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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Histoire de Montréal et de sa région. (2012)
Introduction générale


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Dany Fougères, Histoire de Montréal et de sa région. Tome I: Des origines à 1930 (pp. 1-800); Tome II: De 1930 à nos jours (pp. 801-1624). Québec: Les Presses de l'Université Laval, 2012, 1624 pp. Collection “Les régions du Québec, no 21.” Collection dirigée par Normand Perron. [Autorisation accordée par la directrice des Presses de l'Université Laval, Mme Marie-Hélène Boucher, en juillet 2024.]

[11]

Histoire de Montréal et de sa région.

Introduction générale

Les premiers occupants de la vallée du Saint-Laurent puis, à leur suite, les nouveaux arrivants du continent européen ont vu en l'île de Montréal un site de choix. Lieu de passage, lieu de rendez-vous pour les échanges, emplacements temporaires pour la pêche, la chasse et la cueillette de plantes comestibles ou même l'approvisionnement en matière première, sont autant de traces et de vestiges qui rappellent une occupation autochtone ancienne de l'île de Montréal — et de la région environnante. Plus tard, les Iroquoiens, qui s'adonnent en plus à la culture des plantes, optent pour des établissements permanents, le plus connu étant Hochelaga, un chef-lieu que visite Jacques Cartier en 1535. À leur tour, les colonisateurs français ont édifié en 1642 Ville-Marie, la future ville de Montréal, puis rapidement ont subdivisé l'île en missions et en paroisses et ont fondé des villages dont, parmi les plus anciens, ceux de Pointe-aux-Trembles et de Lachine. L'île de Montréal offre un espace de peuplement plus que favorable. Au cœur d'une plaine fertile, elle bénéficie, du reste, d'un climat propice à la culture des céréales et à la pousse des fruits sauvages. Elle est de plus située au carrefour de voies navigables, ce qui en accentue les qualités d'accueil. Par ailleurs, le choix de Montréal n'est pas tout à fait libre, du moins tant et aussi longtemps que les déplacements sur de longues distances doivent se faire par bateau car, tout juste en amont de l'île, après que la rivière des Outaouais se soit jetée dans le Saint-Laurent, tel un mur infranchissable, les rapides de Lachine obligent à rompre charge. Ainsi, puisqu'il faut faire du portage le long de la rive jusqu'en amont des rapides, aussi bien y établir un peuplement.

Bien qu'il soit contraignant d'être insulaire tant et aussi longtemps qu'on ne parvient pas à ériger de liens permanents avec la terre ferme, l'île de Montréal, plutôt que la rive droite du fleuve notamment, reste tout de même le meilleur emplacement pour portager afin de repartir plus loin, vers l'ouest, l'arrière-pays et le sud. Le caractère insulaire de Montréal aura à l'origine délimité ses frontières régionales et aura été sa particularité et sa force. La mise en service progressive de traverses et l'érection à partir du XIXe siècle de ponts ferroviaires puis routiers contribueront par la suite à l'expansion de la région montréalaise au-delà de la ceinture fluviale qui encercle l'île. De nos jours, alors que les modes de transports sont diversifiés et les déplacements facilités et que les conditions présidant au choix d'établissement des populations sont [12] tout autres, la région de Montréal demeure encore un site de prédilection. Certes, cette dernière n'est pas au sommet de la hiérarchie des régions métropolitaines nord-américaines, mais elle conserve à l'échelle canadienne un rôle de premier plan et à l'échelle québécoise une position dominante, celle de métropole du Québec. D'ailleurs, près de la moitié des Québécois et Québécoises habitent aujourd'hui la région de Montréal.

Par sa position géographique, l'île de Montréal est à la fois un lieu de passage et d'établissement, de fabrication et d'échange, de création et d'adaptation. Montréal et sa région reçoivent et façonnent, donc à la fois pour s'ouvrir à « l'autre » et pour se rendre vers « l'autre ». Ce va-et-vient perpétuel de gens, de biens et d'idées a évidemment façonné l'histoire du milieu montréalais lui-même, présidé à son développement et contribué à son identité. C'est le mouvement, croyons-nous, son intensité et ses particularités qui révèlent le pouls et la vitalité d'une région. L'histoire de la région de Montréal est un récit du mouvement, dans le temps et dans l'espace. Considérée dans sa globalité, avec ses propres faits de société, cette synthèse débute avec les premiers occupants et s'étend jusqu'à nos jours. L'enjeu est de taille. D'une part, cette histoire « en mouvement », puissant élément caractéristique des transformations de cette dernière, commande une perspective d'ouverture sur l'autre. D'autre part, elle constitue un projet novateur parce qu'elle est inclusive de la totalité des parties constituantes du territoire à l'étude. Ainsi, sont observés les rapports qu'entretient Montréal avec « Tailleurs » et entre les populations locales de la région elle-même. Dans le premier cas, ces rapports contribuent à façonner l'identité montréalaise continentale, dans le second cas, à faire du territoire régional un ensemble cohérent et à lui donner du rythme, c'est-à-dire une dynamique propre. Aussi, plutôt que de privilégier des histoires de municipalités et de communautés locales, la présente synthèse opte pour l'étude des réseaux de villes et de communautés qui s'y développent, sachant bien par ailleurs que la ville-centre y occupe une place dominante. Enfin, bien que notre ambition soit d'abord de rédiger une synthèse historique, de revisiter des lieux de notre histoire déjà bien documentés, nous avons abordé plusieurs thèmes qui, eux, n'avaient jamais été explorés auparavant.

La présente synthèse retrace l'histoire d'un lieu physique et d'un espace de peuplement. À ce titre, elle adopte une démarche qui emprunte à la géographie humaine et à l'histoire environnementale. En fait, elle propose une lecture historique qui prend constamment en compte la variable territoire en ce qu'il offre comme possibilités ou ce qu'il impose comme contraintes au développement du peuplement. Sachant que ce territoire n'est pas une donnée fixe, il faut le suivre, l'arpenter pas à pas au fil du temps. En effet, bien que certains des traits caractéristiques du territoire demeurent inchangés depuis les premiers peuplements, d'autres, à la suite de l'activité humaine (travaux routiers, [13] assèchement de terres, remblaiement des rives, construction d'ouvrages...), font revoir différemment le territoire pour chaque génération de Montréalais qui se succède. Il en va de même pour les ressources et les richesses qu'offre le territoire pour le développement économique. À titre d'exemple, si la proximité d'un cours d'eau navigable était une condition essentielle pour l'établissement de la grande entreprise au XIXe siècle, cette même proximité apparaît aujourd'hui un facteur de localisation négligeable. Ainsi, des zones d'habitations ou d'activités économiques jadis recherchées ont été délaissées au bénéfice d'autres secteurs aux possibilités nouvelles, davantage en lien avec une économie émergente. Mais l'histoire de l'occupation du territoire montréalais n'est pas que successions et courses à saute-mouton car il y a aussi des emplacements dont l'attrait est demeuré entier tout au long de l'histoire en dépit des changements survenus dans les domaines économiques, sociaux, culturels. Ces renouvellements des possibilités et des contraintes relatives à l'occupation et à l'exploitation du territoire en caractérisent l'évolution et font en sorte de modifier, sur des périodes de temps plus ou moins longues, les dynamiques sociales, politiques et économiques à l'échelle intrarégionale et les rapports avec l'extérieur.

Un des principaux défis de la présente démarche d'analyse historique est de tenir compte du fait que le territoire étudié se définit et prend une stature renouvelée à mesure que son histoire s'écrit. De fait, il n'existe pas encore aujourd'hui de définition de la région montréalaise qui fasse consensus. Pour le gouvernement du Québec, l'île de Montréal est une région administrative, au même titre qu'est Laval, la Montérégie, les Laurentides et Lanaudière. En même temps, il est aussi reconnu à la ville de Montréal et à l'île une place centrale dans l'organisme régional aussi créé par Québec qu'est la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). Celle-ci a sous sa compétence un territoire qui dépasse de loin l'île de Montréal car elle intègre des parties des autres régions administratives environnantes. Le gouvernement québécois a aussi créé des municipalités régionales de comté (MRC) dont chacune regroupe à des fins d'administration dite régionale un certain nombre de municipalités locales. Ces MRC sont comprises en tout ou en partie dans la CMM et dans les régions administratives. Maintenant, aux fins des statistiques canadiennes, le territoire de la région métropolitaine de recensement de Montréal (RMR) dépasse encore celui de l'île et diffère aussi de celui de la CMM. La carte au début de l'ouvrage présente les territoires administratifs de la région de Montréal. Dans le domaine des sciences sociales, diverses approches sont privilégiées afin de saisir la région ou, terme souvent employé lorsqu'il est question d'un territoire populeux et fortement densifié, l'agglomération urbaine. Pour les uns, une région se définit par l'addition de composantes locales différentes mais complémentaires, pour d'autres par le continuum bâti, pour certains autres encore par l'expression [14] d'une identité régionale particulière, par des liens d'interdépendance entre communautés ou par des réseaux d'appartenance et de représentation1. Mais, ce qui s'observe dans la pratique, c'est que faire de l'histoire régionale c'est adopter une démarche interdisciplinaire : le présent ouvrage participe à cette démarche.

Montréal une histoire en mouvement, disions-nous. Cela signifie adopter une approche dynamique de la région, comprise comme un ensemble d'interrelations entre les communautés qui la composent, dont on cherche à saisir le processus de structuration et de transformation. Outre le fait de partager un même environnement physique ou d'avoir devant soi un paysage semblable à celui de notre voisin, le sentiment d'appartenance régional se construit aussi sur l'idée (et le sentiment) d'une proximité à l'autre et sur la fréquence des rencontres et des échanges que cette même proximité permet — ou interdit. Aujourd'hui, grâce aux moyens de transport, des individus franchissent quotidiennement plus de 50 km pour se rendre au travail sur l'île de Montréal ; à la fin du XVIIIe siècle, les mêmes individus n'auraient pu habiter à plus de 5 ou 6 km de la ville s'ils avaient eu l'obligation de s'y rendre quotidiennement. Ainsi, au fil du temps notre territoire d'observation s'étend, conduit par de nouvelles réalités historiques qui font que la région de Montréal s'agrandit au rythme des échanges quotidiens, que ceux-ci soient effectués à des fins économiques, culturelles, politiques ou sociales. Avant 1930 et la construction des liens permanents avec la terre ferme, on entend surtout par le territoire étudié l'île elle-même. Une fois les ponts routiers bien établis tout autour de l'île, la région prend graduellement de l'expansion, cela avec la croissance du nombre d'automobiles et la construction du réseau auto routier qui, ensemble, permettent à la population de plus en plus nombreuse de s'établir toujours plus loin du centre historique de Montréal. Déjà au recensement canadien de 1951, la région métropolitaine de recensement de Montréal, telle qu'elle est reconnue à des fins de statistiques, englobe Longueuil et la partie sud de l'île Jésus. En 1971, la même région comprend maintenant la totalité de l'île Jésus (la ville de Laval créée depuis 1965) et les territoires riverains de la rivière des Mille Iles dans la partie sud des Laurentides. En 2012, parce que les rapports et les échanges sont quotidiens entre les diverses communautés, parce que les solidarités, volontaires ou obligées, sont bien réelles, parce qu'il y a un vécu qui est partagé, la région de Montréal s'étend aux frontières de la RMR et de la CMM. Mais l'appartenance à la région métropolitaine de Montréal n'est pas exclusive car celle-ci recoupe comme nous le savons, partiellement ou en tout, le territoire de plusieurs MRC et celui des régions administratives limitrophes. Habiter une de ces régions fait donc là aussi appel à des sensibilités et révèle un sentiment identitaire particulier. Pour l'histoire propre à chacune, le lecteur pourra consulter, dans la même collection que celle-ci, les ouvrages consacrés à leur milieu.

[15]

Si l'histoire de la région montréalaise est rapidement liée à celle de ses régions voisines, elle est aussi indissociable de celle, plus générale, du Québec et du Canada. En effet, des éléments d'histoire de Montréal, qui ont causes et conditions sur l'île, furent déterminants pour l'histoire nationale. Du nombre, rappelons la Grande Paix de 1701, la capitulation de la ville aux mains des Anglais en 1760, des épisodes importants des rébellions de 1837-1838, l'incendie du parlement dans les années 1840, les débuts de l'industrialisation canadienne, les grands événements tels l'Expo 67 et les Jeux olympiques de 1976. Aujourd'hui, plusieurs des grandes institutions économiques ou culturelles québécoises, publiques comme privées, sont aussi montréalaises, cela parce qu'elles y ont pignon sur rue, parce qu'elles y trouvent leur personnalité, parce qu'elles y forgent leur identité. L'importance de Montréal se manifeste également par la présence de sièges sociaux. La dimension nationale de la région montréalaise est bien réelle et oblige à garder continuellement à vue les réalités d'un cadre politique, économique, social et culturel plus large.

Le présent ouvrage comporte trois parties, lesquelles comptent chacune un certain nombre de sections et de chapitres. Le tome I renferme les parties 1 et 2, le tome II, la partie 3. Malgré l'inégalité des parties en durée, l'uniformité est conservée sur le plan thématique avec le choix de structurer nos recherches sur « les temps » de l'occupation et de l'exploitation du territoire. En effet, chaque partie débute et se termine avec des conditions d'occupation et d'exploitation qui sont propres à la période qu'elle couvre. Ces conditions s'accompagnent d'importantes transformations économiques, politiques et sociales. L'ensemble fournit des clés essentielles à la compréhension des dynamiques sociales, spatiales et économiques qui ont marqué l'évolution du territoire. Ce découpage du temps historique de Montréal et de sa région tient de notre approche à la jonction de la géographie historique et de l'histoire environnementale et se distingue donc d'une périodisation politique plus usuelle. Soulignons cependant que notre choix ne diminue en rien l'importance des jalons de l'histoire politique du Québec et du Canada et du fait, à titre d'exemples, que la fin du Régime seigneurial, les rébellions, la Confédération canadienne, la Révolution tranquille, les référendums de 1980 et de 1995 sur la souveraineté du Québec ont tous été, à divers degrés, des points soit d'inflexion, soit de rupture et des moments structurants de Montréal et sa région.

La première partie de la synthèse est celle des voies d'eau, du portage, des sentiers et des pistes comme moyens de déplacement sur le territoire et de l'exploitation et du commerce des ressources renouvelables. Cette partie traite d'une période qui s'étend sur plusieurs siècles et montre des sociétés autochtone, euro-canadienne et canadienne en proie à de nombreux changements économiques et sociaux. Elle commence avec l'étude des premiers peuples amérindiens et se termine en 1796, alors qu'est adoptée la Loi des chemins du [16] Bas-Canada. Cette dernière est en fait une première loi de l'aménagement du territoire, elle annonce l'intention du pouvoir colonial de cartographier ce dernier, de le subdiviser et de lui attacher une administration régionale et locale. La loi de 1796 est précédée de l'Acte constitutionnel de 1791 qui instaure le parlementarisme et sépare la province de Québec en Haut-Canada et Bas-Canada ; elle est en quelque sorte une loi administrative de cette dernière. La deuxième partie de notre ouvrage est celle des canaux, du chemin de fer et des premières grandes routes comme moyens de transport et de l'énergie et des ressources naturelles comme conditions de localisation des activités économiques. Cette période, qui s'étend sur près de 140 ans, révèle une société en profonde mutation dans toutes ses composantes. Le système colonial administratif, judiciaire et politique est évidemment en transformation. Les corporations municipales sont créées, puis la Confédération canadienne est adoptée au cœur de la période, en 1867, après bien des tumultes politiques. Cette deuxième période se termine avec deux changements marquants qui donnent lieu à de nouvelles réalités territoriales et économiques. Avec l'ouverture des ponts routiers, dont le pont Jacques-Cartier en 1930 qui s'avère le plus emblématique du groupe, l'île de Montréal est maintenant reliée en permanence à la terre ferme, à ses versants sud et nord, en passant par l'île Jésus, à ses extrémités est et ouest. À la même époque, la Grande Crise fait rage partout en Occident et Montréal n'y échappe pas évidemment. La troisième partie de notre synthèse (le tome II) débute à ce moment et nous conduit jusqu'à aujourd'hui. Avec pour épicentre la grande ville, la région prend à partir de là de l'expansion, d'autant plus que la multiplication du nombre de voitures individuelles le permet. Après les périodes troubles de la Grande Crise et de la Deuxième Guerre mondiale, le retour à la paix et à la prospérité profite à Montréal, bien qu'elle perde tout de même graduellement son statut de métropole canadienne. La seconde moitié du XXe siècle est une période d'adaptation continue pour Montréal et sa région. Sans pour autant faire table rase des particularités historiques de la région, de nouvelles forces et de nouveaux attraits se font jour. Au nombre de ceux-ci, mentionnons le savoir, les manifestations culturelles et sportives d'envergure internationale, l'environnement, la mise en valeur des espaces verts et historiques, l'industrie du divertissement, des hautes technologies, etc. Enfin, la dernière partie de notre synthèse rend compte de l'édification d'une ville et d'une région faites de compétitions et d'alliances à la fois régionales, nationales et continentales.

Dany Fougères



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 28 septembre 2024 9:47
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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