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Histoire de Lévis-Lotbinière.
Introduction générale
Lévis-Lotbinière. Cette portion du littoral du Saint-Laurent s’étend d’est en ouest depuis Lévis jusqu’à Deschaillons. L’usage courant désigne cet espace régional comme la rive sud de Québec, bien que Lotbinière déborde la limite ouest de cette appellation. Ce sont la proximité, l’attraction et aussi la préséance de la vieille capitale qui imposent à ses voisins d’en face de s’identifier par rapport à elle. Toutefois, au-delà des égards dus à la cité de Champlain, il faut bien reconnaître que les gens de Lévis et de Lotbinière habitent la rive sud d’un fleuve et non la rive sud d’une ville, toute capitale quelle soit. Ceci dit, la fenêtre que cet ouvrage ouvre sur l’histoire de cette zone littorale n’offre pas un horizon restreint dont les limites tendraient à particulariser le destin de la rive sud par rapport à celui de la rive nord. Notre entreprise montre plutôt qu’il faut constamment tenir compte de l’interaction entre les deux rives pour suivre le cheminement historique de Lévis-Lotbinière. La mise en lumière de cette dimension d’échanges interrives peut ainsi contribuer à l’étude de certains aspects de l’évolution du peuplement et de la formation des communautés de la vallée du Saint-Laurent.
Du point de vue de l’identité régionale, la situation géographique de Lévis-Lotbinière suscite un questionnement commun aux territoires compris dans la zone d’influence des grandes villes qui bordent le Saint-Laurent, telles Québec, Trois-Rivières et Montréal. À première vue, l’extension de leur trame urbaine à l’échelle d’une agglomération a pour effet de masquer des limites territoriales pourtant significatives. À la hauteur de Québec, plus qu’en amont peut-être, le fleuve trace encore aujourd’hui une ligne qui partage les identités. On est de la rive droite ou de la rive gauche. Cette distinction n’exclut pas cependant la conscience de ce qu’on appelait autrefois la « communauté d’intérêts » qui unit les deux rives.
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L’histoire montre en effet que, pour les gens de Lévis-Lotbinière, le sentiment d’appartenir tantôt à la grande région de Québec et tantôt à une entité régionale exclusive à la rive sud varie dans le temps en fonction de l’intensité des communications et des échanges interrives. Au XIXe siècle, par exemple, l’effervescence créée par le commerce du bois et la construction navale conduira au déploiement du port de Québec sur les deux rives du fleuve. L’arrivée du chemin de fer à Pointe-Lévy, vingt-cinq ans avant Québec, contribuera grandement à l’émergence de la ville de Lévis, mais en même temps à l’intensification des échanges. C’est l’époque où Québec et Lévis sont vues comme des « villes-sœurs », le port leur servant de trait d’union. Ce lien n’exclut toutefois pas la compétition entre les deux villes qui sont en même temps perçues comme des rivales. Lévis connaît en effet un développement rapide, tandis que Québec commence à perdre du terrain au profit de Montréal alors en plein essor. Cette rivalité profite à Lévis qui y trouve un terrain d’affirmation de sa personnalité face à la capitale. Paradoxalement, c’est lorsqu’un lien direct sera établi, avec le pont de Québec en 1917, que le fleuve mettra à nouveau une démarcation entre les deux rives. Le port, vers lequel est détournée une bonne part de la circulation ferroviaire, ne se développera désormais que du côté de Québec. On constate ainsi que les intérêts économiques reliés au développement des transports constituent des facteurs clés qui conditionnent les échanges interrives. Il en résulte une certaine ambivalence dans le processus identitaire des gens de la rive sud. Cette ambivalence transparaît tout au long de l’Histoire de Lévis-Lotbinière.
Le territoire couvert par cette histoire régionale correspond à celui des comtés de Lévis et de Lotbinière créés au XIXe siècle. Ces deux comtés étaient eux-mêmes calqués sur les limites des douze seigneuries concédées aux XVIIe et XVIIIe siècles et qui formaient l’extrémité ouest du gouvernement de Québec à l’époque de la Nouvelle-France. Aujourd’hui, ce territoire englobe les municipalités régionales de comté (MRC) de Desjardins, des Chutes-de-la-Chaudière, de Lotbinière et d’une partie de celles de Bécancour et de L’Érable. On constate ainsi que la définition de notre objet d’étude s’appuie davantage sur des fondements historiques que sur les considérations administratives qui ont conduit récemment au quadrillage régional du Québec par l’État québécois. Le cheminement de Lévis-Lotbinière a en effet beaucoup à nous apprendre sur les contours de son identité et sur les enjeux suscités par les découpages récents à plus grande échelle.
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La région de Chaudière-Appalaches est justement une de ces grandes entités administratives (15 032 km) qui regroupe des sous-régions d’appartenance aussi distinctes que celles de la Côte-du-Sud (Montmagny, L’Islet et Bellechasse), de la Beauce et des Etchemins, de la région de Thetford Mines et de Lévis-Lotbinière. Dans cette vaste zone vouée à la concertation, les débats font souvent resurgir des enjeux qui prennent racine dans l’histoire.
Le jumelage de Lévis et de Lotbinière comme base de définition de région historique en surprendra sans doute certains. Rappelons d’abord qu’il est issu d’une démarche de réflexion et de consultation de l’institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), dans le cadre du vaste chantier sur les histoires régionales au Québec. Il a d’ailleurs fait l’objet, pour les rédacteurs de cette Histoire, d’un questionnement préalable qui fut soumis, lors d’un colloque, à différents intervenants des deux comtés concernés. En effet, en regard de régions aux contours bien définis comme la Gaspésie, le SaguenayLac-Saint-Jean, Charlevoix, l’Abitibi-Témiscamingue ou la Mauricie, Lévis-Lotbinière apparaît au mieux comme une découverte et au pire comme une entité discutable. L’appellation Rive-Sud de Québec, appliquée à ce même espace, aurait sans doute paru plus acceptable aux yeux des spécialistes des définitions régionales. Adoptée au début de notre projet de recherche, cette désignation nous est toutefois apparue réductrice en cours de route, particulièrement en regard de Lotbinière. On découvrait en outre les contours d’une personnalité régionale dont les deux composantes ont emprunté à maints égards un même cheminement historique.
En fait, l’apparente fragilité du jumelage de Lévis-Lotbinière est reliée à une connaissance insuffisante de l’histoire de ce coin de pays qui constitue pourtant une des plus anciennes zones de peuplement de la vallée du Saint-Laurent. Il s’agit en effet d’une région dont l’histoire a été très peu étudiée par les spécialistes des sciences historiques, alors quelle commence à peine à intéresser les archéologues qui y découvrent une richesse insoupçonnée de vestiges de la période paléoamérindienne. Les quelques initiatives de recherche quelle a suscitées sont très loin des efforts systématiques déployés par exemple dans le SaguenayLac-Saint-Jean, en Mauricie et dans le Bas-Saint-Laurent grâce, notamment, à la présence de constituantes de l’Université du Québec. Alors que l’objectif des histoires régionales est de produire une synthèse, en s’appuyant autant que possible sur les connaissances [14] disponibles, notre recherche a conduit à plusieurs égards à la découverte et à une première systématisation de données de base inédites relatives tant à l’évolution de la population qu’à celle de l’activité agricole, industrielle et culturelle et au stratégique réseau de communications. Cet ouvrage n’atteindrait pas tout à fait son objectif s’il ne suscitait pas de nouvelles recherches sur la base des hypothèses et des questionnements qu’il a fait surgir.
Du côté lévisien, la dernière synthèse historique, l’Histoire de la seigneurie de Lauzon, de Joseph-Edmond Roy, qui s’arrête en 1837, est parue entre 1897 et 1904. Depuis longtemps épuisée et presque oubliée, elle fut rééditée en 1984 grâce à l’initiative de la Société d’histoire régionale de Lévis. La même année paraissait Le fleuve et sa rive droite, une série de cinq brochures qui retracent de façon thématique les grandes étapes de l’histoire de ce littoral en s’appuyant notamment sur les travaux pionniers de Joseph-Edmond, Pierre-Georges et Léon Roy, et aussi du géographe Raoul Blanchard. Du côté de Lotbinière, bien que plusieurs monographies seigneuriales et paroissiales aient été publiées, il n’existe aucun essai de synthèse historique pour l’ensemble du comté. La Bibliographie de la Rive-Sud de Québec (LévisLotbinière), publiée en 1989 par l’IQRC, représente le premier effort de recherche systématique devant conduire à la production de l’Histoire de Lévis-Lotbinière.
Cet ouvrage, qui totalise vingt chapitres regroupés en quatre parties, retrace le cheminement de la région depuis l’époque paléoamérindienne jusqu’à nos jours. C’est dans la seconde moitié du XVIIe siècle que s’amorce lentement le peuplement permanent. La mise en place du régime seigneurial et les premières exploitations des ressources fluviales, notamment la pêche à l’anguille, font apparaître les premiers traits communs à Lévis et à Lotbinière. Au XIXe siècle, l’exploitation forestière des seigneuries de la région découle d’une gestion similaire de la part des seigneurs entrepreneurs qui profitent du commerce du bois déployé dans le port de Québec. C’est de cette époque qu’émergera le caractère industriel et urbain du littoral lévisien, alors que Lotbinière conservera jusqu’à nos jours sa vocation agricole.
À eux seuls, les toponymes sont des repères évocateurs de cette évolution régionale. Lotbinière rappelle le cadre seigneurial du peuplement d’origine et dont il conserve encore les traces dans la configuration de ses [15] rangs et dans l’architecture de ses bâtiments historiques. Levis rappelle l’émergence, en 1861, de la première ville de la rive sud favorisée par son terminus de chemin de fer et par l’effervescence de la construction navale, une industrie qui demeure toujours un de ses traits distinctifs. Avec cette double configuration rurale et urbaine, Lévis-Lotbinière conserve ainsi une physionomie caractéristique de son évolution historique. En rappelant les grandes étapes de ce cheminement qui conduit d’hier à aujourd’hui, de la campagne à la ville, cette histoire régionale se veut une contribution à la connaissance des pays du Québec.
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