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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'André-J. Bélanger, “Les leçons de l'expérience québécoise. « L'accès inusité du Québec à la modernité»”. Un texte publié dans le livre sous la direction de Mikhaël ELBAZ, Andrée Fortin et Guy Laforest, LES FRONTIÈRES DE L'IDENTITÉ. Modernité et postmodernité au Québec, pp. 46-64. Québec: Les Presses de l’Université Laval; Paris: L'Harmattan, 1996, 384 pp. [Autorisation accordée par la direction des Presses de l'Université Laval le 2 novembre 2010 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

[46]

André-J. Bélanger

Les leçons de l'expérience québécoise.
« L'accès inusité du Québec à la modernité»
.”

Un texte publié dans le livre sous la direction de Mikhaël ELBAZ, Andrée Fortin et Guy Laforest, LES FRONTIÈRES DE L'IDENTITÉ. Modernité et postmodernité au Québec, pp. 46-64. Québec: Les Presses de l’Université Laval; Paris: L'Harmattan, 1996, 384 pp.

Est-ce déjà l'heure
Ma tendre peur
Est-ce l'heure l'heure
De demain

Alain Grandbois

La thématique de la modernité peut sembler dépassée de nos jours alors qu'on parle plus volontiers de postmodernité. Rares sont, cependant, les sociétés à propos desquelles on peut dire que la modernité s'est pleinement accomplie. Il reste toujours des vestiges de l'ère antérieure qui se traduisent par des débats récurrents, rappels de l'attachement à des valeurs qui paraîtront périmées à l'observateur extérieur.

La modernité a donné lieu, on le sait, à des conflits qui ont littéralement fait l'histoire de l'Occident. La France est exemplaire en la matière. Son cheminement politique depuis le XVIIIe siècle jusqu'à la Seconde Grande guerre illustre combien difficile peut être parfois l'accès à la modernité. Et les récents bouleversements consécutifs à l'effondrement de l'empire soviétique ont remis à l'ordre du jour les enjeux posés par cette même mutation.

Conflits et tiraillements sociaux appartiennent à l'avènement de la modernité. Ils en soulignent d'ailleurs la portée profonde. Leur déroulement comme le sens à leur attribuer continuent aujourd'hui à susciter de nouvelles interprétations. La Révolution française, par exemple, n'a pas fini de soulever des débats de toutes sortes. Parler de la modernité demeure, tout comme ce l'était à l'époque des Lumières, une manière de prendre position, avec les conséquences politiques que tel exercice entraîne.

[47]

L'intention du présent propos n'est certes pas d'ouvrir à nouveau l'intégralité du dossier, mais simplement de situer le cas québécois dans la mouvance d'ensemble. Il y a lieu de reconnaître, d'entrée de jeu, que la modernité comme état social s'est installée de manière très différente d'une société à une autre. La Grande-Bretagne a connu une expérience bien différente de celle de la France ou encore de l'Allemagne. Mais c'est néanmoins par la comparaison que le phénomène est le mieux saisi, même lorsque le discours est de facture monographique. En d'autres termes, c'est dans la ressemblance et la différence que les réalités prennent un sens. Le jeu de la comparaison révèle souvent combien les choses ne sont pas aussi semblables qu'on le croyait, et combien, à d'autres égards, elles sont moins différentes qu'elles ne le paraissaient... La fécondité de l'observation repose, il va de soi, sur les critères qui président au choix des unités à comparer. S'agissant du Québec, il est intéressant de le confronter à d'autres expériences de colonies de peuplement. Le Québec, comme le reste du Canada, a en commun avec les pays d'Amérique latine et certains du Commonwealth (l'Australie et la Nouvelle-Zélande, entre autres) d'avoir été un prolongement culturel de la mère patrie tout en maintenant un caractère distinct. La comparaison entre le Québec et l'Amérique latine serait particulièrement indiquée parce qu'elle met en présence des sociétés qui ont plusieurs traits communs tout en offrant des différences qui sont susceptibles de nous en rendre la saisie plus facile dans leurs particularités propres. Il s'agit, dans les deux cas, de colonies de peuplement soumises à la tradition catholique et assujetties à des monarchies absolues au moment même où s'affirme la modernité par le truchement des Lumières. Voici, néanmoins, des sociétés dont les traits sont déjà reconnus comme distincts de ceux de la métropole ; ce sont, d'une part, les Créoles, résolument différents des Espagnols et des Portugais du continent, et, d'autre part, les Canadiens, comme ils s'appellent au XVIIIe siècle, que déjà on ne saurait confondre avec les Français de France. Il n'est pas dans mes intentions d'établir systématiquement ce parallèle, mais tout simplement d'en souligner la pertinence.

IDENTITÉ ET MODERNITÉ

Avant même d'engager mon propos sur la modernité au Québec, je ne puis me dérober à préciser certains concepts que la double thématique d'identité et de modernité m'impose. Sans être nécessairement un traquenard, ces deux termes ont, comme tant de concepts en sciences sociales, une propriété d'évocation qui les rend suspects. Il ne me revient pas ici d'en évaluer la portée, mais d'en délimiter les contours pour les simples fins de l'analyse, sans plus.

La notion d'identité fait plus problème à mes yeux. Elle est séduisante, mais se plie difficilement à une définition qu'on peut qualifier d'opératoire. Elle est porteuse d'un contenu psychologique qui s'applique peut-être mieux aux individus qu'aux collectivités. Je dis « peut-être » parce que je ne suis pas absolument convaincu de sa fécondité, même en psychologie. L'identité renvoie [48] à une adéquation avec soi-même, à une entité qui serait antérieure au moi existant, un véritable soi en quête duquel l'individu poursuivrait perpétuellement sa course. Il y a là une conception plutôt platonicienne en vertu de laquelle la personne serait à la poursuite indéfinie de son idée. Le langage de la mystique, comme l'exprimait très bien Thomas Merton, donne tout son sens à cette poursuite de vie intérieure : « Dieu seul, comme il l'écrit, possède le secret de mon identité » (1952 : 20) ; il s'agit, pour moi, de m'y conformer suivant un processus continu de soumission. Le discours de la psychologie n'y est pas si éloigné, dans la mesure où il entend permettre à l'individu l'émergence de son identité propre. La crise d'identité inhérente à l'adolescence constituerait l'illustration privilégiée de sa prise en charge par l'individu. Le nom d'Erik Erikson vient spontanément à l'esprit.

Il ne me revient pas de gloser sur la question. Qu'il me suffise de dire tout simplement que la notion d'identité risque de fixer dans notre esprit une conception de ce que doit être une entité individuelle ou collective, en dehors de laquelle celle-ci sombrerait dans l'aliénation. On peut toujours affirmer que l'identité se définit à travers une socialisation très déployée où les expériences multiples (famille, école, loisirs, médias de masse, travail) participent à la constitution du moi, introduisant, de la sorte, des contradictions qui sont partie prenante de cette identité. On se trouve alors à introduire le rapport à l'autre ou aux autres dans la définition de soi. L’un s'affirme dans sa différence de l'autre et vice versa.

« Qui suis-je ? », « que sais-je de ce que je suis ? » se révèlent vite des constructions : le tout ne peut jamais être saisi comme tel, mais que par ses parties, qui lui servent d'indices. Qui me dira quelle est la vraie nature de Bernadette ?

C'est à ce stade-ci que l'opportunité de la question « que savons-nous de ce que nous sommes ? » se pose. Il s'agit à l'évidence d'un glissement : de paramètres appliqués à l'observation de l'individu, on passe, comme tout naturellement, à l'observation de collectivités qu'on nommera nation, classe ou autrement. Il y a lieu de se montrer circonspect à l'occasion de tels déplacements, ne serait-ce qu'à cause de leur semblant d'évidence. La « volonté générale », la « conscience collective », la « mémoire collective » appartiennent au répertoire des expressions du même ordre ; elles ont déjà donné lieu à bien des malentendus...

La science politique s'est intéressée à la notion d'identité dans le cadre de réflexions sur le développement politique. La crise d'identité participait, disait-on, à la séquence d'autres crises, c'est-à-dire de légitimité, de pénétration, de participation, etc., qui étaient censées ponctuer la réalisation des ex-sociétés colonisées vers l'État-nation moderne. C'était dans les triomphantes années 1960...

Quel usage peut-on finalement faire de la notion aujourd'hui ? Je suis porté à croire qu'elle sert surtout à ceux qui ont pour intention ou fonction d'intervenir dans l'arène sociale. Le concept m'apparaît peu propre à l'analyse, mais en [49] revanche, très utile à l'action. L'idée d'identité a des propriétés galvanisantes, elle stimule l'imagination et confère une légitimité à la mobilisation. Elle permet à des intellectuels comme à des mouvements et à des formations politiques de révéler la crise d'identité et de la gérer. Mon intention n'est pas d'en déprécier l'usage à ces fins, mais seulement d'en prendre note.

Aux fins de l'analyse, il est plus prudent de recourir à des découpages mieux circonscrits, mais forcément moins ambitieux, désenchanteurs même. Alors que l'idée d'identité collective fait appel à une appréhension globale de la communauté, un aperçu plus fragmenté est susceptible d'en faire apparaître certains traits culturels significatifs sans jamais prétendre atteindre à un stade ultime la synthèse de l'ensemble. C'est donc à certains caractères, et davantage à certaines conditions de l'action sociale, que je compte m'arrêter.

La question posée se traduit alors dans les termes suivants : dans quelles conditions culturelles la modernité s'est-elle réalisée au Québec ? Est entendu ici, par raccourci, le Québec francophone. Il ne s'agit d'aucune exclusive à l'intention de l'élément anglophone vivant au Québec, mais d'un découpage en fonction de paramètres propres à une collectivité linguistique dont les traits culturels étaient reconnus dès le Régime français sous l'appellation de Canadiens.

Nous en arrivons donc au deuxième volet de la double thématique proposée : la modernité. Il n'y a aucun intérêt à s'arrêter au mot, what’s in a name ? C'est plutôt à un phénomène bien identifiable qu'on doit s'adresser. Pour faire bref tout en étant efficace, il y a lieu de reconnaître, dans l'histoire de l'Occident, la progressive affirmation de deux valeurs jugées fondamentales : l'individu et la raison, les deux ayant partie liée dans un nouveau projet de société.

On peut volontiers faire remonter la valorisation de l'individu à une période bien antérieure à l'ère dite moderne ; l'apport de la chrétienté par son message de salut ouvert à tous mais dépendant de chacun fondait déjà un individualisme en émergence. Cependant, la modernité va plus loin en posant l'individu comme référence première, et en imposant, par le fait même, une égalité de valeur, du moins en principe, pour chacun des membres de la société.

Si l'individu se voit conférer une valeur absolue, c'est bien parce qu'il est un être de raison. La raison est considérée comme inhérente à chacun et à sa dignité ; les conditions de liberté de son exercice prennent dès lors un caractère sacré. Liberté d'action, donc, et liberté d'action à l'intérieur du respect de la liberté de l'autre. Cette raison, c'est, bien entendu, la raison séculière, celle qui évolue selon les seules règles de la spéculation intellectuelle et de l'observation empirique.

Il revient, par conséquent, à l'organisation sociale de se conformer aux impératifs posés par ces principes qui viennent briser l'univers hiérarchisé qui était autrefois la règle. Le libéralisme est partie prenante à la modernité : le capitalisme sur le plan économique, la démocratie sur le plan politique, et l'exercice libre de la raison séculière sur le plan social, sont censés se conjuguer dans un esprit de progrès. Toutes ces composantes sont archi-connues, je [50] les évoque pour rappeler le canevas sur lequel vont s'engager les débats à propos de la modernité au Québec, comme il en a été ailleurs.

Le trait majeur et significatif dans l'accès du Québec à la modernité porte sur son caractère intégralement exogène. La modernité et toute la modernité est venue au Québec de l'extérieur, c'est-à-dire suivant des emprunts puisés à des expériences d'autres sociétés ou, encore, imposés par les circonstances économiques et politiques. À cet égard, il constitue vraisemblablement le cas unique d'une colonie de peuplement dont la métropole n'a fourni aucun élément significatif de modernité avant son émancipation.

C'est à ce stade-ci, c'est-à-dire dès le point de départ, que la comparaison avec l'Amérique latine ouvre des perspectives d'interprétation. À la fin du XVIIIe siècle, soit quelques décennies avant l'amorce de ses différents mouvements d'affranchissement, l'Amérique latine compte plus d'une vingtaine d'universités qui avaient été fondées, entre autres, par les Jésuites et les Dominicains. L'Université Saint-Marc à Lima datait du XVIe siècle, Cordoba avait été célèbre pour son université et son collège dirigés par les Jésuites avant leur expulsion. Or, il est intéressant de noter que les Lumières en Espagne ont été diffusées par le clergé et, en particulier, par les Jésuites. Alors qu'en France les Lumières se définissaient en opposition à l'Église, il n'en fut pas tout à fait ainsi en Espagne où, de manière éclectique et donc sélective (Schmitt, 1971 : 154), on acceptait d'emblée la critique de la physique aristotélicienne mais sans en dégager les incidences sur la doctrine officielle (Gongora, 1975 : 179 ; Stoetzer, 1979). Ainsi, la méthode expérimentale était largement admise tout en mettant en veilleuse les aspects susceptibles d'entrer en conflit avec les enseignements de l'Église. On s'appliquait davantage, semble-t-il, à dégager les aspects pratiques du discours des Lumières qu'à en tirer les conséquences idéologiques (Lockhart et Schwartz, 1983 : 344-345). En tout état de cause, les Lumières se sont trouvées à connaître une certaine diffusion dans les colonies par le truchement de ces universités qui, en dépit d'un enseignement probablement médiocre et traditionnel à bien des égards, ouvraient des horizons nouveaux.

Au moment de leur indépendance, les Créoles d'Amérique latine sont mus, dans leurs revendications d'affranchissement, par des idées propres à la modernité qu'ils ont acquises, souvent confusément, de leur métropole. Les circonstances ont bien aidé les choses : les guerres napoléoniennes ont certes précipité les événements, comme il en est souvent à l'issue des guerres.

Il saute aux yeux que le simple poids démographique des colonies d'Amérique latine permettait davantage ce développement alors que la Nouvelle-France ne présentait qu'une population fort réduite en nombre.

Il n'en demeure pas moins qu'à toutes fins utiles, la modernité n'a atteint les rives du Saint-Laurent qu'après le Régime français. La France, au moment du Traité de Paris (1763), connaît largement par la clandestinité les affrontements idéologiques qui aboutiront, dans les faits, à la modernité comme pratique reconnue, mais que plus tard. Les Canadiens de l'époque y sont bien [51] éloignés, dans l'ensemble, et seront appelés à la connaître par voie d'emprunts et selon le jeu des circonstances.

L'introduction de la pratique économique propre à la modernité, c'est-à-dire le capitalisme marchand puis industriel, a été largement le fait de la métropole anglaise. Et, quoique réclamée par certains esprits plus avancés au Québec, la pratique politique moderne associée à la démocratie libérale est également apparue, du moins à ses débuts, comme d'origine étrangère. Le débat demeure ouvert, et c'est là tout son intérêt, à savoir dans quelle mesure et à quel rythme ces nouvelles pratiques ont été assimilées et acceptées. Ce n'est pas ici l'endroit de le reprendre, en dépit de ses conséquences sur toute lecture de l'histoire subséquente du Québec. Qu'il suffise, pour le moment, d'admettre que les Canadiens, comme on les appelait alors, ont été en quelque sorte mis en situation de fonctionner à l'intérieur des règles du jeu de la nouvelle donne moderne. L’enjeu s'est alors déplacé ou, plus exactement, concentré sur le terrain idéologique. Il s'est agi de savoir si on se devait d'accepter ou de refuser les valeurs que véhiculaient ces pratiques. C'est toute l'organisation sociale comme aire laissée inoccupée par le capitalisme et la démocratie libérale qui est devenue objet de litige pour au-delà d'un siècle. Le débat a porté dès lors sur le mode de vie : l'importance d'une manière d'être sociale dans le cadre de la modernité ou de la tradition.

Une stratégie inconsciente de mobilisation a laissé croire dans les années 1960 à l'accession plus ou moins subite du Québec à la modernité, et ce, à la faveur de ce qu'on a convenu d'identifier à cette fin, la Révolution tranquille. Or, comme je viens de l'évoquer, la modernité en tant que pratique économique et politique s'est imposée à divers stades depuis la fin du XVIIIe siècle. Ladite Révolution tranquille n'intervient que comme complément et marque surtout une acceptation plus généralisée des valeurs de modernité. Au fond, le grand débat avait eu lieu bien avant, et ce qui est apparu, à l'époque, comme un revirement se présente davantage, avec le recul du temps, comme un aboutissement presque inévitable. Je dis bien « presque » pour éviter toute propension historiciste.

TÉMÉRAIRE MODERNITÉ

Qu'en a-t-il donc été de ce débat ? Au fond, il s'est amorcé assez tôt, puisqu'avec l'introduction du parlementarisme à l'anglaise sont apparues des pratiques discursives accordées, du moins dans leurs formes, à la modernité politique en voie d'élaboration. Au Québec, le discours politique est largement consécutif à la pratique libérale apportée de l'extérieur. La rhétorique de Papineau, par exemple, en est une qui va osciller entre les valeurs du libéralisme anglais et de la tradition. Il y a, bien sûr, toute une interprétation à faire du discours des patriotes qui ont été les premiers aux prises avec le contenu et les effets de la modernité. Mais il me semble plus fécond, aux fins du présent [52] propos, de s'arrêter à des expressions plus typées, ne serait-ce que pour mieux mettre en relief la nature du débat.

Pour faire bref, il n'y pas plus stimulant que de s'arrêter au contenu et à la facture d'un ouvrage comme celui de Louis-Antoine Dessaulles intitulé Six lectures sur l'annexion du Canada aux États-Unis (1851). On y retrouve là les principales composantes de la modernité, une modernité où la tradition française est mise à contribution. Dessaulles fonde son discours sur la suprématie de l'individu, celle-ci légitimée par la rationalité de l'espèce humaine. En d'autres mots, l'individu est posé comme référence première parce qu'il est rationnel. Et cette rationalité, laissée libre dans son exercice, doit conduire au progrès. Il en dérive des droits inaliénables, dont toutes les libertés nécessaires au libre arbitre. C'est l'occasion pour mettre en cause le système d'enseignement de l'époque qui, entre les mains du clergé, conduit, selon lui, à la « sujétion de l'intelligence » et à la « nullification morale de l'individu » (ibid. : 189). On reconnaît ici la teneur classique du discours moderne qui, à l'époque, passe pour radical. Elle est porteuse d'une moralité renouvelée. Ainsi, Dessaulles y fait appel pour réclamer, outre le laisser-faire économique, la démocratie libérale, mettant en exergue le caractère immoral du despotisme dont un des effets est de conduire inévitablement à la corruption. J'ai toujours tenu les Six lectures... de Dessaulles comme un moment essentiel dans l'expression du libéralisme au Québec. Il constitue, dans mon esprit, un classique même s'il ne représente qu'un point de vue minoritaire chez les libéraux de son temps.

D'autres auteurs et polémistes ont fait preuve d'autant de désinvolture pour l'époque, comme Arthur Buies qui, avec la même pugnacité, affirmait que l'éducation cléricale était le poison des peuples (1964 : 87), mais ils n'en ont pas présenté un tout aussi intégré.

Plus modérée, la pensée d'Étienne Parent est probablement plus représentative de la modernité telle qu'elle s'est exprimée par la suite au Québec. On y retrouve une diversité d'emprunts dont l'éclectisme est assez typique des configurations à venir ; ne fait-elle même pas parfois référence à Victor Cousin ?

À certains égards le discours de Parent appartient sans conteste à la modernité des Lumières. Quand il affirme que :

La fin de la société, c'est l'homme, c'est le bonheur, c'est l'avancement moral et intellectuel de l'espèce humaine entière (Parent, 1850 : 149).

Parent annonce bien là sa couleur. Mais il l'atténue presque aussitôt dans la manière même dont il s'identifie : « Nous, précise-t-il, chrétiens et libéraux » (1850 : 149), association de deux appartenances dont il s'est expliqué au cours d'une conférence antérieure où l'influence de Lamennais est manifeste. Au clergé, il confie un rôle public en opposition aux libéraux de son temps qui déjà le confinent au privé. Il ne faut pas oublier, écrit-il, que :

[Le prêtre] est la personnification du principe spirituel dans la société, duquel découle tout ce qui est vertu, justice, bienfaisance, liberté, progrès social et humanitaire. L'Église doit être comme l'âme, la raison de [53] la société, l'état (sic) comme le corps, les sens. L'homme politique sera d'abord de sa nature homme de parti, le prêtre sera plutôt national [1] (Parent, 1850 : 110-111).

Cette conférence destinée à remettre en valeur le rôle du prêtre dans la cité souligne la conception dichotomique que Parent peut avoir de la société, conception qui prend la forme d'une projection sur la société du dualisme que Descartes établit entre l'âme et le corps. On voit apparaître ici une intention de concilier deux aspirations qui constitueront la trame de l'histoire des idées au Québec jusque dans les années 1960, l'une se revendiquant de la modernité, l'autre de l'identité.

Parent proclame néanmoins sa modernité dans l'affirmation appuyée de valeurs propres à l'ère nouvelle. Ses conférences à l'Institut canadien de Montréal et ailleurs sont autant de témoignages à l'individu, à la raison et au travail. Le rôle de l'individu est consacré : l'individualisme est, pour lui, un penchant nécessaire, légitime et bon, qu'il ne faut pas confondre avec l'égoïsme (1850 : 88). Quant à la raison, elle est, chez lui, portée par une conception élargie qui a pour nom intelligence. L’intelligence est dite « souverain légitime » et réalisée par un corps d'élite, à savoir une « aristocratie de l'intelligence » (1852 : 17, 33). Parent fait appel à la raison dans l'organisation du social, il recommande, par exemple, des « solutions rationnelles » au problème du paupérisme de son temps. Mais il confie l'autorité politique à ceux qui disposent de cette intelligence et consacre dès lors l'inégalité en fonction d'une élite de la raison. À cet égard, il n'est pas moins moderne qu'Auguste Comte qui hiérarchisait la société à partir du savoir. C'est dans ses propos sur le travail et plus spécifiquement l'entreprise industrielle où il fonde un discours économique que Parent se révèle tout à fait accordé à son temps. Contre la propension à « l'amour des parchemins » (1850 : 9) propre aux professions libérales encombrées par les francophones, Parent préconise la formation d'« économistes éclairés » (1846 : 20) qui sauront positionner notre société dans l'économie internationale en formation.

Les peuples indolents et ignorants seront exploités par les peuples industrieux et intelligents (Parent, 1846 : 20).

De là, bien sûr, l'importance de l'éducation ouverte à tous, mais pas n'importe quelle éducation. Il saisit l'occasion pour s'en prendre à ce qu'il appelle la manie chez nos législateurs d'importer des institutions étrangères toutes faites. Déjà se manifeste, comme on peut le constater, cette propension à l'emprunt, surtout en matière d'éducation...

Dans la bonne tradition moderne, Parent voit volontiers dans l'industrialisation les éléments générateurs de culture et même de civilisation. Il ouvre la voie à d'autres comme Errol Bouchette qui rappelleront à l'envi la nécessité de l'industrialisation pour la survie collective.

Ces exemples ont pour seul objectif de rappeler que le débat sur la modernité s'est engagé au Québec dès le XIXe siècle, sinon un peu avant, et qu'il s'est poursuivi de la sorte durant plus de cent cinquante ans.

[54]

En fait, s'il y a eu débat, c'est forcément parce qu'il y a eu opposition. Cette opposition, elle nous est familière, elle vient du milieu clérical. Toute une littérature allant du pamphlet à l'analyse sociologique la plus rigoureuse en a fait ses beaux jours. Il n'y a pas lieu d'y revenir, excepté pour mettre en contraste la marche hésitante des mentalités vers la modernité.

FRILEUSE IDENTITÉ

Il est intéressant de noter que la ressaisie du clergé coïncide avec les premières manifestations sérieuses de la modernité. On reconnaît en général qu'au début du XIXe siècle, la situation de l'Église n'était pas particulièrement bonne et qu'il a fallu le coup de barre de Mgr Lartigue et de son successeur Mgr Bourget pour la redresser. Or, ces interventions se situent au même moment où prend véritablement forme le discours libéral au Québec, c'est-à-dire au cours de la décennie qui précède les événements de 1837-1838 jusqu'à grosso modo la Constitution de 1867. Cette résurgence coïncide également avec le retour en force de l'opposition de Rome au libéralisme, concomitance de positions qui se vérifie à nouveau entre la Révolution tranquille et la tenue du Concile Vatican II, quelque cent ans après...

La réaction du clergé n'offre en soi rien de particulièrement étonnant. Ce qui mérite d'être observé, cependant, c'est que le clergé aura le très net avantage, dans ce combat, de pouvoir se réclamer de l'identité des Canadiens français. L’Église est apparue comme l'institution la plus représentative, pour ne pas dire la seule véritable, de l'identité canadienne-française. Elle pouvait donc prétendre parler au nom même de la collectivité. Elle s'est trouvée, à ce titre, à obtenir assez rapidement la quasi-exclusivité du contrôle sur l'enseignement dans son ensemble. Ce faisant, le clergé est parvenu à socialiser des générations d'élèves qui, se succédant les unes aux autres, ont intériorisé ces valeurs et les ont transmises à leur descendance. Cette opération de socialisation peut être comparée à celle qui se réalise auprès d'immigrants qui, au gré des générations successives, font leurs les valeurs de leur société d'adoption.

Il est significatif de constater combien les valeurs de modernité, et surtout les auteurs qui en étaient les porteurs, seront progressivement occultées du discours intellectuel, et ce, au profit de la tradition.

L'ouvrage classique d'Errol Bouchette publié au tournant du siècle est symptomatique à cet égard, dans la mesure où il met en évidence les compromis idéologiques auxquels, à son insu, il doit se livrer. On se rappellera que faisant écho aux propos d'Étienne Parent, Bouchette reprend la même thématique : la nécessité de l'industrialisation et d'un système d'éducation assorti à cette priorité. On y retrouve les mêmes types de considérations sur les lois du social et l'indispensabilité d'un corps d'élite. De nombreuses références à des auteurs contemporains européens émaillent ce texte qui veut participer de la modernité. Or, alors même qu'il peut affirmer, par exemple, que « le luxe, en lui-même, n'est pas un vice » et qu'il faut « ceindre les Laurentides d'une couronne [55] de fabriques », Bouchette tente inconsciemment de concilier la modernité économique et même politique au cadre social traditionnel (1906 : 88, 124). Son projet d'industrialisation à l'intention du Québec est censé s'opérer en faisant l'impasse sur l'urbanisation. « Il vaudrait bien mieux, écrit-il, renoncer à la grande industrie que de dépeupler les campagnes » (1906 : 206). Sa proposition majeure sur l'industrie forestière est, en effet, conçue pour faire l'économie de la modernité dans l'organisation sociale : l'usine n'aurait alors pas l'effet débilitant qu'on lui connaît, car l'ouvrier travaillerait dans la forêt, en contact constant avec la population agricole où se ferait le recrutement. Colons et agriculteurs deviendraient partie prenante de l'industrialisation sans se retrouver dans les « grands centres démoralisateurs » que sont les villes (1906 : 312). En cela, il se situe en droite ligne du réformisme social de Frédéric Le Play (1901 : 137-138, 15) qui avait préconisé comme idéal les usines installées en milieu rural ou forestier. Le projet de Bouchette est intéressant parce qu'il rend bien compte d'impératifs devenus incontournables : la modernité est acceptable dans la mesure où elle n'atteint ni les structures sociales ni les mentalités profondes. Il rend également compte de la réalité du temps : la modernité, venue d'ailleurs, s'étant imposée dans les pratiques économiques et politiques, n'offre pas de choix, on doit composer avec celles-ci ; mais en maintenant la structure sociale intacte.

Avec les premières décennies du XXe siècle, le discours antimoderne est bien institué dans les maisons d'enseignement et un auteur comme Lionel Groulx en synthétise admirablement le contenu, même si ses aspirations fortement nationalistes lui font parfois déborder le cadre de l'idéologie cléricale orthodoxe.

La pensée de Groulx pose comme premier adversaire la Réforme et le libéralisme qui en découle. L'esprit de la Réforme est perçu comme foncièrement diviseur : il a créé la confusion dans l'Église ; et le libéralisme a déformé le social en altérant les principes d'ordre et de justice. L’industrialisation et l'urbanisation en sont les conséquences par lesquelles s'introduisent le matérialisme, l'agnosticisme et la libre pensée ; auxquels s'ajoutent « le féminisme malsain, suprême triomphe des théories égalitaires », le laïcisme et son sous-produit protestant qu'est l'enseignement obligatoire (1920 : 4, 11). Si son opposition à l'individualisme moderne est manifeste, elle l'est forcément envers la raison, qui en est pour ainsi dire le véhicule. En somme, le chanoine fait le procès de la modernité dans toutes ses expressions, même politiques : la démocratie libérale portée par le suffrage universel est en soi facteur de division où l'esprit de parti se substitue à l'intérêt national.

L’intérêt de rappeler ces quelques éléments d'antimodernité permet, bien sûr, de mettre en relief, si on veut, le chemin perdu, mais plus encore de souligner l'avantage idéologique et donc stratégique dont jouissait le clergé dans son combat contre la modernité. Il se présentait comme partie intégrante de l'identité canadienne. Il lui était donc facile de confondre les tenants de la modernité avec tout ce qui était étranger.

[56]

Alors qu'en France, ce combat s'est livré largement entre représentants de l'ordre et représentants du progrès, il s'est livré, au Québec, entre porteurs de l'identité canadienne et porteurs de valeurs nouvelles venues d'ailleurs. Le clergé avait au départ l'avantage de se poser comme institution authentiquement canadienne, et, en plus, la seule qui ait survécu.

C'est encore Groulx qui l'a probablement le mieux exprimé en retraçant une généalogie qui permettait la création d'une société imaginaire au seuil du mythe. Si le chanoine s'est livré à l'histoire, ce n'a pas été pour satisfaire une quelconque curiosité sur le passé, mais bien pour établir (il aurait plutôt dit rétablir) les composantes séculaires de l'identité canadienne-française. Ainsi pose-t-il en une phrase les éléments essentiels de celle-ci lorsqu'il parle du Canadien :

Originaire de France et, peut-on dire, des pays de France les plus français, dès les débuts du dix-huitième siècle, ses traits nationaux sont déjà fixés. Il constitue une variété de la race française... (Groulx, 1931 : 245).

Cette phrase est lourde de sens. Elle situe l'identité canadienne hors des conflits de l'ère dite moderne. Être des pays les plus français de France, c'est être exclu de l'influence huguenote ; et voir ses traits fixés au début du XVIIIe siècle, c'est s'épargner les Lumières. Il ne faut pas se faire d'illusions, la France authentique n'est plus dans l’Hexagone. La mère patrie est une nation déviée de son destin. La vraie France, c'est, selon Groulx, celle de Du Guesclin, Bayard, Jeanne d'Arc ; l'ordre achronologique est ici révélateur, nous sommes en pleine intemporalité... Le Canada français était donc appelé à une mission distincte, hors de la modernité.

L’histoire de France sert simplement de lieu où puiser des illustrations exemplaires. C'est ainsi que Richelieu est célébré parce que grand colonial, c'est-à-dire favorable à l'implantation des colons, tandis que Colbert fait figure de « vulgaire mercantiliste » tout tourné vers le commerce, source, faut-il croire, d'aventure et de dispersion.

Cette quête d'identité en tant qu'opposition à la modernité n'est pas exclusive au Québec. On la trouve d'emblée ailleurs et à peu près à la même époque, c'est-à-dire depuis le tournant du siècle jusqu'aux années 1930. La comparaison avec l'Amérique latine n'est pas sans intérêt, puisqu'on y repère la même préoccupation d'identité à propension messianique. De même, cette identité est mise en opposition à la modernité, là où elle se trouve, à savoir le capitalisme parfois associé au protestantisme et, bien sûr, le positivisme qui avait tant conquis cette partie du continent (Stabb, 1967).

Même dans ses moments les plus triomphants, comme au cours des deux premières décennies du siècle, le discours clérical au Québec s'est constamment senti menacé par la modernité qui s'insinuait dans les pratiques. Or, c'est effectivement par le biais de ces pratiques que le discours moderne a connu une certaine faveur, mais dans des limites qu'il a fallu rompre par la suite.

[57]

LA MODERNITÉ
COMME UNE TAUPE BIEN ENGOURDIE


On trouve au XIXe siècle les premières manifestations qui conduiront à une progressive érosion de l'antimodernité dans le champ du discours idéologique. Même si la tradition des rouges ne sera jamais complètement effacée, ce n'est pas par elle que s'opérera cette érosion. Elle sera beaucoup plus subtile, s'insinuant dans les adaptations nécessaires aux conditions économiques et sociales. C'est en fonction de ces conditions propres à la modernité que des institutions comme l'Université et les syndicats seront mises sur pied, souvent pour mieux en gérer l'expression.

On peut poser comme hypothèse que la fondation de l'Université Laval, en 1852, répondait largement à des impératifs stratégiques de la part du haut clergé : il s'agissait de parvenir à encadrer l'expression des divers discours qui étaient en train de prendre forme par l'intermédiaire des professions libérales. Outre la Faculté de théologie qui servait à la reproduction du clergé, les deux principales facultés qu'on a érigées, médecine et droit, étaient déjà existantes sous la forme d'École de médecine et de chirurgie, créée à Montréal comme à Québec dans les années 1840, et sous la forme d'écoles de droit. Quant à la Faculté dite des arts, elle n'était qu'un avorton, elle se contentait de dispenser le soir des cours au grand public... Déjà à ce stade, l'Université sera perçue par les ultramontains comme un foyer de libéralisme catholique. Au fond, ils ne se trompaient pas, puisque c'est d'elle que devait venir, pour une large part, l'accès à la modernité. L’ennui, pour le haut clergé un peu lucide, c'est que sa marge de manœuvre demeurait étroite : ou bien, forcé par les circonstances économiques, il acceptait la diffusion d'un discours moderniste dans un champ somme toute limité et peu accessible au grand public, comme la médecine, ou bien il laissait des institutions laïques en assumer la diffusion.

L’histoire des institutions à vocation plus ou moins universitaire au Québec en sera une de constantes initiatives par les praticiens pour un enseignement plus adéquat ou, encore, d'interventions politiques qui, également pour satisfaire des impératifs économiques, créeront des établissements afin de contourner les institutions cléricales existantes. L’École polytechnique de Montréal qui ouvre ses portes en 1874 a pour objectif avoué non la formation de savants, mais celle de praticiens dans la profession d'ingénieur. Au début du XXe siècle, la création d'écoles techniques à Montréal et à Québec vise la formation d'une main-d'œuvre qualifiée alors qu'on ouvre à Québec une école d'arpentage et une école de foresterie en poursuivant le même type d'objectifs. La fondation de la Faculté des sciences à l'Université de Montréal en 1920 répond à des exigences posées par la Faculté de médecine. Ce seront d'ailleurs des médecins qui au début assureront la direction de la physique et de la chimie. L’École supérieure de chimie à Laval voit le jour en même temps, mais, cette fois, en étroit rapport avec l'implantation de l'industrie chimique dans son environnement géographique. Même la fondation d'écoles de beaux-arts à Québec et à Montréal en 1922 l'a été en vue d'objectifs pratiques : l'architecture, l'art publicitaire et l'enseignement du dessin.

[58]

Animés par des praticiens, ces établissements offraient une certaine sécurité idéologique, dans la mesure où les débordements vers un discours un peu plus subversif étaient contenus. Ce n'était pas des lieux de spéculation séculière s'interrogeant sur l'homme et la société... Il s'opérait probablement un travail de sape, car la pratique même strictement professionnelle devait évoluer de plus en plus dans des conditions de réflexion libre.

En contrepartie, une faculté comme le droit, qui en d'autres sociétés a été à l'origine de disciplines comme l'économique et la science politique, va demeurer longtemps restreinte à une vocation praticienne et donc sans effet sur son propre discours disciplinaire.

Le cas de l'École des hautes études commerciales de Montréal est intéressant à observer. Voici une institution créée au début du siècle dans le même esprit que les autres de son temps. Fondée à l'instigation de la Chambre de commerce [du district] de Montréal, dirigée par des laïcs et, en principe, très près de la pratique économique, elle aurait très bien pu constituer le fer de lance de la modernité sociale. Or, bien au contraire, l'École a servi de refuge et de tribune aux esprits les plus attachés à la tradition cléricale. Quoique très sensible à la culture économique et française de son époque, Édouard Montpetit se voudra le porteur d'une « doctrine nationale [qui jaillit] de l'histoire et du territoire, de la terre et des morts » (s.d. : 53), tout en flirtant avec le corporatisme social de ses contemporains. Plus explicite, Esdras Minville recommandera le retour à la terre pour les chômeurs comme solution à la crise de 1929 (1984 : 570) et l'organisation corporatiste comme réponse à la faillite du libéralisme économique (1936). Mais c'est son ouvrage publié après la Seconde Grande guerre qui rend mieux compte de la réaction à la modernité montante. Le titre est significatif : Le Citoyen canadien-français, et porte sur l'identité de ce citoyen. Or, l'identité, en tant qu'objet de préoccupation, s'impose lorsque l'entité collective est perçue par certains intellectuels comme menacée dans son existence. Reprenant la vision de Joseph de Maistre transmise par le chanoine Groulx, Minville nous redit que l'homme en soi n'existe pas et que seul a un sens l'homme d'une société et d'une nation. On y retrouve, à cette occasion, les fondements religieux d'une opposition irréductible pour juger les effets de la modernité au Québec :

Si les transformations économico-sociales survenues dans notre province depuis un demi-siècle ont sur les esprits une si fâcheuse influence, c'est évidemment parce qu'elles procèdent d'une philosophie d'origine protestante. (Minville, 1946 : 326).

Il est significatif que les connaissances économiques donc modernes de ces auteurs n'aient en rien affecté leur perception profonde de l'organisation sociale qui demeure foncièrement organique. Il s'agit d'une lecture pessimiste de l'industrialisation qui rive son attention sur les effets d'urbanisation et de prolétarisation de la paysannerie. On est toujours favorable au progrès économique, mais dans la mesure où il ne porte pas atteinte à l'aménagement social. Le « restons traditionnels et progressifs » du discours duplessiste s'inscrit dans [59] cette lignée, tout comme, à la même époque, les protestations de modernité venant du haut clergé (Bourque et Duchastel, 1988 ; Beauchemin, Bourque Duchastel, 1991). Tout ce monde est bien prêt à se réclamer du progrès autant matériel que scientifique et technique, mais toujours à la condition expresse qu'il n'affecte en rien le tissu social.

Le rapport de la Commission Tremblay sur les problèmes constitutionnels tient lieu de testament à cette école. À peine quatre ans avant l'avènement de la Révolution tranquille, on y reprend, en de nombreuses pages, l'opposition classique entre la culture franco-catholique et l'anglo-protestante où finalement, c'est le trait religieux qui se trouve à faire toute la différence. La question de la sécurité sociale n'est pas abordée en termes de besoins sociaux parce qu'aux yeux des commissaires, ceux-ci sont relativement satisfaits. Elle est plutôt posée selon une franche dichotomie entre le régime organique d'inspiration catholique qui est censé être le nôtre et le régime de nature protestante, libéral ou socialiste, où l'État dispense une assistance directe auprès de ses prestataires au lieu d'opérer par le truchement d'institutions de charité.

De la nouvelle génération des HEC, François-Albert Angers n'en poursuivra pas moins une vision aussi attachée à l'antimodernisme. Il verra dans la revue Cité libre un prolongement de la tradition d'Étienne Parent, du libéralisme de jeunesse de Laurier, de la vieille garde de T.D. Bouchard (celui qui avait lutté jadis pour l'enseignement obligatoire) et de l'esprit de Jean-Charles Harvey (1957 : 10-11). Son opposition systématique à la création du ministère de l'Éducation en 1963 viendra presque clore cette longue croisade contre la modernité. Elle sera engagée, comme on l'a bien vu, au nom de l'identité nationale menacée, pour ne pas dire traquée dans ses derniers retranchements.

Il est intéressant de noter que, dans la pratique, les institutions intellectuelles laïques n'ont pas été, en soi, garantes de la modernité en émergence. Dans certains cas, elles se sont même dressées contre elle, faisant souvent chorus avec les Jésuites qui, à l'époque, étaient peu preneurs d'une nouvelle Aufklärung.

LA MODERNITÉ PAR VISAS

Jusque vers les années 1920, la modernité, comme discours, ne s'affiche pas encore comme telle au grand jour auprès des intellectuels, bien qu'elle soit présente depuis longtemps dans le propos des revues d'affaires (Roy, 1988). Elle s'exprime par discours interposés : en particulier par les sciences qui se font un chemin. Or, il est très utile en matière idéologique d'avoir ce que j'appelle des passeurs, c'est-à-dire des personnes munies de visas qui font franchir les frontières idéologiques autrement interdites. Il n'y a rien de mieux que les gardiens du sérail pour en connaître les sorties. Il se trouvera souvent, dans cette quête de modernité, des éléments du clergé, haut ou bas, pour conférer une légitimité à cette transgression des valeurs traditionnelles. On pense tout de suite à des personnages, souvent des précurseurs, qui deviennent [60] emblématiques presque par la force des choses, comme Mgr Laflamme à la fin du siècle dernier et Marie-Victorin un peu plus tard. Il leur était loisible de tenir des propos perçus comme audacieux en leur temps et qui auraient fait l'objet d'une réprobation unanime s'ils étaient venus d'un laïc. Marie-Victorin pouvait réclamer à cor et à cri une ouverture vers le milieu international de la recherche ou, encore, l'accueil de professeurs étrangers.

On peut croire que le dispositif du visa était d'autant plus nécessaire dans les domaines où l'organisation sociale et ses fondements idéologiques étaient directement touchés, là où le discours pouvait véhiculer un contenu jugé subversif. Deux cas s'imposent de par l'importance de leur contribution à la modernité et de par leur ancrage relativement précoce et profond dans la mentalité des éléments qui seront les plus actifs par la suite : la Jeunesse étudiante catholique et la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval. Deux institutions qui subiront les foudres de ceux-là mêmes qui se revendiquaient de l'identité du Canada français.

Ces deux institutions ont des origines communes. Elles correspondent à une réaction de l'Église en vue de contrer, dans le milieu laïque, la séduction des idéologies modernes. L'École des sciences sociales de Laval, fondée en 1932, est d'abord conçue, comme l'avait été son pendant montréalais en 1920, dans la perspective de faire barrage au modernisme que, cette fois, la crise économique était susceptible d'exacerber. De la même manière, la JEC, reprise de l'expérience européenne, répond, au moment de sa mise sur pied dans les années 1930, à des impératifs similaires ; elle participait, on le sait, de l'Action catholique, institution coupole.

L'École des sciences sociales tout comme la JEC ont été appelées à évoluer assez rapidement. La première est vite érigée en faculté en 1943, sous le dynamique décanat du père Lévesque, et prend aussitôt le large avec l'arrivée de laïcs qui, sans être anticléricaux, adoptent une démarche analytique acquise à la modernité américaine puis française. Quant à la JEC, dès 1944, son président général, Gérard Pelletier, pouvait affirmer que « l'Action catholique sera intégralement l'affaire des laïcs ou elle ne sera pas » (1944 : 350).

Les grands axes d'action sont également les mêmes. Le père Lévesque estime que « les jugements de valeurs ne sauraient logiquement venir qu'après les jugements de réalité » (1947), prise de position qui ne fait que confirmer celle déjà affichée dans l'annuaire de la Faculté, deux ans auparavant, à savoir que les sciences sociales sont des « sciences positives modernes » (Fournier, 1973 : 40, 43). Pour sa part, la JEC faisait sienne depuis longtemps une devise en trois temps : voir, juger, puis agir. Le voir ne se résumait pas à un bref tour d'horizon pour la forme, mais se voulait un examen analytique où seule la raison était sollicitée dans l'observation. Le premier objectif en était, lui aussi, de connaissance. Et l'action se voulait tournée vers le concret. Si bien que les dérives se sont assez tôt fait sentir. Dans le cas de la Faculté, l'attention portée au jugement de réalité a débouché sur une option exclusivement universitaire où la morale traditionnelle a trouvé de moins en moins son compte, tandis que [61] la JEC a contribué à une distanciation progressive du clergé dont Cité libre, d'abord imaginée par Gérard Pelletier et son entourage, en a été l'aboutissement le plus tangible. Ces deux institutions ont été, chacune à sa manière, une matrice de réflexion et d'action propre à la modernité, et comme par un effet pervers, le clergé aura été l'agent déclencheur de la modernisation.

Enfin, ces institutions ont forcément en commun d'avoir rencontré la farouche résistance de ceux qui se réclamaient de l'identité même de la nation. Le père Lévesque devra maintes fois ferrailler avec les Jésuites qui verront en lui un agent de sécularisation. On lui reprochera en général l'orientation trop scientifique pour ne pas dire scientiste des sciences sociales, de même que leur caractère trop laïque. Tandis que la JEC soulèvera l'ire de l'antique ACJC (Action catholique des jeunes Canadiens français) qui voulait intégrer la religion à la vie nationale. Lionel Groulx lui sera également hostile même dans les années 1960 (1964 : 38-45). On voit poindre à cette occasion l'aspect stratégique d'un nationalisme qui, pousse à son extrême logique, prend presque le parti de la nation plutôt que celui de la religion.

Cette caution cléricale, ce visa, qui permet de faire l'impasse sur la critique cléricale, virtuelle ou réelle, accompagne souvent ce parcours vers la modernité. Elle vaudra parfois au clerc qui s'y prête des tentatives de censure à son endroit, mais généralement sans atteindre la mouvance même des idées. On peut penser, en rangs dispersés, aux pères Legault et Couturier, avant la guerre, pour le théâtre et les arts, au père Mailloux en psychologie, au frère Untel, à Mgr Parent, président de la commission d'enquête sur l'éducation portant son nom.

Il m'a semblé plus intéressant de mettre en relief des mouvements de modernité aux origines plus éloignées, mais à la fois de grande portée. La crise des années 1930 m'est toujours apparue comme la ligne de démarcation la plus significative. Au terme d'une réflexion à plusieurs voix sur le thème de l'Avènement de la modernité culturelle au Québec, Yvan Lamonde peut affirmer qu'avant 1929, « la ligne de la modernité au Québec apparaît plutôt discontinue, en pointillé » (1986 : 305). La crise a servi d'onde de choc première et déterminante. Et son effet sera renforcé, plus tard, par l'effet de l'industrialisation consécutive à la Seconde Grande guerre. Les traditionalistes s'inquiétaient, dès le début du siècle, de l'urbanisation et de ses conséquences. Mais c'est la crise qui va forcer à une nouvelle lecture du réel. Les remèdes proposés par ces traditionalistes ne paraîtront plus très convaincants. Les esprits seront donc prêts à une nouvelle saisie de l'univers social. Et c'est dans cette mouvance qu'il y a lieu, je crois, de situer l'émergence de la JEC et des Sciences sociales à Québec. D'autres expressions leur seront concomitantes comme La Relève et Les Idées puis, plus tard, Le Jour de J.-C. Harvey, le Refus global, etc.

[62]

CONCLUSION

S'il est revenu parfois à la France d'incarner en quelque sorte la modernité, c'est surtout à l'univers anglo-saxon et en particulier américain qu'on s'est référé comme à un symbole. Pour le meilleur comme pour le pire. La construction de l'État, dans les années 1960, s'est surtout fondée sur l'expérience française tandis qu'en matière d'éducation, on a fait plus que copier, on a forcé le trait au point d'obtenir une caricature de l'Amérique. Il serait, en effet, intéressant d'évaluer la manière dont les diverses institutions québécoises ont naturalisé ces emprunts.

Par ailleurs, il ne faudrait pas négliger l'apport de la pratique politique qui, concurremment à la pratique économique, s'est largement accordée à la modernité de son temps. Par la voix de leurs organes de propagande, comme Le Soleil et Le Canada, les partis politiques ont largement contribué à l'adaptation des mentalités aux nouvelles réalités (Couture, 1991). Pendant toute cette période de plus ou moins grande hibernation de la modernité auprès de l'intelligentsia, il s'est trouvé que c'est dans l'arène politique que certains débats ont perduré, connaissant, à l'occasion, des périodes intenses. L’éducation va demeurer un enjeu important. Aboli en 1875, à la grande satisfaction du clergé, le ministère de l'Instruction publique passera à un cheveu d'être rétabli en 1898. Ce seront, néanmoins, ces débats interminables qui conduiront à l'enseignement obligatoire imposé en 1943. Il faudra la création des Cégeps pour marquer dans les faits la sécularisation officielle de l'enseignement secondaire.

Cette intrusion de la modernité dans les mentalités n'a pas été sans susciter des réactions qui ont tenté de la contourner, souvent au nom de son dépassement. Il était assez courant, dans les années 1960, d'entendre des propos qui prétendaient que le Québec pouvait faire l'économie du capitalisme au profit d'un certain étatisme technocratique. C'était la vogue de la postindustrialisation comme modèle qui dispensait du stade de l'industrialisation au nom d'une rationalisation fonctionnelle de l'organisation sociale.

Simultanément se faisait sentir le besoin d'une redéfinition du Québécois qui, jadis Canadien puis Canadien français, n'avait plus, aux yeux de certains intellectuels, une quelconque identité. C'est ainsi qu'on en est venu parfois à vouloir, à la manière de la psychanalyse, exorciser les refoulements du passé par une catharsis collective. Certaines pages de Parti pris sont allées dans ce sens. Aujourd'hui, le ravalement vers l'individu qui se présente comme l'ultime aboutissement de la modernité a conduit à toute une réflexion sur soi, et les ouvertures vers l'autre.

La référence à l'autre conduit naturellement à considérer les rapports de type communautaire dont la nation, produit de la modernité. La nation apparaît comme conséquence du libéralisme politique, mais peut être également considérée comme un effet pervers de celui-ci, dans la mesure où elle se présente comme un effet non voulu et même en contradiction avec l'individualisme [63] dont la modernité se réclame au premier chef. Par ailleurs, la nation, en principe, séculière, ne fait pas non plus directement appel à la raison, en dépit de ses origines modernes. Aux fins de l'exposé, j'ai intentionnellement mis en veilleuse cette tension qu'introduit la nation dans le discours de la modernité. Peut-être est-ce pour certains son caractère essentiel, puisque c'est là que logerait l'identité collective dont j'ai peu parlé. C'aurait été ouvrir un tout autre débat.

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Fin du texte

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Notice biographique

ANDRÉ-J. BÉLANGER

Professeur de science politique à l'Université Laval de 1965 à 1973 et, depuis, à l'Université de Montréal. Auteur de L'apolitisme des idéologies au Québec, le grand tournant de 1934-1936 (1973), Ruptures et constantes, quatre idéologies du Québec en éclatement (1977), Framework for a Political Sociology (1985). À paraître, avec Vincent Lemieux : Introduction à l'analyse politique. Recherches en cours : le phénomène de la représentation politique par les intellectuels, le facteur religieux et les représentations idéologiques, les tensions entre le libéralisme et le nationalisme



[1] Le terme « national » ne renvoie ici qu'à la collectivité comme globalité.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 7 janvier 2011 15:29
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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