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Revue CRITÈRE, No 5, “L’environnement”.
ÉDUCATION ET PROBLÈMES D’ENVIRONNEMENT
“ÉDUCATION ET ÉCOLOGIE.
André A. MARSAN
Centre de recherches écologiques
du Jardin botanique, Montréal
Escalade de l’emprise de l’homme
sur son milieu
Dans l’évolution de l’homme sur sa petite planète, les processus de cueillette, de domestication des plantes et des animaux sont des jalons qui marquent l’emprise de l’homme sur son milieu, sa capacité croissante de canaliser vers lui les ressources de ses écosystèmes.
Dans les âges reculés, l’homme faisait partie intégrante de l’écosystème, en équilibre dynamique avec son milieu. La source d’énergie vitale était strictement solaire et l’homme puisait cette énergie vitale des surplus phyto et zootrophiques. Les fruits, les baies, les animaux dont il se nourrissait résultaient d’une certaine conversion de l’énergie solaire dans les niveaux trophiques inférieurs.
À mesure que l’homme s’affermit par son intelligence, il apprend à importer de l’énergie de sites adjacents à l’écosystème local où il s’inscrit. Simultanément, il apprend à concentrer l’énergie par la domestication des plantes et des animaux ; c’est l’avènement de l’agriculture, de l’élevage.
Par ces processus nouveaux, l’homme crée peu à peu des écosystèmes modifiés, de plus en plus « humanisés ». Ces écosystèmes moins diversifiés sont dotés d’un équilibre plus précaire mais sont plus productifs pour les besoins spécialisés de l’homme. Davantage d’énergie devient disponible à l’homme par ses aménagements. Mais cette énergie est renouvelable.
Bientôt, l’homme commence à se servir de plus en plus d’énergie concentrée dans les écosystèmes ; il commence à dilapider le capital investi. Le bois qu’il utilise pour ses habitations et comme source de chaleur est une ressource renouvelable mais le taux de renouvellement n’est pas suffisamment rapide pour les grandes communautés. Davantage d’importation en résulte.
Car, à mesure que l’homme canalise de l’énergie à son avantage, il accroît sa population et en retour doit puiser davantage d’énergie. [35] Bientôt, et c’est significatif au début de l’ère actuelle, l’homme découvre les grandes réserves d’énergie fossile, extrêmement concentrée. C’est l’année zéro de la croissance exponentielle de la population : l’homme court-circuitant plus d’énergie à son avantage, se donne des moyens plus puissants pour contrôler son environnement et se créer un milieu favorable pour sa croissance, sinon sa survie. Donc, cette capacité de l’homme de maîtriser les ressources du milieu culmine avec la domestication de l’énergie fossile concentrée : c’est la révolution industrielle.
Cette croissance du taux d’utilisation d’énergie a été érigée en système par les pays appelés « développés » au point que Pradervand, un auteur français, affirme :
- Actuellement, il est important de réaliser que le taux de consommation des ressources limitées du globe par les nations industrielles représente une menace bien plus grande pour l’écologie l’équilibre ressources-population que le taux de croissance démographique le plus élevé du Tiers-Monde.
- Il est même tout à fait concevable qu’un pays industrialisé de taux de croissance démographique négatif, parce que son taux de consommation augmente beaucoup plus rapidement que la décroissance de la population, continue à être une menace grave pour l’écologie.
Le nœud du problème écologique, relié au mythe de la croissance économique réside, selon Pradervand, dans l’organisation sociale, ce que les écologistes appellent le contrôle :
- L’organisation sociale : par là, nous entendons la totalité des structures socio-économiques et politiques et les idéologies qui en sont issues. L’organisation sociale est déterminante pour l’équilibre ressources-population. Dans un système capitaliste, la répartition des ressources est très inégale et une minorité de personnes tendent à contrôler l’utilisation de la majeure partie des ressources. À cause de cela, la minorité qui détient les moyens de production peut également imposer un type d’exploitation des ressources qui, dans le court terme, lui est extrêmement profitable même si à long terme, toute la communauté risque d’en souffrir.
- Une contradiction de notre système
J’ai montré comment le contrôle peut, par la puissance énergétique mise en œuvre, faire théoriquement le ciel ou l’enfer. Je voudrais montrer maintenant, par une évaluation très critique et sommaire du transport automobile privé, que ce n’est pas tant la technologie qui est en cause ; pas tant les outils que ce qu’on fait avec ... ce qui est souvent en flagrante contradiction avec nos principes les plus fondamentaux d’économie et d’efficacité.
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Analysons sommairement l’impact écologique de l’automobile à la lumière de la définition de la pollution adoptée par l’académie américaine des sciences.
La pollution, c’est : tout produit de la technologie pouvant mettre en danger la vie humaine, la santé, nos richesses naturelles et esthétiques, nos industries, etc.
Or, la voiture automobile
- met en péril la vie humaine (impact direct),
- nuit à la santé physique et mentale (impact indirect) par ses émanations nocives et le bruit,
- consomme une partie considérable de nos richesses naturelles (impact direct) non renouvelables ;
- on sacrifiera une partie considérable du territoire urbain à la circulation des bolides, sans compter les valeurs esthétiques et architecturales (impact indirect).
Du point de vue de l’efficacité, chère à notre société industrielle
- on mobilise une masse de plus d’une tonne pour une charge utile négligeable,
- un moteur surpuissant est d’ordinaire utilisé,
- le sous-sol utilisé pour stationner la bagnole la nuit coûtera souvent plus cher que la bagnole elle-même (centre-ville) (mauvaise utilisation du sol).
On peut aussi faire des constatations troublantes pour notre système dit « civilisé »
- le bolide qui peut être lancé à grande vitesse n’est pas équipé de dispositifs de sécurité acceptables,
- il circule à haute vitesse à proximité des habitations sans barrière physique entre le bolide et les jeunes enfants,
- il coûte au propriétaire un pourcentage important de son revenu, de l’ordre du budget « logement ou nourriture »,
- en Amérique du Nord, les accidents de la route ont causé plus de morts que toutes les guerres que les U.S.A. ont dû faire ... et les statistiques des blessés n’existent pas.
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On appelle çà des accidents... mais quand ces « accidents » sont quasiment institutionnalisés... on peut certainement inventer un système de transport en deux dimensions qui serait aussi sûr que l’aviation.
C’est contradictoire avec d’autres secteurs d’activités : cette industrie même de l’automobile devrait fermer ses portes si par une mauvaise organisation de travail elle était responsable de quelques pertes de vie par semaine.. . Aucun syndicat ne tolérerait que ses membres risquent dans l’usine leur vie comme ils la risquent dans la rue ... Puis il y a tellement d’autres exemples. ..
Ces contradictions engendrent cette crise de valeurs trop évidente. Renverser la situation suppose l’acceptation par une nation d’une hiérarchie de valeurs qui permettra en retour d’établir des priorités de développement qui ne sont pas nécessairement économiques. Et avant de considérer les valeurs, il convient de replacer l’homme dans son contexte écologique.
- La crise de valeurs
une question d’éducation et d’information
L’écologie sert à replacer l’homme dans son contexte biologique, dépendant de l’énergie vitale solaire ou « investie » ; mais l’écologie rappelle aussi que l’homme possède l’intelligence de modifier tout le système. L’écologie apporte donc un éclairage nouveau sur la portée des actions des hommes.
Le nœud du problème ne réside pas dans l’intelligence de l’homme ni dans les outils dont il se dote ; mais dans les buts qu’il vise, qui sont eux-mêmes conditionnés par l’organisation sociale.
Par un manque de perspective, ou une confiance téméraire dans sa puissance, l’homme s’est engagé dans une série d’actions anti-écologiques, manifestées non seulement chez l’individu, mais chez les associations d’individus.
- Économie de consommation contraire aux déterminants physiques et biologiques de notre planète.
- Spirale et mauvaise distribution de cette consommation (5% de la population consommeront 80% des ressources en l’an 2000).
- Action anti-écologique des syndicats qui réclament trop souvent une augmentation du pouvoir de consommation.
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- Action anti-écologique des firmes qui promeuvent par la publicité une consommation croissante.
- Action anti-écologique des gouvernements qui ne voient que l’objectif du développement économique, qui acceptent l’équation santé nationale égale croissance du PNB.
Il n’est pas tant question de cesser le développement ; le progrès est le propre de l’homme, il est profondément inscrit dans son histoire, son évolution, mais il faut remarquer que l’évolution des êtres a surtout été une évolution qualitative, le perfectionnement des êtres face aux déterminants naturels...
Aussi, il n’est pas du tout sûr que le progrès soit synonyme de progrès humain . . . Aujourd’hui, certains supposent même que notre lancée dans la surconsommation est un caractère évolutionnel régressif.
Que servirait à l’homme de gagner l’univers matériel s’il vient à perdre son âme : son potentiel d’épanouissement, les richesses que l’homme peut apporter à l’homme ?
Nous possédons aujourd’hui les moyens d’accélérer notre évolution par les outils modernes amplificateurs de la connaissance : mais il reste nécessaire de tenter une évaluation évolutive de l’impetus que nous donnons au cours de notre histoire, de notre évolution ; vérifier que la tendance évolutive actuelle ne soit pas régressive.
Dans la mesure où l’homme possède les moyens d’entreprendre des projets d’une envergure sans précédent, il lui est nécessaire d’en examiner les implications à tous les niveaux, sous l’éclairage d’objectifs plus englobants que la seule rentabilité économique. Il faudra faire du développement intégré, qui tienne compte des potentiels diversifiés des sites et de leur relative vulnérabilité au développement, qui sache évaluer la valeur relative des potentiels : on pourra fort bien découvrir qu’un potentiel social aura une valeur beaucoup plus grande mais non monnayable qu’un potentiel physique exploitable économiquement.
De toute façon le progrès matériel est bloqué par les lois physiques les plus élémentaires ; par exemple, la consommation d’énergie ne peut toujours doubler tous les 10 ans... c’est le coup du damier.
Dans la perspective globale du développement matériel, il se peut fort bien que ce ne soit pas le caractère limité des ressources qui soit en définitive la pierre d’achoppement.
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L’anarchement de l’énergie de fusion serait une source presque illimitée d’énergie : cependant, c’est la troisième loi de la thermodynamique qui explique qu’un blocage est à prévoir : quand l’énergie, ultimement dégradée en chaleur, libérée à la surface de la planète, sera devenue un pourcentage significatif du budget solaire total, il est à prévoir des conséquences monumentales. Ces conséquences seront-elles bénéfiques ou maléfiques, cela reste à évaluer. Et c’est précisément le genre de question que nous devons poser dans la perspective d’un nouvel aménagement.
Nous venons de voir que pour rendre le développement humain compatible avec les déterminants naturels, il faut une forme d’éducation qui rende à l’homme la conscience de son appartenance à un univers complexe de relations psycho-bio-physiques. Il faut des maîtres d’œuvres qui soient capables d’intégrer toutes les variables en une synthèse harmonieuse.
Et, au risque de proférer un sacrilège, il faudra aussi que le développement de la science soit planifié de façon à construire le ciel et non l’enfer.
Il faudra une cohérence des objectifs de la recherche scientifique qui canalise les efforts vers un développement humain toujours plus parfait.
Autant un territoire est massacré par un développement non planifié, autant le visage actuel de la science montre d’horribles cicatrices. On aura développé simultanément les vaccins et le napalm, la bombe H et le réacteur nucléaire d’utilisation pacifique, comme si une utilisation autre que pacifique rencontrait le propre du développement humain ...
“War is unhealty to small children and other living things.” Herman Kahn, dans son livre : L’An 2000, prévoit les développements suivants, dont on peut juger de l’incohérence :
- Nouveaux véhicules aériens (machines à effet de sol, à décollage vertical (V.T.O.L.) et à décollage court (S.T.O.L.), superhélicoptères, avions à réaction géants et/ou supersoniques.
- Utilisation extensive à l’échelle mondiale de caméras à haute altitude pour établir des cartes, prospecter, recenser, cadastrer et pour des investigations géologiques.
- Importante diminution des imperfections congénitales et héréditaires.
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- Contrôle du poids et de l’appétit relativement efficace.
- Utilisations nouvelles ou améliorées des océans (exploitation minière, extraction des minéraux, culture sous contrôle, source d’énergie, etc.).
- Techniques nouvelles et éventuellement envahissantes pour la surveillance, la direction et le contrôle des individus et des organisations.
- Techniques nouvelles et plus sûres d’« enseignement » et de propagande touchant la conduite humaine publique et privée.
- Hibernation des êtres humains pour de longues périodes (des mois et des années).
- Des armes de guerre stratégique et des systèmes d’armement bon marché et disponibles partout.
- Nouvelles techniques et institutions pour l’éducation des enfants.
- Méthodes physiques inoffensives pour s’abandonner excessivement.
- Rêve stimulé et prévu et peut-être programmé.
- Nouveaux procédés biologiques et chimiques pour identifier, repérer, mettre dans l’incapacité, ou gêner des individus à des fins militaires ou policières.
... alors que, candidement, le même auteur prévoit qu’il faudra à la RAU 98 ans pour atteindre un PNB de 3600 dollars per capita, 130 ans au Brésil, 339 au Nigéria... et 593 ans à l’Indonésie. (Ce n’est pas étonnant puisque seuls trois pays africains, à l’exclusion de l’Afrique du Sud, ont un PNB égal à ce que les américains dépensent pour leurs animaux domestiques).
Même si le PNB constitue une mauvaise mesure de la qualité de la vie, la différence de cet indice entre pays riches et pauvres indique une situation aberrante ... et explosive.
- L’éducation, la voie royale
Une politique efficace de gestion des ressources, éclairée dans ses implications internationales et à long terme, doit nécessairement passer par l’éducation. À cause de ses implications nationales et internationales, la solution du problème sera politique.
L’homme politique commence à réaliser l’ampleur du problème que l’homme de la rue en général n’appréhende pas [41] encore dans ses implications profondes, conditionné qu’il a été par l’homo economicus. Dans notre système démocratique, l’homme politique, malgré ses bonnes intentions, ne peut pas imposer de changements majeurs sans que la terre n’ait été convenablement préparée ; il faut une révolution culturelle qui puisse briser la spirale incontrôlée des développements de la technologie. On est tellement préoccupé par le présent qu’on en oublie le passé et le futur, ... les groupes se lèvent en réaction violente, ... les gouvernements sont coincés dans leur désir de conserver le pouvoir « pour faire quelque chose » ; mais pour cela, ils doivent présenter au peuple des programmes acceptables par lui mais non nécessairement écologiquement valables ... Le peuple en général, comme jadis, veut du pain et des jeux. Mais quand 5% de la population exige 80% du pain et quand les jeux sont un danger écologique ...
Le gouvernement, pour sortir de l’impasse, de la crise actuelle, voudra un mandat de la population : ce qui implique que le peuple, après avoir été suffisamment informé, devra décider pour le ciel ou l’enfer.
Il faut une campagne d’éducation, centrée sur le devenir humain, face aux exigences écologiques, face à l’expansion humaine. Un programme objectif qui démontrerait les raisons qui militent en faveur d’un renversement de la vapeur. Dès lors, le peuple pourra accepter la « stagnation économique » du progrès matériel au profit du progrès humain et de la qualité de la vie ; ou bien, le peuple choisira l’enfer des mégalopolis, de la violence, de l’aliénation et peut-être de la catastrophe écologique. Mais l’humanité est trop intelligente pour ne pas prendre la bonne voie lorsqu’elle sera convenablement informée.
Un programme intensif d’éducation de la population pourrait durer 2 ou 3 ans et pourrait être suivi d’un référendum sur quelques propositions politiques, qui engagerait graduellement la vie de la nation dans un chemin tout autre que celui de la croissance économique et la spirale de la consommation.
Simultanément, des maîtres d’œuvres devront être formés en grand nombre, pour faire l’intégration des considérations écologiques dans les projets de développement. Les technologues, les scientifiques, les divers spécialistes doivent cesser de jouer à l’intérieur de leurs sous-ensembles, mutuellement imperméables.
Si les lumières bleues, rouges et jaunes du spectre ne s’intégraient jamais, on ne connaîtrait pas la lumière blanche, lumière par excellence, qui fait apparaître les choses sans distorsion aucune.
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Ainsi, ces lumières spécialisées, absolument nécessaires cependant, manqueraient l’essentiel de l’aspect des choses si elles ne s’intégraient pas, chacune d’elles ne faisant ressortir qu’un aspect.
Il en est de même pour nos champs de spécialisation qui trop souvent se sont oubliés et qui n’éclairent les choses que sous leur lumière respective. Les spécialistes restent certes nécessaires et peut-être plus que jamais. Mais un langage commun doit être découvert pour véhiculer les informations en une synthèse objective.
Il me semble qu’il relève du ministère de l’éducation et d’un ministère de l’information de lancer ces programmes d’information, d’éducation de la masse et de formation de ces nouveaux maîtres d’œuvres dont nous manquons aujourd’hui, qui seront capables de faire le développement en le rendant compatible avec les ressources, les agents, les processus de nos écosystèmes.
André A. Marsan,
Centre de recherches écologiques
du Jardin botanique,
Montréal. |