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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

LA FORMATION DES ENSEIGNANTS AU TOGO. (1978)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Yao Assogba, LA FORMATION DES ENSEIGNANTS AU TOGO. La pédagogie nouvelle à l’École Normale d’Atakpamé: conceptions de la vie scolaire et de la vie familiale par les Normaliens. Une étude de cas. Thèse de Maîtrise en Sciences de l’Éducation (Administration et politique scolaire), Université Laval, Québec Québec : Faculté des sciences de l’éducation, Université Laval, avril 1978, 234 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 27 janvier 2015 de diffuser cette thèse de maîtrise dans Les Classiques des sciences sociales.]

[1]

LA FORMATION DES ENSEIGNANTS
AU TOGO.

Introduction

Pour qui suit attentivement la politique générale de développement des pays africains, une chose frappe quant au rôle que les autorités africaines assignent à l'éducation. Les hommes politiques et les intellectuels africains voient dans le système scolaire un puissant facteur de changement social. C'est l'éducation, qui permettra de lutter contre le "sous-développement" et, pour ainsi dire, qui doit provoquer l'émergence d'une nouvelle société, d'une nation moderne. Parlant du rôle de l'éducation dans les pays africains en général, le ministre togolais de l'éducation nationale a déclaré en 1973 :

Il n'est un secret pour personne que l'éducation est de plus en plus aujourd'hui l'objet de préoccupations des Etats africains. D'une part, parce que nos jeunes voient en elle le moyen de satisfaire leurs légitimes aspirations, leur soif du savoir et leur désir de bienêtre, d'autre part, parce que les Etats africains eux-mêmes considèrent que c'est elle qui leur permettra de vaincre le sous-développement qui caractérise les économies de leurs pays. [1]

De son côté le président Julius Nyerere de la Tanzanie écrit :

[2]

Nous devons intégrer l'enseignement de type scolaire à la société. Et nous devons en même temps l'utiliser comme un catalyseur pour favoriser la transformation de cette société[2]

Cependant, tous les critiques sont d'accord pour dire que le système d'éducation scolaire existant au lendemain immédiat des années d'indépendance ne répond pas aux exigences de la modernisation d'une société et, par conséquent, ne peut favoriser l'émergence de la nation moderne à laquelle aspirent les peuples d'Afrique. Une réforme du système d'éducation scolaire devenait une nécessité dans les pays africains en général. Dans le cas particulier du Togo, cette nécessité a été clairement exprimée dans le programme national du parti politique unique du pays, le "Rassemblement du Peuple Togolais" (R.P.T.).

Si l'on veut éviter que l'enseignement soit un frein au développement économique et social, un énorme gaspillage, et que l'école devienne une fabrique de chômeurs, il importe qu'une réforme fondamentale et profonde soit opérée[3]

Une commission d'enquête pour la réforme du système scolaire du Togo a été instituée et le rapport final de ses recherches a été publié en 1973 sous le titre de "Projet de réforme de l'enseignement au Togo". Le rapport définit naturellement les objectifs, les structures, les programmes et les méthodes d'enseignement du nouveau système scolaire, mais aussi le type d'enseignants nécessaire à la réforme proposée. C'est précisément pour former de nouveaux types d'enseignants que l’État togolais, avec l'aide de [3] l'UNESCO, a créé en 1968 l'Ecole Normale Supérieure d'Atakpamé. Celle-ci a pour fonction d'assurer la formation d'un maître de type nouveau, d'assurer une action de recyclage du personnel enseignant en exercice et de participer à la réforme et à la rénovation pédagogique. [4]

Que faut-il entendre par le concept de "type nouveau de maître" ? Les textes officiels de l’École Normale Supérieure définissent le "type nouveau de maître" en ces termes : le nouveau maître formé à l'Ecole Normale n'est pas un simple instituteur, c'est avant tout "un éducateur de formation polyvalente, d'esprit ouvert, un animateur dans sa classe, dans l'école et dans le milieu, capable de travailler en équipe." [5] Le futur enseignant togolais qui entre à l'Ecole Normale reçoit ainsi durant trois années une formation générale, une formation professionnelle et une formation d'animateur.

Quels instruments scientifiques peut-on utiliser pour atteindre ce triple objectif ? Poser une telle question, c'est poser le problème d'option pédagogique de l'Ecole Normale Supérieure. Les définiteurs du programme de formation des enseignants, après une étude comparative de trois types de pédagogie à savoir : la Pédagogie Traditionnelle africaine, la Pédagogie Traditionnelle française et la Pédagogie Moderne, ont opté pour ce qu'ils ont appelé "une Pédagogie Moderne nuancée" qui tient compte, précisent-ils, des réalités et exigences togolaises. [6]

En fait, cette Pédagogie Moderne nuancée s'inspire largement des principes formels de ce qu'on appelle dans le monde de la pédagogie l’“École [4] Active”, ou encore la "Pédagogie Nouvelle".

Les responsables du programme ont en effet bien explicité leurs pensées sur la Pédagogie Moderne nuancée. Elle est basée sur les Méthodes Actives à partir de l'étude du milieu, l'intégration des disciplines et l'initiation à la recherche au lieu de la simple accumulation de connaissances hétéroclites, l'initiation a la prise de la responsabilité (en classe, dans le milieu), une répartition harmonieuse des activités permettant une alternance permanente entre le travail intellectuel et le travail pratique, le travail individuel et le travail en équipe. [7] C'est justement l'analyse de la Pédagogie Moderne nuancée ou de la Pédagogie Nouvelle en vigueur à l’École Normale Supérieure qui fait l'objet du présent travail. En fait, nous cherchons à savoir comment les normaliens intègrent les principes formels de cette pédagogie à leurs conceptions de la vie scolaire et de la vie familiale.

En effet, lors des pré-entrevues effectuées durant l'été 1976 à l'École Normale Supérieure, nous avons pu observé que les normaliens semblaient avoir, de façon générale, une attitude favorable aux principes de la Pédagogie Nouvelle. Cependant, ils semblaient avoir une attitude "traditionnelle" teintée d'autoritarisme dépendant, lorsque nous leur avions demandé de nous dire leur conception de la vie familiale (rôle de la femme, comme mère et épouse, rôle de l'homme, relations parents-enfants, etc.). Cette attitude, nous semble-t-il, est théoriquement en contradiction avec l'attitude "libérale" ou "autonomiste" que suppose logiquement la pensée pédagogique nouvelle.

[5]

Cette contradiction fondamentale est le point de départ de l'interrogation que la présente recherche essaie d'explorer. Cette contradiction se traduit en ces termes : les élèves-maîtres auraient une conception de la vie scolaire qui reflèterait les principes formels de la Pédagogie Nouvelle. Par contre les mêmes élèves-maîtres auraient une conception de la vie familiale qui s'opposerait aux postulats de cette pédagogie.

Pour mieux cerner la nature de la contradiction qui caractérise les conceptions (ci-haut mentionnées) des normaliens, pour mieux la comprendre et l'expliquer, nous avons divisé la présente recherche en trois grandes parties comprenant chacune deux chapitres.

Les chapitres premier et deuxième composant la première partie présentent, d'une part, l'objet de la recherche et d'autre part, le cadre théorique et la méthodologie. Le chapitre trois et le chapitre quatre de la deuxième partie présentent respectivement deux types idéaux de modèle de pédagogie (Pédagogie Nouvelle et Pédagogie Traditionnelle) et deux types idéaux de modèle de famille (famille "nouvelle" et famille "traditionnelle"). Dans la troisième partie, le chapitre cinq est consacré à l'analyse de la conception de la vie scolaire et le chapitre six à l'analyse de la conception de la vie familiale. Enfin, la conclusion de l'étude dégage les principaux résultats de la recherche et traduit l'analyse des résultats en recommandations politiques sur les plans scolaire et social.

Résumé

La création de l’École Normale Supérieure d'Atakpamé rentre dans le cadre général de la réforme scolaire au Togo. Le Togo, comme tous les autres pays d'Afrique, a besoin, pour assurer son développement social, [6] culturel et économique, des hommes de pensée qui feront naître de grandes idées, des hommes d'action capables d'accomplir de grandes choses. C'est pourquoi l'Etat et les intellectuels togolais voient dans le système d0ducation scolaire un puissant agent de changement social. L'étude sociologique de la Pédagogie Nouvelle dans le contexte scolaire et social du Togo paraît dès lors fort intéressante à entreprendre. Elle permettrait, entre autres, de savoir comment les futurs enseignants intègrent les principes de cette pédagogie à leurs conceptions de l'école et de la famille. À la lumière d'une telle analyse on peut s'interroger sérieusement sur le degré de correspondance et de lien réels entre les principes formels d'une pédagogie et les réalités scolaires et sociales que vivent certains acteurs impliqués dans la pratique de cette pédagogie. Tel est, en gros, l'objet de la présente recherche.



[1] Allocution de M. Yaya Malou, ministre de l'éducation nationale du Togo, dans Projet de réforme de l’enseignement au Togo, Lomé, Ministère de l'éducation nationale, 1973, p. I.

[2] Julius Nyerere, "L'éducation pour la libération en Afrique" in Perspectives (Unesco), vol. V, no 1, 1975, p. 10.

[3] R.P.T. Programme congrès constitutif (le livre vert), Lomé, 1969, p. 27.

(Souligné par nous).

[4] Voir : E.N.S., Informations générales, 1975.

[5] E.N.S., informations générales, 1975, p. 3.

[6] E.N.S., Séminaire interne, Atakpamé, juin 1973, pp. 3-4.

[7] E.N.S., Informations générales, Atakpamé, 1975, pp. 3-4.



Retour au texte de l'auteur: Yao Assongba, sociologue, Université du Québec en Outaouais Dernière mise à jour de cette page le samedi 27 juin 2015 8:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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