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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rose-Marie Arbour, “Les responsabilités de l’université dans l’enseignement des arts.” In Vingt-cinq ans de syndicalisme universitaire. Éléments d’histoire et enjeux actuels, pp. 175-182. Recueil préparé à l’occasion du 25e anniversaire du SPUQ par Georges Leroux et André Vidricaire. Montréal: SPUQ, 1996, 205 pp. Collection: “Analyses et discussions”, cahier no 5. [MM. Georges Leroux, André Vidricaire et Louis Gill nous ont confirmé respectivement les 18 et 19 mai 2024, leur autorisation de diffuser en libre accès à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[175]

Vingt-cinq ans de syndicalisme universitaire.
Éléments d’histoire et enjeux actuels.

Les responsabilités de l’université
dans l’enseignement des arts
.”

Par M. Rose-Marie ARBOUR

professeure au Département d'Histoire de l'art, UQAM

Depuis l'ouverture de l'UQAM, en 1969, l'histoire n'a pas été la même pour chacune des disciplines qui ont concouru à la formation des programmes de premier cycle (sept programmes) et de deuxième cycle (cinq programmes) au Secteur des Arts. Dès sa fondation, l'université a intégré des Écoles spécialisées (École des Beaux-Arts, École de musique de l'institut Marguerite-Bourgeoys) dont la mission correspondait au profil général de l'institution qui accordait la priorité à la formation d'enseignants. Cette mission sera également celle des programmes en art dramatique et en danse. Par ailleurs, si le Secteur Arts a toujours eu pour mission de former des artistes-enseignants, il forme prioritairement des spécialistes autant dans les disciplines mentionnées qu'en Histoire de l'art, qui a d'abord été vue en complémentarité de la formation d'artistes. Rapidement, cette discipline mit sur pied un programme de formation d'historiens, de théoriciens et d'intervenants en art. Pour leur part, les programmes en design graphique et en design de l'environnement ont été à leur début des rejetons des Beaux-Arts, dont ils se sont rapidement détachés au cours des années 70. En plus de celui de former des enseignants en arts, un objectif majeur des programmes au Secteur des arts a été la formation d'artistes et de créateurs, de praticiens et de théoriciens.

L'enseignement des arts à l'Université

Double est donc la responsabilité de l'UQAM face aux arts : dans les deux cycles d'études, l'objectif est la formation de spécialistes en arts à laquelle s'ajoutent la formation d'artistes-enseignants qui vont initier les élèves du Primaire et du [176] Secondaire à différentes pratiques en arts. La formation en arts à l'UQAM a été, dans les faits, de concevoir d'abord un enseignement disciplinaire qui, dans un second temps, intègre le rapport à d'autres disciplines et d'autres fonctions dont celle de former des enseignants. Comme toute formation universitaire, la formation de praticiens et de théoriciens en arts favorise une distanciation critique face aux différentes pratiques professionnelles, qu’elles soient la pratique d'enseignant ou celle d'autres types d'intervenants. Par exemple, au programme d'Art dramatique, la formation des étudiants est polyvalente et s'élargit à une formation qui vise autant celle d'acteurs que d'intervenants capables de faire des liens entre le jeu théâtral et l'environnement social, de devenir des "producteurs-artistes" aptes à joindre la théorie et la pratique. Créateurs, critiques, gestionnaires et enseignants s'y croisent comme dans la majorité des autres programmes de premier cycle. La polyvalence dans la formation des étudiants en Arts est généralisée, elle contribue à différencier la formation universitaire de celle qui est propre aux conservatoires et aux écoles professionnelles avec lesquelles on ne peut manquer de la comparer à l'occasion.

Comme tous les programmes de premier cycle à l'UQAM, les programmes en arts doivent privilégier un certain décloisonnement disciplinaire qui reste toutefois à développer et à repenser en fonction, entre autres, des nouvelles technologies. Mais au-delà des médiums, la question centrale à plusieurs programmes en arts est la production artistique comme telle, à laquelle se rattache organiquement la diffusion des productions comme partie de la formation de l'artiste. La production et la diffusion déterminent grandement les objectifs et les conditions de l'enseignement des arts, mais elles marquent aussi la conception de la recherche qui s'identifie, pour un artiste à l'université, à la création artistique. Le lien entre production et diffusion, s'il affecte les formes d'enseignement des arts, a donc aussi une conséquence importante sur la notion de recherche-création. Ce lien entraîne une nécessaire polyvalence des objectifs de formation en arts ; celle-ci se vérifie dans la capacité des étudiants à pouvoir œuvrer et à intervenir dans des champs connexes et quelquefois passablement éloignés du champ de la création comme telle. Les implications pratiques et conceptuelles de cette polyvalence affectent et enrichissent donc la formation des étudiants. La production artistique est en effet trop souvent [177] perçue de l'extérieur comme le fruit d'une pratique disciplinaire fermée, alors que la production en arts ne peut se délier des implications et des contingences de la diffusion, surtout pour les arts de la scène. En ce sens, il arrive souvent que les modes de diffusion de l'œuvre affectent sa production et soient à ce titre inclus dans les objectifs de formation des artistes.

Fidèle aux recommandations du Rapport Rioux [1] qui, à la fin des années 60, suivant en cela le modèle américain, envisagea la création de campus des arts au sein de l'université, l'UQAM, dès sa fondation et dans son évolution ultérieure, a fait passer les arts d'un enseignement professionnel habituellement dévolu aux écoles spécialisées à une formation de type universitaire. Les programmes d'enseignement au Secteur des arts en sont des. Le déplacement de l'enseignement des arts des écoles professionnelles à l'université a entraîné des modifications essentielles quant à la nature et aux objectifs de cette formation. Les disciplines artistiques ont dû se repenser et s'ouvrir en fonction de ce contexte nouveau.

Transmission et recherche-création en arts

La formation universitaire en arts a aussi entraîné un questionnement continu de la notion de création en regard de normes habituellement définies par les domaines scientifiques et par les sciences humaines à l'université. Si la création, dans un environnement moderniste, est entendue comme exercice libre de règles et critique de la tradition, dans le cadre de l'enseignement des arts à l'université la transmission de connaissances et de savoirs ne peut être strictement balisée par les habituelles normes et règles qui sont applicables aux disciplines universitaires. Il y a ici tension entre création et transmission. Traditionnellement, dans les écoles d'arts, se sont transmises des règles du métier et des pratiques pédagogiques éprouvées par l'usage et spécifiques à une discipline. À l'université, dans tout programme d'études, sont insérés des cours d'autres disciplines qui doivent permettre aux étudiants des cheminements comparatifs qui sont pratiquement inexistants dans les écoles professionnelles. Cette capacité de comparaison et de polyvalence ont contribué à modifier la [178] formation académique des artistes et créateurs et a favorisé un contexte favorable à une approche ouverte à la théorisation.

Dans le domaine particulier de la recherche et des études avancées, le rapport à d'autres disciplines et l'existence d'une dimension critique issue de l'analyse comparative nécessaire à toute recherche scientifique, ont été particulièrement débattues et discutées au Secteur des arts. On en arriva, à la fin des années 80, à la reconnaissance de la production artistique (création) comme équivalent de la recherche scientifique. Une question importante était que, dans la création artistique (qui s'identifie la plupart du temps à la production d'œuvres), les questions relatives à la définition des sujets de recherche, les méthodes utilisées pour atteindre des objectifs visés, la définition des indicateurs permettant de mesurer des résultats — qui sont des éléments familiers aux domaines de la recherche scientifique — , ne se retrouvent pas tels quels, il va sans dire, dans les procédures de création des disciplines artistiques ni dans les programmes qui assurent la formation des étudiants.

Comment évaluer des œuvres de création selon des barèmes dits universitaires ? "Il y a souvent dichotomie, quand ce n'est pas opposition, entre les objectifs personnels de recherche poursuivis par les praticiens des arts et les objectifs et procédures valorisés par une institution universitaire", écrivaient en 1983 deux professeurs en Arts plastiques, Suzanne Lemerise et Claude Courchesne [2]. "Comment désigner, en effet, un projet qui s'élabore par une suite d'essais, de réflexions sur "les possibles" d'un objet qui se révèle à mesure que la totalité de l'œuvre se construit. Le travail artistique procède par une évaluation constante d'un grand nombre de facteurs de plusieurs ordres selon une logique polydimensionnelle". La question était de rendre la création artistique paritaire de la recherche scientifique. C'est ainsi qu'au cours des années 70 et 80 se sont déroulés plusieurs discussions et débats entre les professeurs et le Décanat des études avancées et de la recherche pour en arriver à la reconnaissance institutionnelle de la création comme recherche pour les professeurs de ce secteur. Le professeur d'art n'est pas seulement un enseignant, il est un chercheur et sa recherche se formalise et se concrétise dans sa production. Les professeurs [179] furent soutenus dans ce travail de reconnaissance et de légitimation des spécificités propres à l'enseignement des arts par le SPUQ qui, en alternance avec le Décanat des études avancées, organisa des séances et débats qui contribuèrent largement à éclairer les enjeux en présence et à trouver des solutions.

Qui dit création en arts dit production comme nous l'avons souligné plus haut : il fallait donc considérer, dans la tâche professorale, la production artistique au centre de la notion de recherche-création. Dès lors, la création artistique pouvait être subventionnée au même titre que la recherche scientifique, du moins dans le cadre universitaire. Cette reconnaissance entérinait et favorisait la légitimité et l'ouverture de programmes d'études de deuxième cycle en arts. Cinq programmes de maîtrise existent actuellement au Secteur des arts, qui ont pu se développer autant dans le domaine de l'analyse que de la création. En création, le traditionnel mémoire écrit a été en partie remplacé par une production. L'étudiant soumet cette production qui est accompagnée d'un texte rendant compte de sa démarche pratique et théorique. Enfin, le dépôt de deux projets de doctorats émanant du Secteur des arts montre le chemin parcouru quant à la légitimation de l'enseignement des arts à l'université. L'adéquation entre création et recherche continue sans cesse de se redéfinir en fonction même de la production des professeurs en arts et des étudiants d'études avancées. En résumé, on peut donc affirmer que l'ambiguïté qui existait au début de l'UQAM quant à la portée universitaire de l'enseignement et de la recherche en arts a été clarifiée et résolue.

Le tandem transmission-invention nous ramène à la formation des étudiants en arts. Plusieurs questions allaient être débattues. Allait-on former nécessairement et exclusivement des créateurs dans les disciplines concernées ? quel était le lien entre les disciplines artistiques et d'autres disciplines universitaires ? comment ajuster l'organisation des régimes d'études propres à l'enseignement des arts et un type d'enseignement universitaire habituellement calqué sur celui des sciences humaines et des sciences ? Comment faire entrer les ateliers, l'enseignement individualisé, les périodes de répétition dans les cases communes aux autres disciplines dont la transmission se fait par l'exposé écrit et oral et dont les données sont généralement objectives et vérifiables selon des normes scientifiquement acceptées ? [180] Pratiquement, quelle dimension universitaire est donnée à l'enseignement des arts au sein des programmes d'études ? Quel est le rapport entre théorie et pratique artistiques ? Bref qu'est-ce qui distingue l'enseignement des arts à l'UQAM de l'enseignement de disciplines artistiques dans les écoles professionnelles ?

Il faut souligner que dans ces débats, l'UQAM est le pivot central au Québec de la formation en arts. Démocratique, à ne considérer que le nombre des inscrits, l'accès n'en est pourtant pas facile et beaucoup d'embûches pourraient être aplanies, notamment en ce qui concerne le rapport à développer et à renforcer — que ce soit au premier ou au deuxième cycle pour la plupart des disciplines — entre l'université et les milieux professionnels. À un autre niveau, rappelons que le statut des étudiants, aux arts comme ailleurs, va de plus en plus vers le partage entre un travail rémunérateur et le temps consacré aux études. Cela doit être pris en compte par l'administration des études de deuxième cycle particulièrement. L'enseignement universitaire en arts est, pour la majorité des disciplines concernées, tributaire d'une expérience pratique hors cours qui ne se limite pas aux stages dans les milieux professionnels, dans le cadre de l'université. Comme nous l'avons écrit plus haut, les différents programmes de formation en arts s'éloignent des schémas classiques dont le modèle est en sciences humaines mais aussi en sciences. La production dans son sens large est liée au processus d'apprentissage en arts et pour ce faire, des lieux spécialisés sont requis. Au cours des années, les différentes disciplines du Secteur des arts se sont logées dans des pavillons faits sur mesure : l'Agora pour la danse, le pavillon de musique, le pavillon du design en sont les exemples frappants. Cela a permis l'organisation de l'enseignement et la recherche en fonction de spécificités disciplinaires tout en stimulant, en principe, les échanges multidisciplinaires. La spécificité de ces lieux (ateliers, studios, salles de répétition, etc.) est liée à celle de l'enseignement des différentes disciplines et aux productions qui en sont indissociables.

[181]

Production et diffusion en arts

Un autre aspect de la création artistique a été assumé à l'UQAM, qui montre bien la capacité d'ouverture et d'adaptation de l'université aux contingences de l'enseignement et de la recherche en arts : c'est le lien nécessaire pour plusieurs disciplines entre la production artistique et sa diffusion. La production artistique doit être diffusée pour que le processus d'enseignement et de recherche soit complété. C'est ainsi qu'il existe pour les différentes disciplines en arts à l'UQAM des lieux adéquats de diffusion : la galerie de l’UQAM est à la disposition des praticiens et des théoriciens en arts visuels et en muséologie ; le Centre de design est sous la responsabilité du département du même nom ; la Salle Pierre-Mercure constitue un lieu de prestige pour la diffusion de la musique ; l'Agora est consacrée à la danse ; les salles Athanase-David et Alfred-Laliberté sont utilisées, mais non exclusivement, pour les productions des étudiants et des professeurs en art dramatique. La diffusion des productions artistiques entraîne des contingences et nécessités particulières en ce qui a trait à la tâche des professeurs, le cheminement des étudiants et les exigences académiques, l'organisation des tâches pour le personnel de soutien. Puisque le rapport à un public est essentiel pour la formation des créateurs et intervenants en arts, le Secteur des arts a dû assumer et doit continuer à développer un lien direct avec le monde extérieur (le public) et le monde professionnel. Ce lien organique entre la formation universitaire, le public et les milieux professionnels est essentiel à la formation des étudiants en arts.

Enfin, les arts à l'université ont et doivent avoir des retombées bénéfiques pour les étudiants des autres Secteurs de l'université. L'UQAM a en cela un rôle important à jouer en attirant un public d'étudiants en provenance d'autres secteurs académiques, contribuant ainsi à former un futur public d'amateurs et non seulement de spécialistes, et à enrichir la formation générale de l'ensemble des étudiants. L'accès d'un public étudiant aux productions qui se réalisent au sein des programmes en arts devrait être développé bien davantage : un campus des arts au sein de l'université faisait partie de la vision élaborée dans le Rapport Rioux qui envisageait pour tous de pouvoir être en contact avec des productions artistiques, de [182] profiter d'un climat stimulant dans tous les domaines du savoir, de la connaissance et de la perception du monde.

Dans cette évolution riche et complexe, rien n'aurait été possible sans une approche flexible de la tâche professorale dans le secteur des arts. Sensible aux défis particuliers du secteur, la définition s'en est enrichie progressivement de toutes les finalités de l'enseignement, de la recherche et du service à la collectivité.



[1] Rapport de la Commission d'enquête sur l'Enseignement des Arts au Québec, 1968.

[2] Lemerise, Suzanne et Courchesne, Claude, "Problématique de la recherche-création en milieu universitaire", Cahiers, hiver 1983, p. 12.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 21 mai 2024 7:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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