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Fernand Daoust.
2. Bâtisseur de la FTQ, 1964-1993
Avant-propos
Fernand Daoust projetait une image singulière parmi les syndicalistes québécois. Grand, distingué, d’une élocution nette et d’un vocabulaire châtié, son maintien digne lui conférait une allure un peu aristocratique. Pourtant, il n’est issu ni d’un milieu aisé ni d’une famille d’intellectuels. Élevé par une mère monoparentale, une ouvrière dans l’industrie du vêtement, il a trimé dur pour payer ses études.
Dans la première partie de sa biographie [1], nous l’avons accompagné dans le Montréal du temps de la Grande Dépression. Nous avons assisté à ses premiers engagements nationalistes pendant la crise de la conscription et à sa découverte des idéologies progressistes et du syndicalisme à la fin de ses études. Entré dans le mouvement syndical comme recruteur bénévole au Syndicat de la sacoche dirigé par Roger Provost, il est embauché comme représentant permanent du Congrès canadien du travail (CCT) en 1951.
Au cours de la décennie suivante, il a connu les dures conditions imposées aux syndicalistes par le régime Duplessis. Il y a découvert la nécessité de l’action politique. Tout au long de ces années se profile le futur dirigeant syndical. Il est élu secrétaire du Conseil du travail de Montréal en 1954 et est le représentant québécois du Syndicat international des travailleurs des industries pétrolière, chimique et atomique (SITIPCA) en 1959. Au début des années I960, il devient président du comité d’éducation de la nouvelle Fédération des travailleurs du Québec (FTQ). Il est également membre de son Conseil exécutif. Il est de plus en plus influent dans l’organisation syndicale en pleine gestation.
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Le destin d’un homme
En entreprenant la rédaction de cette biographie, comme je l’annonçais dans l’introduction du premier tome, mon objectif était de reconstituer le parcours de Fernand Daoust pour comprendre comment se forge un tel personnage syndical et public. J’essayais de répondre à la question un peu candide : « Comment devient-on Fernand Daoust ? » Je disais aussi vouloir « retracer le destin personnel de cet homme, tout en évoquant l’évolution de la société québécoise et du mouvement syndical ».
Je crois y être passablement parvenu dans le premier tome. Dans la première partie de ce deuxième tome, qui couvre les années 1965 à 1975, le personnage se consolide. Je ne prétends pas que Fernand Daoust s’est momifié et n’a plus changé par la suite. Or, le jeune militant syndical, nationaliste et socialiste, devenu secrétaire général à quarante-quatre ans, avait atteint, au milieu des années 1970, une maturité et un style qui allaient le caractériser désormais. Tous lui reconnaîtront d’ailleurs une rare stabilité émotive et idéologique tout au long de ses vingt-deux années passées à la direction de la FTQ.
Pendant la première moitié des années 1970, les événements ont accéléré l’évolution et le façonnement de la centrale. En 1975, les principales caractéristiques de la FTQ, le type de relations quelle entretient avec ses syndicats affiliés et l’image publique quelle projette sont globalement fixés.
Même si les statuts du Congrès du travail du Canada (CTC) ne le reconnaissent toujours pas formellement, la FTQ n’est plus une succursale provinciale de la centrale canadienne. Dans les faits, elle est devenue un lieu de concertation où convergent naturellement les militantes des syndicats canadiens et nord-américains implantés au Québec. Sur tous les grands enjeux, les syndicats reconnaissent à la FTQ une autorité morale qui dépasse largement les pouvoirs que confèrent aux fédérations provinciales les statuts du CTC.
La centrale dont il rêvait
Si les syndicats répondent massivement aux appels de mobilisations de la FTQ lors de conflits majeurs, c’est tout aussi spontanément vers elle que les militantes se tournent lorsque la démocratie syndicale est bafouée dans leur organisation. Dans les faits, la FTQ est devenue la centrale syndicale dont Fernand et ses camarades nationalistes et progressistes rêvaient dans les années 1960. Le chemin parcouru sur ce plan est crucial. Restent encore des étapes importantes à franchir dans l’affirmation de l’autonomie politique de la FTQ, qui ne trouveront leur aboutissement que dix-sept ans plus tard.
Si la FTQ a acquis une telle importance aux yeux de ses militantes, ce n’est pas étranger au travail patient et courageux du secrétaire général, qui a [11] cru à la nécessité de doter la centrale de services diversifiés et efficaces. On verra combien, compte tenu des faibles moyens dont disposait la centrale, cela constituait un véritable tour de force.
Le résultat est probant : au milieu de cette décennie, la FTQ est une force sociale incontournable. Elle assume non seulement son identité québécoise, mais porte elle-même, stimule et nourrit les aspirations profondes de ce peuple en train de se révéler à lui-même. Et si la crise, qui suit le saccage de la Baie-James et la Commission Cliché, ternit pour un temps l’image publique de la centrale, sa transformation et sa maturation n’en progressent pas moins.
L’apport particulier de Fernand Daoust
Après 1976, de nombreux événements et péripéties vont marquer l’histoire de la FTQ comme celle de ses dirigeantes. Je ne les relaterai pas tous. Trois ouvrages dus à la plume de Louis Fournier en décrivent les grandes étapes : dans son Histoire de la FTQ [2], Fournier fait la chronique de tous les événements importants vécus par la FTQ et ses affiliés et collige toutes les grandes décisions de congrès ; dans la biographie qu’il consacre à Louis Laberge [3], il fait état de l’action de Fernand Daoust dans plusieurs dossiers ; enfin, dans son histoire de la genèse du Fonds de solidarité [4], il décrit comment l’idée de cet instrument économique a germé dans les esprits et a finalement été incarnée grâce à la détermination des dirigeantes de la FTQ.
Dans la deuxième partie du présent ouvrage, plutôt que de continuer à raconter de façon chronologique le parcours de Fernand Daoust, je m’efforcerai de dégager son apport particulier à l’évolution de la FTQ. Pour cela, le reste du livre sera divisé par thèmes. On décrira la relation singulière du tandem Daoust-Laberge. On examinera le rôle que Fernand a joué comme bâtisseur d’une FTQ longtemps dépourvue de moyens. Recruteur méticuleux de l’équipe de conseillers et de conseillères, il a été le maître d’œuvre de la construction des services de la centrale au profit de ses syndicats affiliés. On notera sa contribution à l’affirmation de la FTQ comme acteur social incontournable, son action décisive dans l’accession de la FTQ à la souveraineté syndicale. Finalement, ce deuxième tome décrira son long et continu combat pour la langue française et la souveraineté du Québec.
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[1] André Leclerc, Fernand Daoust. 1. Lejeune militant syndical, nationaliste et socialiste, 1926-1964, Mont-Royal, M Éditeur, 2013.
[2] Louis Fournier, Histoire de la FTQ 1965-1992, la plus grande centrale syndicale au Québec, Montréal, Québec-Amérique, 1994.
[3] Louis Fournier, Louis Laberge, le syndicalisme, c’est ma vie, Montréal, Québec-Amérique, 1992.
[4] Louis Fournier, Solidarité inc. Un nouveau syndicalisme créateur d’emplois, Montréal, Québec-Amérique, 1991.
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