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Avant-propos
Le continent africain est reconnu comme étant le berceau de l'humanité où se côtoient des milliers de groupes ethniques aux croyances et coutumes diverses. Les pratiques traditionnelles telles que l'excision et l'infibulation sont majoritairement perpétuées en Afrique subsaharienne. Comme en témoignent les statistiques établies par l'Organisation mondiale de la santé [1] - révélatrices de son ampleur - plus de 110 millions de femmes à travers le monde auraient vécu l'excision ou l'infibulation. Chaque année, deux millions de fillettes les subissent au nom des traditions, soit 6000 fillettes par jour (Ross, 1995).
D'après l'OMS, au moins vingt-huit pays africains les pratiquent ainsi que quelques-uns du Moyen-Orient et de l'Asie. Par le biais de l'immigration, on retrouve l'excision et l'infibulation en Europe, Australie, Nouvelle-Zélande et Amérique de Nord. Les recherches scientifiques démontrent leurs conséquences néfastes pour la santé mais parallèlement, les dimensions socio-culturelles rattachées à ces pratiques favorisent leur perpétuation à travers le monde.
Au Canada, de plus en plus d'immigrantes qui sont concernés par ces pratiques s'établissent dans des grands centres urbains tels que Montréal, Toronto et Vancouver. Selon les statistiques du recensement de 1996, près de la moitié de ces immigrant(e)s sont des femmes. La plupart d'entre elles sont en âge de procréer, ont des enfants, prévoient en avoir et sont ainsi potentiellement éligibles à Tune de ces pratiques.
Même s'il n'existe aucune information statistique sur la prévalence ou l'incidence de l'excision et de l'infibulation au Canada, l'expérience en Europe (France, Belgique, etc.) démontre que les ressortissants des pays où prévalent ces pratiques sont susceptibles de les perpétuer dans les pays d'accueil. Certains groupes de femmes et des intervenants de la santé se doutent que plusieurs immigrant(e)s font exciser leurs fillettes, soit au Canada soit en retournant temporairement dans leur pays d'origine. En effet, un nombre grandissant [2] de fillettes vivant des problèmes de santé reliés à ces pratiques se présentent aux services de santé canadiens.
Lors du Colloque de la Fédération internationale des gynécologues et obstétriciens (FIGO) qui se tenait à Montréal à l'automne 1994, les spécialistes attirèrent l'attention sur les pratiques traditionnelles et leurs conséquences sur la santé physique et psychologique de millions de femmes à travers le monde.
Pour prévenir ces pratiques traditionnelles, la Commission des droits de la personne du Québec a, pour ce faire, lancé en mars 1995 une mise en garde catégorique envers les parents qui feraient exciser leurs filles, les avertissant de potentielles poursuites judiciaires. La loi C-27 fut également émise parle gouvernement canadien en 1997 en vue de protéger les femmes et les enfants de la violence perpétrée à leur égard, notamment en ce qui touche la prostitution chez les enfants, le harcèlement sexuel et la pratique de l'excision et l'infibulation.
Le Conseil du statut de la femme au Québec (1994), de même que certains auteurs (Calder et coll., (1993), Drapeau & Wolde-Giorghis (1994), Daya (1995) et Maldonado & Bouchard (1995), etc.) s'accordent sur le fait que l'excision et l'infibulation sont devenues un nouveau problème de santé au Canada. En effet, au-delà du risque de perpétuer ces pratiques sur leurs fillettes, la plupart des femmes adultes originaires de pays où prévalent ces pratiques ont déjà subi l'opération avant leur arrivée. Bien que le fait d'avoir immigré suppose un état de santé adéquat pour entrer au Canada, certaines peuvent rapidement nécessiter un suivi médical spécifique, surtout lors d'une grossesse et/ou d'un accouchement. Par exemple, une désinfibulation permettant le passage du nouveau-né pourrait devenir nécessaire.
Par ailleurs, certaines femmes infibulées qui accouchent dans les hôpitaux canadiens réclament une réinfibulation après l'accouchement (Conseil du statut de la femme, 1994). Les intervenants de la santé ne sont pas préparés à ce genre de situation ni techniquement [3] ni psychologiquement. De plus, ce type de demande de la part d'une patiente ou de son mari entraîne un problème d'ordre éthique (Hosken, 1993). Le refus de réinfibuler la femme peut également engendrer des problèmes psychosociaux pour le couple (perturbations psychologiques de la femme, rejet possible de la femme par son conjoint, sa famille et sa communauté, violence conjugale). Devant l’ampleur de ces réalités, il devient nécessaire que les intervenants dé la santé soient mieux préparés à les affronter.
De même, la migration nécessite une réaction d'adaptation globale comprenant plusieurs phases au cours desquelles il est fréquent d'observer des difficultés somatiques et émotives. De telles difficultés sont attribuables à la situation économique souvent instable des immigrant(e)s ainsi qu'aux conflits d'intégration des nouvelles normes socio-culturelles de la société hôte (Beiser, 1988 ; Berry, 1988 ; Legault et coll., 1992 ; Abou, 1990 ; Naidoo, 1992, Vissandjée et al.,1998). Pour les immigrant(e)s, l'acculturation peut se traduire par une intégration socioculturelle des valeurs de la société hôte ou par une situation où les parents et les enfants embrassent la nouvelle culture sans nier leur propre culture.
Des auteurs [2] (Keith, 1990 et Vissandjée et al. 1998) font référence à une utilisation inappropriée des services sociaux et de santé par les femmes immigrantes à cause des barrières linguistiques, culturelles et les rôles sociaux auxquels elles doivent faire face dans leur nouvel environnement. Les immigrantes sont souvent plus démunies par rapport à la langue de communication, ce qui affecte la qualité et la quantité des informations échangées, que ce soit sur le plan des symptômes, du traitement ou de l'adhésion à ce dernier (Dadour, 1993).
Également, divers facteurs favorisent une mauvaise utilisation des services sociaux et de la santé par les femmes immigrantes. Plusieurs auteurs (Massé, 1995 ; Heneman & collègues, 1994 ; Vissandjée & al. 1998 ; Corin & collègues, 1992) font référence à : des difficultés d'interaction entre les professionnels de la santé et ces femmes, la [4] méconnaissance de la société d'accueil, des habitudes culturelles spécifiques, des services de santé peu adaptés aux valeurs culturelles des immigrantes et à une certaine résistance également culturelle à utiliser des services de santé.
Pour entreprendre des actions efficaces visant à promouvoir la santé des fillettes et des femmes au Canada, ii s'avère donc essentiel de cerner la place de ces pratiqués traditionnelles au sein des communautés culturelles concernées, l'interprétation que ces dernières font des conséquences et complications socio-sanitaires qui s'y rattachent, leurs défis d'intégration dans te pays hôte ainsi que l'ampleur de leur recours aux services de santé.
[1] Organisation mondiale de la santé (OMS), Mutilations sexuelles féminines ; Dossier d'information, 2 août 1994.
[2] Stratégies du Québec pour tes femmes : bilan, constats et perspectives 1985-2000 (1995) qui fut déposé par le Canada à Beijing.
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