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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Histoire de Laval. (2008)
Introduction générale


Une édition électronique réalisée à partir du livre Jean-Charles Fortin, Jacques Saint-Pierre et Normand Perron, Histoire de Laval. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 2008, 345 pp. Deuxième tirage. Collection “Les régions du Québec, no 19.” Collection dirigée par Normand Perron. [Autorisation accordée par la directrice des Presses de l'Université Laval, Mme Marie-Hélène Boucher, en juillet 2024.]

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Histoire de Laval.

Introduction générale

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Les régions insulaires et celles dont les caractéristiques géographiques délimitent clairement les frontières physiques comptent parmi celles qui revendiquent le plus le droit de figurer individuellement dans l’histoire. Se reconnaissent parmi elles, les Îles-de-la-Madeleine, certes, mais aussi plusieurs autres régions du Québec qui affirment leur existence historique, entre autres pour des raisons géographiques. Le Saguenay—Lac-Saint-Jean, Charlevoix, la Côte-Nord en sont. D’entrée de jeu se pose donc la question à savoir si Laval, dont le territoire correspond essentiellement à File Jésus, constitue une région naturelle et que ce caractère suffit pour en reconnaître l’existence comme région. Car la région de Laval est constituée d’un ensemble d’îles, dont la principale est l’île Jésus, qui appartiennent elles-mêmes à un archipel de 234 îles dont fait partie, entre autres, l’île de Montréal. Cette particularité a peut-être contribué à une construction identitaire où les Lavallois cherchent, surtout depuis la création de Ville de Laval, à la fois à se différencier et à vivre leur appartenance.

Mais cette ambivalence est assez commune aux espaces situés à proximité de l’île de Montréal, comme c’est le cas pour une partie des régions de la Rive-Sud-Richelieu—Yamaska et du Haut-Saint-Laurent, des Laurentides et de Lanaudière, des régions pour lesquelles des synthèses d’histoire régionale ont été produites dans le cadre du Chantier des histoires régionales. L’influence de Montréal sur ses environs immédiats est incontestable et il faut y voir les effets de la position géographique de la métropole et du poids de son économie dans l’échiquier québécois, canadien et nord-américain. Pour la région de Laval, les effets de cette proximité de Montréal s’exercent en plus sur l’ensemble de son territoire, qui est par ailleurs relativement restreint.

Cette apparente ambivalence reflète aussi la diversité des références qui sont à l’origine de la définition des régions, des références qui naissent, disparaissent, se renforcent ou s’atténuent au gré de l’histoire, des références qui sont anciennes ou récentes et dont l’importance peut devenir relative. Pour certaines régions, comme nous l’avons vu plus haut, des facteurs géographiques naturels ont été déterminants dans leur constitution. D’autres doivent leur existence à leur poids démographique à un moment ou l’autre de leur histoire, [14] à la force ou à la spécificité de leur économie, ou même à une richesse naturelle particulière. Quelques autres encore ont bénéficié des avantages d’une reconnaissance politique ancienne, comme c’est le cas de Québec, Trois-Rivières et Montréal avec la présence de gouvernements régionaux à l’époque coloniale, ou récente, dans le sillage des régions administratives. Le mode d’occupation des terres a aussi marqué à sa manière l’histoire des régions. Le paysage et l’histoire de certaines d’entre elles portent l’empreinte du système seigneurial, d’autres, celle du système cantonal ou encore celle des deux systèmes. Même les structures religieuses de la paroisse et en particulier du diocèse ont influencé l’organisation territoriale et la naissance des institutions locales et régionales. La région peut être aussi un territoire plus ou moins bien défini, tel qu’il est vécu et perçu par une communauté d’individus. Et c’est sans compter, enfin, sur les diverses combinaisons de facteurs dont les interactions agissent à leur tour sur la construction de sociétés régionales originales qui ont donné naissance à des régions historiques.

Pour la région à l’étude dans la présente synthèse, l’émergence et la reconnaissance sont souvent perçues comme un phénomène de la deuxième moitié du XXe siècle, et ce, en dépit d’un peuplement ancien. Jusqu’au milieu du XXe siècle, la perception qui prévaut est quelle n’a bénéficié d’aucun ou de peu des quelques facteurs énumérés ci-dessus. Il faut toutefois noter que la seigneurie de l’Île-Jésus est la seule de la région montréalaise appartenant au Séminaire de Québec, et ce, jusqu’au milieu du XIXe siècle. Dans le cas de la région de Laval, la proximité de Montréal et des Laurentides et son faible poids démographique n’ont toutefois guère favorisé son affirmation. La population de Laval n’atteint en effet qu’une dizaine de milliers d’habitants au début du XXe siècle. C’est bien en deçà de la Montérégie, plus vaste certes, mais combien plus peuplée avec ses quelque 215 000 habitants au milieu du XIXe siècle, ce qui représente alors 29% de la population du Québec. Rien de comparable non plus aux Laurentides où l’on recense 65 000 habitants en 1901 et, évidemment, encore moins à file de Montréal où la population entre 1850 et 1900 passe de 77 000 à 361 000 habitants. À partir des années 1950, une croissance démographique rapide, conséquence de l’expansion économique de Montréal et de l’étalement urbain, donne à file Jésus une personnalité nouvelle.

Campagne, entre campagne et banlieue, ville, voilà ce qui évoque peut-être le mieux l’histoire récente de cette région. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, file Jésus fût un territoire essentiellement rural que le voisinage de Montréal avait à peine transformé, si ce n’est pour des fins de villégiature. Avec l’intégration plus poussée à l’économie montréalaise et la banlieusardisation de file Jésus, le lien qui unit les habitants, ce lien qui contribue [15] à l’identité d’une collectivité, a considérablement évolué. Peu à peu, les nouveaux urbains supplantent les ruraux en nombre, imposent leurs valeurs, modifient un espace qu’avaient façonné des Amérindiens, puis des générations d’agriculteurs depuis le XVIIIe siècle. On peut dire que l’émergence d’une conscience régionale mieux articulée relève d’un phénomène récent, puisque c’est surtout dans la seconde moitié du XXe siècle que ce sentiment de constituer une région apparaît, en particulier dans le sillage de la constitution de Laval en 1965, ce qui a redonné à l’île l’unité qui était la sienne à l’époque du régime seigneurial. La création de cette ville est d’ailleurs consécutive à une forte croissance démographique et industrielle, laquelle croissance a refaçonné, depuis la Deuxième Guerre mondiale, le vieux patrimoine rural et agricole de l’île Jésus. La création de Laval aura un effet déterminant dans le processus de restructuration de cet espace régional. Cette nouvelle entité municipale a été à l’origine de l’implantation d’autres structures administratives, économiques, sociales et culturelles, puisque les élites locales ont voulu que la ville de Laval soit autre chose qu’une simple banlieue-dortoir de Montréal. Ces nouvelles structures ont à leur tour contribué à la reconstruction de l’identité régionale.

La présente synthèse, la dix-neuvième à être complétée dans le cadre des travaux du Chantier des histoires régionales, n’est d’ailleurs pas étrangère à une préoccupation particulière d’un milieu pour lequel l’émergence de sa région est somme toute perçue comme récente. Cette région, l’équipe de recherche a cherché à en saisir le développement démographique, économique, social et culturel en tenant compte de l’environnement naturel de la région de Laval et de sa situation dans la grande région de Montréal à travers les époques. Il est impossible d’en comprendre l’histoire sans référence à ces réalités, comme le révéleront différents chapitres. Mais l’histoire de cette région, c’est aussi celle de ses habitants, de leur mode de vie et des conditions particulières qui ont marqué leur existence et leur appartenance à un milieu. Au fil des sept chapitres que contient l’ouvrage, il sera question du milieu naturel, du développement de la région à l’époque du régime seigneurial, de la vie rurale entre 1850 et 1900, de l’intégration progressive à l’économie montréalaise au cours des décennies 1900-1940, de la venue massive de familles de la classe moyenne montréalaise et de l’altération profonde de la personnalité de l’île Jésus au cours des vingt-cinq ans qui suivent le début de la Deuxième Guerre mondiale, de la conversion de l’économie lavalloise après 1965 et, enfin, de la construction d’un milieu de vie au cours des dernières décennies.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 27 septembre 2024 18:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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