Éditorial
DES FONDEMENTS ÉTHIQUES DE L’ÉCONOMIE À LA GOUVERNANCE PERSONNALISTE MONDIALE
LA SCIENCE ÉCONOMIQUE présente une face obscure. La vision de l’homme qui fonde ses raisonnements est rarement explicitée. Dans le cas de l’économie de marché, libérale et capitaliste, c’est la conception de l’homme comme individu qui domine implicitement. L’absence de divulgation de leurs références anthropologiques permet aux ultra-libéraux de rejeter la question éthique en dehors du domaine de la « science économique ». Celle-ci serait aussi autonome, dans son domaine, que la physique, la chimie et les autres disciplines assimilées aux sciences dites « dures » (par opposition aux sciences humaines). Et pourtant, faire l’impasse sur les fondements anthropologiques, et par conséquent éthiques, de la science économique entretient la crise de légitimité qui frappe cette discipline.
À l’opposé, de plus en plus d’économistes affirment leur refus de considérer l’éthique comme une dimension extérieure, située au mieux à la périphérie de leur discipline, et non au coeur de ses mécanismes. Amartya Sen, Prix Nobel d’économie, est un de ceux-là. Mais comme le montrent Jean-Luc Dubois et François-Régis Mahieu, de l’Université de Versailles, bien qu’A. Sen ait rétabli l’éthique dans l’économie, il reste trop attaché à l’individualisme méthodologique qui domine la pensée anglo-saxonne. Pour nos deux auteurs, dont l’article ouvre ce numéro, c’est chez Mounier et Lévinas qu’il faut chercher le lien entre la personne, la liberté et la responsabilité vis-à-vis d’autrui.
À l’origine, le concept de « gouvernance » souffre des mêmes ambiguïtés. Ce concept est d’origine anglo-saxonne et provient du monde des entreprises aux U.S.A. C’est dans ce milieu qu’est apparue la corporate gouvernance. Que signifie sa transposition à la conduite des affaires publiques ? L’équivoque de la gouvernance, c’est qu’elle pourrait exprimer davantage la subordination du politique à l’économique que l’inverse. Rétablir la prééminence du politique sur l’économique, n’est-ce pas un enjeu fondamental pour la démocratie ? C’est pourquoi nous consacrons le volet central de notre numéro à explorer le modèle alternatif d’une gouvernance personnaliste. Aaron Mundaya esquisse les perspectives d’une telle gouvernance à l’échelle mondiale. Il nous montre son caractère indispensable pour que l’exigence de la justice Nord-Sud dépasse les voeux pieux. Pour ma part, je propose de situer la gouvernance personnaliste dans le cadre de l’émergence de la seconde Modernité. Celle-ci sera marquée par le dépassement de la conception de l’homme comme individu.
Avec ce numéro 10, nous franchissons le cap des trois ans d’existence de notre revue. C’est en effet en octobre 2003 que nous lancions cette nouvelle série, Perso Regards personnalistes. Elle succédait aux vingt Cahiers de l’Atelier du personnalisme, publiés depuis 1995 (consultables en ligne sur le site du CAPP : www.personnalisme.org). La réalisation et la diffusion d’une revue comme la nôtre, dont la vocation est de contribuer par le débat d’idées à la construction d’un monde meilleur, représentent un défi permanent. C’est pourquoi, j’adresse un merci chaleureux à l’équipe de rédaction, aux auteurs qui alimentent nos colonnes, ainsi qu’à nos lecteurs et à tous les membres et sympathisants du CAPP.
Vincent Triest
Président du CAPP
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