[9]
LES MORTS INUTILES.
Un chirurgien français en camp nazi.
Préambule de 1991
Ces quelques pages ont été rédigées en partie durant mon séjour à Ebensee (Kommando du camp de concentration de Mauthausen), et pendant mon hospitalisation à l'hôpital Cochin, à mon retour.
Je n'avais aucune intention de les publier. Mais mon ami le professeur Gilbert Dreyfus qui, sous le pseudo de Gilbert Debrise [1], avait été mon compagnon de déportation, les a transmises aux Éditions de Minuit qui les accueillirent avec un enthousiasme qui me stupéfia. Mon « œuvre » devait rencontrer le plus grand succès ; il était prévu de faire un premier tirage de 10 000 exemplaires et de garder les « flancs » pour de nouvelles éditions...
Las ! Quelques semaines après la parution de ce livre, qui avait provoqué bon nombre de critiques favorables, tout s'écroula ! Monsieur Louis Aragon, un des fondateurs des Éditions de Minuit, vint reprocher véhémentement aux responsables d'avoir publié un livre sur la déportation qui ne disait mot des communistes. Dès lors, tout finit très vite... Les invendus furent mis au pilon et ce fut le grand oubli coupé cependant par quelques auteurs [2] qui incorporèrent dans leurs ouvrages, le plus souvent avec mon consentement, des parts plus ou moins importantes de mon petit livre.
J'ai décidé de faire reparaître, pour mes amis, cet opuscule, et je tiens à m'expliquer sur quelques points. Désespéré, indigné lors de l'effondrement de la France, mon pays, j'ai rejoint la Résistance dès octobre 1940 et fus officiellement « agent P1 » le 1er janvier 1941.
Quand je fus arrêté par l’Abwehr, le 15 janvier 1944, je pensais que je serais fusillé ; j'avais parfaitement accepté cette éventualité et j'aurais trouvé parfaitement normale la décision de l'ennemi.
Or je fus envoyé en camp de concentration... et ne le pardonnerai pas car je ne peux admettre ce système inhumain quel que soit le drapeau qui flotte à la porte du camp [3].
Au spectacle de tant de misères, j'ai réagi uniquement en médecin et c'est un médecin qui parle, [lequel [4]] n'a pas à s'informer, avant de faire son devoir, de la nationalité, de la religion ou de l'appartenance politique de ceux que, parce qu'il est médecin, il DOIT aider.
[10]
[1] Médecin des hôpitaux de Paris, auteur de Cimetières sans tombeau et Week-end à Dachau, deux textes majeurs sur la tragédie concentrationnaire.
[2] Notamment Christian Bernadac dans Les Médecins de l'impossible, France-Empire, 1968, et Alain Guérin dans La Résistance, cf. note 1.
[3] Allusion au Goulag soviétique qui, comme on le sait, ne fut jamais dénoncé par Louis Aragon (1897-1982) en dépit de preuves irréfutables (cf. A. Sakharov, La Liberté intellectuelle en URSS et la coexistence, Gallimard, 1969) et à l'exception de « déviationnistes » comme David Rousset (Pour la vérité sur les camps de concentration, des 1951 !) ou Pierre Daix (voir sa présentation d'une Journée d'Ivan Denissovitch d'Alexandre Soljénitsyne, 10/18, 1973, pp. 5-22) que fort tardivement par le Parti communiste français.
[4] J'ai apporté ici une légère modification stylistique au texte original dont le sens n'était pas très clair suite, vraisemblablement, à une erreur de composition de l'imprimeur.
|