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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Thierry Feral, Suisse et nazisme. (2006)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Thierry Feral, Suisse et nazisme. Paris: Les Éditions L'Harmattan, mars 2006, 196 pp. Collection “Allemagne d'hier et d'aujourd'hui.” [Une édition numérique réalisée avec le concours de Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean, Québec.]. [Autorisation accordée par l'auteur le 23 septembre 2019 de diffuser ce livre en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales. Et un grand merci à Michel Bergès, historien des idées politiques pour toutes ses démarches auprès de l'auteur pour que nous puissions diffuser cette oeuvre.]

[7]

Suisse et nazisme

Avant-propos

« Et il est décourageant de constater combien sont lépreuses les parties secrètes des anges. »
J. Steinbeck, Tortilla Fiat

Les nombreuses recherches conduites dans les années 1980 par l'Université de Provence [1] sur l'histoire générale de l'émigration allemande ont permis de mettre en évidence le caractère particulier et nouveau de celle qui se produisit sous le nazisme : la plus importante en nombre, elle fut aussi la plus disparate.

En effet, outre l'exil pour motifs politiques ou philosophiques — soit par contrainte, soit par choix, tel que l’avait déjà connu le XIXe siècle [2] —, des adversaires du régime en place, le troisième Reich fut à l'origine d'un exil pour motif « racial » de commerçants, de médecins, de scientifiques, [8] d'avocats, de fonctionnaires, d'enseignants, d'intellectuels, ainsi que d'une masse de petites gens, dont le seul caractère commun fut d'être persécutés parce que juif.

Si ce brutal déracinement fut pour les premiers le moyen volontaire de protester et, en règle générale, d'organiser la lutte contre un système qui réprimait méthodiquement toute opposition et toute liberté de pensée, de parole et d'action, il plongea les autres — à moins de convictions militantes déjà présentes ou en germe [3] — dans un profond désarroi.

Mais pour tous se posa cette question cruciale : où aller pour s'assurer une existence à peu près normale et reconstruire l'avenir ?

D'autant que les gouvernements des légendaires terres d'asile et havres de démocratie géographiquement les plus aisément accessibles vers lesquels ils se tournèrent alors spontanément n'étaient guère disposés à répondre à leur attente.

Ainsi la France, sur laquelle un certain nombre d'auteurs ont fait le point [4]. Et la Suisse, dont l'attitude officielle, inspirée par les profits considérables dont elle savait pouvoir bénéficier par une coopération étroite avec le Reich (livraisons industrielles, transports transitaires, transactions bancaires, « tourisme » diplomatique) [5], fut loin d'être « neutre ».

À ce titre, le cas de l'écrivain David Luschnat fait aujourd'hui figure de symbole : né en 1895 en Prusse orientale, ni juif, ni communiste, ni socialiste, ignoré par l'autodafé du 10 mai 1933, il aurait parfaitement pu continuer à [9] travailler en Allemagne si ses convictions éthiques ne l'avaient pas poussé à s'exiler et à accepter de vivre dans un total dénuement plutôt que de souscrire à la moindre compromission avec la tyrannie hitlérienne. Type parfait de l'« expatrié exemplaire », la Suisse l'expulsera pourtant le 4 décembre 1934. Quant à la France, elle l'enverra en septembre 1939 dans un camp d'internement [6]...

Comme y exhortait en janvier 2003 le secrétaire général adjoint de l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), Michel Cullin, dans la revue Documents dirigée par le professeur Henri Ménudier, le défi européen est aussi celui du réalisme historique, même si ce travail de mémoire n'est ni le plus facile ni le plus plaisant à effectuer. L'Allemagne a ouvert la voie de façon exemplaire. La France y arrive progressivement. La Suisse, elle, en dépit de courageuses tentatives de nombre de ses intellectuels et citoyens — ainsi que de quelques responsables politiques —, traîne encore les pieds...

[10]


[1] Nombreuses recherches, publications, thèses, DEA et mémoires de maîtrise sous l'égide de l'équipe de recherche en civilisation allemande (ERCA) animée par le regretté Jacques Grandjonc et Alain Ruiz.

[2] Voir par exemple à ce propos J. Grandjonc, Marx et les communistes allemands à Paris, Paris, 1974, JA. Kruse et M. Werner, Heine à Paris, Goethe Institut, Paris, 1981, ainsi que le catalogue de l'exposition réalisée conjointement par l'Institut Goethe et le ministère des Relations extérieures, Émigrés français en Allemagne. Émigrés allemands en France. 1685-1945, Paris, 1983, p. 83 sq.

[3] En tant que membres ou sympathisants d'une organisation politisée, mais aussi pour les plus maximalistes au sein du mouvement sioniste avec comme leitmotiv devenir un haloutz, un combattant pour la constitution d'une nation juive en terre d'Israël où la communauté mosaïque reconstituée pourrait enfin s'organiser contre l'hostilité du monde.

[4] Citons entre autres : G. Badia et al, Les Barbelés de l'exil, Grenoble, 1979 ; H. Schramm et B. Vormeier, Vivre à Gurs, Paris, 1979 ; G. Badia et al, Exilés de France, Paris, 1982 ; D. Schiller et al, Exil in Frankreich, Leipzig, 1982 ; G. Badia et al, Les Bannis de Hitler, Paris, 1984 ; J. Grandjonc et al, Les Camps en Provence. Exil, internement, déportations, Aix-en-Provence, 1984. Voir également l'excellent chapitre de M. L. Nieradka dans sa biographie de Franz Hessel, Der Meister der leisen Töne, Oldenburg, 2003, pp. 155-204 (nombreuses et très utiles références).

[5] Cf. C. Bloch, Le Troisième Reich et le monde, Paris, 1986, p. 368.

[6] Cf. A. Kantorowicz, Politik und Literatur im Exil, Munich, 1983, p. 165. Luschnat survivra à la guerre dans la clandestinité ; rentré en Allemagne de l'Ouest en 1958, il préférera retourner en France pour y finir sa vie avec son épouse qui ne l'avait jamais quitté.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 15 mars 2020 8:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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