés universitaires occupaient aussi leurs locaux. Surtout ce mouvement se produisait une année à peine après la création de ces nouvelles institutions qui se situaient dans la ligne de la réforme amorcée plus tôt : accessibilité, gratuité scolaire, fin du monopole [243] du clergé, participation des étudiants. Les étudiants ne remettent pas en question les caractères essentiels de ces institutions. Outre un changement dans les services pédagogiques, leurs revendications incluent l'amélioration du système de prêts-bourses, la création d'une nouvelle université de langue française à Montréal et une rationalisation du système d'enseignement en fonction du marché du travail et des besoins sociaux du Québec. La lutte porte donc globalement sur le manque de débouchés des étudiants des C.E.G.E.P., soit en termes d'ouverture du niveau universitaire, soit en termes d'accessibilité pour les techniciens au marché du travail. Il était effectivement prévu que les universités actuelles ne pourraient recevoir tous les étudiants et que le taux élevé de chômage et une structure industrielle favorisant la main-d'œuvre non qualifiée rendraient difficile à ceux qui avaient choisi le secteur technique la tâche de se trouver un emploi. [39] Une nouvelle université francophone fut effectivement créée vers la fin de la même année à la suite de ces pressions des étudiants.
Les manifestations dites nationalistes, initiées ou fortement appuyées par les étudiants, s'insèrent aussi dans ces luttes pour obtenir ou récupérer les instruments essentiels à la mobilité sociale de professionnels qualifiés. L'opération McGill et la mobilisation contre le projet de loi 63 ont pris une envergure particulière.
L'Université McGill est à certains égards la meilleure université du Québec. Elle est dénoncée par les étudiants comme une institution de la bourgeoisie anglophone et un instrument de la minorité colonisatrice servant la domination anglaise au Québec ; elle aurait même acquis son niveau de qualité en bonne partie grâce aux privilèges accordés par l'État québécois. Toujours selon les étudiants, les universités anglophones recevraient 30% du total des subventions accordées aux universités du Québec alors que la population anglophone ne représente que 17% du total ; de plus, 20% des étudiants de McGill seraient des étrangers et 51% de ses diplômés travailleraient à l'extérieur du Québec. [40] Les étudiants demandent donc que l'Université McGill soit francisée et qu'elle s'insère dans la vie québécoise. En liaison avec des groupes de nationalistes et de socialistes (dont quelques-uns anglophones), ils organisent une manifestation à laquelle assistaient environ 10,000 personnes.
En octobre de la même année, le gouvernement de l'Union Nationale présente et fait adopter, appuyé par le Parti Libéral, le projet de loi 63 garantissant aux parents le libre choix pour leurs enfants de la langue d'enseignement. Cette mesure signifiait non seulement la reconnaissance juridique d'un état de fait mais aussi l'obligation pour certaines commissions scolaires, qui jusque là s'y étaient opposées, de donner l'enseignement en anglais ; elle accentuait ainsi l'intégration des immigrants au milieu anglophone et favorisait l'assimilation graduelle des francophones. [41]
[244]
Une forte opposition s'élève contre ce projet de loi ; la liste des « pour » et des « contre » ne laisse aucun doute sur la signification de cette lutte. Les organisations patronales, les groupes de pression anglophones, le Maire de Montréal et presque tous les éditorialistes des journaux anglophones et francophones approuvent le projet de loi. S'y opposent une foule d'associations dont les syndicats ouvriers, des comités de citoyens, la C.S.N., la C.E.Q. ; les syndicats d'écrivains, de cinéastes, de journalistes, et d'auteurs-compositeurs ; les mouvements nationalistes, les recteurs d'universités, les professeurs de presque toutes les facultés, les enseignants, les étudiants et le Parti Québécois. Le monde de l'éducation est immobilisé pendant une semaine, les étudiants occupent de nouveau les collèges et universités : une manifestation réunit de 40,000 à 50,000 personnes au Parlement de Québec. Le projet de loi est adopté, le mouvement d'opposition s'effrite. Cette loi rend manifeste l'hégémonie de la classe bourgeoise anglophone sur le bloc au pouvoir. En tant que maintien des limites du marché du travail pour les francophones, elle accentue les revendications nationalistes.
Par ailleurs, ces diverses luttes ont accru sur le plan politique l'appui des étudiants au Parti Québécois dont l'objectif est l'autonomie politique du Québec et la remise aux Québécois de certains contrôles économiques en particulier avec l'aide de l'État. Déjà en créant l'U.G.E.Q., les étudiants avaient rompu avec leur fédération canadienne, la F.N.E.U.C, et reconnaissaient ainsi non seulement la juridiction des provinces en matière d'éducation mais aussi le Québec comme lieu de leurs luttes politiques. En 1963, on s'en souvient, 25% des étudiants se prononcent en faveur de l'indépendance du Québec ; les journalistes étudiants (P.E.N.) optent pour l'indépendance du Québec en 1965, et l'exécutif de l'U.G.E.Q. fait de même en 1969. Aux élections législatives de 1970, où le P.Q. obtient 24.5% des votes, 40% des étudiants, selon un sondage, auraient voté pour le P.Q. et 32% pour le Parti Libéral. [42] De plus, des étudiants se sont engagés activement dans la campagne électorale en faveur du P.Q. [43]
Ainsi, la tendance nationaliste, repérée en particulier par les pratiques politiques mobilisatrices des étudiants et par les attitudes politiques, a pour objet la lutte contre la petite-bourgeoisie des notables et la bourgeoisie industrielle et financière anglophone au moyen de la croissance des appareils d'État. Dans ce sens, ce sont leurs propres intérêts que ces étudiants défendent, leur promotion occupationnelle individuelle. Étant qualifiés pour travailler dans de grandes organisations et pouvant difficilement en raison de leur origine sociale et de la discrimination ethnique pénétrer dans la bourgeoisie anglophone et dans les appareils de l'État fédéral, [44] ces étudiants en tant que partie de la nouvelle petite-bourgeoisie mobilisent leurs forces en fonction du développement des appareils d'État québécois ; [45] l'indépendance politique, la récupération de certains contrôles économiques, etc. auraient justement cet effet.
[245]
- b) La tendance « bourgeoise »
La jonction des intérêts d'une fraction de la nouvelle petite-bourgeoisie et de la bourgeoisie industrielle et financière perpétue l'alliance caractéristique de la Révolution tranquille. Elle s'articule pour une part sur la modernisation des appareils d'État, et notamment, dans la conjoncture actuelle, sur la rationalisation des secteurs de la santé et des services sociaux où la petite-bourgeoisie traditionnelle conserve des intérêts et privilèges. D'autre part, elle se porte à la défense de l'entreprise privée capitaliste et développe l'idéologie qui veut que des Québécois francophones ayant un véritable esprit d'entrepreneur sont capables de créer de grandes entreprises, ou d'accéder aux postes de direction des entreprises du capitalisme international américain ou du capitalisme anglo-canadien.
La fraction étudiante liée politiquement à cette classe dominante a une visibilité politique relativement plus faible que les deux autres. Outre le sondage ci-haut mentionné où 32% des étudiants indiquent leur intention de voter pour le Parti Libéral, les expressions de cette tendance par rapport aux politiques adoptées par les organisations étudiantes sont pour la plupart « négatives » ou oppositionnelles. En 1966, alors que l'U.G.E.Q. demande l'abolition des frais de scolarité et un pré-salaire étudiant, les étudiants en commerce de l'Université Laval se prononcent contre la gratuité scolaire et en faveur d'un système de prêts. L'année suivante, leurs collègues de Montréal, les étudiants des Hautes Études Commerciales, se retirent de leur syndical local, l'A.G.E.U.M. Un bilan fait en 1969 indique que plusieurs associations d'étudiants des disciplines professionnelles se sont déjà retirées ou sont en voie de le faire : Polytechnique, Hautes Études Commerciales, Art dentaire. [46] À l'Université Laval, à peu près les mêmes facultés réclament la dissolution de l'A.G.E.L. [47] Ces étudiants sont le plus souvent favorables à des actions corporatistes au niveau de leurs institutions et ils maintiendront leurs associations à ces fins, ils appuient plus que les autres le Parti Libéral ou l'Union Nationale. [48] Ils sont aussi les plus satisfaits de l'université et les plus orientés professionnellement. Cette tendance est donc importante numériquement parmi les étudiants mais elle est moins visible, sauf comme opposition à l'intérieur même des organisations étudiantes ; au plan national, elle semble s'exprimer moins de façon autonome en tant que tendance étudiante et être davantage canalisée dans les cadres des partis politiques. Il semble aussi que cette fraction recrute davantage dans les facultés où la carrière est moins dépendante de l'intervention de l'État, plus individualiste et plus liée aux entreprises économiques.
[246]
- c) Étudiants et classe ouvrière
Enfin, une fraction de la nouvelle petite-bourgeoisie est engagée dans la lutte des travailleurs contre le capital. Il est vrai que la classe ouvrière québécoise n'a pas d'organisation politique autonome et que plusieurs syndicats, après avoir soutenu la Révolution tranquille, s'apprêtent à donner leur appui aux forces politiques soutenant l'indépendance du Québec. Néanmoins, de nouvelles formes de luttes ouvrières sont apparues, en particulier depuis la reconnaissance par les centrales syndicales des limites de la négociation collective et de la nécessité de l'action économique et politique extérieure à l'entreprise : luttes contre les compagnies de crédit, front commun des centrales syndicales pour élaborer des programmes d'action politique, unité à la base à l'occasion de grèves... En même temps, la mainmise de l'État sur certains appareils comme l'école et l'emprise de la bourgeoisie économique sur certaines entreprises comme l'information ont transformé les conditions de travail d'une couche de salariés qui jusque là jouissaient d'une relative autonomie dans l'exercice de leur travail et ont accéléré leur processus de syndicalisation : fonctionnaires, enseignants, journalistes des entreprises privées ou d'État, etc. Dans le même mouvement, l'État et le Capital renforcent les contrôles (censure, sélection, normes administratives) sur ces secteurs dont les employés sont liés syndicalement et politiquement à la classe ouvrière et dont les grèves sont souvent longues et politisées. De sorte que cette fraction de la nouvelle petite-bourgeoisie où apparaissent des mouvements d'alliance avec la classe ouvrière est constituée surtout de salariés des appareils de reproduction idéologique et sociale.
Un mouvement parallèle de liaison avec la classe ouvrière s'est produit au sein du milieu étudiant, liaison qui a pris une forme nouvelle ces dernières années. En effet, certains groupes étudiants ont entretenu des rapports relativement étroits avec les centrales syndicales ouvrières en particulier depuis les années '50 : soutien aux ouvriers impliqués dans des grèves et, inversement, appui des militants syndicaux aux campagnes étudiantes pour la réforme scolaire. Souvent ces alliances s'inscrivaient dans la ligne décrite plus haut de luttes contre les notables ou les entrepreneurs à idéologie féodale : réforme des services de santé ou reconnaissance syndicale, par exemple. À partir de 1965 s'amorce non plus seulement des appuis réciproques mais un véritable travail de mobilisation politique auprès de la classe ouvrière ou des milieux défavorisés. En effet, le gouvernement avait accepté une formule d'Action sociale étudiante (A.S.E.) suggérée par l'A.G.E.U.M. selon laquelle des étudiants [49] s'engageraient, contre rémunération par le gouvernement, à faire pendant l'été un travail qui contribuerait au relèvement économique des régions défavorisées.
L'A.G.E.U.M. souligne alors que l'étudiant a besoin d'un travail d'été, qu'il désire influencer le gouvernement pour accélérer la [247] Révolution tranquille, et qu'il veut une nouvelle politique soucieuse des classes moins favorisées. Et elle appuie sa suggestion sur le programme politique même du Parti Libéral et sur les objectifs définis par certains ministères : information sur la régionalisation scolaire, éducation des Esquimaux, loisirs auprès des jeunes, etc. Toutefois plusieurs des premiers projets entrepris par les étudiants sont réalisés en milieu ouvrier ou dans les quartiers défavorisés dont la situation est définie en termes d'exploitation. Le travail des étudiants prend alors le plus souvent un caractère de mobilisation politico-idéologique. Aussi des tensions apparaissent entre les travailleurs étudiants du Québec (T.E.Q.), qui avaient l'autonomie la plus complète quant à la définition et à la réalisation des projets, et les représentants du gouvernement. Après deux ans d'activités, soit en 1967, l'A.S.E. jusque là dirigée par un comité conjoint étudiants-gouvernement devient sous le nom d'Action Sociale Jeunesse (A.S.J.) un service administratif du Ministère de l'éducation. Cette transformation indique une tentative de récupération : des objectifs de développement socio-économique et de renouvellement des élites locales, comme la mise sur pied de structures de consultation en vue de la participation au développement régional, remplacent ceux de l'animation auprès des travailleurs, des chômeurs ou des assistés sociaux.
Mais des groupes d'étudiants poursuivent l'action amorcée par les T.E.Q., soit autour du Front de Libération Populaire (F.L.P.) et du Front d'Action Politique (F.R.A.P.), soit dans le cadre d'organismes gouvernementaux, comme la Compagnie des jeunes Canadiens, soit encore en formant des groupes aux tendances politiques diverses mais toujours en liaison avec des milieux défavorisés ou des militants ouvriers de la base. Le plus souvent ce travail a contribué à la formation de groupes de revendication (association de locataires, comités de citoyens...) dans divers quartiers et à l'organisation de services contrôlés par les participants eux-mêmes : cliniques médicales et juridiques, maisons de chômeurs, coopératives d'alimentation, etc. Ces groupes participent aussi à plusieurs luttes ouvrières : grèves, campagnes de syndicalisation . . .
Certes, beaucoup de ces initiatives seront aussi récupérées : les cliniques médicales et juridiques font maintenant partie des programmes de l'État, le travail politique a été canalisé par les forces nationalistes. Mais il s'est formé des noyaux de militants dont l'action est orientée vers l'autonomie politique de la classe ouvrière et dont le travail d'analyse théorique alimente de plus en plus les luttes ouvrières et même l'idéologie des centrales syndicales.
[248]
VI. DISPARITION
DES SYNDICATS ÉTUDIANTS
Le fractionnement politique des étudiants s'est répercuté sur leurs organisations syndicales et en particulier sur leur Union générale, et cela d'autant plus que malgré une croissance accélérée, en prestige politique comme en nombre d'adhérents, l'U.G.E.Q. est toujours demeurée une organisation fragile. En effet, la syndicalisation des étudiants s'était développée très rapidement ; au début de 1967, l'U.G.E.Q. encadrait l'ensemble des étudiants des universités et collèges du Québec, y compris les anglophones, soit environ 58,700 membres. Son caractère représentatif et ses prises de positions favorables à la réforme de l'enseignement en avaient fait un interlocuteur valable : elle était consultée par le gouvernement sur la plupart des politiques concernant l'éducation ou la jeunesse. Elle a même reçu un accueil favorable des centrales syndicales ouvrières, d'agriculteurs et d'enseignants, à qui elle proposait de former un comité inter-syndical qui viserait à défendre les intérêts des classes défavorisés par l'intermédiaire d'un front commun des forces populaires.
Cette influence n'était toutefois qu'apparente et fut pour le moins de courte durée. Le syndicalisme étudiant québécois n'a pas réussi à s'implanter parmi les étudiants, ni à imposer des revendications politiques, ni à maintenir ou créer une unité idéologique. Sur le plan organisationnel, les unités locales percevaient des étudiants une cotisation obligatoire, de sorte que le passage de l'association au syndicat n'a pas nécessité de militantisme pour assurer le recrutement et ne s'est donc pas accompagné de formation syndicale à la base. De plus, la très grande autonomie des associations d'étudiants universitaires et des fédérations d'associations du secteur technique ou du secteur pré-universitaire a empêché une coordination efficace des actions locales et limitait les ressources de l'Union en personnel et en disponibilités financières ; d'autant plus que des unités de base, du pré-universitaire surtout, négligeaient de payer leurs cotisations. Les tentatives de créer une structure régionale forte pour renforcer l'emprise de l'organisme central sur les unités de base se sont heurtées à l'opposition des fédérations et n'ont pu ainsi être réalisées. Cette faiblesse organisationnelle a pu être compensée par le militantisme d'étudiants et le travail d'été de permanents syndicaux dans des associations locales ; en retour l'U.G.E.Q. n'a pu profiter des apports de ces militants car elle avait peu de contrôle sur leur action politique. La structure syndicale de l'U.G.E.Q. a ainsi toujours été fragile.
L'influence des syndicats auprès des dirigeants de l'appareil scolaire n'a pu davantage être démontrée afin de servir à légitimer auprès des étudiants l'existence du syndicalisme et de ses structures d'organisation. En effet, les syndicats étudiants n'ont pu imposer [249] leurs principales revendications : participation des étudiants à l'orientation et à la gestion des institutions d'enseignement, et démocratisation par la gratuité scolaire et le pré-salaire aux étudiants. Les grèves et les manifestations en particulier des universitaires depuis la fin des années '50, leur présence dans les comités conjoints gouvernement-étudiants, leurs multiples mémoires n'ont pu empêcher la hausse des frais de scolarité dans certaines facultés. L'État a plutôt généralisé un système de prêts conforme à l'idéologie du « qui s'instruit s'enrichit » et à sa réalité : les investissements individuels en éducation ont en effet un taux de rentabilité élevé. Les luttes pour la participation n'ont pas davantage permis d'accroître l'influence des syndicats : la revendication de démocratisation par la présence d'étudiants dans la direction des institutions d'enseignement s'est heurtée à l'autoritarisme des administrations et n'a été l'objet que de concessions jugées mineures et insatisfaisantes par les syndicats étudiants. Globalement, l'influence des syndicats en ce qui concerne leurs revendications spécifiques s'est avérée relativement faible, car, dans ce cas, les administrateurs des institutions d'enseignement recevaient l'appui du gouvernement. Sur le front proprement étudiant, celui de la gratuité et de la participation à la gestion, les étudiants sont donc laissés à eux-mêmes et ne peuvent obtenir satisfaction. En outre, on l'a vu, certaines unités de base avaient manifesté leur opposition à la revendication de gratuité scolaire, et l'objectif de participation à la gestion ne suscitait pas un appui unanime. [50] En plus de voir leurs demandes refusées, les leaders étudiants devaient constater de profondes divisions internes au sein de la population étudiante.
La situation idéologique du syndicalisme étudiant est plus difficile à décrire ; une aussi courte histoire, le renouvellement annuel des leaders, l'influence souvent dominante des associations universitaires et en particulier de l'A.G.E.U.M., constituent d'eux-mêmes des éléments de mise en garde, interdisant la généralisation. Nous nous limiterons aux documents des congrès de l'U.G.E.Q. et à la définition de l'étudiant québécois en tant qu'elle légitime les actions des syndicats. A cet égard, l'aspect le plus significatif réside dans le passage d'une définition de l'étudiant en termes de jeune travailleur intellectuel au service de la nation, à une analyse de la condition de l'étudiant dans son milieu concret : l'école.
La déclaration des droits et devoirs de l'étudiant, adoptée au Congrès de fondation, définit l'étudiant comme jeune travailleur intellectuel : « la préparation intellectuelle et professionnelle des citoyens et des travailleurs constitue l'une des activités les plus productives et les plus rentables pour la nation » ; et, « par l'activité d'apprentissage professionnel qu'il exerce et par les recherches qu'il poursuit, l'étudiant... participe au monde du travail ». Cette insertion de l'étudiant dans le procès de production commande les principaux [250] caractères du syndicalisme étudiant. Il est « une méthode d'analyse fondée sur l'axiome qu'il n'y a pas de problèmes fondamentalement et proprement étudiants mais qu'il n'y a que des aspects étudiants de problèmes nationaux » ; il est aussi « un type de solution, à savoir l'humanisation de la condition des travailleurs manuels et intellectuels par des transformations de la structure sociale ». [51] Les syndicats étudiants, en tant que représentants de travailleurs, légitiment ainsi leurs interventions politiques et leur alliance avec les travailleurs manuels. Plus particulièrement, leurs luttes pour la démocratisation de l'enseignement prennent ici un sens idéologique ; le droit de tous d'accéder au diplôme universitaire s'inscrit dans la lutte des classes. Mais en même temps, ils justifient leur propre promotion collective en identifiant « la formation de cadres qualifiés » au « progrès économique, social et culturel de la nation entière » et au « bien-être général de tous les citoyens ». [52] Les premières définitions de l'étudiant manifestent donc un certain flottement idéologique : lutte de classes, d'une part, développement national lié à l'expansion de la qualification professionnelle, d'autre part.
La situation change rapidement. Dès 1966, l'exécutif de l'U.G.E.Q. déplore la rupture entre la définition de l'étudiant et la réalité : il ne serait qu'un consommateur sans le sens de ses responsabilités et il s'identifie peu à sa centrale syndicale. [53] Les revendications originales sont réaffirmées, mais les activités de l'année suivante sont consacrées aux préoccupations professionnelles des étudiants : pédagogie, contenu des cours, rôle de l'école, etc. Les leaders sont conscients du risque que de telles activités font courir à l'idéologie du syndicalisme étudiant ; mais ils croient nécessaire de rapprocher l'Union des problèmes étudiants. La réforme pédagogique devient la préoccupation principale au congrès de 1968, avec l'espoir de relier les nouvelles revendications étudiantes à une contestation globale de l'école et de la société. L'année suivante, à la suite des occupations d'octobre 1968, l'exécutif déclare que l'U.G.E.Q. n'était, dans sa forme syndicale, que la réplique des organismes propres au mode de production capitaliste dans sa forme avancée (technostructure) et qu'il fallait en modifier le fonctionnement et les revendications. [54] Celles-ci abordent maintenant les problèmes de l'utilisation et de l'appropriation privée du savoir :
- « Quelques-uns d'entre nous (membres de l'exécutif) avons senti... que revendiquer une plus large distribution du savoir et une plus grande participation à sa définition était insuffisant ; que ce n'était pas l'accroissement du nombre d'universités, l'utilisation d'appareils audio-visuels, l'abolition des cours magistraux, l'intrusion de la pédagogie active qui répondaient à notre insatisfaction latente... (Nous avons pressenti) qu'une plus large distribution des richesses et de la connaissance ne donnait pas nécessairement plus de prise sur leur orientation et leur utilisation... » [55]
[251]
Alors qu'au début, pour les étudiants l'éducation est un investissement économique et social parce qu'elle contribue à former des cadres qualifiés, cette même fonction est aujourd'hui récusée.
- « Nous avons pris conscience que nous étions... un potentiel d'efficacité et de rendement à bien huiler pour être utilisé d'ici peu... Ce qui prime, c'est la rationalisation utilitaire ... le rationalisme borné de la bureaucratie, de l'idéologie technocratique, de la planification industrielle. » [56]
La seule solution, selon ces membres de l'exécutif de l'U.G.E.Q., est de créer une nouvelle culture, de nouvelles communautés.
Le discours idéologique ne révèle plus le jeune travailleur intellectuel devant s'allier à la classe ouvrière ou servir la nation. Les étudiants définissent leur situation, celle d'apprentissage des connaissances, comme une relation de domination ; les connaissances à apprendre, les problèmes à étudier, la façon de les traiter, bref toutes les activités d'apprentissage sont définies par le professeur, lequel est considéré comme étant au service de la technocratie au pouvoir, ce nouvel adversaire.
Résumons : l'existence de l'U.G.E.Q. a été précaire, sur tous les plans. Financier d'abord, car dès l'automne 1965 elle lance une campagne publique de financement ; plusieurs unités affiliées ne paient pas leur cotisation. Organisationnel aussi : la structure décentralisée favorisait les tensions entre, d'une part, les fédérations professionnelles plus axées sur les revendications sectorielles et corporatistes et, d'autre part, les associations universitaires qui étaient à l'origine des luttes politiques et de l'idéologie syndicale et qui contrôlaient l'appareil de l'U.G.E.Q. Cette décentralisation empêchait une coordination réelle des actions, une formation syndicale à la base et une réduction de la distance entre les leaders politisés et une base plus individualiste. Sur le plan idéologique, le flottement n'a pu contribuer à créer un minimum d'unité et à assurer une mobilisation idéologique ; les débats manifestaient aussi bien qu'ils accentuaient le fractionnement et l'écart entre les préoccupations de la base et les définitions théoriques de l'étudiant. Enfin, les revendications spécifiques comme la gratuité scolaire et la participation à la gestion n'ont pas été satisfaites et certaines unités affiliées ne partageaient pas ces objectifs.
Ces caractéristiques de l'U.G.E.Q. sont un effet du fractionnement politique dont nous avons parlé plus haut ; de sorte que ce fractionnement ajoutait à la fragilité de l'organisation. L'hétérogénéité des intérêts et des tendances politiques ou idéologiques, que ce soit selon les disciplines ou selon les niveaux d'enseignement, entraîne la disparition de l'U.G.E.Q. et des syndicats locaux au cours des années 1968-69. Les exécutifs se considèrent comme non [252] représentatifs des étudiants, se retirent des comités conjoints au niveau de l'État et des institutions d'enseignement, et se transforment en comités d'action. [57] Sans organisation, ni idéologie, ni politique communes, le mouvement étudiant est désormais dépendant des initiatives spontanées et locales. Les projets de formation d'un front commun étudiant n'ont pas encore réussi jusqu'à ce jour.
CONCLUSION :
ÉTUDIANTS ET NOUVELLE
PETITE-BOURGEOISIE
La définition que nous avons proposée de l'étudiant comme agent politique a commandé notre analyse du mouvement et du syndicalisme étudiant. Ainsi nous n'avons pas retenu pour expliquer la pratique politique étudiante l'origine sociale de classe en tant qu'elle détermine un ethos culturel, ni certaines caractéristiques de la communauté étudiante plus ou moins fermée sur elle-même. Nous l'avons plutôt défini par sa situation d'apprentissage d'une qualification professionnelle qui lui permet de s'insérer dans les rapports de production. En ce sens, la première détermination structurelle utilisée est la place qu'il va occuper dans ces mêmes rapports de production, que cette place soit la même que celle de ses parents ou qu'elle représente une mobilité inter-générationnelle.
Par ailleurs la structure du système universitaire et de l'économie québécoise étant dominée par la division sociale du travail entre Canadiens anglais et Québécois francophones, l'éducation supérieure prépare les francophones à la pratique professionnelle privée ou à des emplois de cadres qualifiés dans les divers appareils d'État. Ces places sont précisément celles qui définissent la nouvelle petite-bourgeoisie. C'est donc par rapport à la position de la nouvelle petite-bourgeoisie dans les rapports sociaux que doit être analysé le rôle politique des étudiants : les luttes étudiantes sont celles de la couche sociale à laquelle ils appartiennent par détermination structurelle, elles ne sont pas celles d'un groupe autonome.
À cet égard, deux périodes doivent être distinguées dans l'ensemble des années considérées ici. La première correspond à une tendance politique dominante, l'autre se caractérise par le fractionnement politique de la nouvelle petite-bourgeoisie et de la pratique politique étudiante. La tendance politique dominante précède et accompagne la prise du pouvoir par la classe bourgeoise et la nouvelle petite-bourgeoisie, mais dans un rapport de forces où domine la classe bourgeoise. Le pouvoir politique ayant été graduellement arraché aux élites rurales et aux notables locaux, les principales mesures du nouveau gouvernement furent de moderniser les appareils [253] d'État (école, santé, administration publique, etc.) pour les rendre plus conformes aux objectifs de l'industrialisation capitaliste. L'appareil scolaire en particulier a été profondément transformé par cette intervention de l'État. Ces mesures politiques ont reçu l'appui presque unanime de la nouvelle petite-bourgeoisie ; et les étudiants ont fortement contribué à leur réalisation par une mobilisation constante. En effet, ils s'étaient constitués en « chiens de garde de la réforme scolaire », c'est-à-dire qu'ils surveillaient étroitement le gouvernement pour qu'il ne dévie pas de ses objectifs.
La seconde période est marquée par un ralentissement économique et par le renforcement de la classe bourgeoise au sein de la coalition de sorte qu'une fraction de la nouvelle petite-bourgeoisie s'est constituée en force politique distincte, c'est-à-dire en force prête à intervenir dans les rapports politiques avec son poids spécifique. Ainsi, dans une telle conjoncture les pratiques politiques étudiantes sont divisées en deux fractions principales. L'une adopte des comportements politiques qui la rapprochent de la nouvelle petite-bourgeoisie qui maintient la coalition avec la bourgeoisie économique anglo-canadienne. L'autre manifeste une pratique politique qui rejoint celle de la nouvelle petite-bourgeoisie nationaliste qui cherche à se constituer en force politique distincte. Une troisième fraction, même si elle inclut des groupes aux idéologies et stratégies politiques diverses, se manifeste par une pratique politique qui vise à la promotion des intérêts de la classe ouvrière et tend à développer des luttes communes avec les militants ouvriers.
Les fractions, ici dégagées sont des fractions politiques ; nous n'avons donc pas tenu compte des tendances culturelles du milieu étudiant : communes de travail ou d'habitation, modes artistiques, vestimentaires ou alimentaires, consommation de drogues ou retour à la terre.
Enfin, les différences et variations observées dans les positions politiques de la nouvelle petite-bourgeoisie et partant au sein de la population étudiante font-elles éclater cette couche spéciale appelée nouvelle petite-bourgeoisie. Aussi devient-il plus exact de parler, selon les exigences de la conjoncture, de divers groupes ou fractions politiques qui constituent la nouvelle petite-bourgeoisie.
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[255]
[256]
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Ce texte est extrait de Recherches sociographiques ; vol. 13, n° 3, sept.-déc. 1972, pp. 308-342.
[1] Voir à ce sujet S.M. LIPSET, « Youth and Politics », in R.K. MERTON et R. NISBET, (eds.), Contemporary Social Problems, 3ème édition, New York, Harcourt, Brace Jovanovich, 1971, pp. 743-791.
[4] Voir : G. GAGNON et C. GOUSSE, Le processus de régionalisation scolaire dans l'Est du Québec, Annexe technique 2 au Plan de développement 1967-72 du Bas Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Iles-de-la-Madeleine, Bureau d'Aménagement de l'Est du Québec Inc., 1965 ; voir aussi : G. GAGNON et C. GOUSSE, « Le processus de régionalisation scolaire », reproduit dans ce livre-ci, pp. 289-297.
[5] Voir : Rapport de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec (RAPPORT PARENT), Québec, 1963 et 1966, 3e partie, chap. 8. Voir aussi l'étude de J.R. PODOLUK, Incomes of Canadians, Ottawa, D.B.S., 1968 (1961 Census Monograph), surtout chap. 7 qui analyse les variations de revenus entre les provinces en tenant compte des différences dans les taux de scolarisation et d'urbanisation de la main-d'œuvre et dans les structures occupationnelles des provinces.
[6] Rapport de la Commission royale ..., op. cit., 3e partie, chap. 8, tableaux IX et X, « Les sources du financement de l'éducation au Québec et leur importance relative de 1954 à 1963 ».
[7] Voir à ce sujet : Rapport du Ministère de l'éducation, 1964-65 à 1970-71, Québec, 1967 à 1972. Il y a quelques exceptions aux taux annuels supérieurs d'augmentation des dépenses du Ministère de l'éducation par rapport à celles du gouvernement du Québec. L'exception la plus remarquable est celle de l'année 1965-66 qui s'explique par la récupération faite en 1964-65 par le Québec de $36,700,000 du gouvernement fédéral affectés aux constructions d'écoles polyvalentes ; cette récupération eut donc des conséquences sur le budget de l'année 1965-66. (Voir : Rapport du Ministère de l'éducation, 1964-65, p. 98.)
[8] Paul GÉRIN-LAJOIE, premier titulaire du Ministère de l'éducation du Québec en 1964, était, quant à lui, des plus explicites : citant le président du « Science Advisory Board » qui parlait de la nécessité d'investir dans l'éducation, il ajoutait : « Ce fonctionnaire américain a raison de parler d'investissement : les dépenses d'éducation, même considérées du simple point de vue économique, en dehors de toute considération humaniste ou morale, ne sont pas du gaspillage. On s'est rendu compte que l'éducation est le moteur de la croissance économique et que toute parcimonie en ce domaine est un pas vers la ruine. »
« Par exemple, une enquête récente portant sur plus de 400 fermes, au Danemark, a révélé que le revenu global du capital engagé est de 4.8% pour les fermiers qui ont une formation primaire supérieure, et de 7.5% pour ceux qui ont une formation secondaire ou professionnelle prolongée. La rentabilité de l'investissement dans le capital humain a fait l'objet d'études approfondies par le professeur Schultz de l'Université de Chicago. Il a établi que le supplément, moyen de salaire perçu par des travailleurs, de 18 à 64 ans, représente 19 fois le capital investi dans l'enseignement supérieur. L'investissement en éducation est donc l'un des plus productifs qui soient. » (Paul GÉRIN-LAJOIE Pourquoi le bill 60, Montréal, Éditions du Jour, 1963, p. 34.)
[9] R. MILIBAND, The State in capitalist society, London, Weidenfeld and Nicolson, 1969.
N. POULANTZAS, Pouvoir politique et classes sociales, Pans, Maspero, 1968.
A. TOURAINE, La société post-industrielle, Paris, Denoël, 1969.
[10] Voir à ce sujet, Z.E. ZSIGMOND et C.J. WENASS, Inscriptions dans les institutions d'enseignement, par province, de 1951-52 à 1980-81, Ottawa, Conseil économique du Canada, Étude n° 25, 1970, p. 128 et 130. Les commentaires qui suivent, à moins d'avis contraire, utilisent les données consignées dans ce travail.
[11] J. DOFNY et M. GARON-AUDY, « Mobilités professionnelles au Québec », in Sociologie et sociétés, 1, 2, novembre 1969.
[12] Nous n'avons pas de ces phénomènes des mesures aussi perfectionnées et étendues dans le temps que nous pourrions le souhaiter. Tous les secteurs de l'appareil scolaire ne sont pas couverts et les mesures de l'origine socio-économique des étudiants sont souvent réduites aux seules échelles de professions du père. Qui plus est, ces échelles ne sont pas strictement comparables : elles ne comportent pas, plus souvent que nécessaire, les mêmes échelons ou les mêmes catégories de strates socio-occupationnelles.
[13] R. OUELLET, A. BABY et P.W. BELANGER, « Les orientations des étudiants du cours collégial », in L'étudiant québécois, Défi et dilemmes, Québec, Gouvernement du Québec, 1972, pp. 51-113.
Centre de Recherches sur l'Opinion Publique, Préoccupations des étudiants des CEGEP de Montréal, Montréal, CROP, 1969.
[14] Les données recueillies au cours de ces études présentent, par ailleurs, quelques difficultés d'interprétation. Les données utilisées par Michèle Paquette ont été obtenues de bulletins d'inscription aux universités McGill et de Montréal remplis par des étudiants qui ont obtenu un diplôme de ces universités sans que l'on sache précisément si les étudiants ont toujours fourni, sur ces bulletins, les informations nécessaires pour assurer à la classification faite une validité satisfaisante. On doit relever les taux élevés de rejet des bulletins d'inscription pour manque d'information surtout en ce qui a trait aux années 1950 et 1955, particulièrement à l'Université McGill. Notons, par ailleurs, que les trois études ont utilisé des échelles de strates socio-occupationnelles relativement plus comparables entre elles que les études dont il fut question précédemment (note 13). Il faut mentionner cependant que ces études ne concernent pas toujours les mêmes populations universitaires : seuls les étudiants de l'Université de Montréal tombent régulièrement sous le regard des trois études. Parmi les autres populations étudiantes on note la population universitaire anglophone la plus importante de la province, celle de McGill, et la population universitaire d'une ville moyenne, celle de l'Université de Sherbrooke.
[15] Michèle PAQUETTE, Étude comparative des orientations académiques et de la mobilité sociale chez les diplômés canadiens-français catholiques et canadiens-anglais protestants de deux universités montréalaises, Thèse de maîtrise, Département de sociologie, Université de Montréal, 1968.
[16] C. GOUSSE, « Préoccupations des étudiants à l'Université de Montréal », in L'étudiant québécois, Défi et dilemmes, op. cit., pp. 211-275.
[17] J. BRAZEAU, J. DOFNY, G. FORTIN et R. SEVIGNY, Les résultats d'une enquête auprès des étudiants dans les universités de langue française au Québec, Montréal, Département de sociologie, Université de Montréal, 1962.
[18] L'année de réalisation de la recherche, soit 1961, ne saurait être représentée comme un handicap : cette nouvelle mesure se situe en quelque sorte entre les deux déjà retenues qui présentent des tendances assez homogènes. A cet égard, soulignons que la seule différence notable que présente l'étude de J. BRAZEAU et al., par rapport aux résultats déjà examinés en ce qui a trait à la population étudiante de l'Université de Montréal, est un taux de pénétration relativement moins élevé (29%) pour les strates socio-occupationnelles inférieures. Par contre, le taux obtenu ne saurait être comparé à celui calculé par C. GOUSSE en 1969 (36.4%), ni même à celui compilé par Michèle PAQUETTE pour 1964 (33.5%). Ce taux doit être plutôt rapproché de celui établi par cette dernière pour 1960 et qui est de 29.3%. Ce paramètre plus adéquat pour la lecture de la seule variation significative remarquée entre les trois études en diminue la singularité.
[19] La contribution certaine d'une éducation supérieure à l'acquisition de statuts socio-économiques élevés ne saurait renverser certaines particularités de fonctionnement des appareils scolaires ; l'école, loin de diminuer les inégalités sociales, les reproduit quand elle ne les renforce pas. (Voir à ce propos les travaux de P. BOURDIEU et, pour les États-Unis : C. JENCKS et D. RIESMAN, The Académie Révolution, N.Y., Double-day, 1968 ; A.H. HALSEY, J. FLOUD et C.A. ANDERSON, (eds.), Education, Economy and Society, N.Y., The Free Press, 1961.) Plusieurs études ont démontré que divers facteurs constitutifs du statut socio-économique des parents étaient des plus conséquents dans la détermination des niveaux d'instruction auxquels parvenaient les enfants. Mais ce phénomène n'est pas uniquement relatif à la stratification sociale, il l'est bien davantage à la division sociale du travail entre travailleur manuel et intellectuel et aux rapports sociaux entre classes.
Mentionnons également que plusieurs inégalités sociales recoupent des clivages ethniques. Par exemple, les différences retenues entre Canadiens français et Canadiens anglais en ce qui a trait à la scolarité complétée ne sauraient expliquer l'écart de revenu identifié, dans la région montréalaise, entre ces deux groupes sociaux ; il reste un solde de 34%, dû en partie aux inégalités que véhicule l'ethnicité. (Rapport de la commission d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Le monde du travail, livre III, 1ière partie, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1969, pp. 68-71.).
[20] Voir à ce sujet, entre autres, A. TOURAINE, La société post-industrielle, op. cit. et Le mouvement de mai ou le communisme utopique, Paris, Seuil, 1968 ; F. MACHLUP, The production and distribution of know-ledge in the United States, Princeton University Press, 1962 ; J.K. GALBRAITH, Le nouvel état industriel, Paris, Gallimard, 1969 ; S. MOSCOVICI, Essai sur l'histoire humaine de la nature, Paris, Flammarion, 1968.
[21] C'est ce qui ressort d'une analyse comparative entre les deux principales universités francophones et l'Université McGill, portant sur les niveaux d'inscriptions et diplômes décernés dans chaque secteur académique. Pour les fins du présent article, nous renvoyons le lecteur aux données présentées par Richard SIMONEAU. « Les étudiants, les dirigeants d'université : doctrines étudiantes et doctrines universitaires. » Recherches sociographiques, 133, 1972, pp. 343-364.
Voir aussi : François BELAND, Les universités québécoises ; une perspective socio-économique, thèse de maîtrise, Département de sociologie, Université Laval, 1970 ; et Hélène OSTIGUY-PILON, Statistiques détaillées relatives à l'enseignement supérieur, Département de sociologie, Université de Montréal, septembre 1971.
[22] Le Quartier Latin, 11 septembre 1958.
[23] Le Carabin, 16 décembre 1958, publie le mémoire des étudiants et les commentaires de M. Duplessis et de M. Sauvé qui en ont accompagné la lecture, sous la signature de l'Association des Conseils étudiants dés universités de la province de Québec.
Voir aussi Le Quartier Latin, 4 décembre 1958 qui relate les événements de cette campagne sur plusieurs années.
[24] Extrait du Rapport RIOUX, reproduit dans ce livre, pp. 479-493.
[25] Louis-Marie TREMBLAY, Le syndicalisme québécois, Montréal, P.U.M. 1972.
[26] Vincent LEMIEUX, « Les partis politiques et leurs contradictions », in Jean-Luc MIGUÉ, (éd.), Le Québec d'aujourd'hui, Montréal, H.M.H., 1971, pp. 153-171. « Les clientèles libérales se trouvaient en fait du côté des anglophones, des milieux les plus urbains et les plus évolués du Québec, des universitaires et de certains leaders syndicaux. » (p. 156.)
[27] Presse Étudiante Nationale : association des journalistes étudiants des universités et collèges classiques, auparavant nommée la Corporation des Escholiers Griffonneurs.
[28] « Historique et orientation de l'Union Générale des Étudiants du Québec », document ronéo, U.G.E.Q., 6 pages.
[29] Congrès de l'U.G.E.Q., Montréal, Presses Syndicales de l'U.G.E.Q., 12-15 novembre 1964, en particulier pp. 5-8.
[30] Voir : Le Quartier Latin, 9 décembre 1964 et Le Carabin, 10 décembre 1964, pour les reportages des journalistes étudiants qui ont suivi le Ministre de l'éducation lors de sa tournée d'information sur l'Opération 55.
[31] Voir les listes d'associations et d'individus qui ont pris position, dans : Léon DION, op. cit.
[33] Jean LALIBERTÉ, La participation des étudiants aux comités gouvernementaux, Université de Montréal, Thèse de maîtrise, mars 1968.
[34] À noter que l'opinion des étudiants se rapproche davantage de celle des professionnels (48% et 25%) que de celle des jeunes (42% et 18%). Voir : Le Magazine MacLean, novembre 1963.
[35] M. RIOUX et R. SEVIGNY, Les nouveaux citoyens, Montréal, Radio-Canada, 1965.
[36] R. SABOURIN, Rapport d'enquête sur les étudiants de l'Université de Montréal, Département de sociologie, Université de Montréal 1968.
[37] Statistiques fiscales citées par Vincent LEMIEUX, op. cit., page 164.
[38] Le choix d'une année est relativement arbitraire. Une conjoncture politique est constituée de divers éléments dont la temporalité n'est pas égale.
[39] Colloque sur les C.E.G.E.P., Faculté des sciences de l'éducation, Université Laval.
[40] Le Quartier Latin, 18 et 19 mars 1969.
[41] Une chance sur « 63 », Document sur l'état de la langue française au Québec, Centre de documentation de l'Université du Québec, Montréal, novembre 1969.
[42] Le Soleil, samedi, 18 avril 1970.
[43] Ca Urge !, pamphlet, Montréal, mars 1970, 4 pages.
[44] Rapport de la Commission ..., op. cit., p. 276 sq et p. 530 sq.
[45] Nous laissons de côté ici le problème de l'effet à long terme d'un tel développement, en particulier la question des appareils d'État comme moyen de formation d'une bourgeoisie économique francophone.
[46] Janine DALLAIRE, « Motifs de dissolution », Congrès de l'A.G.E.U.M., février 1969.
[47] François BÉLAND, « La dissolution de l'A.G.E.L. », Département de sociologie, Université Laval, 1970. (ronéo.) (LETMOS)
[48] R. SABOURIN, op. cit.
[49] Nous ne pouvons ici rendre compte de l'action de multiples groupuscules formés d'étudiants ni des différences de leurs analyses politiques ; nous ne traitons que des groupes liés aux syndicats étudiants ou qui en ont pris la relève.
[50] P.W. BÉLANGER et ali, La contestation et les attitudes de contestation à l'Université Laval, Document de travail, Québec, novembre 1969, tableau 39.
[51] Congrès de l'U.G.E.Q., Presses syndicales de l'U.G.E.Q., Montréal, novembre 1964, pp. 5-9 et 51.
[53] Rapport moral de l'équipe Nelson, Deuxième congrès de l'U.G.E.Q., février 1967.
[54] Rapport moral de l'équipe Bourbeau, Congrès de l'U.G.E.Q., février 1969.
[55] Louise HAREL et Richard BRUNELLE, De la protestation à la résistance, Montréal, février 1969, 30 pages, ronéo, pp. 5-6.
[57] François BÉLAND, « L'anti-congrès, » Recherches Sociographiques, 13, 3, 1972, pp. 381-395.
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