Introduction
La technologie influence l'organisation et l'orientation de l'activité d'une société. En anthropologie, ce phénomène est surtout connu depuis les travaux de Sharp (1952) et Salisbury (1962). Il a toutefois donné lieu à une production visant beaucoup plus à souligner les avantages (Dalton 1971) de l'adoption de certaines techniques qu'à faire ressortir les incidences intégratrices de leur pénétration. En effet, mises à part les recherches de Sahlins (1972) sur les contraintes culturelles des choix technologiques et des effets souvent néfastes de l'insertion de techniques occidentales au sein des populations autochtones, les anthropologues, jusqu'à tout récemment, ont principalement cherché à expliquer certains blocages ou à en justifier parfois le rationnel (Cancian 1966, Cook 1966) tout en inventant, par ailleurs, une anthropologie appliquée humaniste dont la mission est d'atténuer si possible les effets perturbateurs causés par diverses innovations.
En réalité, il aura fallu une remise en question de l'anthropologie par les peuples étudiés et une réorientation majeure de son approche pour que ce phénomène soit abordé en liaison avec l'essor du capitalisme mondial et les différentes phases de sa pénétration dans les communautés locales. A cet égard, même s'il n'existe pas encore une théorie des relations entre les rapports de production et les forces productives, les contributions des anthropologues marxistes, en particulier Meillassoux (1964 :74), Godelier (1973) et Rey (1973), pour ne citer que ceux-ci, ont favorisé une meilleure compréhension des liaisons entre l'emploi de techniques nouvelles et l'articulation de modes de production par l'intermédiaire d'alliances diverses, complétant ainsi les apports judicieux de Barth (1963) et rapprochant la perspective anthropologique des courants actuels de pensée autour de l'échange inégal (Bettelheim 1972), du développement du sous-développement (Frank 1972, Amin 1976) et de la dépendance (Cardoso 1972, Dos Santos 1971).
D'une certaine façon, ces auteurs ont montré que des changements technologiques ne sont pas neutres et véhiculent beaucoup plus qu'un accroissement de la productivité. Sans entrer dans des explications chiffrées sur la portée économique de certaines modifications, le but de cet article est d'illustrer, à l'aide de l'étude d'un cas, que le développement régional à l'époque actuelle du capitalisme monopoliste engendre des luttes locales pour en contrer les effets et produit néanmoins des changements structuraux importants dont les conséquences apparaissent dans la composition des classes et groupes sociaux ainsi que dans les alliances en vue de réorienter l'activité locale. Le cas choisi est celui de la municipalité du Havre-aux-Maisons aux Îles de la Madeleine [1]. Il nous permettra de montrer, comme l'a fait récemment Braverman (1976), qu'aux changements technologiques sont intimement associés des modifications qui se répercutent ultérieurement sur l'exercice du pouvoir au sein d'une communauté donnée.
Les incidences politiques de ces changements seront examinées en conclusion de ce texte à la lumière de quelques auteurs. Soulignons, dès à présent, que nous ferons appel au cadre théorique marxiste mis au point par Poulantzas (1972) tout au cours de notre démonstration. À notre avis, son application à une population insérée depuis longtemps au sein du capitalisme ne saurait créer de difficultés majeures. Quant au concept de développement, ainsi que nous l'avons déjà souligné (Bariteau 1977), il sera utilisé pour signifier la mise en place d'une nouvelle organisation socio-économique manifestant des changements dans les rôles économiques et socio-politiques assumés par les classes et groupes sociaux dans les différentes sphères de la réalité sociale.
[1] Les données présentées dans ce texte proviennent de notre recherche en vue de la rédaction d'une thèse de doctorat. Certaines parties de ce texte sont tirées des chapitres de cette thèse.
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